La presse adopte les aperçus News Showcase de Google, mais se détourne des pages AMP

Pendant que la filiale d’Alphabet propose le service Google News Showcase aux éditeurs de presse en ligne pour mettre en avant des aperçus de leurs contenus dans les résultats de recherches, le format AMP de Google pour accélérer les pages web est, lui, de plus en plus délaissé par les médias.

« AMP de Google : du dopage au sevrage ? ». Tel est le titre d’une nouvelle note d’éclairage publiée par Bercy, plus précisément par son Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN). Cette entité, qui intervient dans la régulation des plateformes numériques, est placée sous l’autorité conjointe des ministères du Numérique (1) et de la Culture – ce dernier ministère étant lui-même armé de la DGMIC (2). Ce n’est pas un hasard si Bercy a publié le 17 octobre son éclairage sur le format AMP (Accelerated Mobile Pages) qui perd progressivement de son intérêt pour les éditeurs de presse depuis son lancement par Google en 2015.

Le GNS attire ; le format AMP déçoit
Cette note du PEReN sur ce format contesté de navigation est ainsi parue deux jours avant le lancement en France du dispositif « Google News Showcase » (GNS) qui permet aux éditeurs de la presse « d’avoir plus d’options pour diffuser l’actualité et rediriger leurs lecteurs vers les articles complets sur leurs sites Internet ». C’est ainsi plus de 65 éditeurs représentant plus de 130 publications qui ont signé avec Google pour avoir « une visibilité supplémentaire » (Le Figaro), « une audience plus large » (Le Parisien), « une vitrine d’exposition de nos articles payants » (La Dépêche du Midi), « un partenariat qui prend en compte la forte valeur des contenus » (L’Equipe) ou encore « un canal supplémentaire » (L’Express). La plupart des éditeurs bénéficiaires représentent des titres dits d’information politique et générale qui sont membres de l’Apig (3). Son directeur général, Pierre Pétillault, indique à Edition Multimédi@ qu’« il n’y a pas que des membres de l’Alliance » puisque l’on retrouve aussi La Tribune, Le Courrier International ou encore L’Obs.
Et à la question de savoir si GNS remplace l’autre dispositif de mise en avant de contenus éditoriaux AMP et son AMP Stories, il nous a répondu : « Il n’y a pas de lien avec AMP, qui concerne l’affichage de contenus en intégralité uniquement sur mobile, alors que [GNS] propose de courts extraits sur tous les supports ». Leur point commun est d’avoir été rapidement adoptés par les médias : AMP a perdu de son attrait ; GNS tiendra-t-il ses promesses ? Annoncé le 19 octobre par Sébastien Missoffe (photo), directeur général de Google France, le «News Showcase » a été rendu opérationnel le lendemain sur Google Actualités (tout support sous Android, iOS et le Web) ainsi que sur Google Discover (sur mobile Android et iOS). Depuis, les utilisateurs peuvent voir apparaître de petites fenêtres dans les résultats de leurs recherches qui mettent en avant des contenus de journaux nationaux, régionaux ou locaux. Les éditeurs de presse gardent la main sur ces aperçus et sont rémunérés par Google en fonction du nombre d’article mis ainsi à disposition (prévu contractuellement).
Objectif de la presse : élargir son audience et attirer in fine les lecteurs vers un abonnement payant. « Dans le cadre de nos accords de licence avec les éditeurs concernés par Google News Showcase, nous rémunérons les éditeurs de presse participants pour qu’ils donnent aux lecteurs l’accès à une quantité limitée de leur contenu payant. Les lecteurs ont ainsi un aperçu des articles auxquels ils n’auraient normalement pas eu accès, ce qui leur permet d’en savoir plus sur le journal concerné et éventuellement de s’y abonner », a expliqué Sébastien Missoffe (4). Pour autant, le GNS reste bien dissocié de la rémunération des droits voisins de la presse, dont la collecte est assurée par ailleurs par la Société des droits voisin de la presse (DVP), organisme de gestion collective créé fin octobre 2021. En effet, l’Autorité de la concurrence avait remis en cause en juillet 2021 le premier accord-cadre entre Google et l’Apig (5). Car le programme de licence GNS de Google, dans sa version initiale, forçait quelque peu la main des éditeurs à y adhérer s’ils voulaient être rémunérés au titre des droits voisins. Depuis son lancement en octobre 2020, Google News Showcase a séduit 1.800 publications dans le monde (6).

AMP, plus que 10 % à 15 % de l’audience
De son côté, le format mobile AMP – contesté dès le début (par W3C, Twitter, Brave, DuckDuckGo, …) – semble condamné à terme d’après l’éclairage du PEReN (7). La décision prise par le géant du Net en avril 2021, de ne plus avantager les pages AMP dans le carrousel « A la Une » de la recherche du moteur Google (8), pousse de plus en plus de médias à abandonner ce format – à l’instar de francetvinfo.fr (France Télévisions et Radio France). De plus, malgré son ouverture fin novembre 2019, la gouvernance d’AMP reste contestée car trop sous l’emprise de Google. Pour l’heure, en France, l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM, ex-OJD), nous indique que Médiamétrie estime la part de ce format dans l’audience globale entre 10 % et 15 % selon le titre et la période. @

Charles de Laubier

Ebra – 1er groupe de presse régionale – lance la « saison 2 » de son redressement, avant d’être revendu à LVMH ?

Propriété du Crédit Mutuel, le groupe de presse régionale Ebra – incontournable dans l’Est de la France – entame la seconde phase de son plan de redressement après cinq ans de restructuration. Philippe Carli, son président depuis le 18 septembre 2017, est toujours à la manœuvre. Et après ? Il a répondu à EM@.

Cela fera cinq ans le 18 septembre que Philippe Carli (photo) a succédé à Michel Lucas à la présidence du groupe de presse régionale Est Bourgogne Rhône Alpes (Ebra), dont l’unique actionnaire est le Crédit Mutuel depuis septembre 2009. Ancien dirigeant du groupe Amaury durant cinq ans (2010-2015), Philippe Carli, partageait avec son prédécesseur un même passé informatique, tous les deux ayant travaillé chez Siemens, mais à des époques différentes – dans les années 1960 pour l’ancien dirigeant, dans les années 2000 pour son successeur.
Le discret banquier surnommé « Draluca » – Breton d’origine, Alsacien d’adoption – est décédé en décembre 2018, soit quinze mois après la passation de pouvoirs. Avant de prendre la direction du groupe Ebra qui édite Le Républicain Lorrain, L’Est Républicain, Vosges Matin, Les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA), L’Alsace, Le Bien Public, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Progrès et Le Dauphiné Libéré (1), Philippe Carli avait été appelé en tant que consultant extérieur par Michel Lucas et par Nicolas Théry, l’actuel président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale (la maison mère de la banque mutualiste), pour faire un audit de ce pôle presse alors sérieusement déficitaire. Il y a six ans, le groupe Ebra perdait entre 50 et 60 millions d’euros par an, tout en accusant un certain retard dans la numérisation de ses neufs journaux.

En 2015, Carli vendait Le Parisien à LVMH
L’ancien dirigeant du groupe Amaury avait à son crédit d’avoir mené à bien un plan d’économies au quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France et organisé sa cession – intervenue en octobre 2015 (régie publicitaire et imprimerie comprises) – au géant du luxe LVMH de Bernard Arnault (2), déjà propriétaire du quotidien Les Echos depuis 2007. C’est à se demander si Philippe Carli (62 ans) ne pourrait pas négocier à nouveau avec Bernard Arnault (73 ans), cette fois en vue de lui céder un groupe Ebra assaini.
Le PDG multimilliardaire – première fortune française (3) et troisième mondiale (4) – s’intéresse à la presse régionale (5). Bernard Arnault partageait par ailleurs avec Michel Lucas la passion de la musique classique. Edition Multimédi@ a soumis au patron d’Ebra cette hypothèse de cession à LVMH. « Le groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale a exprimé sa volonté de conserver son pôle presse sous réserve de sa profitabilité. Compte tenu des résultats obtenus, cette volonté a été à nouveau confirmée lors des derniers conseils d’administration de la banque », répond Philippe Carli. Il poursuit donc le redressement du premier groupe de presse quotidienne régionale. « La seconde phase du plan est de cinq ans, avec une stratégie du groupe plus tournée vers le développement. L’objectif général est de conserver des rédactions fortes tout en développant les contenus audiovisuels [notamment via ses filiales Est Infos TV et Ebra Prod, ndlr] et l’engagement », nous explique-t-il.

Plateforme de e-commerce lancée d’ici fin 2022
Le plan d’économies et de restructuration est entré dans sa « saison 2 », selon la propre expression de Philippe Carli et de Nicolas Théry (photo ci-contre), président du Crédit Mutuel. Cette seconde phase est engagée depuis le début de l’année : chaque titre doit maintenant trouver sa propre rentabilité. Cela passera par l’organisation d’événements sportifs, de salons voire de foires, mais aussi par le lancement d’une plateforme de ecommerce commune aux titres. « La plateforme de marché devrait être lancée avant la fin de l’année. Elle nous permettra de mieux commercialiser l’ensemble de nos offres horspresse et d’éditions ainsi que d’étendre nos services auprès des PME régionales », nous explique le président d’Ebra. Le pôle presse du Crédit Mutuel veut aussi que l’ensemble des rédactions deviennent toutes « Digital First » (6). « Nous restons sur l’objectif de 100 000 abonnés à fin décembre. Objectif qu’il me semble encore possible d’atteindre », indique Philippe Carli. Lors de son audition au Sénat en janvier 2022 devant la commission d’enquête sur la concentration dans les médias en France, il avait précisé que le groupe avait investi « plus de 40 millions d’euros pendant la “saison 1” pour remettre à plat [ses] sites Internet, [ses] applications (mobiles), produire des contenus adaptés aux usages, etc. ». En outre, des négociations sont en cours avec les syndicats pour le reversement aux journalistes des droits voisins collectés auprès de Google et de Facebook.
Pour étoffer son audience Internet, déjà forte de 17,5 millions de visites par jour, le groupe Ebra s’est emparé au printemps dernier de la société de presse en ligne Humanoid, éditeur de Numerama, Frandroid et deMadmoizelle. « Les récents investissements réalisés comme le rachat d’Humanoid montrent aussi que la banque est prête à accompagner Ebra pour son développement », assure Philippe Carli. Quant aux régies publicitaires Ebra Médias Alsace et Ebra Médias Lorraine/Franche-Comté, elles peuvent jouer la carte de la régie globale Ebra Médias en « 360° (print-digital-events) », avec ciblages et brand content (7). « Nos titres ont la capacité de financer eux-mêmes leur croissance », avait assuré Philippe Carli aux sénateurs. Son actionnaire – sans lequel la majorité des titres du groupe auraient disparus – exige justement « que cette activité soit à l’équilibre et puisse financer son développement, pour que les sociétaires du Crédit Mutuel ne se retrouvent pas tenus de combler des pertes ». Sinon…
En attendant, la « saison 1 » du redressement du groupe Ebra fut conduite « avec succès », d’après Nicolas Théry. Philippe Carli avait remis son audit d’Ebra en avril 2017 en convainquant le Crédit Mutuel de ne pas céder sa presse régionale contrairement à ce que la banque mutualiste songeait à faire. Banco ! L’ex-patron d’Amaury fut embauché en juin 2017 pour diriger tout ce pôle presse, avec pour mission délicate de le redresser afin d’être à l’équilibre financier fin 2020. « Cet objectif a été atteint avec trois mois de retard du fait du covid-19, ce qui constitue une superbe performance. Le résultat d’exploitation du groupe de presse est désormais positif », s’est félicité Nicolas Théry lors de son audition.
Ces cinq premières années de restructuration des journaux et de rationalisation des imprimeries ne se sont pas faites sans la suppression de plusieurs centaines de postes (386 évoqués en 2020), partiellement compensée par la création d’emplois (284 envisagés) au sein de la nouvelle entité commune Ebra Services. Ce « centre d’expertise partagé » basé à Houdemont (Meurthe-et-Moselle), sur le même site que le siège de L’Est Républicain près de Nancy, est opérationnel depuis le 1er janvier 2021 et regroupe pour les neuf titres les différentes fonctions « support » : services de pagination, création graphique, annonces légales, trafic digital, maintenance informatique ou encore relations clientèle. Les informations nationales générales et sportives sont, elles, mises en commun et produites par une trentaine de journalistes situés dans un bureau basé à… Paris – le patron d’Ebra écartant le risque pour l’indépendance éditoriale des rédactions locales. « En revanche, chacun des neuf titres régionaux dispose de sa propre rédaction, les rédactions étant regroupées par territoire – territoires lorrain, alsacien, dauphinois et rhônalpin », a précisé Philippe Carli au Sénat.

Holding séparée et indépendance éditoriale
Nicolas Théry, lui, a assuré qu’il veillait à l’indépendance éditoriale des 1.400 journalistes du pôle presse. C’est Philippe Carli qui préside Ebra, et non pas Nicolas Théry. Et toutes les sociétés de presse du groupe ne sont plus filiales directes de la Banque fédérative Crédit Mutuel ou de holdings de la banque, mais regroupées depuis un an sous la seule holding Société d’investissements médias (SIM) que Philippe Carli préside et « qui prendra le nom d’Ebra avant la fin de l’année ». De quoi faciliter une éventuelle cession à l’avenir ? Si la banque mutualiste – constitué du Crédit Mutuel et du CIC – a réalisé un total de 15,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, son pôle presse, lui, a généré 491 millions d’euros. @

Charles de Laubier

Presse : Cafeyn étudie l’option d’un tarif premium

En fait. Le 25 janvier, lors d’une keynote digitale, le fondateur et directeur général du kiosque numérique Cafeyn (ex-LeKiosk.fr), a dévoilé des innovations (narration audio et fil d’actualité) avant de répondre à des questions sur la stratégie de l’entreprise créée il y a 15 ans. Notamment les tarifs et l’absence de titres.

En clair. Créée il y a 15 ans (1), l’entreprise LeKiosque.fr édite depuis 2010 LeKiosk devenu il y a plus de deux ans Cafeyn. Cette plateforme de streaming d’information (2) compte aujourd’hui plus de 2,5 millions d’utilisateurs inscrits (3) – y compris ceux en essai gratuit le premier mois, avant de payer 9,99 euros par mois au-delà s’ils le désirent. A ce prix-là, ils ont accès à près de 3.000 journaux et magazines français et étrangers (4), au format PDF pour la publication, ou à l’article en ligne et éditorialisé (curation des contenus, narration audio, fil d’actualité, etc.). De quoi séduire de nombreux lecteurs multi-titres, alors que des éditeurs ont encore augmenté leurs tarifs au numéro depuis le 1er janvier – comme Le Figaro passé à 3,20 euros l’exemplaire. A côté, les 9,99 euros mensuels pour accéder à des milliers de journaux paraissent incroyables. « Nous avons aujourd’hui une réflexion sur l’évolution de nos tarifs. Pour l’instant, nous préférons conserver une simplicité d’accès à nos offres pour avoir le bassin d’utilisateurs le plus large possible. Ensuite, une segmentation sera à l’étude en fonction de la consommation et du catalogue disponible dans nos offres », a répondu Ari Assuied (photo), cofondateur et DG de Cafeyn, à une question posée par Edition Multimédi@ lors d’une keynote digitale le 25 janvier. Et y aura-t-il des tarifs premium pour des contenus/services à valeur ajoutée ? « C’est une option que l’on étudie ».
Si la plupart des éditeurs répondent présents sur Cafeyn, certains ont récemment retiré leurs titres, L’Equipe, Le Point et Ouest-France, craignant la cannibalisation de leur propre offre numérique ou la destruction de valeur. « Cela ne traduit pas une tendance de fond car notre catalogue s’est plutôt enrichi, a rassuré Ari Assuied. Notre fonction d’agrégateur est complémentaire de la stratégie d’auto-distribution, laquelle est privilégiée par certains éditeurs, isolés, qui s’inspirent du modèle unique du New York Times». Le Monde, lui, reste le grand absent des kiosques numériques, que cela soit sur Cafeyn ou ePresse alias Readly (5). « Nous respectons la décision du groupe Le Monde mais nous la regrettons, dit-il. Notre conviction est qu’il n’y a pas de raison que les tendances que l’on a connues sur les marchés du divertissement, comme la musique et la SVOD, ne puissent pas apparaître pour l’information. Le développement des usages va s’accélérer ». @

Bernard Tapie se serait bien vu aussi en magnat de la presse française (La Provence, Corse-Matin, …), hélas

L’homme d’affaire et ancien ministre Bernard Tapie, qui est à nouveau devant la justice pénale jusqu’au 18 novembre dans l’affaire « CDR-Tapie » (sauf renvoi du procès), risque aussi de perdre La Provence et Corse- Matin devant la justice commerciale. Cet été, il avait tenté de reprendre La Marseillaise avec Xavier Niel.

(Juste après la parution de cet article dans le n°243 de Edition Multimédi@, le 26 octobre 2020, le procès en appel a été renvoyé au 10 mai 2021, précédé d’une audience le 29 mars)

Bernard Tapie (photo), en faillite personnelle depuis 1994, se bat non seulement contre un double cancer mais aussi pour laver son honneur devant la justice. Malgré la relaxe générale qui avait été prononcée le 9 juillet 2019 par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire de l’arbitrage « CDR-Tapie » (1), lequel avait abouti en 2008 à lui verser 403 millions d’euros pour régler son litige avec le Crédit Lyonnais, l’homme d’affaires (77 ans) est rejugé. Et ce, à nouveau aux côtés de Stéphane Richard, l’actuel PDG du groupe Orange, qui était à l’époque des faits le directeur de cabinet de la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. Car le parquet de Paris avait fait appel de cet arbitrage privé, sur des soupçons de « fraudes », d’ »escroquerie » et « détournement de fonds publics » au détriment de l’Etat. Autrement dit, Bernard Tapie aurait volé le contribuable. Stéphane Richard avait été mis en examen en juin 2013 pour « escroquerie en bande organisée » et à nouveau en mai 2015 pour, cette fois, « complicité de détournement de fonds publics par une personne privée ». Entre ces deux prononcés de mises en examen, Christine Lagarde avait été mise en examen, elle aussi, pour « négligence » mais sans aucune peine, alors que son ex-directeur de cabinet n’a de cesse de clamer depuis son innocence en assurant « n’avoir fait qu’exécuter la décision ministérielle d’aller à l’arbitrage ».

Des affaires à ministre, puis de la politique aux médias
Quinze mois après la relaxe des six prévenus prononcée en faveur de Bernard Tapie, celui-ci doit à nouveau se défendre devant la cour d’appel de Paris des suites politico-financières d’une affaire qui remonte aux années 1990, celle de la revente d’Adidas par le Crédit Lyonnais en 1994 avec une confortable plus-value. L’homme d’affaire, qui avait vendu le fabricant d’articles de sport à l’ex-banque publique l’année précédente, l’accuse de l’avoir floué. Il était alors député national, avant d’être nommé ministre de la Ville par François Mitterrand, puis il deviendra député européen. A l’affaire « Adidas », s’était ajoutée au même moment l’affaire « VA-OM » (corruption dans le football) pour laquelle le président de l’Olympique de Marseille (OM), à l’époque Bernard Tapie, sera déchu de son mandat de député (et purgera six mois de prison ferme), ce qui le détournera à jamais de la politique malgré son éligibilité retrouvée en 2003.

« Nanard », héritier partiel du « papivore »
Après une reconversion personnelle dans le cinéma, le livre, la musique, le théâtre et la télévision (1995-2008), « Nanard » s’était relancé dans les affaires qui l’amèneront fin 2012 à entrer à 50 % dans le capital du Groupe Hersant Média (GHM), lequel possède alors La Provence, Nice- Matin, Var-Matin et Corse-Matin. GHM était le premier groupe de presse de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). C’est là que Bernard Tapie se sent pousser des ailes dans la presse française, repreneur d’une partie de l’héritage laissé par Robert Hersant, surnommé, dans les années 1970-80, « le papivore ». Son nouveau dada est désormais les médias, malgré ses relations tumultueuses avec les journalistes ; fini la politique. Quoique les deux ont souvent des rapports consanguins… Ce serait Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée nationale, qui aurait convaincu le président de la République François Hollande (4) – lequel aurait préféré y voir François Pinault (Le Point) – de laisser Bernard Tapie s’emparer en 2013 d’une partie des journaux PACA cédés par Philippe Hersant. GHM est mort, vive GBT : Groupe Bernard Tapie est devenu l’actionnaire majoritaire, à hauteur de 89 % aujourd’hui, du groupe marseillais éditant La Provence et alors détenteur de la moitié de Corse-Matin. Et ce, grâce à une hypothèque sur son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères à Paris (hôtel de Cavoye), qu’il possède depuis 32 ans maintenant (en plus de sa villa Mandala à Saint-Tropez).
Le fils aîné de Bernard Tapie, Stéphane Tapie (demi-frère de Laurent, de Sophie et de Nathalie), a été nommé il y a plus de cinq ans – en février 2015 – à « la direction des activités numériques » du groupe La Provence. Sa mission : « Accélérer les développements web autour des marques La Provence et Corse Matin, notamment en rapprochant plus encore les problématiques internet de celles des journaux », et développer « l’utilisation de la vidéo, comme outil de développement des audiences » (5). Stéphane Tapie (51 ans), qui n’a pas répondu aux questions de Edition Multimédi@, est actionnaire du groupe La Provence depuis six ans maintenant, après avoir été producteur de télévision (6), dont douze ans pour TF1 grâce aux bonnes relations de son père avec l’ancien patron de la chaîne du groupe Bouygues, Patrick Le Lay. Il est par ailleurs gérant de la société Conseil Média Numérique. C’est en 2014 que Stéphane Tapie fait ses premiers pas dans le groupe de son père, en commençant par être administrateur du quotidien insulaire Corse- Matin, dont le Groupe Nice-Matin (GNM) venait de céder à GBT ses parts. Cette même année, le fils de Nanard (7) lance « La Provence TV », au slogan « 100 % vidéo/100 % magazine », avec notamment une émission baptisée « Tapie se met à table ». Mais la chaîne, où le patriarche avait lui-même payé de sa personne en annonçant le 24 mars 2014 son ambition de « transformer La Provence en groupe multimédia », sera rapidement abandonnée (8). Aujourd’hui, Bernard Tapie risque de tout perdre. Le 30 avril dernier, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire de ses sociétés, dont GBT et FIBT (9) , qui pourraient être vendues pour payer ses dettes : environ 461 millions d’euros, d’après le SNJ (10). Sentence dont il a fait appel. Ce verdict reste à venir. A cela s’ajoute donc le procès en cours au pénal où il risque sept ans de prison et 375.000 euros d’amende.
Quoi qu’il en soit, la vente du groupe La Provence semble inéluctable. Cet actif de poids, mais déficitaire (pertes de 3 millions d’euros en 2019), pourrait tomber dans l’escarcelle de Xavier Niel qui le détient déjà à hauteur de 11 %, et ce depuis que le groupe belge Nethys lui a vendu au printemps 2019 sa participation dans La Provence. Le milliardaire fondateur de Free – déjà copropriétaire du journal Le Monde depuis novembre 2010, de L’Obs depuis janvier 2014, de France-Antilles depuis mars 2020 et de Paris-Turf depuis juillet 2020 – est en bonne place dans la PQR (11) pour l’emporter. Xavier Niel a en effet pris en début d’année – via sa holding NJJ Presse – le contrôle du groupe Nice-Matin (12) bien implanté dans les Alpes- Maritimes (Nice-Matin, Var-Matin et Monaco-Matin). Tapie et Niel se connaissent bien, et s’apprécient, au point d’avoir voulu racheter ensemble l’été dernier le quotidien historique La Marseillaise dont la société éditrice Les Fédérés avait été placée en liquidation judiciaire le 13 juillet. Mais l’opposition des salariés à ce projet de rachat jugé hostile fut telle que les deux hommes d’affaires ont dû jeter l’éponge le 14 août dernier (13).

Concentration de la presse française
Dans ces circonstances médiatico-judiciaires, Bernard Tapie aura fréquenté de très près les actuels patrons d’Orange et de Free, respectivement Stéphane Richard et Xavier Niel. Ce dernier a comme beau-père Bernard Arnault, propriétaire, lui, du Parisien, des Echos et bientôt de Challenges, tout en étant actionnaire de L’Opinion. L’ancien ministre de la Ville aura ainsi contribué à la concentration de la presse en France. Le site web du quotidien Le Monde et la chaîne de télévision de L’Equipe avait annoncé, respectivement le 31 octobre 2019 et le 28 août 2020, sa mort… Procès, cancers, nécrologies : rien ne lui aura été épargné. L’ancien président de l’OM résiste en jouant les prolongations. @

Charles de Laubier

Fini la convergence entre les télécoms et les médias chez Altice, qui se sépare aussi de ses titres de presse

La filiale française du groupe de Patrick Drahi le déclare toujours dans ses communiqués, et ce depuis plus de deux ans que l’intégration de NextRadioTV est effective : « Altice France est le premier acteur de la convergence entre télécoms et médias en France ». Mais dans les faits, cette stratégie a fait long feu.

Cinq ans après avoir initié le rapprochement entre les télécoms et les médias, avec l’acquisition par Altice en juillet 2015 de 49 % à l’époque de NextRadioTV, le groupe de Patrick Drahi (photo) en est aujourd’hui à détricoter cette velléité de stratégie de convergence. Il y a deux ans, en avril 2018, l’intégration de la société d’Alain Weill avait finalement obtenu le feu vert du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lequel avait préalablement validé la prise de contrôle par NextRadioTV de la chaîne Numéro 23 – rebaptisée par la suite RMC Story. Avec NextRadioTV (RMC, BFM TV, BFM Business, BFM Paris, RMC Découverte, …), le pôle médias d’Altice France – maison mère de SFR, deuxième opérateur télécoms français – rajoutait l’audiovisuel à son portefeuille déjà constitué alors de la presse écrite avec Libération et L’Express, rachetés respectivement en juin 2014 et février 2015. Depuis lors, la filiale française ne manque pas d’affirmer dans ses communications : « Altice France est le premier acteur de la convergence entre télécoms et médias en France ». Même la holding – néerlandaise depuis près de cinq ans, après avoir été luxembourgeoise – y va encore aujourd’hui de son couplet sur la convergence : « Altice Europe, cotée sur Euronext Amsterdam (2), est un leader convergent dans les télécommunications, le contenu, les médias, le divertissement et la publicité ». La maison mère chapeaute aussi Altice Portugal (Meo, Fastfiber), Altice Israel (Hot) et Altice Dominicana (République dominicaine).

Altice n’est plus un groupe multimédia convergent
Pourtant, la convergence télécoms-médias – avec laquelle Altice se sentait pousser des ailes – a du plomb dans l’aile justement. Patrick Drahi tourne le dos à son ambition de créer un groupe « convergent » et « multimédia ». Car si les télécoms lui permettent de rembourser progressivement sa lourde dette (31,2 milliards d’euros au 31 mars) avec d’importantes échéances d’ici 2025, il n’en va pas de même des médias qui lui coûtent plus qu’ils ne rapportent à Altice Europe. La convergence télécoms-médias était sérieusement bancale, en plus de ne pas être bankable. Et la récession économique historique provoquée par l’état d’urgence sanitaire a aggravé la situation, au point que certains se demandent si le groupe de Patrick Drahi ne pourrait pas faire faillite (3).

Magnat des télécoms, mais plus de la presse
Le désenchantement de Patrick Drahi vis-à-vis des médias ne date pas d’hier, du moins il remonte bien avant la pandémie. Certes, le coronavirus a précipité la chute des recettes publicitaires dans les médias, presse en tête, et creusé des pertes financières – tous les titres et supports sont touchés de plein fouet. Mais, au sein d’Altice France, les déficits chroniques de certains médias comme L’Express perdurent depuis bien plus longtemps. L’hebdomadaire d’actualité créé en 1953 par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, n’est plus que l’ombre de lui-même : Patrick Drahi s’est délesté à l’été 2019 de ce titre historique de la presse française en le cédant à son bras droit Alain Weill qui en est devenu le PDG et l’actionnaire majoritaire via sa société News Participations (4), en plus d’être le PDG d’Altice France et le directeur général d’Altice Europe. Les pertes sont abyssales (20 millions d’euros en 2018 et 2019) et le covid- 19 a compromis l’objectif d’atteindre l’équilibre financier et les 200.000 abonnés numériques pour les 70 ans du journal en 2023. Une nouvelle formule a pourtant été lancée par Alain Weill en janvier, assortie de certains articles disponibles aussi en podcasts. Mais les effectifs du journal doivent passer de quelque 170 collaborateurs à 120 (dixit Alain Weill le 28 octobre 2019 sur Franceinfo), dont environ 80 départs de la rédaction.
Depuis cette saignée-express, c’est aujourd’hui au tour de Libération d’être cédé. Le quotidien fondé sous l’impulsion de Jean-Paul Sartre en 1973 fut racheté en 2014 par Patrick Drahi, moyennant 18 millions d’euros pour le renflouer. Ce serait Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, qui lui aurait demandé – de la part de François Hollande – de sauver Libé. Ce que fit le milliardaire franco-israélien, en confiant les rênes du quotidien au banquier franco-libanais Bernard Mourad, lequel deviendra conseiller du candidat à la présidentielle de 2017. Ce qui aurait permis à Altice s’emparer de SFR (5), au nez et à la barbe de Bouygues… Mais depuis ce sauvetage politico-médiatique d’il y a cinq ans, les pertes de Libération se sont accumulées et sa dette a atteint presque 50 millions d’euros. Pour sortir le journal de la faillite, la direction d’Altice France – Alain Weill en tant que PDG et Arthur Dreyfuss comme secrétaire général d’Altice France et, depuis janvier, DG d’Altice Médias France (6) – ont annoncé le 14 mai aux employés, par e-mail en interne, la cession de Libération à un « Fonds de dotation pour une presse indépendante » créé pour l’occasion (avec sa filiale Presse Indépendante). Patrick Drahi, qui « continuera, personnellement, d’accompagner l’avenir de Libération », s’inspire ainsi de ce qu’a fait Mediapart en octobre 2019 avec son « Fonds pour une presse libre » (7), le site web d’information d’Edwy Plenel ayant lui-même pris en exemple le modèle du « Scott Trust Limited » du quotidien britannique The Guardian. Désormais, le magnat des télécoms n’est plus magnat de la presse. « Voilà, une évolution en apparence très positive de la structure de Libération mais un futur tout à fait incertain », a tweeté le jour même de l’annonce surprise Gerald Holubowicz, chef de produit digital de Libération (8). « Nos actionnaires ne veulent pas être propriétaire du tonneau des Danaïdes ! », avait prévenu Laurent Joffrin, le 16 septembre 2014, devant l’AJM (9). Le directeur de la rédaction et de la publication Libération, dont il cessera d’être le cogérant à la fin de l’année, ne croyait pas si bien dire (10).
Cinq jours après l’annonce de la cession de Libé, ce fut au tour de NextRadioTV de faire l’objet de mesure de redressement via un « plan de reconquête post-covid et de transformation ». Là aussi, le coronavirus n’est pas la seule raison du remède de cheval avec suppressions de postes possibles sur un effectif de 1.600 personnes (11). Depuis quelques années, NextRadioTV était déjà aux prises avec « la concurrence des plateformes à la fois inéquitable et d’une ampleur encore sous-estimée, et aux nouveaux modes de consommation des auditeurs et téléspectateurs » (12). Cette fois, le covid-19 a provoqué « l’écroulement des recettes publicitaires » – tant sur BFM TV et BFM Business que sur RMC, malgré des records d’audiences télévisées durant la crise. La chaîne payante d’information sportive RMC Sport News n’a, elle, pas eu droit à des arrêts de jeu : elle est définitivement fermée depuis le 2 juin. Fini aussi les droits sportifs sur un marché « imprévisible et inflationniste ». Les chaînes RMC Découverte, RMC Story et Altice Studio sont, elles, sur la sellette.

Altice Studio déclare forfait
La grande convergence des télécoms et des médias, tant promise il y a cinq ans par Patrick Drahi (13), est réduite à « une stratégie plurimédia » (télé, radio et digitale, replay et podcasts compris) et au recours à SFR pour la publicité adressée et la data. Quant à la filiale de production audiovisuelle Altice Studio, installée en grande pompe (mais sans paillettes) le 3 octobre 2018 – dans l’immeuble d’Altice Campus, « symbole de la convergence réussie entre les médias et les télécoms en France », disait alors Alain Weill (14) –, elle aura fait long feu. @

Charles de Laubier