La lecture en ligne bouscule encore le prix unique

En fait. Le 29 juin, le Syndicat national de l’édition (SNE) a tenu son assemblée générale annuelle. Le chiffre d’affaires 2022 des éditeurs a reculé de 5,4 % sur un an, à 2,9 milliards d’euros, dont seulement 285,2 millions d’euros pour le livre numérique malgré une hausse de 4,4 %. Mais quid de la lecture en ligne ?

En clair. Contacté par Edition Multimédi@, le conseiller d’Etat Jean-Philippe Mochon, Médiateur du livre dont le mandat s’achèvera en octobre (renouvelable), nous indique que « le rapport sur la lecture en ligne et les jetons numériques devrait sortir à l’automne ». Il s’était autosaisi en avril 2022 sur « les nouveaux modèles économiques de la lecture en ligne de mangas, de webtoons et de bandes-dessinées » et sur « la conformité à la loi du 26 mai 2011 [sur le prix du livre numérique, ndlr] des modèles émergents de microtransactions via des systèmes de monétisation par jetons numériques ».
« Scroller » une BD, un webtoon voire un livre numérique sur smartphone prend de l’ampleur, surtout chez les « adolécrans » et jeunes adultes. Le leader mondial des webtoons est le sud-coréen Naver (1). Son modèle économique freemium a popularisé le paiement par des « coins ». Du coup, le Syndicat national de l’édition (SNE) s’interroge lui aussi sur la pratique au regard du prix unique du livre numérique et, d’après le rapport d’activité 2022 du SNE publié à l’occasion de son AG du 29 juin dernier, attend l’avis du Médiateur du livre. Dans son discours ce jour-là, le président du SNE Vincent Montagne – pourtant patron du groupe Média-Participations très présent sur ce marché des webtoons avec sa plateforme Izneo – n’a dit mot sur la lecture en ligne. Pas plus que sur le livre numérique d’ailleurs, à part un elliptique « maîtrise du numérique ». De plus, le syndicat des éditeurs vient de publier l’état de l’édition en France mais sans aucune donnée sur le marché des plateformes de lecture en ligne. « Malheureusement, le nombre insuffisant de réponses reçues ne permet pas de dresser une évaluation de ce marché », indique le rapport du SNE, en appelant les éditeurs à renseigner leurs données « webtoon » lors de la prochaine vague statistique de 2024.
Outre Izneo de Vincent Montagne et Webtoon de Naver, d’autres plateformes françaises surfent aussi sur les webtoons : Piccoma (Kakao), Verytoon (Delcourt), Webtoon Factory (Dupuis), ou encore Glénat Manga Max (Glénat Editions). Dans la lecture en ligne, sont aussi présents Nextory (ex-Youboox), YouScribe, Kindle Unlimited (Amazon), … Sur l’abonnement illimité et le prix unique, un avis du 9 février 2015, de la Médiatrice du livre Laurence Engel, avait établi que « le prix des livres numériques est fixé par les éditeurs » (2). @

Majorité numérique à 15 ans harmonisée en Europe ?

En fait. Le 28 juin, la proposition de loi « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne » a été définitivement adoptée en commission mixte paritaire par députés et sénateurs. L’âge de 15 ans pour les réseaux sociaux va-t-il être harmonisé au niveau des Vingt-sept ?

En clair. Maintenant que la loi française « Majorité numérique » a été adoptée le 28 juin, obligeant les réseaux sociaux et plateformes numériques à vérifier non seulement que leurs jeunes utilisateurs ont bien l’âge de 15 ans pour les utiliser, mais aussi à obtenir une autorisation parentale en dessous de cet âge-là, la Commission européenne devra donner son avis. Le gouvernement français lui a en effet notifié la proposition de loi telle qu’adoptée, afin d’avoir le feu de Bruxelles qui doit vérifier que cette législation est bien conforme au droit de l’Union européenne.
Une fois le blanc-seing de la Commission européenne obtenu, le gouvernement fixera par décret une date d’entrée en vigueur de la loi, « [date] qui ne peut être postérieure de plus de trois mois à la date de réception par le gouvernement de la réponse de la Commission européenne ». L’harmonisation de la majorité numérique en Europe ne semble pas prévue, le règlement général sur la protection des données (RGPD) laissant le loisir aux Etats membres de fixer cette majorité numérique entre 13 et 16 ans (1). Cette vérification de l’âge viendra donc s’ajouter à l’obtention du consentement de l’enfant « e-majeur » ou d’un parent pour le traitement des données à caractère personnel – cette obligation concernant la protection de la vie privée étant déjà en vigueur. Pour l’accès aux réseaux sociaux, ce n’est qu’à compter de la date de promulgation de la loi « Majorité numérique » que les plateformes numériques (YouTube, Instragram, WhatsApp, TikTok, Facebook, Google Actualités, …), ainsi que les sites pornographiques premiers visés (2), disposeront de deux ans pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs. C’est le président de l’Arcom qui est chargé de veiller à ce que les plateformes numériques mettent en œuvre une « solution technique certifiée pour vérifier l’âge des utilisateurs finaux et l’autorisation de l’un des titulaires de l’autorité parentale de l’inscription des mineurs de moins de quinze ans ».
Au préalable, l’Arcom devra établir un « référentiel » validé par la Cnil (3), auquel les « solutions techniques » devront être conformes. Or la Cnil, qui a préconise depuis juin 2021 le mécanisme de « double anonymat » (4) préféré à la carte d’identité, n’a toujours pas rendu public le bilan du test mené par un laboratoire de l’Ecole polytechnique et le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) de Bercy. @

Signaux contradictoires sur l’évolution du piratage (musiques, films, livres, …) dans le monde

Alors que l’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) constate avec Médiamétrie une baisse continue du piratage sur Internet en France, la Motion Picture Association (MPA) et l’ACE estiment, chiffres de Muso à l’appui, que le fléau augmente au contraire dans le monde

L’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), présidée depuis plus de 20 ans par Nicolas Seydoux (président de Gaumont), a publié en mai l’état arrêté au mois de mars 2023 de l’« audience des sites illicites dédiés à la consommation vidéo en France », mesurée par l’institut Médiamétrie. Ces chiffres mensuels, qui ont d’ailleurs été repris et présentés le 20 mai lors du Festival de Cannes par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), confirme que le piratage dans l’Hexagone est en forte baisse depuis cinq ans maintenant.

« Offres illégales » et protocoles « pirates »
La baisse du piratage en France est même continue, passant de 15,4 millions d’internaute présumés pirates par mois en 2018 à seulement 6,8 millions par mois au premier trimestre de 2023. Autrement dit, il y a 8,2 millions d’internautes pirates en moins dans l’Hexagone par rapport à cinq ans auparavant. Et ce, en plus, malgré la prise en compte par Médiamétrie des terminaux mobiles – smartphones et tablettes – depuis l’année 2018 (voir tableau page suivante). Le reflux de cette audience de « l’offre illégale », comme l’appelle l’Alpa, devrait se poursuivre au cours de l’année 2023 si la tendance baissière se poursuit.
En termes de pénétration de piratage sur le nombre d’internautes en France, les 6,8 millions de « pirates » mesurés entre janvier et mars derniers correspondent à 13 % des internautes. Ce taux atteignait 29 % en 2018. Il ressort en outre des chiffres de Médiamétrie pour l’Alpa que la plupart des internautes visitant des sites d’offres « illégales » piratent des films et des séries, mais ils sont aussi en recul de 8 % sur un an en mars 2023, à 6,5 millions d’individus. Pour le piratage de contenus de contenus sportifs, ils sont cette fois bien moins nombreux : 477.000 internautes « pirates » en mars 2023, en recul de 18 % sur un an. D’après le CNC, le « Top 5 » des films les plus piratés l’an dernier concerne : « Matrix Resurrections », « Les Animaux fantastiques : Les Secrets de Dumbledore », « Mourir peut attendre », « Top Gun Maverick » et « Jurassic World : Le Monde d’après ». Quant au « Top 5 » des séries les plus piratées l’an dernier, il est composé de : « Game of Thrones », « Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir », « She Hulk », « The Walking Dead » et « Grey’s Anatomy ». La baisse du piratage en France est aussi le résultat des décisions judicaires successives rendues, surtout au cours des années 2021 (mai, juin, juillet, octobre et décembre), 2022 (février, mai, juillet et novembre) ainsi qu’en mars 2023. Filmoflix, Filmgratuit, Wawacity ou encore et Zonetéléchargement font partie des sites qui ont fait l’objet de mesures de blocage judicaire exécutées par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Des cyberlockers – comprenez des sites de stockage et de partage en nuage (cloud) permettant aux utilisateurs de télécharger, de stocker et de partager du contenu dans des serveurs en ligne centralisés (le cyberlocker génère un lien URL unique, ou plusieurs, pour accéder au fichier téléchargé et de le diffuser) – ont aussi été bloqués judiciairement : Fembed, Upvid, Vudeo et Uqload, bien que ce dernier soit reparti à la hausse ces derniers temps.
La dernière décision judiciaire en date – celle du jugement du 11 mai 2023 du tribunal judiciaire de Paris ordonnant le blocage du cyberlocker Uptobox (1) – aux opérateurs télécoms – devrait à son tour contribuer à la tendance baissière du piratage. Concernant les protocoles Internet utilisés par les présumés « pirates », le streaming arrive en tête : en forte baisse depuis deux ans (- 37 %), il repart à la hausse depuis le début de l’année. Le direct download (DDL) arrivent en seconde position dans les pratiques de piratage, en baisse depuis deux ans (- 17 %), il est aussi récemment reparti à la hausse.

Streaming, DDL, livestreaming, P2P
Quant au livestreaming, il est en forte baisse (- 69 % en deux ans). Tandis que le peer-to-peer (P2P), qui fut par le passé le protocole dominant du piratage et la bête noire des industries culturelles, reste depuis quelques années le moins utilisé des protocoles « pirates ». Mais après des années de baisse, le P2P affiche une « relative stabilité » (dixit le CNC). En mai dernier, Denis Rapone (photo de gauche), ancien président de l’Hadopi et actuel membre du collège de l’Arcom, au sein de laquelle il est président du groupe de travail « Protection des droits sur Internet », a indiqué qu’en seulement six mois, 166 sites dits « miroirs » ont été bloqués entre octobre 2022 et avril 2023 par l’Arcom. Celle-ci a en effet désormais le pouvoir – instauré par la loi « Antipiratage » du 25 octobre 2021 et l’article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle (2) – de bloquer les sites qui contournent – en reprenant les contenus de sites bloqués – les décisions judicaires obtenues par les ayants droit.

Blocages par l’Arcom et par l’OCLCTIC
Une collaboration a ainsi été mise en place depuis le 5 octobre 2022 entre l’Arcom et l’Alpa. Lorsque cette dernière repère des sites miroirs reprenant des contenus de sites bloqués par les FAI, les titulaires de droits peuvent saisir l’Arcom afin que la décision de justice concernée soit actualisée (3). En outre, vient de paraître au Journal Officiel un décret daté du 12 juin 2023 désignant de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), au sein de la Police judiciaire, comme autorité administrative pouvant demander toutes mesures pour empêcher l’accès aux sites miroirs.
Si les chiffres en France montrent une tendance à la baisse de piratage, il n’en va pas de même au niveau mondial. Les grands studios d’Hollywood et autres majors du cinéma, réunis au sein de la puissance Motion Picture Association (MPA) aux Etats-Unis, fustigent, eux, une augmentation de la fréquentation des sites dits illégaux. La société britannique Muso, qui travaille étroitement avec ces grandes sociétés de production américaines en ayant accès leurs vastes bases de données d’œuvres, affirme détenir la plus complète « liste noire » de sites pirates. Selon son PDG cofondateur, Andy Chatterley (photo de droite), la fréquentation de ces sites a augmenté de 18 % en un an, pour atteindre 215 milliards de visites en 2022. Et d’après ses constatations, qu’il a détaillées dans un entretien à TechXplore le 1er juin dernier (4), près de 480.000 films et séries ont été diffusés l’an dernier sans autorisations des ayants droit. Ancien producteur de musique, Andy Chatterley a cofondé Muso en 2009. « C’est plus facile que jamais d’obtenir du contenu illégal », déclare-t-il. Il estime que les industries culturelles s’y prennent mal pour lutter contre le piratage sur Internet, que cela soit en mettant à l’amende les individus ou en bloquant les sites pirates par décisions de justice. « Contre-productif » et « perte de temps ». Les grands studios se concentrent désormais sur les « gros poissons », les Big Fish, à savoir les sites facilitant la piraterie d’œuvre et fréquentés par des millions d’utilisateurs de par le monde.
Avec la Motion Picture Association (MPA), dont sont membre Disney, Paramount, Sony Pictures, Universal, Warner Bros, ainsi que Netflix, a été créée en 2017 l’Alliance pour la créativité et le divertissement (ACE) – Alliance for Creativity and Entertainment – pour coordonner leurs efforts dans la lutte contre le piratage dans le monde. Parmi les membres de l’ACE, à vocation internationale, l’on retrouve ceux de MPA mais aussi Canal+, France Télévisions, Sky, BBC Studios, MGM (Metro- Goldwyn-Mayer devenu filiale d’Amazon), et Lionsgate, Fox, Amazon ou encore Apple. « Nous déployons l’expertise de plus de 85 professionnels à temps plein dans le monde entier, qui se consacrent à enquêter et à prendre des mesures contre les menaces de piratage en ligne existantes et émergentes », indique l’ACE sur son site web (5).

L’alliance ACE fait fermer les Big Fish
Dernière opération en date : annonce le 18 mai de la fermeture du principal service espagnol de streaming et de torrent illégal, AtomoHD (6). L’ACE est aussi intervenu à Taïwan, aux Philippines, au Brésil, au Vietnam, au Moyen-Orient et Afrique du Nord, mais aussi en Allemagne ou encore, comme annoncé le 14 février, en France avec la fermeture du deuxième site illégal de streaming et de téléchargement direct en France, Extreme-down (7). La piraterie n’a pas de frontières, les géants du divertissement l’ont compris. @

Charles de Laubier

ANCT : le New Deal Mobile pourrait être prolongé

En fait. Le 15 juin, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a présenté sa nouvelle plateforme, « Toutes et tous connecté.e.s », pour continuer à signaler auprès de l’Etat les « trous » dans la couverture mobile. Et ce « dans la perspective d’un éventuel prolongement du New Deal Mobile ».

En clair. Il semble que le gouvernement et le régulateur s’acheminent vers un deuxième « New Deal Mobile », après le premier signé en janvier 2018 avec les quatre opérateurs mobiles Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR. Il en est question depuis presque trois ans (1) mais, cette fois, cela en prend le chemin et s’inscrit dans la lutte contre la fracture numérique persistante en France. Autrement dit, l’actuel New Deal Mobile pourrait être « prolongé », d’après ce qu’a dit le ministre délégué en charge des télécommunications, Jean-Noël Barrot, lors d’une audition au Sénat. « Dans la perspective d’un éventuel prolongement du New Deal Mobile, l’ANCT a ouvert une nouvelle plateforme de signalement des trous de couverture mobile », rapporte la Banque des Territoires (filiale de la CDC) dans son quotidien Localtis le 19 juin.
Cette nouvelle plateforme baptisée « Toutes et tous connecté.e.s » remplace la précédente, « France mobile », laquelle avait été lancée il y a cinq ans. Le principe reste le même : permettre aux seuls élus inscrits de faire remonter le signalement de zones blanches (pas de signal) et grises (mauvaise couverture) dans leurs territoires, en termes de couverture mobile, afin que tout soit mis en œuvre pour installer de nouvelles antennes pour résorber les « trous » (2). La nouvelle plateforme a été repensée et redesignée par rapport à l’ancienne qui présentait en plus des bugs. A l’aide d’une carte zoomable, les élus sont maintenant en mesure de localiser précisément les zones mal ou pas couvertes par les opérateurs mobiles, et ils pourront bientôt suivre le déploiement des nouvelles antennes mobiles – comme l’indique l’ANCT dans une vidéo (3). L’élu pourra ainsi signaler les problèmes rencontrés (en extérieur, en intérieur, appeler, envoyer des SMS, accéder à Internet, …) et désigner le (ou les) opérateurs concerné(s).
« De nouvelles fonctionnalités seront ajoutées dans les prochains mois, afin de proposer un outil dédié aux infrastructures numériques », indique en outre l’ANCT. Car, comme des élus l’ont fait valoir lors du comité de pilotage national de l’ex-France mobile, la nouvelle plateforme « Toutes et tous connecté.e.s » devrait à terme permettre aussi de signaler les trous « dans la raquette » du déploiement de la fibre optique. Surtout que les dysfonctionnements dans les raccordements du FTTH en France (4) sont récurrents. @

Orange, SFR, Bouygues ou Free bloquent le site de téléchargement Uptobox, sur décision du juge

L’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) n’a pas obtenu de l’hébergeur Uptobox le retrait des films que ses utilisateurs se partageaient de façon illicite. Saisi, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné aux opérateurs télécoms – jugement du 11 mai 2023 – d’en bloquer l’accès.

L’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), présidée depuis plus de 20 ans par Nicolas Seydoux (photo), avait bien repéré depuis longtemps le site web d’hébergement de contenus Uptobox comme facilitant le piratage de films. D’autant qu’Uptobox (alias Uptostream) figure aussi dans la liste noire de la Commission européenne – sa « Counterfeit and Piracy Watch List » ayant été mise à jour le 1er décembre 2022 (1). Mais malgré les notifications et les procès-verbaux émis par ses agents assermentés (2), l’Alpa a constaté que « les mesures de retrait de contenus prises [par Uptobox] ne sont ni crédibles ni efficaces ».

Le cyberlocker a décidé de faire appel
« Les utilisateurs sont informés des retraits de contenus effectués (alors que les titulaires de droits ou leurs représentants ne le sont pas) de manière à leur permettre de remettre quasi immédiatement en ligne les contenus retirés à la demande des titulaires de droits », a relevé l’Alpa lors de ses investigations. Selon ses agents assermentés, la plateforme Uptobox d’hébergement et de partage de fichiers et/ou de vidéos comportait un total de 25.504 liens actifs mis à la disposition du public, « dont la grande majorité permet l’accès sans autorisation à des œuvres audiovisuelles protégées ». Toujours selon l’Alpa, environ 84 % des liens renvoyaient vers des « œuvres contrefaisantes ». Parmi les films ou séries piratés, ses agents assermentés ont identifié « You », « Bullet train », « Novembre » ou encore « Les Survivants ».
D’après leur estimation, Uptobox était visité par plus de 1 million d’utilisateurs (« 1.111.000 de visiteurs uniques en France »). Bien que cela ne soit pas évoqué devant le tribunal, l’audience de la plateforme incriminée est autrement plus importante dans le monde avec, d’après Similarweb 34,2 millions de visiteurs au cours du dernier mois (3). Les internautes y partagent leurs fichiers et/ou vidéos en publiant les liens qui leur sont communiqués par la plateforme elle-même et qui proviennent de sites de collection de liens tels que Filmoflix, Filmgratuit, Wawacity ou encore Zone-téléchargement. Or ces quatre sites de liens ont chacun déjà fait l’objet de mesures de blocage judicaire par des jugements datés respectivement du 21 juillet, 10 novembre, 15 décembre 2022 et du 2 mars 2023. D’après les constatations de l’Alpa exposées devant le tribunal judiciaire de Paris : « Cette plateforme [Uptobox] permet à ses utilisateurs de téléverser les fichiers contrefaisants via son propre ordinateur ou par un système de clonage d’une vidéo mise en ligne sur la même plateforme par exemple. Par ailleurs la plateforme a mis en place un système de monétisation qui rémunère aussi bien elle-même que ses utilisateurs en fonction du taux de fréquentation de leurs vidéos et des publicités qui ont été visionnées. La plateforme a également mis en place un système d’abonnement payant ».
Uptobox était accessible par au moins six noms de domaine : uptobox.com, uptobox.fr, uptostream.com, uptostream.fr, uptostream.net et beta-uptobox.com. Depuis le jugement, deux autres URL ont été indiquées : uptobox.eu et uptostream.eu (4). Les dirigeants d’Uptobox ont décidé de faire appel (5).
Dans la liste noire de la Commission européenne, Uptobox est considéré comme « un cyberlocker de téléchargement direct [qui] permet également le streaming ». Autres précisions sur le modèle économique d’Uptobox : « Le contenu téléchargé comprend les films et les jeux vidéo, y compris les prédiffusions. Son emplacement d’hébergement est masqué derrière un service de proxy inverse, ce qui rend difficile d’identifier son hôte précis. Le site offre un compte premium avec un stockage illimité, des téléchargements illimités, une vitesse de téléchargement supplémentaire et aucune publicité. Les sites pirates intègrent ou établissent un lien vers le contenu téléchargé dans Uptobox pour générer des revenus via des publicités ou des réseaux qui paient par lien visité ». La Commission européenne liste d’autres cyberlockers comparables et qu’elle définit ainsi : « Un cyberlocker est un type de services de stockage et de partage en nuage (cloud) qui permettent aux utilisateurs de télécharger, de stocker et de partager du contenu dans des serveurs en ligne centralisés. Les cyberlockers génère un lien URL unique (ou parfois plusieurs liens URL) pour accéder au fichier téléchargé, permettant aux clients de télécharger ou de diffuser le contenu téléchargé ».

FNEF, SEVN, API, UPC, SPI et CNC
Outre Uptobox, la Commission européenne décrit dans cette catégorie Mega, Rapidgator, Uploaded, et Dbree. En France, c’est sur la base des constatations remontées par l’Alpa que la Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF), le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN),  l’Association des producteurs indépendants (API), l’Union des producteurs de cinéma (UPC), le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) et même le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui a notifié le 7 avril 2023 ses « conclusions d’intervention volontaire accessoire », ont saisi le tribunal judiciaire de Paris. Et, selon la procédure accélérée au fond, l’audience a eu lieu le 17 avril 2023 sous la présidence de la magistrate Nathalie Sabotier (photo ci-dessous), première vice-présidente adjointe du tribunal judiciaire de Paris. Les six organisations étaient représentées par l’avocat Christian Soulié.

De la directive « DADVSI » au CPI
Les six organisations ont notamment invoqué la directive européenne « Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI) de 2001 accordant « aux auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement » (6). Elles affirment que « les exploitants de la plateforme d’hébergement et de partage de contenus numériques “Uptobox” sait en l’occurrence que des contenus protégés sont massivement et illégalement mis à la disposition du public par son intermédiaire, tandis qu’elle s’abstient de mettre en œuvre des mesures techniques qui lui permettraient de contrer, avec la diligence attendue de sa part, de manière crédible et efficace, les violations des droits d’auteur qui sont faites par leur intermédiaire ». Selon elles, Uptobox « incite à la violation du droit d’auteur et des droits voisins par la mise en place d’outils spécifiquement destinés au partage de masse et illicite de contenus protégés, en promouvant sciemment ces partages, notamment par le biais d’un modèle économique qui laisse présumer que ses exploitants jouent un rôle actif dans le partage des fichiers contrefaisants ».
La FNEF, le SEVN, l’API, l’UPC, le SPI ainsi que le CNC ont donc demandé au juge de faire cesser la violation de leurs droits. Ils ont indiqué que le code de la propriété intellectuelle (CPI) réalise la transposition de la directive « DADVSI » qui permet aux titulaires de droits de « demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin » (7). Le tribunal judiciaire de Paris a répondu favorablement à leur requête, en accélérée, en enjoignant aux opérateurs télécoms Orange, Bouygues Telecom, Free et SFR/SFR Fibre « de mettre en œuvre et/ou faire mettre en œuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès au site “Uptobox”, à partir du territoire français par leurs abonnés, à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace de leur choix ». Les mesures de blocage, qui concernent aussi les départements ou régions d’outre-mer et collectivités uniques, les îles Wallis et Futuna, la Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques françaises, devront être appliquées « à tous les sous domaines associés au nom de domaine figurant dans le tableau » annexé à la décision (8). Le tribunal judiciaire de Paris ordonne aux quatre fournisseurs d’accès à Internet (FAI) de mettre en œuvre ces mesures de blocage « sans délais, et au plus tard à l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la signification de la présente décision, et pendant une durée de 18 mois, ce délai prenant tout à la fois en compte l’augmentation de la constatation des atteintes et l’efficacité des mesures d’ores et déjà ordonnées qui font qu’une mesure de blocage est rarement sollicitée consécutivement pour un même nom de domaine ». Orange, Bouygues Telecom, Free (Iliad) et SFR (Altice), qui devront « prendre en charge le coût des mesures de blocage », devront aussi informer les six organisations de ces mesures mises en œuvre « sans délai ». Ces six organisations s’engagent, elles, à indiquer aux FAI « les noms de domaine dont ils auraient appris qu’ils ne sont plus actifs, afin d’éviter des coûts de blocage inutiles ». Il est en outre précisé que la société« Orange pourra, en cas de difficultés notamment liées à des sur-blocages, en référer au président du tribunal statuant selon la procédure accélérée au fond ou au juge des référés afin d’être autorisée à lever la mesure de blocage ». Les six organisations pourront ressaisir le tribunal judiciaire de Paris, toujours selon la procédure accélérée au fond ou en saisissant le juge des référés, « afin que l’actualisation des mesures soit ordonnée ».
Ce jugement du 11 mai intervient après que la Cour d’appel de Paris ait – dans un arrêt du 12 avril 2023 – donné raison à ce même tribunal judiciaire de Paris qui, dans une autre affaire, avait condamné la société DStorage exploitant le site 1Fichier pour piratage de films, de musiques ainsi que de jeux vidéo.

L’Arcom a aussi sa liste noire
Le blocage à tous les étages n’est pas sans rappeler les blocages des sites TeamAlexandriz en 2021 et de Z-Library en 2022 obtenus devant ce même tribunal judiciaire de Paris par, ces fois-là, l’industrie du livre. Il s’agissait aussi pour l’affaire « Z-Library » d’une procédure accélérée au fond obtenue par le Syndicat national de l’édition (SNE) ainsi qu’une douzaine de maisons d’édition. Le SNE s’était d’ailleurs félicité des « nouvelles prérogatives confiées à l’Arcom en matière d’extension du blocage à tout lien redirigeant vers une réplique de site bloqué » (9). Car l’Arcom met aussi à jour sa liste noire. @

Charles de Laubier