Le marché unique a 30 ans, pas celui du numérique

En fait. Le 1er janvier 2023, le marché unique européen a eu 30 ans. Il comprend 27 Etats membres depuis le Brexit de janvier 2020 – contre 12 lors de sa création en 1993. Internet alors embryonnaire n’était connu que des centres de recherche et des universités. Le « Digital Single Market », lui, émerge en 2015.

En clair. Si le marché unique européen a 30 ans au 1er janvier 2023, il n’en va pas de même pour le marché unique numérique qui est fixé comme objectif en 2015 seulement. Neelie Kroes, auparavant commissaire européenne en charge de l’« Agenda numérique » (2010-2014) en avait rêvé (1) ; la Commission Juncker (2014-2019) en a fait une stratégie pour l’Union européenne. Avant elle, la Commission Barroso (2004-2014) avait bien commencé à poser des jalons d’un « marché unique pour les contenus et les services en ligne » (2), tâche confiée à Neelie Kroes justement (ex-commissaire à la Concurrence), mais il faudra encore attendre pour que le spectre s’élargisse.
C’est seulement le 6 mai 2015 que Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, lance la stratégie « marché unique numérique pour l’Europe » (3) afin de « casser les silos nationaux dans la régulation télécoms, le droit d’auteur et la protection des données ». Mission sensible confiée alors au duo Andrus Ansip-Günther Oettinger (4), le premier en charge du Marché unique numérique et le second à l’Economie numérique et à la Société. Objectif : déverrouiller les marchés et abolir les frontières. En voulant « briser les barrières nationales en matière de réglementation (…) du droit d’auteur » (licences multi-territoriales, géo-blocage, chronologie des médias, copie privée, exceptions au droit d’auteur, …), Jean-Claude Juncker va faire sortir de ses gonds les industries culturelles redoutant la fin de « l’exception culturelle ». Le Parlement européen, qui avait adopté dès avril 2012 une résolution « sur un marché unique du numérique concurrentiel » (5), puis une seconde en juillet 2013, accueille favorablement le Digital Single Market de Juncker par une troisième en janvier 2016. Des avancées majeures suivront : fin du géo-blocage injustifié, fin des frais d’itinérance mobile, fin des surcoûts de portabilité transfrontalière des contenus en ligne, fin des violations envers la neutralité d’Internet, fin des restrictions à la libre circulation des données, …
La directive sur les « services de médias audiovisuels » à la demande (SMAd) sera adoptée en novembre 2018, celle sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique » en avril 2019, ou encore, sous l’actuelle Commission von der Leyen, les règlements DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act) adoptés en 2022. @

La BEI, la CDC et le groupe Axel Springer soutiennent toujours le moteur de recherche Qwant

La Banque européenne d’investissement (BEI) lui a accordé « un rééchelonnement raisonnable » de sa dette. La Caisse des Dépôts (CDC) et le groupe allemand Axel Springer sont toujours ses plus importants actionnaires. Ayant échappé à la banqueroute, Qwant pourra fêter ses dix ans en 2023.

« Face à la domination sans réel partage de Google, la concurrence européenne s’organise. C’est le cas de Qwant, moteur de recherche franco-allemand qui tente de percer en assurant à ses utilisateurs un respect total de leur vie privée et des contenus non violents pour les plus jeunes », peut-on encore lire sur le site web (1) de la Banque européenne d’investissement (BEI), le plus gros créancier de Qwant. Il y a sept ans, la start-up française bénéficiait d’un prêt de la BEI de 25 millions d’euros.

Sa situation financière reste fragile
L’annonce de ce prêt européen avait été faite en grande pompe lors de la grande conférence numérique franco-allemande qui avait eu lieu le 28 octobre 2015 à l’Elysée, en présence d’un certain Emmanuel Macron (2), alors ministre français de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique. L’eau a depuis coulé dans le Rhin et la société franco-allemande – vedette de la French Tech promue par celui qui est devenu en 2017 président de la République – a dû faire face cette année à deux échéances de remboursements de la BEI. Mais au lieu de devoir régler 5 millions d’euros en janvier et 10 millions d’euros en juin, l’entreprise a obtenu de la banque au Luxembourg « un rééchelonnement raisonnable de la dette », indique Raphaël Auphan (photo), directeur général de Qwant, à Edition Multimédi@.
Les nouvelles échéances sont confidentielles. Il nous précise que sur les 25 millions d’euros initialement annoncés en 2015, ce sont finalement 20 millions d’euros qui ont été tirés par l’entreprise auprès de la BEI. Qwant s’était endetté non seulement auprès de la BEI mais aussi en janvier 2017 auprès de la Caisse des dépôts (CDC) à hauteur de 15 millions d’euros. A cela s’ajoutaient 5 millions d’euros levés auprès du groupe de médias allemand Axel Springer, son actionnaire historique (3). Qwant doit en outre 3millions d’euros à l’Etat au titre du prêt garanti par celui-ci (PEG) accordé durant la crise sanitaire. « La dette de Qwant n’a pas diminué en 2021 », nous indique Raphaël Auphan, par rapport aux 39,3 millions d’euros d’endettement de 2020. Quant au prêt de 8 millions d’euros consenti en mai 2021 par le chinois Huawei sous forme d’obligations convertibles, « il s’agit d’une dette qui sera bientôt remboursée ». Et l’accord de « l’utilisation du moteur de recherche sur les smartphones Huawei arrive aussi à échéance ». L’an dernier, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 10,3 millions d’euros (4), pour une perte nette de 9,2 millions d’euros. Alors qu’en 2020 le déficit était de 12,8 millions pour un chiffre d’affaires de 7,5 millions d’euros (5). La situation financière reste fragile, mais Qwant peut compter sur le soutien de ses deux principaux actionnaires – Axel Springer et la CDC – qui ont réinjecté en 2020 de l’argent frais. Le premier était entré à hauteur de 18,4 % du capital de Qwant en 2014, via son fonds Axel Springer Digital Ventures, mais sa participation est moindre depuis l’entrée de la CDC.
Après l’ère de son PDG fondateur Eric Léandri (6), lequel a été contraint en janvier 2020 de passer les rênes de l’entreprise mal en point, Qwant a pris un nouveau départ début juillet 2021 avec une nouvelle direction : le tandem actuel composé de Corinne Lejbowicz, présidente, et Raphaël Auphan. « Nous sommes une tech de croissance et nous avons un plan de développement qui demandera de nouveaux moyens financiers », explique le directeur général. Qwant ne cesse d’innover. Il indique par exemple qu’« une offre spécifique de moteur de recherche, toujours gratuit, respectueux de la vie privée et sécurisé, sera proposée en 2023 aux entreprises ». Son offre « privacy » va s’étoffer. En plus de Qwant Search (moteur principal), Qwant Junior (dédié aux 6-12 ans), Qwant Maps (service de cartographie « sans laisser de traces »), Qwant VIPrivacy (extension de navigation anti-tracking publicitaire) et bientôt de Qwant pour les entreprises, d’autres produits sont en projet, dont un éventuel VPN (réseau privé virtuel). Depuis juin, le moteur de recherche permet de traduire ses textes dans 28 langues grâce à un partenariat avec la société allemande DeepL.

Développer son propre « master index »
Pour autant, Qwant reste encore dépendant de l’index Bing de Microsoft et de sa régie publicitaire Bing Ads. « Nous poursuivons le développement de notre propre master index, actuellement de 10 milliards de documents. Et sur certains segments comme l’actualité en France nous répondons à 100 % des requêtes », nous assure Raphaël Auphan. Le zéro-tracking séduit à ce jour 6 millions d’utilisateurs par mois, bien loin des 37,9 millions d’utilisateurs par mois pour le moteur de recherche Google en France. Peu importe puisque Qwant ne prétend plus devenir son « grand » rival en Europe, mais seulement une alternative « respectueuse de la vie privée ». Cela ne l’empêche pas de se réjouir lorsque la filiale d’Alphabet est mise à l’amende comme le 14 septembre (7). @

Charles de Laubier

Après le rejet de trois amendements taxant à 1,5 % le streaming musical pour financer le CNM, place à la mission « Bargeton »

L’UPFI la prône ; le Snep n’en veut pas ; des députés ont tenté de l’introduire en vain par trois amendements rejetés le 6 octobre dernier : la taxe de 1,5 % sur le streaming musical en faveur du Centre national de la musique (CNM) va refaire parler d’elle lors des auditions de la mission confiée au sénateur Julien Bargeton.

Une taxe sur le streaming musical de 1,5% sur la valeur ajoutée générée par les plateformes de musique en ligne. Telle était la proposition faite par des députés situés au centre et à gauche de l’échiquier politique, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Mais avant même l’ouverture des débats en séance publique le 10 octobre à l’Assemblée nationale (et jusqu’au 4 novembre), la commission des finances réunie le 6 octobre, a rejeté les trois amendements – un du centre et deux de gauche, déposés respectivement les 29 et 30 septembre. La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (« RAM »), n’a-t-elle pas assuré que le budget du Centre national de la musique (CNM) pour en 2023 est « suffisamment solide » ? Le CNM sera doté l’année prochaine de plus de 50 millions d’euros, grâce à la taxe sur les spectacles de variétés qui, d’après le projet de loi de finances 2023 déposé fin septembre, rapportera l’an prochain 25,7 millions d’euros (contre 35 millions en 2019, soit avant la pandémie).

Julien Bargeton missionné par décret d’Elisabeth Borne publié le 25 octobre
S’y ajouteront un financement garanti par l’Etat à hauteur de 26 millions d’euros et une contribution des sociétés de gestion collective (1) de quelque 1,5 million d’euros. Pour autant, la question de son financement se posera pour 2024 et les années suivantes. Or la pérennité du budget de cet établissement public à caractère industriel et commercial – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’est pas assuré. D’où le débat qui divise la filière musicale sur le financement dans la durée du CNM, aux missions multiples depuis sa création le 1er janvier 2020 – et présidé depuis par Jean-Philippe Thiellay. A défaut d’avoir obtenu gain de cause avec ses trois amendements, l’opposition compte maintenant sur le sénateur de la majorité présidentielle Julien Bargeton (photo) qui vient d’être missionné – par décret publié le 25 octobre et signé par la Première ministre Elisabeth Borne – pour trouver d’ici le printemps 2023 un financement pérenne au CNM. L’une des vocations de ce CNM est de soutenir la filière dans sa diversité, un peu comme le fait le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour la production cinématographique, audiovisuelle ou multimédia. Mais Continuer la lecture

PLF 2023 : rejet de trois amendements taxant à 1,5 % le streaming musical pour financer le CNM

L’UPFI la prône ; le Snep n’en veut pas ; des députés ont tenté de l’introduire avec trois amendements dans le projet de loi de finances 2023 : la taxe de 1,5 % sur le streaming musical en faveur du Centre national de la musique (CNM) a été rejetée le 6 octobre à l’Assemblée nationale.

Une taxe sur le streaming musical de 1,5% sur la valeur ajoutée générée par les plateformes de musique en ligne. Telle était la proposition faite par des députés situés au centre et à gauche de l’échiquier politique, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Mais avant même l’ouverture des débats en séance publique le 10 octobre à l’Assemblée nationale (et jusqu’au 4 novembre), la commission des finances réunie le 6 octobre, a rejeté les trois amendements – un du centre et deux de gauche, déposés respectivement les 29 et 30 septembre.

Budget 2023 du CNM : plus de 50 M€
La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (« RAM »), n’a-t-elle pas assuré que le budget du Centre national de la musique (CNM) pour en 2023 est « suffisamment solide » ? Le CNM sera doté l’année prochaine de plus de 50 millions d’euros, grâce à la taxe sur les spectacles de variétés qui, d’après le projet de loi de finances 2023 déposé fin septembre (1), rapportera l’an prochain 25,7 millions d’euros (contre 35 millions en 2019, soit avant la pandémie). S’y ajouteront un financement garanti par l’Etat à hauteur de 26 millions d’euros et une contribution des sociétés de gestion collective (2) de quelque 1,5 million d’euros. Pour autant, la question de son financement se posera pour 2024 et les années suivantes.
Or la pérennité du budget de cet établissement public à caractère industriel et commercial – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’est pas assuré. D’où le débat qui divise la filière musicale sur le financement dans la durée du CNM, aux missions multiples depuis sa création le 1er janvier 2020 (3) – et présidé depuis par Jean-Philippe Thiellay (photo). A défaut d’avoir obtenu gain de cause avec ses trois amendements, l’opposition compte maintenant sur le sénateur Julien Bargeton (majorité relative présidentielle) qui va être missionné par la Première ministre Elisabeth Borne et RAM pour trouver d’ici le printemps 2023 un financement pérenne au CNM. L’une des vocations de ce CNM est de soutenir la filière dans sa diversité, un peu comme le fait le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour la production cinématographique, audiovisuelle ou multimédia. Mais avec un budget plus de dix fois moins élevé que ce dernier, le CNM dispose d’une très faible marge de manœuvre. Une partie des professionnels du secteur demandent donc depuis plus de deux et demi qu’existe le CNM de mettre les plateformes de streaming de type Spotify, Deezer, Apple Music ou encore YouTube à contribution (4). « Il est institué une taxe sur les locations en France, y compris dans les départements d’Outre-Mer, de phonogrammes et de vidéomusiques destinés à l’usage privé du public dans le cadre d’une mise à disposition à la demande sur les réseaux en ligne », prévoyaient à l’unisson les trois amendements finalement écartés. Et ce, qu’il s’agisse d’« un service offrant l’accès à titre onéreux [comme Spotify] ou gratuit [comme YouTube] ».
Les députés signataires – de Charles de Courson (centre droit) (5) à Sandrine Rousseau (écologiste) (6), en passant par Karine Lebon (Nupes) (7) – s’étaient concertés pour que la taxe sur le streaming musical soit assise sur trois sources de prélèvement : sur le prix hors taxe payé par le public, sur les recettes publicitaires, et sur les revenus générés par des services proposant des contenus crées par des utilisateurs. Tous s’accordent pour établir le taux de cette taxe à 1,5 % du total. « Il s’agit donc de permettre au CNM de fonctionner “sur ses deux jambes”, en trouvant un équilibre entre financement privé et finan-cement public, mais également entre les deux volets de la filière musicale : spectacle et musique enregistrée », justifiaient les députés centristes Charles de Courson et Michel Castellani. A gauche (Nupes en tête), les signataires indiquent s’appuyer sur les travaux de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI). « Le rendement de cette taxe est estimé à 21 millions d’euros », précisentils. L’UPFI est à la SPPF (société de gestion collective des producteurs indépendants de musique) ce que le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) est à la SCPP (société de gestion collective notamment des majors Universal Music, Sony Music et Warner Music).

UPFI/SPPF versus Snep/SCPP
Si l’UPFI/SPPF milite pour cette taxe de 1,5 % avec cinq autres organisations professionnelles (8), le Snep/SCPP, lui, est vent debout contre ce « nouvel impôt sur le streaming » et estime les « estimations erronées » faites à partir de « son assiette supposée de 1,4 milliard d’euros » (9). Le duo des majors défend plutôt « une contribution des services vidéo gratuits [YouTube, Facebook, …] dont les acteurs ne rémunèrent pas aujourd’hui la musique à sa juste valeur ». @

Charles de Laubier

RGPD : toute personne a un droit d’accès étendu à ses données personnelles, à deux limites près

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) devrait suivre les conclusions de son avocat général sur l’interprétation étendue de l’article 15 du RGPD donnant droit aux individus l’accès à leurs données personnelles et à l’identité des destinataires de ces données. Sauf dans deux cas de figure.

D’après Giovanni Pitruzzella, avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Giovanni Pitruzzella (photo), avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a présenté le 9 juin dernier ses conclusions dans une affaire opposant un citoyen autrichien dit « RW » et la poste autrichienne Österreichische Post (OP). Le litige commence en janvier 2019 lorsque le premier a demandé à la seconde d’accéder aux données à caractère personnel le concernant. Sa demande portait non seulement sur ses données personnelles conservées par l’OP, mais aussi celles communiquées à des tiers – afin d’être informé sur l’identité des destinataires. Et ce, en application de l’article 15 « Droit d’accès de la personne concernée » du RGPD, le règlement général européen sur la protection des données (1).

Le « ou » de la discorde
La poste autrichienne a répondu à RW en lui expliquant qu’elle utilise des données dans le cadre de son activité d’éditeur d’annuaires téléphoniques et qu’elle les propose à des partenaires commerciaux à des fins de marketing. L’OP a aussi renvoyé le requérant vers deux sites web d’information, l’un sur les finalités du traitement des données, l’autre sur les catégories générales de destinataires auxquels elle communique les données à caractère personnel (en l’occurrence à des partenaires commerciaux, parmi lesquels des annonceurs dans le secteur de la vente par correspondance et du commerce physique, des entreprises informatiques, des éditeurs d’annuaires téléphoniques et des associations telles que des organisations caritatives, des ONG ou des partis politiques). Pour autant, à aucun moment, l’OP n’a révélé à RW les destinataires spécifiques auxquels elle avait communiqué ses données.
L’intéressé a alors introduit un recours pour tenter de faire condamner la poste autrichienne à lui fournir davantage d’informations en application de l’article 15 du RGPD, concernant notamment d’éventuels transferts de ses données à caractère personnel à des tiers, ainsi que le ou les destinataires spécifiques auxquels ces données ont été communiquées. La demande de RW a ensuite été rejetée par les juridictions autrichiennes, tant en première instance qu’en appel, en invoquant le fait que l’article 15 du RGPD mentionne – parmi les huit types d’informations que doit fournir le responsable du traitement des données – « les destinataires ou catégories de destinataires auxquels les données à caractère personnel ont été ou seront communiquées ». C’est ce « ou » qui rend flou l’interprétation de cet article 15. Selon l’avocat général de la CJUE, « cette disposition accorde au responsable du traitement la possibilité de choisir de se limiter à communiquer à la personne concernée les catégories de destinataires, sans devoir indiquer de manière nominative les destinataires spécifiques auxquels ses données à caractère personnel sont transmises ».
Or, sur ce point, il y a débat justement, certains voyant au contraire dans ce « ou » la possibilité pour la personne concernée soit de se contenter d’obtenir du responsable du traitement des données les « catégories » de destinataires auxquels ses données personnelles ont été communiquées, soit d’aller plus loin en exigeant la liste spécifique de ces mêmes destinataires. C’est dans ce sens que le citoyen RW s’est pourvu en cassation en introduisant un nouveau recours. Du coup, la cour suprême d’Autriche – Oberster Gerichtshof – a eu un doute quant à l’interprétation de l’article 15 du RGPD qui a été retenue par les juridictions du fond, et a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : « L’article 15, paragraphe 1, sous c), du [RGPD] doit-il être interprété en ce sens que le droit d’accès [de la personne concernée] est limité à l’information sur les catégories de destinataires si les destinataires concrets ne sont pas encore connus lorsque les communications sont envisagées, mais qu’il doit impérativement s’étendre également à l’information sur les destinataires de ces informations lorsque des données ont déjà été communiquées ? ».

L’interprétation de l’article 15
Après avoir rappelé que l’article 15 du RGPD concrétise et précise le droit de toute personne d’accéder aux données la concernant, lequel droit est consacré par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2), l’avocat général Giovanni Pitruzzella s’est attardé plus précisément sur l’interprétation du « ou » (dans « les destinataires ou catégories de destinataires ») : « Le libellé de la disposition (…) ne permet pas (…), indique-t-il, d’apporter une réponse définitive à la question de savoir s’il convient de considérer que le droit d’accès de la personne concernée qui est prévu à cet article inclut nécessairement l’accès à des informations relatives aux destinataires précis de la communication de données à caractère personnel la concernant, ou si sa portée peut être limitée à l’accès à des informations relatives aux catégories de destinataires ». Et d’ajouter : « Cette disposition ne précise pas non plus explicitement s’il est possible de choisir entre les deux catégories d’informations possibles qui sont prévues (à savoir les “destinataires” ou les “catégories de destinataires“) ni à qui (c’est-à-dire à la personne concernée ou au responsable du traitement) il appartient, le cas échéant, de choisir à quel type d’informations l’accès doit être garanti ». Informations sur les destinataires Cependant, Giovanni Pitruzzella indique privilégier une interprétation de la disposition permettant à la personne concernée – « et donc pas au responsable du traitement comme l’ont jugé les deux juridictions nationales du fond dans la présente affaire » – de choisir entre les deux solutions alternatives qui y sont prévues. Et, dans cette logique, cet article prévoit le droit pour la personne concernée de demander, lorsque c’est possible, l’accès aux informations relatives aux destinataires spécifiques auxquels ses données à caractère personnel sont communiquées. Pour conforter cette interprétation, l’avocat général a rappelé le considérant 63 du RGPD prévoyant explicitement que la personne concernée doit « avoir le droit de connaître et de se faire communiquer […] l’identité des destinataires de ces données à caractère personnel ». Aussi, dans cette affaire « RW contre l’OP », ce considérant ne mentionne en aucune manière que ce droit d’accès de la personne concernée pourrait être limité, à la discrétion du responsable du traitement, aux seules catégories de destinataires.
La spécification des destinataires auxquels les données à caractère personnel de l’individu sont communiquées participe en outre à l’objectif du RGPD visant à la transparence des modalités de traitement des données à l’égard des personnes concernées, lesquelles peuvent prendre connaissance du traitement de leurs données et d’en vérifier la licéité : « L’exercice de ce droit d’accès doit, en particulier, permettre à la personne concernée de vérifier non seulement que les données la concernant sont exactes, mais également qu’elles ont été communiquées à des destinataires autorisés. Cela présuppose en principe que les indications fournies soient les plus précises possibles », relève Giovanni Pitruzzella. Le considérant 39 du RGPD consacre aussi le principe de transparence (3). De plus, ce droit d’accès permet à la personne concernée d’exercer le droit de rectification, le droit à l’effacement – le droit à l’oubli – et le droit à la limitation du traitement qui lui sont conférés par, respectivement, les articles 15, 17 et 18 du RGDP. Aussi, le responsable du traitement est tenu de notifier à chaque destinataire – auquel les données à caractère personnel ont été communiquées – toute rectification ou tout effacement de données à caractère personnel ou toute limitation du traitement effectué, « à moins qu’une telle communication se révèle impossible ou exige des efforts disproportionnés » (4).
Les destinataires ainsi informés sont dès lors obligés de procéder immédiatement à la rectification, à l’effacement ou à la limitation du traitement, pour autant qu’ils sont encore en train de traiter les données en question. En conséquence, afin de garantir l’effet utile des droits de la personne concernée à l’effacement, à la rectification ou à la limitation du traitement, celle-ci doit disposer – « en principe » – d’un droit à être informée de l’identité des destinataires spécifiques.
Néanmoins, l’avocat général de la CJUE voit « une limite » à cette extension du droit d’accès prévu par le RGPD, « dans au moins deux cas de figure » :
Dans le cas où il est matériellement impossible de fournir des informations sur les destinataires spécifiques, par exemple parce que ceux-ci ne sont pas encore effectivement connus. Aussi, dans ce cas, le droit d’accès de la personne concernée ne pourra porter que sur les « catégories » de destinataires.
L’exercice du droit d’accès de la personne concernée doivent être examinés au regard des principes de loyauté et de proportionnalité. Les demandes de la personne concernée ne doivent pas être manifestement infondées ou excessives et que, si tel est le cas, le responsable du traitement peut également refuser de donner suite à ces demandes.
Au-delà de ces deux cas de figure limitatifs, Giovanni Pitruzzella a rappelé qu’il convenait de « trouver un juste équilibre entre, d’un côté, l’intérêt de la personne à protéger sa vie privée (…) et, de l’autre, les obligations incombant au responsable du traitement ».

Deux limitations sont avancées
Conclusion de l’avocat général que la CJUE devrait suivre dans son prochain arrêt – comme elle le fait le plus souvent : « Il est possible de limiter ce droit d’accès à la seule indication des catégories de destinataires lorsqu’il est matériellement impossible d’identifier les destinataires spécifiques de la communication des données à caractère personnel de la personne concernée ou lorsque le responsable du traitement démontre que les demandes de la personne concernée sont manifestement infondées ou excessives » (5). @

Charles de Laubier