Après le rejet de trois amendements taxant à 1,5 % le streaming musical pour financer le CNM, place à la mission « Bargeton »

L’UPFI la prône ; le Snep n’en veut pas ; des députés ont tenté de l’introduire en vain par trois amendements rejetés le 6 octobre dernier : la taxe de 1,5 % sur le streaming musical en faveur du Centre national de la musique (CNM) va refaire parler d’elle lors des auditions de la mission confiée au sénateur Julien Bargeton.

Une taxe sur le streaming musical de 1,5% sur la valeur ajoutée générée par les plateformes de musique en ligne. Telle était la proposition faite par des députés situés au centre et à gauche de l’échiquier politique, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Mais avant même l’ouverture des débats en séance publique le 10 octobre à l’Assemblée nationale (et jusqu’au 4 novembre), la commission des finances réunie le 6 octobre, a rejeté les trois amendements – un du centre et deux de gauche, déposés respectivement les 29 et 30 septembre. La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (« RAM »), n’a-t-elle pas assuré que le budget du Centre national de la musique (CNM) pour en 2023 est « suffisamment solide » ? Le CNM sera doté l’année prochaine de plus de 50 millions d’euros, grâce à la taxe sur les spectacles de variétés qui, d’après le projet de loi de finances 2023 déposé fin septembre, rapportera l’an prochain 25,7 millions d’euros (contre 35 millions en 2019, soit avant la pandémie).

Julien Bargeton missionné par décret d’Elisabeth Borne publié le 25 octobre
S’y ajouteront un financement garanti par l’Etat à hauteur de 26 millions d’euros et une contribution des sociétés de gestion collective (1) de quelque 1,5 million d’euros. Pour autant, la question de son financement se posera pour 2024 et les années suivantes. Or la pérennité du budget de cet établissement public à caractère industriel et commercial – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’est pas assuré. D’où le débat qui divise la filière musicale sur le financement dans la durée du CNM, aux missions multiples depuis sa création le 1er janvier 2020 – et présidé depuis par Jean-Philippe Thiellay. A défaut d’avoir obtenu gain de cause avec ses trois amendements, l’opposition compte maintenant sur le sénateur de la majorité présidentielle Julien Bargeton (photo) qui vient d’être missionné – par décret publié le 25 octobre et signé par la Première ministre Elisabeth Borne – pour trouver d’ici le printemps 2023 un financement pérenne au CNM. L’une des vocations de ce CNM est de soutenir la filière dans sa diversité, un peu comme le fait le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour la production cinématographique, audiovisuelle ou multimédia. Mais Continuer la lecture

PLF 2023 : rejet de trois amendements taxant à 1,5 % le streaming musical pour financer le CNM

L’UPFI la prône ; le Snep n’en veut pas ; des députés ont tenté de l’introduire avec trois amendements dans le projet de loi de finances 2023 : la taxe de 1,5 % sur le streaming musical en faveur du Centre national de la musique (CNM) a été rejetée le 6 octobre à l’Assemblée nationale.

Une taxe sur le streaming musical de 1,5% sur la valeur ajoutée générée par les plateformes de musique en ligne. Telle était la proposition faite par des députés situés au centre et à gauche de l’échiquier politique, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Mais avant même l’ouverture des débats en séance publique le 10 octobre à l’Assemblée nationale (et jusqu’au 4 novembre), la commission des finances réunie le 6 octobre, a rejeté les trois amendements – un du centre et deux de gauche, déposés respectivement les 29 et 30 septembre.

Budget 2023 du CNM : plus de 50 M€
La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (« RAM »), n’a-t-elle pas assuré que le budget du Centre national de la musique (CNM) pour en 2023 est « suffisamment solide » ? Le CNM sera doté l’année prochaine de plus de 50 millions d’euros, grâce à la taxe sur les spectacles de variétés qui, d’après le projet de loi de finances 2023 déposé fin septembre (1), rapportera l’an prochain 25,7 millions d’euros (contre 35 millions en 2019, soit avant la pandémie). S’y ajouteront un financement garanti par l’Etat à hauteur de 26 millions d’euros et une contribution des sociétés de gestion collective (2) de quelque 1,5 million d’euros. Pour autant, la question de son financement se posera pour 2024 et les années suivantes.
Or la pérennité du budget de cet établissement public à caractère industriel et commercial – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’est pas assuré. D’où le débat qui divise la filière musicale sur le financement dans la durée du CNM, aux missions multiples depuis sa création le 1er janvier 2020 (3) – et présidé depuis par Jean-Philippe Thiellay (photo). A défaut d’avoir obtenu gain de cause avec ses trois amendements, l’opposition compte maintenant sur le sénateur Julien Bargeton (majorité relative présidentielle) qui va être missionné par la Première ministre Elisabeth Borne et RAM pour trouver d’ici le printemps 2023 un financement pérenne au CNM. L’une des vocations de ce CNM est de soutenir la filière dans sa diversité, un peu comme le fait le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour la production cinématographique, audiovisuelle ou multimédia. Mais avec un budget plus de dix fois moins élevé que ce dernier, le CNM dispose d’une très faible marge de manœuvre. Une partie des professionnels du secteur demandent donc depuis plus de deux et demi qu’existe le CNM de mettre les plateformes de streaming de type Spotify, Deezer, Apple Music ou encore YouTube à contribution (4). « Il est institué une taxe sur les locations en France, y compris dans les départements d’Outre-Mer, de phonogrammes et de vidéomusiques destinés à l’usage privé du public dans le cadre d’une mise à disposition à la demande sur les réseaux en ligne », prévoyaient à l’unisson les trois amendements finalement écartés. Et ce, qu’il s’agisse d’« un service offrant l’accès à titre onéreux [comme Spotify] ou gratuit [comme YouTube] ».
Les députés signataires – de Charles de Courson (centre droit) (5) à Sandrine Rousseau (écologiste) (6), en passant par Karine Lebon (Nupes) (7) – s’étaient concertés pour que la taxe sur le streaming musical soit assise sur trois sources de prélèvement : sur le prix hors taxe payé par le public, sur les recettes publicitaires, et sur les revenus générés par des services proposant des contenus crées par des utilisateurs. Tous s’accordent pour établir le taux de cette taxe à 1,5 % du total. « Il s’agit donc de permettre au CNM de fonctionner “sur ses deux jambes”, en trouvant un équilibre entre financement privé et finan-cement public, mais également entre les deux volets de la filière musicale : spectacle et musique enregistrée », justifiaient les députés centristes Charles de Courson et Michel Castellani. A gauche (Nupes en tête), les signataires indiquent s’appuyer sur les travaux de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI). « Le rendement de cette taxe est estimé à 21 millions d’euros », précisentils. L’UPFI est à la SPPF (société de gestion collective des producteurs indépendants de musique) ce que le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) est à la SCPP (société de gestion collective notamment des majors Universal Music, Sony Music et Warner Music).

UPFI/SPPF versus Snep/SCPP
Si l’UPFI/SPPF milite pour cette taxe de 1,5 % avec cinq autres organisations professionnelles (8), le Snep/SCPP, lui, est vent debout contre ce « nouvel impôt sur le streaming » et estime les « estimations erronées » faites à partir de « son assiette supposée de 1,4 milliard d’euros » (9). Le duo des majors défend plutôt « une contribution des services vidéo gratuits [YouTube, Facebook, …] dont les acteurs ne rémunèrent pas aujourd’hui la musique à sa juste valeur ». @

Charles de Laubier

RGPD : toute personne a un droit d’accès étendu à ses données personnelles, à deux limites près

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) devrait suivre les conclusions de son avocat général sur l’interprétation étendue de l’article 15 du RGPD donnant droit aux individus l’accès à leurs données personnelles et à l’identité des destinataires de ces données. Sauf dans deux cas de figure.

D’après Giovanni Pitruzzella, avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Giovanni Pitruzzella (photo), avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a présenté le 9 juin dernier ses conclusions dans une affaire opposant un citoyen autrichien dit « RW » et la poste autrichienne Österreichische Post (OP). Le litige commence en janvier 2019 lorsque le premier a demandé à la seconde d’accéder aux données à caractère personnel le concernant. Sa demande portait non seulement sur ses données personnelles conservées par l’OP, mais aussi celles communiquées à des tiers – afin d’être informé sur l’identité des destinataires. Et ce, en application de l’article 15 « Droit d’accès de la personne concernée » du RGPD, le règlement général européen sur la protection des données (1).

Le « ou » de la discorde
La poste autrichienne a répondu à RW en lui expliquant qu’elle utilise des données dans le cadre de son activité d’éditeur d’annuaires téléphoniques et qu’elle les propose à des partenaires commerciaux à des fins de marketing. L’OP a aussi renvoyé le requérant vers deux sites web d’information, l’un sur les finalités du traitement des données, l’autre sur les catégories générales de destinataires auxquels elle communique les données à caractère personnel (en l’occurrence à des partenaires commerciaux, parmi lesquels des annonceurs dans le secteur de la vente par correspondance et du commerce physique, des entreprises informatiques, des éditeurs d’annuaires téléphoniques et des associations telles que des organisations caritatives, des ONG ou des partis politiques). Pour autant, à aucun moment, l’OP n’a révélé à RW les destinataires spécifiques auxquels elle avait communiqué ses données.
L’intéressé a alors introduit un recours pour tenter de faire condamner la poste autrichienne à lui fournir davantage d’informations en application de l’article 15 du RGPD, concernant notamment d’éventuels transferts de ses données à caractère personnel à des tiers, ainsi que le ou les destinataires spécifiques auxquels ces données ont été communiquées. La demande de RW a ensuite été rejetée par les juridictions autrichiennes, tant en première instance qu’en appel, en invoquant le fait que l’article 15 du RGPD mentionne – parmi les huit types d’informations que doit fournir le responsable du traitement des données – « les destinataires ou catégories de destinataires auxquels les données à caractère personnel ont été ou seront communiquées ». C’est ce « ou » qui rend flou l’interprétation de cet article 15. Selon l’avocat général de la CJUE, « cette disposition accorde au responsable du traitement la possibilité de choisir de se limiter à communiquer à la personne concernée les catégories de destinataires, sans devoir indiquer de manière nominative les destinataires spécifiques auxquels ses données à caractère personnel sont transmises ».
Or, sur ce point, il y a débat justement, certains voyant au contraire dans ce « ou » la possibilité pour la personne concernée soit de se contenter d’obtenir du responsable du traitement des données les « catégories » de destinataires auxquels ses données personnelles ont été communiquées, soit d’aller plus loin en exigeant la liste spécifique de ces mêmes destinataires. C’est dans ce sens que le citoyen RW s’est pourvu en cassation en introduisant un nouveau recours. Du coup, la cour suprême d’Autriche – Oberster Gerichtshof – a eu un doute quant à l’interprétation de l’article 15 du RGPD qui a été retenue par les juridictions du fond, et a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : « L’article 15, paragraphe 1, sous c), du [RGPD] doit-il être interprété en ce sens que le droit d’accès [de la personne concernée] est limité à l’information sur les catégories de destinataires si les destinataires concrets ne sont pas encore connus lorsque les communications sont envisagées, mais qu’il doit impérativement s’étendre également à l’information sur les destinataires de ces informations lorsque des données ont déjà été communiquées ? ».

L’interprétation de l’article 15
Après avoir rappelé que l’article 15 du RGPD concrétise et précise le droit de toute personne d’accéder aux données la concernant, lequel droit est consacré par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2), l’avocat général Giovanni Pitruzzella s’est attardé plus précisément sur l’interprétation du « ou » (dans « les destinataires ou catégories de destinataires ») : « Le libellé de la disposition (…) ne permet pas (…), indique-t-il, d’apporter une réponse définitive à la question de savoir s’il convient de considérer que le droit d’accès de la personne concernée qui est prévu à cet article inclut nécessairement l’accès à des informations relatives aux destinataires précis de la communication de données à caractère personnel la concernant, ou si sa portée peut être limitée à l’accès à des informations relatives aux catégories de destinataires ». Et d’ajouter : « Cette disposition ne précise pas non plus explicitement s’il est possible de choisir entre les deux catégories d’informations possibles qui sont prévues (à savoir les “destinataires” ou les “catégories de destinataires“) ni à qui (c’est-à-dire à la personne concernée ou au responsable du traitement) il appartient, le cas échéant, de choisir à quel type d’informations l’accès doit être garanti ». Informations sur les destinataires Cependant, Giovanni Pitruzzella indique privilégier une interprétation de la disposition permettant à la personne concernée – « et donc pas au responsable du traitement comme l’ont jugé les deux juridictions nationales du fond dans la présente affaire » – de choisir entre les deux solutions alternatives qui y sont prévues. Et, dans cette logique, cet article prévoit le droit pour la personne concernée de demander, lorsque c’est possible, l’accès aux informations relatives aux destinataires spécifiques auxquels ses données à caractère personnel sont communiquées. Pour conforter cette interprétation, l’avocat général a rappelé le considérant 63 du RGPD prévoyant explicitement que la personne concernée doit « avoir le droit de connaître et de se faire communiquer […] l’identité des destinataires de ces données à caractère personnel ». Aussi, dans cette affaire « RW contre l’OP », ce considérant ne mentionne en aucune manière que ce droit d’accès de la personne concernée pourrait être limité, à la discrétion du responsable du traitement, aux seules catégories de destinataires.
La spécification des destinataires auxquels les données à caractère personnel de l’individu sont communiquées participe en outre à l’objectif du RGPD visant à la transparence des modalités de traitement des données à l’égard des personnes concernées, lesquelles peuvent prendre connaissance du traitement de leurs données et d’en vérifier la licéité : « L’exercice de ce droit d’accès doit, en particulier, permettre à la personne concernée de vérifier non seulement que les données la concernant sont exactes, mais également qu’elles ont été communiquées à des destinataires autorisés. Cela présuppose en principe que les indications fournies soient les plus précises possibles », relève Giovanni Pitruzzella. Le considérant 39 du RGPD consacre aussi le principe de transparence (3). De plus, ce droit d’accès permet à la personne concernée d’exercer le droit de rectification, le droit à l’effacement – le droit à l’oubli – et le droit à la limitation du traitement qui lui sont conférés par, respectivement, les articles 15, 17 et 18 du RGDP. Aussi, le responsable du traitement est tenu de notifier à chaque destinataire – auquel les données à caractère personnel ont été communiquées – toute rectification ou tout effacement de données à caractère personnel ou toute limitation du traitement effectué, « à moins qu’une telle communication se révèle impossible ou exige des efforts disproportionnés » (4).
Les destinataires ainsi informés sont dès lors obligés de procéder immédiatement à la rectification, à l’effacement ou à la limitation du traitement, pour autant qu’ils sont encore en train de traiter les données en question. En conséquence, afin de garantir l’effet utile des droits de la personne concernée à l’effacement, à la rectification ou à la limitation du traitement, celle-ci doit disposer – « en principe » – d’un droit à être informée de l’identité des destinataires spécifiques.
Néanmoins, l’avocat général de la CJUE voit « une limite » à cette extension du droit d’accès prévu par le RGPD, « dans au moins deux cas de figure » :
Dans le cas où il est matériellement impossible de fournir des informations sur les destinataires spécifiques, par exemple parce que ceux-ci ne sont pas encore effectivement connus. Aussi, dans ce cas, le droit d’accès de la personne concernée ne pourra porter que sur les « catégories » de destinataires.
L’exercice du droit d’accès de la personne concernée doivent être examinés au regard des principes de loyauté et de proportionnalité. Les demandes de la personne concernée ne doivent pas être manifestement infondées ou excessives et que, si tel est le cas, le responsable du traitement peut également refuser de donner suite à ces demandes.
Au-delà de ces deux cas de figure limitatifs, Giovanni Pitruzzella a rappelé qu’il convenait de « trouver un juste équilibre entre, d’un côté, l’intérêt de la personne à protéger sa vie privée (…) et, de l’autre, les obligations incombant au responsable du traitement ».

Deux limitations sont avancées
Conclusion de l’avocat général que la CJUE devrait suivre dans son prochain arrêt – comme elle le fait le plus souvent : « Il est possible de limiter ce droit d’accès à la seule indication des catégories de destinataires lorsqu’il est matériellement impossible d’identifier les destinataires spécifiques de la communication des données à caractère personnel de la personne concernée ou lorsque le responsable du traitement démontre que les demandes de la personne concernée sont manifestement infondées ou excessives » (5). @

Charles de Laubier

Jean-Noël Barrot, ministre tous azimuts du digital

En fait. Le 4 septembre, cela fait deux mois que Jean-Noël Barrot – fils de feu Jacques Barrot, ancien ministre et commissaire européen – est ministre délégué du gouvernement Borne, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications. Son été fut studieux, entre sobriété et déploiement du numérique.

En clair. 4 juillet-4 septembre 2022 : les deux mois estivaux que vient de passer le nouveau ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot (39 ans), reflète la multitude de ses attributions qu’un décret daté du 29 juillet dernier est venu préciser. Etant entendu qu’il n’aura pas à s’occuper ni à connaître des dossiers concernant le groupe Uber, comme l’avait spécifié un décret précédent daté du 21 juillet. Et ce, afin d’écarter tout conflits d’intérêt (1) puisque sa soeur cadette – Hélène Barrot – y travaille depuis près de dix ans, actuellement comme directrice de la communication pour l’Europe de l’Ouest et du Sud (2).
Selon le décret de ses attributions, « JNB » traite de « toutes les affaires en matière de numérique et de télécommunication ». Ainsi, par délégation du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, il s’occupe du numérique tous azimuts : de la « souveraineté numérique » à la « transformation numérique des entreprises », en passant par les « communications électroniques », les « objectifs de transition écologique et de souveraineté technologique » ou encore au « cadre juridique relatif au numérique ». En outre, « il veille aux droits et libertés fondamentaux dans le monde numérique, à l’éthique des technologies, à l’inclusion, l’accessibilité et la médiation numériques ». Les « communs numériques » et la « gouvernance de l’Internet » entrent aussi dans ses nombreux champs de compétences, dont font partie aussi « l’éducation et la formation au numérique » ainsi que les « mutations numériques du travail », le « déploiement des infrastructures numérique » et l’« inclusion numérique » (3).
Bref, Jean-Noël Barrot est un véritable couteau suisse du digital pour le gouvernement Borne. Sur le terrain, il s’est rendu le 26 août au chevet de l’hôpital CHSF de Corbeil-Essonnes victime d’une cyberattaque. Trois jours plus tôt, il était dans le Cantal pour parler « ruralité et numérique » (4). Fin juillet, il participait au lancement du « groupe de travail “numérique et télécommunication” » dans le cadre du plan « sobriété énergétique ». Cela débouchera fin septembre sur un « plan d’actions de mesures simples et opérationnelles ». Economiste de formation, JNB n’avait pas d’expériences dans le numérique ; il devra savoir vite où donner de la tête. @

Ebra – 1er groupe de presse régionale – lance la « saison 2 » de son redressement, avant d’être revendu à LVMH ?

Propriété du Crédit Mutuel, le groupe de presse régionale Ebra – incontournable dans l’Est de la France – entame la seconde phase de son plan de redressement après cinq ans de restructuration. Philippe Carli, son président depuis le 18 septembre 2017, est toujours à la manœuvre. Et après ? Il a répondu à EM@.

Cela fera cinq ans le 18 septembre que Philippe Carli (photo) a succédé à Michel Lucas à la présidence du groupe de presse régionale Est Bourgogne Rhône Alpes (Ebra), dont l’unique actionnaire est le Crédit Mutuel depuis septembre 2009. Ancien dirigeant du groupe Amaury durant cinq ans (2010-2015), Philippe Carli, partageait avec son prédécesseur un même passé informatique, tous les deux ayant travaillé chez Siemens, mais à des époques différentes – dans les années 1960 pour l’ancien dirigeant, dans les années 2000 pour son successeur.
Le discret banquier surnommé « Draluca » – Breton d’origine, Alsacien d’adoption – est décédé en décembre 2018, soit quinze mois après la passation de pouvoirs. Avant de prendre la direction du groupe Ebra qui édite Le Républicain Lorrain, L’Est Républicain, Vosges Matin, Les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA), L’Alsace, Le Bien Public, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Progrès et Le Dauphiné Libéré (1), Philippe Carli avait été appelé en tant que consultant extérieur par Michel Lucas et par Nicolas Théry, l’actuel président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale (la maison mère de la banque mutualiste), pour faire un audit de ce pôle presse alors sérieusement déficitaire. Il y a six ans, le groupe Ebra perdait entre 50 et 60 millions d’euros par an, tout en accusant un certain retard dans la numérisation de ses neufs journaux.

En 2015, Carli vendait Le Parisien à LVMH
L’ancien dirigeant du groupe Amaury avait à son crédit d’avoir mené à bien un plan d’économies au quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France et organisé sa cession – intervenue en octobre 2015 (régie publicitaire et imprimerie comprises) – au géant du luxe LVMH de Bernard Arnault (2), déjà propriétaire du quotidien Les Echos depuis 2007. C’est à se demander si Philippe Carli (62 ans) ne pourrait pas négocier à nouveau avec Bernard Arnault (73 ans), cette fois en vue de lui céder un groupe Ebra assaini.
Le PDG multimilliardaire – première fortune française (3) et troisième mondiale (4) – s’intéresse à la presse régionale (5). Bernard Arnault partageait par ailleurs avec Michel Lucas la passion de la musique classique. Edition Multimédi@ a soumis au patron d’Ebra cette hypothèse de cession à LVMH. « Le groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale a exprimé sa volonté de conserver son pôle presse sous réserve de sa profitabilité. Compte tenu des résultats obtenus, cette volonté a été à nouveau confirmée lors des derniers conseils d’administration de la banque », répond Philippe Carli. Il poursuit donc le redressement du premier groupe de presse quotidienne régionale. « La seconde phase du plan est de cinq ans, avec une stratégie du groupe plus tournée vers le développement. L’objectif général est de conserver des rédactions fortes tout en développant les contenus audiovisuels [notamment via ses filiales Est Infos TV et Ebra Prod, ndlr] et l’engagement », nous explique-t-il.

Plateforme de e-commerce lancée d’ici fin 2022
Le plan d’économies et de restructuration est entré dans sa « saison 2 », selon la propre expression de Philippe Carli et de Nicolas Théry (photo ci-contre), président du Crédit Mutuel. Cette seconde phase est engagée depuis le début de l’année : chaque titre doit maintenant trouver sa propre rentabilité. Cela passera par l’organisation d’événements sportifs, de salons voire de foires, mais aussi par le lancement d’une plateforme de ecommerce commune aux titres. « La plateforme de marché devrait être lancée avant la fin de l’année. Elle nous permettra de mieux commercialiser l’ensemble de nos offres horspresse et d’éditions ainsi que d’étendre nos services auprès des PME régionales », nous explique le président d’Ebra. Le pôle presse du Crédit Mutuel veut aussi que l’ensemble des rédactions deviennent toutes « Digital First » (6). « Nous restons sur l’objectif de 100 000 abonnés à fin décembre. Objectif qu’il me semble encore possible d’atteindre », indique Philippe Carli. Lors de son audition au Sénat en janvier 2022 devant la commission d’enquête sur la concentration dans les médias en France, il avait précisé que le groupe avait investi « plus de 40 millions d’euros pendant la “saison 1” pour remettre à plat [ses] sites Internet, [ses] applications (mobiles), produire des contenus adaptés aux usages, etc. ». En outre, des négociations sont en cours avec les syndicats pour le reversement aux journalistes des droits voisins collectés auprès de Google et de Facebook.
Pour étoffer son audience Internet, déjà forte de 17,5 millions de visites par jour, le groupe Ebra s’est emparé au printemps dernier de la société de presse en ligne Humanoid, éditeur de Numerama, Frandroid et deMadmoizelle. « Les récents investissements réalisés comme le rachat d’Humanoid montrent aussi que la banque est prête à accompagner Ebra pour son développement », assure Philippe Carli. Quant aux régies publicitaires Ebra Médias Alsace et Ebra Médias Lorraine/Franche-Comté, elles peuvent jouer la carte de la régie globale Ebra Médias en « 360° (print-digital-events) », avec ciblages et brand content (7). « Nos titres ont la capacité de financer eux-mêmes leur croissance », avait assuré Philippe Carli aux sénateurs. Son actionnaire – sans lequel la majorité des titres du groupe auraient disparus – exige justement « que cette activité soit à l’équilibre et puisse financer son développement, pour que les sociétaires du Crédit Mutuel ne se retrouvent pas tenus de combler des pertes ». Sinon…
En attendant, la « saison 1 » du redressement du groupe Ebra fut conduite « avec succès », d’après Nicolas Théry. Philippe Carli avait remis son audit d’Ebra en avril 2017 en convainquant le Crédit Mutuel de ne pas céder sa presse régionale contrairement à ce que la banque mutualiste songeait à faire. Banco ! L’ex-patron d’Amaury fut embauché en juin 2017 pour diriger tout ce pôle presse, avec pour mission délicate de le redresser afin d’être à l’équilibre financier fin 2020. « Cet objectif a été atteint avec trois mois de retard du fait du covid-19, ce qui constitue une superbe performance. Le résultat d’exploitation du groupe de presse est désormais positif », s’est félicité Nicolas Théry lors de son audition.
Ces cinq premières années de restructuration des journaux et de rationalisation des imprimeries ne se sont pas faites sans la suppression de plusieurs centaines de postes (386 évoqués en 2020), partiellement compensée par la création d’emplois (284 envisagés) au sein de la nouvelle entité commune Ebra Services. Ce « centre d’expertise partagé » basé à Houdemont (Meurthe-et-Moselle), sur le même site que le siège de L’Est Républicain près de Nancy, est opérationnel depuis le 1er janvier 2021 et regroupe pour les neuf titres les différentes fonctions « support » : services de pagination, création graphique, annonces légales, trafic digital, maintenance informatique ou encore relations clientèle. Les informations nationales générales et sportives sont, elles, mises en commun et produites par une trentaine de journalistes situés dans un bureau basé à… Paris – le patron d’Ebra écartant le risque pour l’indépendance éditoriale des rédactions locales. « En revanche, chacun des neuf titres régionaux dispose de sa propre rédaction, les rédactions étant regroupées par territoire – territoires lorrain, alsacien, dauphinois et rhônalpin », a précisé Philippe Carli au Sénat.

Holding séparée et indépendance éditoriale
Nicolas Théry, lui, a assuré qu’il veillait à l’indépendance éditoriale des 1.400 journalistes du pôle presse. C’est Philippe Carli qui préside Ebra, et non pas Nicolas Théry. Et toutes les sociétés de presse du groupe ne sont plus filiales directes de la Banque fédérative Crédit Mutuel ou de holdings de la banque, mais regroupées depuis un an sous la seule holding Société d’investissements médias (SIM) que Philippe Carli préside et « qui prendra le nom d’Ebra avant la fin de l’année ». De quoi faciliter une éventuelle cession à l’avenir ? Si la banque mutualiste – constitué du Crédit Mutuel et du CIC – a réalisé un total de 15,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, son pôle presse, lui, a généré 491 millions d’euros. @

Charles de Laubier