La proposition de loi pour « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs » fait débat

La proposition de loi sur les influenceurs a été adoptée à l’unanimité le 30 mars à l’Assemblée nationale. Mais le texte ne fait pas l’unanimité parmi les intéressés. La France risque de corseter ce jeune métier créatif, avec dommages collatéraux. Prochain débat : au Sénat, le 9 mai.

Portée par les députés Arthur Delaporte (photo de gauche) et Stéphane Vojetta (photo de droite), respectivement Socialiste-Nupes et Renaissance, la proposition de loi transpartisane (opposition et majorité) visant à « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » défraie la chronique depuis qu’elle est débattue au Parlement. Son libellé est pour le moins stigmatisant envers tous les influenceurs qui, aux yeux du public, sont plus que jamais présentés comme des malfaiteurs patentés. Le renforcement de l’arsenal judiciaire les concernant tous est une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Unanimité gouvernementale et parlementaire
« Notre loi protègera le modèle des créateurs de contenu qui font aujourd’hui leur travail de manière responsable. Notre boussole : la protection des consommateurs. […] Aucune mesure ne concerne la liberté d’expression des influenceurs dans leurs vidéos », a nuancé Arthur Delaporte, dans un tweet posté le 26 mars. Et ce, après avoir lancé juste avant, de façon plus agressive : « Cette loi est une réponse à l’absence de règles d’un secteur qui concerne des millions de personnes et qui touche énormément d’argent. La loi de la jungle ou l’autorégulation, cela n’est pas possible. […] Cette loi, c’est aussi une réponse à la protection des consommateurs et un message adressé aux victimes d’arnaques d’influenceurs : nous sommes à vos côtés » (1). De son côté, Stéphane Vojetta, qui explique avoir coécrit cette proposition de loi après avoir été interpelé par des collectifs de victimes d’arnaques d’influenceurs, a tenté de rassurer les quelque 150.000 influenceurs actifs en France. « Notre seule boussole : la protection des consommateurs. Nos 4 points cardinaux : clarifier, encadrer, responsabiliser, protéger. […] Notre proposition de loi #influenceurs pose un cadre clair au monde de l’influence commerciale et de la création de contenus sponsorisés en ligne » (2).
Cette proposition de loi, sur laquelle le gouvernement a engagé le 22 mars la procédure accélérée sur ce texte, a été adoptée le 30 mars – à l’unanimité (3). Ce texte transmis au Sénat veut « créer et renforcer un appareil juridique qui pourra à la fois responsabiliser et sanctionner le cas échéant tous les influenceurs, leurs agences, les annonceurs ainsi que les plateformes de diffusion, afin de renforcer la protection des utilisateurs des réseaux sociaux et des consommateurs », selon l’exposé des motifs (4). Et comme Internet n’a pas de frontières et les influenceurs non plus, le texte reterritorialise la responsabilité : « Conscients que de nombreux influenceurs ont choisi de s’installer en dehors de France à dessein [comme par exemple à Dubaï, ndlr] afin d’y exercer leur activité, nous avons également ajouté un bornage contraignant l’influenceur à désigner un représentant légal en France ». Dans tous les cas, il s’agit selon les deux coauteurs de lutter contre les dérives dans la promotion d’objets, de fournitures ou de services. Ils citent en exemple des médicaments contre le cancer, des produits cosmétiques provoquant des pertes de cheveux ou plaques rouges sur le corps, des articles vendus bien plus chers que leur valeur (abus du dropshipping), inscription à des formations médicales ou esthétiques à l’étranger, abus du compte personnel de formation (CPF), abonnements à des pronostics sportifs bidons, produits achetés et payés mais qui ne sont jamais livrés etc.
Même le Conseil d’Etat s’était ému en septembre 2022 de l’absence de statut juridique des influenceurs (5). Le législateur va y remédier. « Le monde de l’influence ne doit pas être une zone de non-droit et doit répondre à des règles de protection des consommateurs suffisamment étoffées pour mettre fin aux dérives constatées », justifient les deux députés. Pour autant, les parlementaires admettent que « l’instauration d’un seul cadre juridique ne suffira pas à mettre un terme définitif aux abus de certains influenceurs ». D’où le renforcement des moyens de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), laquelle dépend de Bercy.

L’influence transpartisane de Bruno Le Maire
Le locataire des lieux, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire (photo page suivante), est à la manœuvre depuis l’automne dernier, notamment depuis la table ronde du 9 décembre dernier à Bercy où il avait convoqué le microcosme du marketing d’influence en pleine polémique sur les agissements de certains influenceurs peu scrupuleux (6). Un mois après, il lançait une consultation publique de 23 jours : « J’ai besoin de vous » (8) – l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (UMICC), cofondée le 18 janvier par sept agences d’influence marketing : Smile Conseil, Bump, Follow, Point d’Orgue, Reech, Influence4You et Spoutnik. Ce sont les conclusions de la consultation publique que Bruno Le Maire a présentées le 24 mars à Bercy, en présence de ses deux ministres délégués – JeanNoël Barrot, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, et Olivia Grégoire, chargée des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme – mais aussi de nos deux députés, Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta. « Parce que des députés travaillaient également sur le sujet, j’ai aussi voulu dépasser les clivages. Je me suis engagé, avec [les deux coauteurs de la proposition de loi], à ce que ces mesures soient présentées au Parlement dans une démarche transpartisane », a déclaré Bruno Le Maire.

 

Ne pas effrayer ni corseter les influenceurs
Près de 19.000 citoyens ont participé à la consultation publique, dont 400 professionnels qui ont contribué à établir treize mesures : de la création d’une définition juridique de l’activité d’influence commerciale, à la mise en place d’une « brigade de l’influence commerciale » au sein de la DGCCRF (réseau d’enquêteurs spécialisés constitué « dans un premier temps » de 15 agents), en passant par l’application des mêmes règles que la publicité à l’influence commerciale, la responsabilisation des plateformes et réseaux sociaux (Instagram, YouTube, TikTok, Facebook, …) ou encore des sanctions « renforcées et graduées » (notamment jusqu’à 2 ans de prison et 300.000 euros d’amende pour pratique commerciale trompeuse).
De son côté, le Syndicat du conseil en relations publics (SCRP) a annoncé le 24 mars la création avec l’Association française de normalisation (Afnor) d’un label d’« Agence conseil en influence responsable » qui pourra être demandé à partir d’avril (9). Il vient en complément du « Certificat de l’influence responsable » (10) délivré depuis l’automne 2021 par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). « Le secteur de l’influence commerciale et de la création de contenus n’est pas encore suffisamment pris au sérieux. C’est une erreur, a déclaré Bruno Le Maire le 24 mars. Alors qu’il est un formidable vecteur de créativité et de richesse économique, ancré dans le quotidien de millions de nos compatriotes, ce secteur souffre de règles inexistantes ou trop floues. Les conséquences sont directes, avec certains agissements trompeurs qui discréditent le secteur ».
Autrement dit, en creux, le gouvernement veut tourner la page des « influvoleurs » (néologisme popularisé par le rappeur Booba (11)) pour ouvrir celle de l’« influrégulation » (néologisme proposé par Edition Multimédi@). Mais le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a tenu à rassurer sur les intentions du gouvernement…. et des parlementaires. « Je veux être très clair : il ne s’agit pas d’être plus dur avec les influenceurs qu’avec d’autres canaux de communication comme la télévision ou la radio. (…) Ce n’est pas un combat contre les influenceurs », a-t-il assuré.
Mais les précautions du locataire de Bercy n’ont pas suffi à rassurer tous les professionnels du marketing d’influence mis sous pression réglementaire. D’où la tribune signée par 150 créatrices et créateurs de contenu d’influence, dont Squeezie, Cyprien, Enjoy Phoenix, Anna Rvr, Seb La Frite ou encore Amixem, et publiée dans le Journal du Dimanche le 25 mars à l’initiative de l’UMICC. Dans leur « appel aux députés », les signataires appellent les députés à séparer le bon grain de l’ivraie : « Arnaques, contrefaçons, pratiques commerciales douteuses, … Certains ont fait croire ces derniers mois qu’ils étaient représentatifs de notre secteur alors qu’ils ne représentent qu’une minorité ». Et à ne pas être pris pour ce qu’ils ne sont pas : « Nous travaillons avec des marques, des organisations, des institutions qui nous ressemblent parce que nous partageons leurs valeurs. Nous ne sommes pas des panneaux publicitaires ambulants. (…) Notre histoire est complexe. Elle ne se résume ni à une vidéo de 30 secondes, ni à des dérives que nous dénonçons fermement. Nous entendons parler des “influvoleurs”, “du combat à mener” contre nous. Nous pensons que c’est une erreur. Qu’une minorité est devenue une généralité. (…) Ne cassez pas le modèle vertueux que nous construisons aux quatre coins de la France avec et pour les Français. Comprenez-le, protégez-le, faites-le grandir » (12). Mais d’autres « stars » de l’influence, pourtant signataires de cette tribune qui avait le mérite de valoriser ce nouveau métier, se sont rapidement désolidarisés de cette prise de position collective.

Squeezie et Seb La Frite renient la tribune
Squeezie, numéro un en 2022 des influenceurs en France (13), s’est fendu d’un tweet le 26 mars pour déclarer qu’il avait « fait l’erreur de donner son accord [à la] tribune maladroite » de l’UMICC parue dans le JDD. Il estime que « cette tribune ne fait aucune distinction entre les créateurs de contenu et les influenceurs », assurant, lui, « [avoir] toujours été irréprochable » et « n’[ayant] rien à perdre avec cette réforme » (14). Seb La Frite a aussi regretté sur France Inter le 27 mars de l’avoir signée. « Je me réjouis car cette tribune un peu maladroite a in fine permis que les influenceurs se penchent sérieusement sur notre texte » (15), s’est félicité le député Stéphane Vojetta. Rendez-vous le 9 mai au Sénat. @

Charles de Laubier

La division fintech de Meta porte le nom de Meta Financial Technologies depuis un an, et après ?

Il y a un, le Français Stéphane Kasriel annonçait sur son compte Twitter que la division fintech qu’il dirige au sein de l’ex-groupe Facebook abandonnait son nom provisoire Novi pour s’appeler Meta Financial Technologies. Malgré l’échec de Diem, une monnaie virtuelle reste à l’étude.

Stéphane Kasriel (photo) est entré dans le groupe Facebook en Californie en août 2020, à l’époque où la division des technologies financières (fintech) de la firme de Menlo Park s’appelait encore Facebook Financial (F2) que dirigeait alors le Suisse franco-américain David Marcus (ancien président de PayPal). Le Français Stéphane Kasriel est recruté pour diriger une équipe d’ingénieurs au sein de cette entité F2 qui gère tous les services financiers du géant des réseaux sociaux, notamment le portefeuille numérique Novi, les systèmes de e-paiement WhatsApp Pay ou Facebook Pay, ainsi que les transferts d’argent transfrontaliers via NoviTransferts.

Après l’échec de Diem, des tokens pour payer
Jusqu’au jour où David Marcus annonce sur Twitter, le 28octobre 2021 et juste après le changement de nom du groupe Facebook en Meta Platforms, que la branche F2 prend le nouveau nom de Novi (1), lequel nom est déjà celui du portefeuille virtuel (anciennement Calibra) qui devait être lancé avant fin 2021 pour permettre à leurs détenteurs de pouvoir y mettre des cryptomonnaies – y compris ce qui devait être la future monnaie numérique Diem indexée sur le dollars et initiée par la firme de Mark Zuckerberg au sein de l’association également dénommée Diem (ex-Libra). Mais confrontés à des obstacles réglementaires et politiques aux Etats-Unis (où tout ce qui pourrait déstabiliser le sacro-saint dollars est exclu), le projet Novi et la crypto Diem (bien que cette dernière soit «stablecoin» et arrimée à l’US dollar) se retrouvent au point mort au grand dam de David Marcus. Celui-ci annonce le 30 novembre 2021 son départ de Meta. « Je demeure toujours aussi passionné par la nécessité de changer nos systèmes de paiement et nos systèmes financiers », dira-t-il dans son tweet (2).
En janvier 2022, Le Wall Street Journal et le Washington Post révèlent l’abandon par Meta de Diem, dont les actifs ont été cédés à la banque californienne Silvergate, celle-là même – ironie de l’histoire – qui a fait faillite en mars dernier après le crypto-krach du second semestre 2022 et surtout la banqueroute retentissante de la plateforme de cryto-exchange FTX. David Marcus était aussi membre du bureau de l’association Diem, ex-Libra, laquelle avait embarqué dans son projet plusieurs entreprises parmi lesquelles la maison mère de Free, Iliad, Spotify ou encore Uber. Le « frenchie » Stéphane Kasriel succède en novembre 2021 à David Marcus à la tête de Novi, dont il annoncera le 8 mars 2022 le changement de nom pour, cette fois, Meta Financial Technologies. « Nous avons changé le nom de notre groupe de produits [Novi] en Meta Financial Technologies. Lorsque [le groupe Facebook] s’est rebaptisé, il ne s’agissait pas seulement d’adopter un nouveau nom. Il s’agissait d’embrasser notre vision de l’avenir. Il est donc normal que nous adoptions un nouveau nom pour notre activité fintech au moment où nous construisons le métavers », avait tweeté, il y a donc un peu plus d’un an maintenant (3), le nouveau directeur de Meta Financial Technologies – appelé aussi Meta FT.
C’est aussi il y a un an, le 8 avril 2022, que le Financial Times révèle le projet d’une cryptomonnaie appelée en interne « Zuck Buck » (composé du surnom de Mark Zuckerberg et de l’appellation du dollar en argot) pour être utilisée dans Facebook, Instagram et le métavers Horizon Worlds. Les « Zuck Bucks » désignaient dix ans auparavant les « Facebook Credits » utilisés comme monnaie virtuelle dans des jeux en ligne. Mais depuis, le métavers Horizon Worlds s’est transformé l’an dernier en « métaflop » (4) malgré les milliards de dollars investis par Meta. La crypto ZBUX (5) n’est pas sortie des limbes. Contactés par Edition Multimédi@, ni Stéphane Kasriel, le patron de Meta FT, ni Edward Bowles, son directeur des affaires publiques, ne nous ont répondu sur une éventuelle « metacrypto » post-Diem. Pour l’heure, Meta FT continue de travailler sur des tokens, des jetons sur le modèle des V-Bucks dans Fortnite (6) ou des Robux dans Roblox. « Pour l’instant, nous réduisons progressivement les collectibles numériques (NFT) afin de nous concentrer sur d’autres façons de soutenir les créateurs, les gens et les entreprises, a twitté Stéphane Kasriel le 13 mars dernier.

Monétiser les fans des créateurs et entreprises
« Cela reste une priorité de connecter les créateurs et les entreprises avec leurs fans et de les monétiser, afin d’avoir un impact à grande échelle, comme les messages et les opportunités de monétisation pour Reels [fonction de vidéos courtes lancée sur Instagram en 2020 pour concurrencer TikTok, ndlr] ». Mais le patron de Meta FT d’ajouter : « Nous continuerons d’investir dans les outils de fintech dont les gens et les entreprises auront besoin pour l’avenir. Nous simplifions les paiements avec Meta Pay, pour rendre les paiements et les versements plus faciles, tout en investissant dans les paiements par messagerie à travers Meta » (7) @

Charles de Laubier

L’AFDPM refuse Amazon, Alibaba et Cdiscount

En fait. Le 14 février, l’Alliance française des places de marché (AFDPM) – fondée en octobre 2022 par Back Market, eBay, Etsy, ManoMano et Rakuten – a annoncé que Leboncoin, Vinted et Ankorstore l’avaient rejointe comme nouveaux membres. En revanche, Amazon, Alibaba ou Cdiscount ne sont pas les bienvenus.

En clair. Amazon a confirmé à Edition Multimédi@ ne pas être membre de l’Alliance française des places de marché (AFDPM). Mais le géant du e-commerce est adhérent de bien d’autres organisations ou fédérations professionnelles telles que la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), l’Alliance française des industries du numérique (Afnum), l’Alliance Digitale (issue du rapprochement de Mobile Marketing Association et d’IAB France) ou encore l’Union TLF (Transport et Logistique de France).
Amazon, pourtant numéro une mondiale des plateformes de e- commerce et première aussi en France selon Médiamétrie, n’est pas la seule à ne pas être membre de l’AFDPM cofondée en octobre 2022 par Back Market, eBay, Etsy, ManoMano et Rakuten. Ne sont pas adhérents de cette alliance Cdiscount (groupe Casino), numéro trois des plateformes de e-commerce en France (derrière Amazon et Leboncoin), mais aussi le chinois Alibaba et sa plateforme AliExpress. Et pour cause. « L’AFPDM vise à rassembler des places de marché qui n’ont pas d’activité significative de vente directe de biens, afin de se concentrer sur les enjeux propres au statut d’intermédiaire, et qui contribuent au développement de l’économie française notamment s’agissant des vendeurs présents sur ces plateformes. Seules les places de marché remplissant ces critères ont vocation à rejoindre l’association », nous a répondu le président de cette nouvelle alliance, Sébastien Duplan, par ailleurs directeur des affaires publiques de ManoManon.
Les « marketplaces » ne doivent donc pas faire de vente en propre ni concurrencer leurs vendeurs tiers. « Nous ne serons jamais rejoints par des acteurs comme Amazon ou Cdiscount », avait-il précisé dans LSA (1). Si l’AFDPM se veut « une structure à laquelle les pouvoirs publics et l’ensemble de l’écosystème e-commerce peuvent s’adresser », elle entretient la division face au gouvernement qui, lui, vient de créer le Conseil national du commerce (CNC) présidé par Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme (2). Dotée de 24 millions d’euros pour financer cette transformation en 2023, cette instance gouvernementale – dont la première réunion a eu lieu assez discrètement le 9 décembre dernier (3) – entend faire des propositions « dès juin 2023 » pour faire évoluer le secteur du commerce en France. @

La réalité augmentée n’augmente pas la rentabilité de Snap malgré la hausse des « snapchatteurs »

Le réseau social Snapchat a beau voir le nombre de ses utilisateurs augmenter de 17 % en 2022, à 375 millions de « snapchatteurs », cela n’empêche pas la société Snap d’augmenter son déficit. Et lors de son « Investor Day » le 16 février, elle devra convaincre sur son avenir en réalité augmentée.

En publiant ses résultats 2022 le 31 janvier, la société californienne Snap a déçu, malgré la hausse de 17 % de ses utilisateurs, à 375 millions, et un objectif d’atteindre entre 382 et 384 millions de « snapchatteurs » d’ici la fin de ce premier trimestre 2023. Pour l’exercice de l’an dernier, le chiffre d’affaires est de 4,6 milliards de dollars, certes en hausse de 12 % sur un an, mais les pertes nettes – 1,4 milliard de dollars – se sont creusées de… 193 %. Son cours de Bourse a décroché à Wall Street et sa capitalisation n’est plus de que 19,3 milliards de dollars (au 09-02-23), bien loin du pic des 54 milliards de dollars d’octobre 2020.

R&D : 2,1 milliards de dollars en 2022
Bien qu’ayant terminé 2022 avec 3,9 milliards de dollars de cash, Snap est par ailleurs très endetté, à hauteur de 3,7 milliards avec une première échéance de remboursement en 2025. De tout cela, le PDG cofondateur de Snap, Evan Spiegel (photo), devra s’en expliquer devant les investisseurs lors de l’« Investor Day » qu’il organise le 16 février prochain dans ses locaux de Santa Monica (Californie). Dans la lettre aux actionnaires datée du 31 janvier (1), l’entreprise a d’ores et déjà prévenu que « le chiffre d’affaires du premier trimestre 2023 devrait être en baisse, entre – 10 % et – 2 % sur un an ».
Snap avait lancé au troisième trimestre 2022 un plan de restructuration qui prévoyait « une réduction d’environ 20 % de [son] effectif mondial » – dont 1.300 suppressions d’emploi en août dernier. Les productions « Snap Originals » et le drone Pixy ont été sacrifiés. Au 31 décembre 2022, ses effectifs étaient de 5.288 de salariés. « Nous sommes en voie de réaliser les 500 millions de dollars de réduction des coûts d’ici le premier trimestre de 2023 », assure le groupe au fantôme (2).
Parallèlement, Snap ne lésine pas sur les dépenses de recherche et développement (R&D) qui s’élèvent à 2,1 milliards de dollars rien qu’en 2022, en forte hausse de 34,7 % sur un an. « Nos efforts de R&D sont axés sur le développement de produits, la technologie publicitaire et l’infrastructure à grande échelle », précise l’entreprise dans son rapport annuel publié par la SEC, le gendarme boursier américain, le 1er février dernier (3). Pour se différencier des Facebook, Instagram et autres TikTok, Snap mise gros sur la réalité augmentée (RA) dont l’écosystème dépasse à ce jour plus de 300.000 créateurs et développeurs qui ont construit plus de 3 millions de « lentilles » de RA (« lens » en anglais) pour permettent la créativité et l’expression de soi. Snapchat s’ouvre directement sur l’appareil photo (« camera ») du smartphone ou de la tablette, voire la webcam de l’ordinateur sur le Web, ce qui facilite la création d’un « snap » et l’envoi de photos et de vidéos à des amis (via messagerie, « map » ou « stories »). Snap vend aussi depuis septembre 2016 – et malgré l’échec de la première version – des lunettes de RA, connectées en Bluetooth et appelées « Spectacles », utilisables sur son réseau social (4). Les lentilles se distinguent des « filtres » (« filter » en anglais) par le fait que les premières sont des animations virtuelles – autrement dit un filtre à réalité augmentée. C’est là que le réseau social au fantôme, très prisé de la génération Z, se distingue de ses concurrents. Y compris sur le marché publicitaire d’où Snap tire l’essentiel de ses revenus : ses offres « Snap Ads » et « AR Ads » proposent aux annonceurs et partenaires des filtres sponsorisés (« sponsored filters ») et des lentilles sponsorisées (« sponsored lenses »), pour peu que les marques se familiarisent avec ces technologies visuelles – surtout en RA. « Nous avons ajouté de nouvelles fonctionnalités et capacités à Lens Studio, notre logiciel de développement de réalité augmentée, qui permettent des expériences plus riches et plus immersives, et aident à approfondir l’engagement », assure Snap.
Mais le contexte macroéconomique (crise sanitaire, inflation, guerre en Ukraine, …) amène des entreprises à réduire leur budget publicitaire, notamment ceux orientés vers la RA souvent utilisée à titre expérimental. Sans parler du durcissement de la protection des données (fin des cookies tiers) qui limite le ciblage et l’efficacité publicitaire. Les autres acteurs du Net surveillent Snap comme un thermomètre pour prendre la température de la publicité en ligne (5).

Plus de 2 millions d’abonnés à Snapchat+
Lancé au début de l’été 2022 dans plusieurs pays, dont la France, le service par abonnement payant Snapchat+ – mais toujours avec publicités – a dépassé les 2 millions de souscripteurs (4,59 euros par mois, ou moins selon la durée de l’engagement), lesquels bénéficient d’exclusivités, d’expérimentations et d’avant-premières. L’avenir de Snapchat est entre les mains d’Evan Spiegel, qui détient 53,1 % des droits de vote de l’entreprise mais seulement 3 % du capital de Snap (6) aux côtés des 17,6 % du chinois Tencent. @

Charles de Laubier

Accord avec la presse : Microsoft traîne des pieds

En fait. Le 6 février, Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro, s’est exprimé dans Mind Media en reprochant notamment à Microsoft de ne toujours pas rémunérer les éditeurs au titre des droits de la presse – contrairement à Google et Facebook, et malgré ses engagements de février 2021.

En clair. « Microsoft avait (…) annoncé publiquement en janvier et février 2021 vouloir discuter et rémunérer les éditeurs, et faire mieux que Facebook et Google, or je n’en vois pour l’instant pas le résultat », a déploré Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro (1), dans une interview accordée à Mind Media et publiée le 6 février. La firme de Redmond (Etats-Unis) s’était en effet engagée – il y a aura deux ans le 22 février prochain – à « travailler ensemble sur une solution pour faire en sorte que les éditeurs de presse européens soient payés pour l’utilisation de leur contenu par des gatekeepers [comme Microsoft avec son moteur de recherche Bing, son portail d’actualités MSN, ou son application Microsoft Start, ndlr] qui ont une puissance dominante sur le marché ».
Un communiqué (2) avait même été signé par Casper Klynge, alors vice-président de Microsoft en charge des affaires publiques européennes et basé en Belgique, et quatre organisations européennes d’éditeurs de presse : European Publishers Council, News Media Europe, Newspaper Publishers’ Association/ENPA et European Magazine Media Association/EMMA. Ensemble, ils appelaient en outre à « un mécanisme d’arbitrage de type australien en Europe pour garantir que les gatekeepers rémunèrent équitablement les éditeurs de presse pour l’utilisation du contenu ». Microsoft entendait ainsi se distinguer de Google et de Facebook qui, à l’époque, étaient très réticents à rémunérer les médias pour l’utilisateur de leurs contenus sur respectivement le moteur de recherche et le réseau social. Depuis, Google et Facebook ont finalement trouvé un accord avec la presse en Europe – notamment en France, soit à la suite d’un contentieux (Google), soit dans un rapport de force (Facebook).
Mais toujours rien à ce jour du côté de la firme dirigée par Tim Cook. Casper Klynge, qui a quitté Microsoft fin 2022, avait indiqué que l’application Microsoft News (ex-MSN News et Bing News) – rebaptisé depuis Microsoft Start alias MSN (3) – permettait à Microsoft de partager « une grande partie » des revenus avec les éditeurs de presse. Et que le paiement de droits voisins était « une prochaine étape logique ». Pas de résultat depuis. « Toutes les autres plateformes refusent de discuter sérieusement, a regretté Marc Feuillée. Ma conclusion c’est que la loi française n’est pas assez précise et doit être amendée par le législateur ». @