Mineurs, réseaux sociaux et sites pornos : contrôle de l’âge et risques sur la vie privée

Alors qu’une procédure de l’Arcom s’éternisent devant la justice contre cinq sites web pornographiques (Pornhub, Ttukif, xHamster, Xnxx, et Xvideos), le contrôle de l’âge – pour interdire aux mineurs l’accès à ces contenus pour adultes ou l’inscription sur les réseaux sociaux – pose problème.

Cela fait un an que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a publié – le 9 juin 2021 – huit recommandations pour « renforcer la protection des mineurs en ligne » (1), dont une – la septième – s’intitule « Vérifier l’âge de l’enfant et l’accord des parents dans le respect de sa vie privée ». Car la question du contrôle de l’âge est complexe et difficile à mettre en œuvre au regard de la protection de la vie privée et du principe de l’anonymat. Or, 44 % des 11-18 ans déclarent avoir déjà menti sur leur âge pour utiliser les réseaux sociaux (2). Et quelle proportion des mineurs ont déclaré être majeurs sur les sites web à caractère pornographique ?

Vérifier l’âge : pas de procédé fiable (PEReN)
Vérifier l’âge de l’internaute reste encore à ce jour un problème car les solutions de contrôle sont soit facilement contournables (déclaration qui peut être mensongère, vérification par e-mail inefficace, …), soit portant atteinte à la protection des données et à la vie privée (reconnaissance faciale jugée disproportionnée, utilisation des données recueillies à des fins commerciales ou publicitaires, …). A ce jour, les réseaux sociaux – le plus souvent interdits aux moins de 13 ans (voire moins de 16 ans dans certains autres pays européens comme l’Allemagne), et les sites web pornographiques interdits aux moins de 18 ans – ne savent pas vraiment comment procéder pour être irréprochables dans le contrôle de l’âge de leurs utilisateurs.
A Bercy, le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) – rattaché à la Direction générale des entreprises (DGE) et placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de l’Economie, de la Culture et du Numérique (3) – a publié le 20 mai dernier une étude à ce sujet. « Détection des mineurs en ligne : peut-on concilier efficacité, commodité et anonymat ? », s’interroge cette entité interministérielle. Son constat : « Aujourd’hui, pratiquement aucun service en ligne n’utilise de procédé fiable permettant de vérifier l’âge. Malgré leur multiplicité, peu de méthodes sont à la fois faciles à mettre en œuvre, peu contraignantes et respectueuses de la vie privée des utilisateurs, performantes et robustes face à des tentatives de fraude ». Le PEReN, qui est dirigé par Nicolas Deffieux (photo), fait aussi office de task force au service notamment de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), au moment où celle-ci – du temps du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) – a mis en demeure le 13 décembre 2021 cinq sites web pornographiques et les a enjoints de se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions du code pénal. Faute d’avoir obtempéré dans les temps (ultimatum de quinze jours), les cinq plateformes incriminées – Pornhub, Ttukif, xHamster, Xnxx, et Xvideos – se retrouvent devant la justice, à l’initiative de l’Arcom, dans le cadre d’une procédure « accélérée » qui s’éternise (4).
Selon NextInpact, la présidente du tribunal judiciaire de Paris a considéré le 24 mai dernier comme « caduque » l’assignation adressée par l’Arcom aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) afin qu’ils bloquent les cinq sites pornos. Raison de cette annulation : l’Arcom n’a informé le tribunal de cette assignation que le jour même de l’audience, au lieu de la veille au plus tard (5). L’Arcom doit donc réassigner les FAI, ce qui reporte l’audience de quelques semaines. Toujours selon NextInpact, les avocats des sites pornos réclament le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel et d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Tandis que le Conseil d’Etat, lui, a été saisi de l’annulation du décret d’application du 7 octobre 2021 portant sur les «modalités de mise œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à des sites diffusant un contenu pornographique » (6). Ce décret menace les FAI contrevenants à des sanctions pénales de « trois ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende lorsque ce message [à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique] est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur » (7). Surtout que « les infractions (…) sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages (…) résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans » (8). Cette dernière disposition introduite dans le code pénal découle de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Vie privée : ne pas enfreindre le RGPD
Il y a donc péril judiciaire dans le porno. D’autant qu’une deuxième procédure, distincte de celle de l’Arcom, suit son cours en référé déposé devant le tribunal judiciaire par deux autres associations – La Voix de l’enfant et e-Enfance – sur la base de la loi « Confiance dans l’économie numérique » (loi LCEN de 2004). Son visés les mêmes sites pornos que dans la première affaire, mais avec MrSexe, IciPorno, YouPorn et RedTube (soit neuf au total). Or, à ce jour, l’absence de procédés fiables pour contrôler l’âge des internautes sans porter atteinte à la vie privée – et en respectant au niveau européen le règlement général sur la protection des données (RGPD) – rend la situation compliquée pour les réseaux sociaux et les sites pornos. « Les procédés techniques visant à vérifier la majorité d’âge ne sauraient conduire au traitement de données biométriques au sens de l’article 9 du RGPD, compte tenu de la nature particulière de ces données et du fait que le recueil du consentement de la personne concernée ne pourrait être considéré comme libre s’il conditionne l’accès au contenu demandé », avait mis en garde la Cnil dans son avis du 3 juin 2021 sur le projet de décret « Protéger les mineurs » (devenu le décret du 7 octobre 2021).

Double anonymat préconisé par la Cnil
Dans sa délibération parue au J.O. le 12 octobre de la même année (9), la Cnil écarte aussi le recours à la carte d’identité : « Serait considérée comme contraire aux règles relatives à la protection des données la collecte de justificatifs d’identité officiels, compte tenu des enjeux spécifiques attachés à ces documents et du risque d’usurpation d’identité lié à leur divulgation et détournement ».
Quoi qu’il en soit, l’article 8 du RGPD interdit l’utilisation de données personnelles des enfants âgés de moins de 13 à 16 ans, selon les Etats membres. La France, elle, a retenu l’âge de 15 ans. Ainsi, en-dessous de cet âge légal, la loi « Informatique et Libertés » impose – conformément au RGPD – le recueil du consentement conjoint de l’enfant et du titulaire de l’autorité parentale (10). Si la préoccupation première était de ne pas exposer les mineurs de 13 à 16 ans à de la publicité ciblée sur les réseaux sociaux, lesquels sont censés avoir mis en place des procédés de vérification de l’âge (11), cette obligation concerne désormais les sites web à caractère pornographique.
A noter que les jeux d’argent et de hasard en ligne (comme les paris sur Internet) sont également soumis au contrôle préalable de l’âge. Au niveau européen, la Commission européenne soutient l’initiative euConsent qui vise à mettre en place des systèmes de vérification de l’âge et de consentement parental qui soient interopérables, sécurisés et ouverts à l’échelle paneuropéenne – conformes à la certification eIDAS (12). Dans le consortium euConsent se côtoient Facebook, Google, les associations européennes respectivement des opérateurs télécoms historiques Etno et des fournisseurs d’accès à Internet EuroIspa, ou encore des organisations de protection de l’enfance. Le futur Digital Services Act (DSA), législation sur les services numériques, va introduire à son tour une interdiction de la publicité ciblée pour les mineurs.
Le contrôle de l’âge va se renforcer sur Internet, mais les méthodes de vérifications laissent à désirer. Le PEReN a classé dans son étude les solutions selon le mode de preuve employé (voir aussi tableau ci-dessous) :
• Le contrôle de l’âge, à l’aide d’un document portant l’identité et la date de naissance de la personne, à l’aide d’un document dont toutes les parties identifiantes auraient été supprimées avant tout traitement, ou enfin par les parents (contrôle parental) ;
• L’estimation algorithmique de l’âge sur la base du contenu publié ou utilisé par l’utilisateur sur le site ou bien à partir de données biométriques (voix, images, vidéos, …) ;
• Le déclaratif se basant uniquement sur les déclarations des internautes.
Le PEReN estime « primordial que la vérification de l’âge ne soit pas directement opérée par la plateforme ou le service en ligne afin de réduire le risque de croisement ou de réutilisation des données collectées lors de la vérification ». Il préconise alors « un mécanisme de tiers, voire de double tiers, [qui] peut être mis en place pour la transmission du résultat de la vérification précisément afin de minimiser ce risque ». Ainsi, ce mécanisme de doubletiers constitue une mise en œuvre possible du double anonymat recommandé par la Cnil, laquelle – en partenariat avec un laboratoire de l’Ecole polytechnique et le PEReN – a développé un prototype de ce mécanisme de vérification de l’âge par double anonymat pour en démontrer la faisabilité technique. D’après le PEReN « cette preuve de concept [devait] être rendue disponible fin mai ».
Contacté par Edition Multimédi@, son directeur général Nicolas Deffieux nous indique que la Cnil est maître des horloges. Le prototype est en effet entre les mains de Vincent Toubiana, qui y dirige le laboratoire d’innovation numérique (Linc). « Notre calendrier a été décalé et je n’ai actuellement aucune date de publication prévue », nous précise ce dernier. @

Charles de Laubier

Comment Netflix cherche à rester le numéro un mondial, 15 ans après avoir pivoté dans la SVOD

Netflix a chuté au Nasdaq sous les 200 euros. Mais le groupe fondé par Reed Hastings, dont l’assemblée générale se tiendra le 2 juin, diversifie ses contenus – jusqu’aux productions hybrides « jeu mobile-série télé » – pour ne plus perdre d’abonnés ni licencier, et rester le n°1 mondial.

Pas de panique. Les Cassandres qui voudraient reléguer le numéro un mondial de la SVOD derrière ses concurrents risquent d’être contredits dans leurs sombres prévisions. Certes, Reed Hastings, le PDG fondateur de Netflix a décidé de licencier 150 personnes mais cela ne représente que 2 % (essentiellement aux Etats-Unis) des 11.000 salariés du groupe de Los Gatos. Certes, Netflix a perdu 200.000 abonnés au cours du premier trimestre 2022 mais cela ne représente que l’équivalent de… 0,09 % du parc actuel de ses 221,6 millions de clients dans le monde.

Le « N » rouge reste une cash-machine
Certes, le groupe prévoit encore une perte au second trimestre en cours, de 2 millions d’abonnés. Mais selon les prévisions de Digital TV Research, Netflix restera le grand gagnant de la SVOD en 2027. Alors, les investisseurs n’ont-ils pas surréagi en sanctionnant l’entreprise en Bourse, où son cours s’est effondré de 52,2 %, passant de 348,61 dollars le 19 avril dernier – quelque heures avant l’annonce des résultats du premier trimestre – à 166,37 dollars le 11 mai, son point le plus bas et équivalent au prix de septembre 2017 ?
Le marché de Wall Street, qui s’attendait jusqu’à quelque 5 millions d’abonnés en plus, a sans doute été trop sévère. D’autant que la marge de manœuvre de Netflix reste potentiellement grande si l’on considère que le groupe au « N » rouge dispose à fin mars 2022 d’une trésorerie disponible de 6 milliards de dollars, quand bien même il est endetté à hauteur de 8,6 milliards de dollars. Et Netflix est encore une cash-machine puisque son flux de trésorerie disponible (free cash-flow) pour faire tourner l’entreprise a été de 802 millions de dollars rien que pour les trois premiers mois de l’année. « Nous continuons de nous attendre à ce flux positif pour l’année 2022 et au-delà », avait tenu à rassurer le groupe dans sa lettre à ses actionnaires le 19 avril dernier à l’occasion de la présentation des résultats du premier trimestre. Rappelons que sur l’ensemble de 2021, le géant de la SVOD a réalisé 29,6 milliards de chiffre d’affaires, en hausse de 18,8 % par rapport à l’année précédent. Et ce, pour un bénéfice net de 5,1 milliards de dollars tout de même, en hausse de 85,3% sur un an. Qui dit mieux ? La diversification dans les contenus proposés par la plateforme au logo rouge a déjà commencé avec les jeux vidéo. Sa première incursion remonte à 2017 avec « Stranger Things » (jeu mobile développé par BonusXP et en appli sur iOS et Android) et à 2018 avec « Minecraft: Story Mode » (Telltale Games) utilisant cette fois une télécommande télé. Depuis six mois maintenant, sont proposés aux abonnés de la plateforme vidéo des jeux mobiles, comme l’exclusif « Relic Hunters: Rebels », développé par le studio brésilien Rogue Snail, ou encore « Hextech Mayhem: A League of Legends Story » sorti du studio Riot Forge (Riot Games). « Nous devons continuer à améliorer le service de base, qui propose des séries télé et des films, et maintenant des jeux vidéo que les gens aiment vraiment. C’est ce sur quoi nous mettons vraiment l’accent », a expliqué Theodore Sarandos (photo), co-PDG et directeur général des contenus de Netflix depuis 22 ans, et bras-droit de Reed Hastings.
Avec son cash disponible, le groupe compte bien continuer à se développer dans le jeu vidéo par croissance interne et des acquisitions, afin de développer ses propres titres de jeux comme cela est le cas dans les films et les séries. En septembre 2021, Netflix a racheté la société californienne Night School Studio. Et outre l’acquisition annoncée en novembre 2021 du spécialiste des effets spéciaux Scanline VFX (1), la firme de Los Gatos s’est emparée au premier trimestre 2022 du studio de jeux vidéo américain Boss Fight Entertainment (2), et compte finaliser son offre sur le finlandais Next Games (3) d’ici le second semestre. Mieux, Netflix veut joindre les deux bouts : produire des séries et des jeux autour d’un même titre. Ce sera le cas avec le premier projet « jeu mobile-série télé » autour de la licence « Exploding Kittens », à l’origine du jeu physique de roulette russe dans un jeu de cartes illustrées. Le jeu mobile vient de sortir (4) et la série animée est prévue pour 2023.

Plus de jeux vidéo que de sports
Theodore Sarandos a dit en avril qu’il croyait plus en la rentabilité des jeux vidéo sur Netflix qu’aux sports, même si la plateforme vidéo montre son intérêt en diffusant depuis 2018 la série « Drive to Survive » sur la Formule 1. Netflix s’intéresse aussi au tennis, au golf et aux documentaires sportifs. Mais le jeu vidéo reste prioritaire. « Nous renforçons nos capacités, franchement, plus rapidement que lorsque nous sommes entrés dans le cinéma », s’est félicité Reed Hastings. Il reste à Netflix à mieux éditorialiser sa plateforme vidéo avec des contenus plus attractifs, comme le fait si bien Disney+. @

Charles de Laubier

Livre : l’Arcep veut ménager libraires et Amazon

En fait. Le 27 mai, se termine la consultation publique de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) sur sa proposition de « tarif minimum » pour la livraison de livres vendus en e-commerce. Fini les 0,01 euro TTC d’Amazon ? Pas vraiment.

En clair. Etant déjà régulateur des télécoms et, depuis octobre 2019, de la distribution de la presse, l’Arcep est en plus depuis décembre 2021 celui des tarifs d’expédition des livres. A ce titre, elle va proposer aux ministres de la Culture et de l’Economie « un montant minimal de tarification » de livraison du livre qui sera rendu obligatoire par arrêté aux plateformes de e-commerce – Amazon en tête – et aux librairies.
Le but de la loi « Economie du livre » du 30 décembre 2021 (1) à l’origine de ce projet est d’empêcher la pratique de livraison de livres à 0,01 euro TTC, initiée par le géant américain du e-commerce, avec lequel les librairies physiques ne peuvent rivaliser. Dans sa proposition de « tarif minimum pour la livraison des livres » soumise à consultation publique jusqu’au 27 mai (2), l’Arcep ménage la chèvre (Amazon) et le chou (le libraire) en avançant deux prix de livraison de livres. Le premier – « le tarif minimum d’expédition des livres neufs » – est proposé à « 3 euros TTC ». Ce qui devrait être accueilli favorablement par les librairies. Le second – « le tarif minimum d’envoi des livres à partir d’un seuil d’achat de livres neufs » – devrait rencontrer en revanche plus d’opposition, étant proposé à « 0,01 euro TTC » à partir d’un seuil « aux alentours de 25 euros d’achat ». Contactée par Edition Multimédi@, la sénatrice (LR) Laure Darcos à l’origine de la loi « Economie du livre » se dit « totalement défavorable à cette proposition ». Selon elle, « le point d’équilibre consisterait, d’une part à fixer un tarif minimal de livraison entre 3 euros et 4,50 euros, d’autre part à fixer le seuil de déclenchement de la quasi-gratuité des frais de port à 50 ou 60 euros ». L’Arcep justifie ce « seuil de quasi-gratuité » par le fait qu’il est déjà pratiqué par les acteurs du e-commerce pour inciter les acheteurs à « commander plus de livres ».
Ces deux tarifs s’appliqueront aussi pour les abonnements de type Amazon Prime ou Fnac+. L’Arcep prévoit en outre 0 euro de frais de port « si le livre est retiré dans un commerce de vente au détail de livres » (3). Le gouvernement pourrait notifier cet été le projet d’arrêté à la Commission européenne. S’il y avait feu vert au bout de trois mois de « statu quo », l’arrêté pourra être publié au J.O. et les vendeurs de livres auront six mois pour se mettre en conformité, soit pas avant 2023. @

Amazon devance Netflix sur le marché de l’AVOD

En fait. Le 13 avril, Amazon Studios a annoncé le lancement, pour le 27 avril prochain, de la plateforme gratuite de streaming vidéo Freevee, qui est le nouveau nom de son service IMDb TV. Elle reste gratuite, financée par la publicité (AVOD contrairement à la SVOD). Et va accélérer son internationalisation.

En clair. La pression des annonceurs continue de monter sur les plateformes de streaming vidéo (1). Alors que Disney a confirmé le 4 mars dernier que sa plateforme Disney+ allait lancer à partir de fin 2022 une offre financée par de la publicité, et que Netflix a indiqué le 19 avril envisager « d’ici un ou deux ans » un abonnement moins cher avec pubs (2), c’est cette fois Amazon qui veut surfer sur la vague AVOD (Advertising Supported Video on Demand). Depuis janvier 2019, le géant du e-commerce était déjà présent sur ce créneau avec IMDb Freedive, rebaptisé en juin de cette même année IMDb TV.
Il y a un an, cette plateforme OTT dépassait les 55 millions de visiteurs par mois en cumulant les audiences des Etats-Unis et du Royaume-Uni – pays où elle est présente jusqu’à maintenant. Mais avec le lancement de Freevee à partir 27 avril, Amazon Studios – filiale dans laquelle IMDb TV a été intégré en février 2020 – passe à la vitesse supérieure dans son expansion internationale. D’ici la fin de l’année, Freevee sera disponible en Allemagne. « Nous sommes heureux de faire de Freevee le service AVOD de premier choix avec un public avide de contenu », s’est félicitée Jennifer Salke (3), directrice d’Amazon Studios depuis mars 2018 et ancienne présidente de NBC Entertainment (NBCUniversal/Comcast) où elle fut chargée de la production de fictions et des activités de télévision.
Freevee a non seulement des accords de diffusion d’œuvres avec Warner Bros. (qui fusionne avec Discovery pour former un géant éditeur des plateformes de SVOD HBO Max et Discovery+), ainsi qu’avec Sony Pictures Entertainment et NBCUniversal, mais aussi avec MGM Studios qu’Amazon est en train d’acquérir (4). L’année 2022 va voir le catalogue de Freevee « augmenter de 70%» en productions originales telles que « Bosch: Legacy » à partir du 6 mai (suite de la série « Harry Bosch » qui s’est achevée sur Amazon Prime Video), « Hollywood Houselift », « Sprung » ou encore « Troppo ».
Des films exclusifs seront aussi programmés comme « Love Accidentally ». Freevee va ainsi, comme toute l’AVOD, concurrencer frontalement la télévision traditionnelle gratuite (sur le marché de la publicité) ou payante (sur le terrain de la gratuité). Quant au nom « IMDb » (abréviation de Internet Movie Database), il continue de désigner la base d’information de référence mondiale sur les films et les artistes. @

Le marché de la SVOD (sans pub) semble saturé ; des plateformes s’ouvrent à l’AVOD (avec pub)

The Walt Disney Company l’a confirmé le 4 mars : sa plateforme Disney+, jusqu’à maintenant par abonnement (SVOD), offrira aussi à partir de fin 2022 un accès peu cher financé par la publicité (AVOD). La pression des annonceurs est tellement forte que même Netflix pourrait céder à son tour.

« L’élargissement de l’accès à Disney+ pour un public plus large et à un prix plus bas est avantageux pour tout le monde – les consommateurs, les annonceurs et nos conteurs », a justifié Kareem Daniel (photo), président de Disney Media and Entertainment Distribution (DMED), lors de la confirmation faite le 4 mars du lancement d’ici fin 2022 aux Etats-Unis et courant 2023 pour le reste du monde – d’une offre moins chère de Disney+ financée par de la publicité. Et Rita Ferro, présidente en charge de la publicité chez DMED d’ajouter : « Depuis son lancement, les annonceurs réclament à cor et à cri la possibilité de faire partie de Disney+ » (1).

Disney cède à la pression des annonceurs
La pression des annonceurs en quête d’espaces sur les services de streaming vidéo, encore très dominés dans les foyers par les plateformes par abonnement et sans publicités (SVOD), est telle que The Walt Disney Company a dû céder aux sirènes des marques. Pourtant, en juin 2021, devant des investisseurs réunis par le Credit Suisse, le PDG du groupe, Bob Chapek, avait écarté l’idée d’une offre financée par la publicité (AVOD) : « Nous n’avons pas de tels plans maintenant. Nous sommes satisfaits des modèles que nous avons en ce moment », avait-t-il assuré (2).
Neuf mois après, c’est le contraire. C’est surtout le moyen d’espérer engranger plus rapidement des abonnés, certes low cost, afin de parvenir à son objectif d’atteindre lors de son exercice 2024 (clos fin septembre) de 230 à 260 millions d’abonnés au total à Disney+, soit cinq ans après son lancement aux Etats-Unis. Pour le mythique conglomérat du divertissement et major d’Hollywood, qui fêtera son centenaire en octobre 2023, ce serait la consécration de son déploiement mondial réussi dans le streaming – sous la houlette de Bob Chapek, successeur de Bob Iger depuis plus de deux ans maintenant (3). La date de lancement et le prix allégé par rapport aux 7.99 dollars par mois actuels (ou 8,99 euros) seront connus dans le courant de l’année. Conséquence de l’ouverture dès cette année de Disney+ à l’AVOD, outre le fait que Disney+ Hotstar (4) fasse déjà de la publicité en Inde et en Asie du Sud-Est, ce marché mondial de l’« Advertising Supported Video on Demand » devrait largement dépasser les 66 milliards de dollars en 2026, selon Digital TV Research : « Je pense que les nouvelles prévisions seront supérieures, mais nous les publierons en mai prochain », indique Simon Murray, son analyste principal, à Edition Multimédi@. Autrement dit, dans quatre ans, les revenus en termes d’abonnements de l’AVOD devraient pouvoir plus que doubler par rapport aux 3,7 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2021 dans les 138 pays observés. Les Etats-Unis demeureront sans surprise à la tête de ce marché, suivis par la Chine, le Japon, le Royaume-Uni ou encore l’Inde (voir tableau page suivante).
Digital TV Research pourrait devoir revoir encore à la hausse ses prévisions si Netflix se décidait à son tour à franchir la clôture pour aller voir du côté de l’AVOD si l’herbe y est vraiment plus verte… Ce que le numéro un mondial de la SVOD au logo rouge n’exclut pas. C’est du moins ce qu’a laissé entendre son directeur financier, Spencer Neumann, à la conférence « Technology, Media & Telecom » de Morgan Stanley le 8 mars dernier : « Ne jamais dire jamais, a-t-il répondu à ce sujet. Ce n’est pas quelque chose dans notre plan en ce moment. [Mais] ce n’est pas comme si nous avions la religion d’être contre la publicité. (…) Il est difficile pour nous d’ignorer que les autres le font, mais pour l’instant cela n’a pas de sens pour nous » (5). Cette réponse de Normand ressemble à celle que faisait Bob Chapek, le patron de Disney, il y a neuf mois…
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, pourrait ne pas laisser son rival Disney+ prendre trop d’avance sur ce terrain publicitaire, d’autant que le rythme des nouveaux abonnés ad-free (sans pub) au « N » rouge a ralenti au cours des derniers trimestres, entraînant l’action de la firme de Los Gatos (Californie) dans une chute de plus de 40 % depuis le début de l’année.

Netflix et Amazon Prime Video ralentis
Un accès à Netflix moins coûteux que l’abonnements actuels – de 9,99 dollars à 19,99 dollars par mois, ou de 8,99 euros à 17,99 euros – permettrait peut-être d’inverser la tendance baissière. Plus globalement, en l’état des offres ad-free et des forces en présence, les prévisions montrent que Netflix devrait être dépassé par Disney+ en 2028, d’après Digital TV Research. La montée en puissance des plateformes HBO Max, conjuguée à la plateforme Discovery+ une fois que Warner Bros. Discovery sera opérationnel cette année (6), et Paramount+ (Paramount Global, ex- ViacomCBS), devrait néanmoins pressuriser le parc d’abonnés des deux leaders.
Si l’on rajoute Peacock lancé il y a près de deux ans par NBCUniversal, filiale de Comcast, la question de l’encombrement du marché de la SVOD – proche de la saturation – reste posée dans un marché toujours en croissance. A cette prolifération de l’offre de plus en plus chère, s’ajoute le casse-tête des mots de passe (7), avec le risque de pousser certains à préférer le piratage au légal.

L’AVOD, menace sur les chaînes TV
Selon Digital TV Research, les abonnements mondiaux à la SVOD augmenteront de 550 millions entre 2021 et 2027 pour atteindre 1,75 milliard. La Chine et les Etats- Unis représenteront ensemble près de la moitié (48 %) de ce total mondial dans cinq ans. « Certains ont affirmé récemment que le marché américain de la SVOD était au point de saturation. Même si nous nous attendons à une certaine décélération pour les acteurs plus établis [Netflix et Amazon Prime Video, ndlr], il reste encore beaucoup à faire pour les plateformes plus jeunes comme Disney+, Paramount+ et HBO Max », a nuancé Simon Murray le 17 février dernier. La vidéo à la demande financée par la publicité n’est pas nouvelle. YouTube et Dailymotion sont les plateformes pionnières dans ce domaine. La plate-forme Hulu, lancée la même année que celle de la mise en ligne de Netflix (en mars 2 0 0 7 ) e t d é tenue aujourd’hui majoritairement par Disney (depuis avril 2019) aux côtés de Comcast, s’est développée d’abord avec de la publicité. Des formules d’abonnements ont ensuite été proposées, comme Hulu + Live TV. Peacock joue sur les deux tableaux : de la publicité sur les options « Free » et « Premium », et ad-free avec « Premium Plus ». Quant aux service HBO Max, jusqu’alors faisant partie de WarnerMedia (groupe AT&T), il ne voulait pas entendre parler de publicités. Du moins jusqu’à l’an dernier, se décidant à rajouter une option ad-supported. Et une fois que HBO Max et Discovery+ auront fusionnés, SVOD et AVOD pourraient cohabiter. Selon un rapport de Tubi (le service de streaming gratuit de Fox), entre 20 % et 46 % des foyers américains – selon le nombre d’abonnements SVOD par foyers (de un à cinq ou plus) – regardent aussi des services d’AVOD (8).

140 millions d’Américains ciblés
Aux Etats-Unis, le cabinet d’études et d’informations eMarketer a montré le 10 mars dernier (9) que les plateformes vidéo avec publicités attirent plus de 140 millions d’Américains en 2022, soit 41,6 % de la population étatsunienne. Ses prévisions tablent sur 171,5 millions d’Américains en AVOD d’ici 2026, soit près de la moitié de la population (49,5 %). Sur fond de bataille entre les ad-free et les adsupported, ce sont les chaînes de télévision le plus souvent nationales – payantes et gratuites – qui pourraient être les victimes collatérales de l’avancée de ces acteurs OTT (Over-the-Top) globaux. @

Charles de Laubier