Les offres payantes de l’audiovisuel public posent toujours questions au regard de la redevance

Alors que la nouvelle plateforme payante Madelen de l’Ina dépasse les 55.000 abonnés (dont 15.000 hérités de l’Ina Premium), se pose à nouveau la question de faire payer une offre lorsque celle-ci est censée être déjà financée par la redevance audiovisuelle.

Au regard de la redevance audiovisuelle que paient la quasi-totalité des 28 millions de foyers fiscaux en France (138 euros en 2020), n’est-il pas contradictoire que des entreprises de l’audiovisuel public fassent payer en plus les Français pour des services censés être déjà financés justement par cette contribution à l’audiovisuel public (CAP) ? C’est la question que Edition Multimédi@ a posée au président de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), Laurent Vallet (photo de gauche), lors du lancement de Madelen.

Payer la redevance et un abonnement
« La question de proposer une offre de streaming illimité payante est d’abord une question d’usage : existe-t-il un marché pour une offre patrimoniale payante ? L’expérience du service Ina Premium, lancé à l’automne 2015, nous a montré que c’était le cas, et nous avons souhaité développer Madelen », nous a répondu Antoine Bayet (photo de droite), responsable du département des éditions numériques de l’Ina. Cet établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) justifie aussi cette nouvelle source de revenu par le fait que sur son budget annuel d’environ 130 millions d’euros par an, 30 % sont des ressources propres. Ce chiffre d’affaires provient de la facturation de services audiovisuels ou multimédias à des professionnels (chaînes, producteurs, documentalistes, …) et, depuis le lancement d’Ina Premium il y a près de cinq ans, aux particuliers. Avec ces 30 %, l’Ina revendique d’ailleurs le taux de ressources propres le plus élevé (et de loin) parmi les entreprises de l’audiovisuel public, où ce taux est en général inférieur à 10 %. Il n’empêche : l’Ina est déjà bien financé par la redevance audiovisuelle que paient l’ensemble des 28 millions de foyers fiscaux disposant d’un téléviseur en France (97 %), et cette taxe – la CAP – rapporte chaque année plus de 3 milliards d’euros à l’audiovisuel public, dont près de 100 millions d’euros à l’Ina – en l’occurrence quelque 88 millions d’euros cette année (1).
Mais en payant 35,9 euros par an pour accéder à la plateforme Madelen (2), après trois mois d’essai gratuit, les abonnés n’ont-ils pas l’impression de payer deux fois pour un contenu déjà financé par la CAP ? « Ceux qui choisissent de s’abonner à notre nouvelle offre de streaming illimité – ils sont 55.000 au moment où nous nous parlons – peuvent accéder à un service éditorialisé riche de plus de 13.000 programmes vidéo et audio (3) sélectionnés parmi les millions d’heures du catalogue de l’Ina », a poursuivi Antoine Bayet. Et d’ajouter : « Concernant le tarif de 2,99 euros par mois, qui était celui d’Ina Premium, nous avons décidé de le maintenir inchangé. Faire payer une modique somme – pour couvrir le coût du service, son investissement technique et l’éditorialisation de ses contenus – nous semble approprié » (4).
Lancé quelques jours après le début du confinement, le service Madelen profite du #restezchezvous pour engranger des abonnés qui sont la plupart encore dans la période des 90 jours gratuits. « A ce stade, nous avons déjà 15.000 abonnés payants hérités de l’ancien service Ina Premium, lequel avait séduit jusqu’à 60.000 inscrits. Avec Madelen, nous verrons à l’été prochain les éventuels désabonnements (des nouveaux abonnés) au terme de la période de gratuité », nous a indiqué le Monsieur « Digital » de l’Ina. Y a-t-il d’autres services payants envisagés par l’Epic du patrimoine audiovisuel ? « Nous avons suffisamment à faire actuellement avec Madelen ! D’autant que son lancement a été avancé pour permettre aux abonnés d’en profiter durant le confinement », a expliqué Antoine Bayet. Dans le même esprit, mais cette fois gratuitement, l’Ina a lancé le 23 mars une nouvelle chaîne sur YouTube destinées aux enfants : Ina Kids (5). Pourquoi ne pas en avoir fait là aussi un service payant ? « Sur Ina Premium, il y avait des programmes pour enfants mais ils ont été très peu regardés. Le choix a été de les rendre accessibles sur une chaîne dédiée, laquelle proposera 1.500 vidéos », a-t-il répondu.

Du gratuit au payant, de France.tv à Salto
L’Ina et sa Madelen n’est pas la seule entreprise de l’audiovisuel public où se pose la question de services payants censés être « gratuits ». France Télévisions, pourtant le plus gros consommateur de redevance audiovisuelle, envisage avec TF1 et M6 de lancer – en version bêta fermée à parti du 3 juin et commercialement en septembre – un service de SVOD payant, Salto (6). Le prédécesseur de l’actuelle présidente Delphine Ernotte, Rémy Pflimlin, n’avait pas osé lancer un tel service payant par scrupule vis-à-vis de la redevance et des Français (7) (*) (**). Quant au site web France.tv (ex-Pluzz jusqu’en mai 2017), qui devait proposer quelques contenus payants identifiés par une pastille orange et le signe «€», il reste gratuit, pour l’instant. @

Charles de Laubier

La bataille vidéo du court et du long s’intensifie

En fait. Le 22 avril, Netflix a annoncé deux fois plus de nouveaux abonnés que prévu au premier trimestre, grâce au confinement, pour en totaliser 182,9 millions dans le monde. De son côté, Quibi – plateforme de vidéos courtes lancée le 6 avril – a été téléchargée 1,7 million de fois lors de sa première semaine.

La neutralité de l’Internet se retrouve prise en étau entre le coronavirus et le gouvernement

C’est la double peine pour les Français : non seulement ils doivent s’en tenir à un confinement de plus en plus stricte chez eux, mais en plus le gouvernement, les opérateurs télécoms et – priées d’obtempérer – les acteurs du Net réduisent la bande passante de leurs plateformes de divertissement.

L’exception culturelle française a encore frappée ! Disney+, la plateforme de SVOD de la Walt Disney Company, a bien été lancée le 24 mars dernier dans sept pays supplémentaires, tous en Europe : Royaume- Uni, Irlande, Allemagne, Espagne, Italie, Autriche et Suisse. La France devait en être, mais le gouvernement français – faisant sienne une suggestion que lui a faite Stéphane Richard, le PDG d’Orange – a exigé de Disney qu’il reporte de quinze jours, au 7 avril, le lancement sur l’Hexagone de son nouveau service. C’est le seul pays européen à avoir imposé ce décalage.

L’excès de pouvoir de la France envers Disney
« La France est le seul pays à reporter son lancement au 7 avril Les autres pays ont maintenu leur lancement le 24 mars », a confirmé à Edition Multimédi@ Nathalie Dray, directrice de la communication au sein de la filiale française de la Walt Disney Company. Nous avons voulu savoir pourquoi La France était le seul pays des huit prévus à avoir obtenu de Kevin Mayer, président de l’activité direct-toconsumer & international du groupe Disney, l’annulation du lancement de Disney+ prévu comme dans les sept autres pays européens le 24 mars. Mais aucune réponse ne nous a été apportée, ni de Paris ni de Los Angeles. « Encore un peu de patience pour nos fans français, notre service de streaming Disney+ arrive bientôt… mais à la demande du gouvernement français, nous avons convenu de reporter le lancement jusqu’au mardi 7 avril 2020 », a déclaré Kevin Mayer le samedi 21 mars en fin de journée (1).
Pour Edition Multimédi@, cette décision surprise tombait mal puisque nous avions consacré notre précédente Une à la stratégie de la major d’Hollywood en prévision du lancement de Disney+ le 24 mars (2). Le lendemain, le dimanche 22 mars, le gouvernement français – par les voix du secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, et du ministre de la Culture, Franck Riester – a tenu à « salue[r] les mesures prises par les grands fournisseurs de contenus sur Internet pour préserver le bon fonctionnement des réseaux de télécommunication », et en particulier Disney pour avoir « décidé » le report en France du lancement de Disney+. Mais le communiqué du gouvernement (3) a omis de préciser que ce décalage de 15 jours avait été obtenu à sa demande express… Comment expliquer que la France soit le seul des huit pays concernés par le lancement de Disney+ le 24 mars qui ait exigé un tel report ? Est-ce le PDG d’Orange – dont l’Etat est actionnaire à 23 % –, qui a eu l’oreille du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire (photo de droite), et l’a convaincu d’intervenir directement auprès de la direction de Disney ? Les propos de Stéphane Richard dans Le Figaro, dans une interview publiée – à point nommé – sur le site web de ce quotidien le vendredi 20 mars, soit la veille de l’annonce du report par Disney, ont préparé les esprits à l’annulation de la date du 24 mars pour le lancement de Disney+ en France : « Le mode de distribution de Disney n’est pas contrôlé par les opérateurs [télécoms]. Le lancement de Disney va être en OTT, sans aucun contrôle de notre part. J’en ai parlé aux autorités, j’ai saisi Bercy et l’Autorité des télécoms (Arcep). Peut-être qu’un report de quelques semaines du lancement de Disney + serait opportun » (4). Le gouvernement français a donc accédé à la demande du président de l’opérateurs télécoms historique. La major américaine n’a eu d’autre choix que de s’exécuter – sauf à créer un incident diplomatique avec l’Etat français ! C’est sans précédent. La raison invoquée par le patron d’Orange – sur le fait que Disney+ est un service dit Over-the-Top (OTT) passant par définition via Internet sans dépendre d’un opérateur de réseau particulier – est surtout une manière opportune de rappeler la question sensible des rapports entre les opérateurs télécoms et les acteurs du Net. Selon les « telcos », ces dernières empruntent des réseaux haut débit voire très haut débit sans contribuer suffisamment à leurs yeux aux investissements. Alors que de l’aveu même de Stéphane Richard le 20 mars sur RTL, « les réseaux peuvent tenir ». L’Arcep, sollicitée elle aussi par le patron d’Orange, n’a trouvé rien à redire à cette « régulation gouvernementale », notamment lorsque son président Sébastien Soriano accorde une interview au site web de France Inter le 21 mars (5).

Les telcos tentés de « brider » les OTT
SFR, dont le secrétaire général Arthur Dreyfuss (6) est en outre l’actuel président de la FFTélécoms, est sur la même longueur d’onde qu’Orange. « Les opérateurs télécoms ont demandé à Bercy de discuter avec Disney+ pour différer ce lancement », a expliqué Grégory Rabuel, le directeur général de SFR, dans une interview parue dans Les Echos le 22 mars (7). A la question « Du coup, seriez-vous prêt à brider le débit de Disney+ pour éviter la panne ? ». Sa réponse est on peut plus claire : « Si nous devions prendre des mesures en ce sens, nous ne nous les interdirions évidemment pas, et ce, dans le respect des règles en vigueur. SFR discute chaque jour avec Bercy et l’Arcep de cette hypothèse ». Le report de Disney+, même de seulement quinze jours, illustre le rapport de force qu’exercent les « telcos » vis-à-vis des OTT, GAFA et autres sites web considérés comme « dévoreurs » de bande passante.

Bercy a l’oreille de Thierry Breton
Stéphane Richard aurait voulu rappeler que les opérateurs de réseaux (fixes et mobiles) sont les maîtres des horloges qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Une manière de dire implicitement aux acteurs du Net : « Si vous continuez à consommer beaucoup de bande passante sur mon réseau, il va falloir que vous contribuiez au financement de mon infrastructure qui me coûte de plus en plus cher à l’heure du passage au très haut débit ». C’est en substance dans ce sens que les opérateurs historiques européens plaident leur cause auprès de la Commission européenne, via leur instance de lobbying Etno (8) basée à Bruxelles, et où l’on retrouve parmi ses membres : Orange (représenté par Aurélie Doutriaux, ex-Arcep), Deutsche Telekom, TIM (Telecom Italia) ou encore Telefonica. Les opérateurs télécoms ont ainsi l’oreille de Thierry Breton (photo de gauche), le nouveau commissaire européen au Marché intérieur et… ancien président de France Télécom (devenu Orange par la suite) d’octobre 2002 à février 2005.
D’ailleurs, comme indiqué dans son communiqué du 22 mars (9), Bercy a agi « en lien avec l’Arcep » et « en coordination étroite avec (…) Thierry Breton », sans pour autant mentionner Orange. Dès le mercredi 18 mars, celui qui fut aussi ministre français de l’Economie, des Finances et de l’Industrie de février 2005 à mai 2007 a lancé un appel : « Plateformes de streaming, opérateurs de télécommunications et utilisateurs, nous avons tous la responsabilité commune de prendre des mesures pour assurer le bon fonctionnement d’Internet pendant la lutte contre la propagation du virus », en demandant aux plateformes vidéo de réduire la définition afin d’éviter les engorgements sur les réseaux. Sur son compte Twitter, il a indiqué avoir eu une « conversation importante avec @ReedHastings, PDG de @Netflix » pour prendre des mesures dans ce sens. « Pour sécuriser l’accès à Internet pour tous, passons à la définition standard lorsque la HD n’est pas nécessaire », a-t-il ajouté dans un post (10). Le numéro un mondial des plateformes SVOD (168 millions d’abonnés) s’est aussitôt exécuté. Le lendemain de cet échange téléphonique, soit le 19 mars, Netflix a annoncé une réduction de 25 % de son débit en Europe pour répondre aux exigences de Bruxelles. Le 20 mars cette fois, ce fut au tour de Google et sa filiale vidéo YouTube de « basculer temporairement tout le trafic dans l’UE en définition standard par défaut, suite à un entretien entre le PDG de Google, Sundar Pichai, la PDG de YouTube, Susan Wojcicki, et le commissaire européen Thierry Breton ». De son côté, Amazon leur a emboîté le pas en annonçant le même jour qu’il travaillait avec les autorités locales et les opérateurs d’Internet pour aider à atténuer toute congestion du réseau causée par Prime Video, « y compris en Europe où nous avons déjà commencé à réduire les débits du streaming tout en maintenant une expérience de qualité pour nos clients ». Le jour suivant, le 21 mars, ce fut au tour de la Walt Disney Company d’annoncer – en plus du report de quinze jours obtenu par Bercy et Orange pour le lancement de Disney+ – des mesures pour soulager la bande passante : « Soucieux d’agir de façon responsable depuis toujours, Disney répond à la demande du commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, de soutenir l’effort collectif pour le bon fonctionnement des infrastructures haut débit. En prévision d’une forte demande pour Disney+, nous mettons en place de manière proactive des mesures pour réduire l’utilisation globale de la bande passante d’au moins 25 % dans les pays [les sept pays européens au calendrier inchangé… contrairement à la France, ndlr] lançant Disney+ le 24 mars », a annoncé Kevin Mayer pour la major d’Hollywood, dans la même déclaration où il annonce le report au 7 avril de Disney+ en France.
La France, pays de « l’exception culturelle » où le cinéma français voit avec inquiétude les plateformes de SVOD américaines déferler sur l’Hexagone sans encore contribuer au financement de films et séries français et européens, aura ainsi prétexter que les réseaux sont « fragiles » pour imposer des mesures de restrictions aux OTT.

Paradoxe à l’ère de la fibre et du Gigabit
Franck Riester, ministre de la Culture, et Cédric O, secrétaire d’Etat au Numérique se sont en tout cas félicités de ce bridage du divertissement en plein confinement : «A la suite de ces contacts, plusieurs acteurs, et notamment Netflix, YouTube (Google) et Amazon (Prime Video) se sont engagés à mettre en place de manière proactive des mesures techniques pour réduire l’utilisation globale de la bande passante d’au moins 25 % pendant une période de 30 jours, sans bien sûr remettre en cause l’accès de leurs utilisateurs à l’ensemble des programmes et contenus proposés », ont-ils déclaré ensemble. La neutralité de l’Internet, elle, a vraiment été l’oubliée de cette « gestion de trafic » qui doit cesser au plus vite (11). A l’heure du très haut débit offert par la fibre optique vantée à longueur d’année et des milliards d’euros consacrés par les opérateurs télécoms aux infrastructures du « Gigabit », cela fait désordre… @

Charles de Laubier

Après avoir changé de « Bob » en février, la Walt Disney Company entre de plain-pied dans l’ère du streaming

Avec un nouveau PDG à sa tête depuis le 25 février – Bob Chapek, successeur de Bob Iger –, la major historique d’Hollywood lance le 24 mars son service de streaming – Disney+ – dans sept autres pays en Europe (mais pas en France, seul Etat à avoir exigé un report au 7 avril). Le mythique conglomérat du divertissement s’achemine vers son centenaire, en espérant échapper d’ici-là au Covid-19.

(Au moment où nous avons publié le n°230 de Edition Multimédi@, le gouvernement français a obtenu de Disney le report au 7 avril de sa nouvelle plateforme de SVOD)

La plateforme de streaming Disney+, lancée le 12 novembre 2019 aux Etats-Unis, au Canada et dans un premier pays européen, les Pays-Bas, puis quelques jours après en Australie, en Nouvelle-Zélande et à Porto Rico (une île des Caraïbes), a rencontré très rapidement un large succès : elle totalise aujourd’hui près de 30 millions d’abonnés dans ces six premiers pays-là en quatre mois d’existence (1). Le 24 mars 2020 devrait être aussi un jour marqué d’une pierre blanche. Disney+ sera alors disponible dans sept pays supplémentaires, uniquement sur le Vieux Continent cette fois : Royaume-Uni, Irlande, Allemagne, Espagne, Italie, Autriche et Suisse. En France, le gouvernement a obtenu de Disney le report au 7 avril… Fin mars, ce sera au tour de l’Inde. Disney+ pourrait rencontrer un succès comparable sur ces nouveaux territoires, susceptibles de lui permettre de doubler voire de tripler d’ici la fin de l’été prochain le parc total de ses abonnés, constitué d’un public très familial. En fin d’année, l’Europe de l’Est et quelques premiers pays d’Asie-Pacifique suivront. En 2021, Disney+ desservira l’Amérique Latine et d’autres pays. Lors du tout premier lancement de Disney+, le groupe avait indiqué qu’il comptait engranger dans le monde jusqu’à 90 millions d’abonnés d’ici 2024.

La France, le pays le moins facile pour Disney+
La France ne sera pas le marché le plus facile à séduire, en raison de la sacro-sainte chronologie des médias qui impose à la major d’Hollywood d’attendre dix-sept mois après la sortie de ses nouveaux films dans les salles de cinéma de l’Hexagone avant de les proposer aux Français sur Disney+. Et encore faut-il que ses nouveautés ne relèvent pas d’accords d’exclusivité passés antérieurement avec des chaînes de télévision de l’Hexagone (TF1, M6, Canal+, …). Ces restrictions, notamment sur des blockbusters, risquent de générer en plus de la frustration, mais la plateforme Disney+ compte sur le fait qu’elle peut puiser dans la richesse des catalogues de Disney, Pixar, Marvel, Star Wars ou encore de National Geographic, ce qui correspond à plus de 1.000 films, séries et des « Originals ». De quoi espérer obtenir un plébiscite des foyers français, au nombre de quelque 28 millions aujourd’hui. Un joli potentiel. C’est dans ce contexte d’expansion mondiale de Disney+ que Robert Chapek (photo) – « Bob » pour les intimes – doit incarner la mutation digitale de la firme presque centenaire, en tant que tout nouveau PDG de la Walt Disney Company, en fonction depuis un mois.

Une transition sur fond de Covid-19
Disney+ est devenu le nouveau fer de lance de la major d’Hollywood sur le marché mondial de la SVOD déjà bien occupé par Netflix (168 millions d’abonnés) et par Amazon Prime Video (plus de 100 millions d’abonnés), eux-mêmes suivis – de loin – par le service de moindre envergure Apple+ lancé le 1er novembre dernier, en attendant les autres challengers. Certes, son prédécesseur Robert Iger – lui aussi surnommé « Bob » et désormais président exécutif et président du conseil d’administration – lui a largement préparé le terrain. Au cours de ses quinze ans à la tête du groupe, la capitalisation boursière de Disney a quintuplé, pour atteindre un pic de 273 milliards de dollars le 26 novembre 2019. Mais pour un conglomérat historique du divertissement et des médias, pas de quoi s’endormir sur ses lauriers face à un Netflix « monoproduit » valorisé, lui, plus de 145 milliards de dollars – boosté par le confinement ! Amazon Prime Video monte aussi en puissance, tandis qu’Apple TV+, Peacock (NBCUniversal/Comcast) et HBO Max (WarnerMedia/ AT&T) font augmenter la pression. Bob Iger (69 ans) a amorcé le changement ; Bob Chapek (60 ans) va tenter de le poursuivre.
Mais le conglomérat de Burbank – du nom de cette petite ville proche de Los Angeles (Californie), surnommée « capitale mondiale des médias » (2), où la Walt Disney Company a son siège social et des studios de cinéma – est comme un paquebot. Difficilement manœuvrable. Et la nouvelle plateforme Disney+ fait figure de petit remorqueur tout neuf. Mission de ce dernier : tirer et guider la maison mère dans le monde digital. Certes, Bob Iger sera toujours là – du moins jusqu’à la fin de son contrat le 31 décembre 2021 – pour superviser la « transition » pour qu’elle soit « harmonieuse et réussie », selon le communiqué surprise du 25 février (3). Bob Chapek, lui, a trois ans d’antériorité au sein de Disney (où il est entré en 1993) par rapport à son prédécesseur (arrivé en 1996). Le nouveau PDG de la Walt Disney Company était auparavant le patron des parcs d’attraction – aujourd’hui tous fermés pour cause de coronavirus – et des produits dérivés du groupe légendaire. Ce changement de tête sur fond de nouveau cap digital n’a toutefois pas plu aux investisseurs : entre l’annonce de la passation de pouvoir et le 12 mars, l’action Disney a plongé de 80 % et sa capitalisation boursière a diminué à 172 milliards de dollars, avant de reprendre légèrement du poil de la bête. Bob Chapek saura-t-il convaincre qu’il est l’homme de la situation pour que le centenaire de ce groupe de légende se passe sans encombre dans trois ans ? Le Covid-19 joue les trouble-fête, contraignant la major du cinéma à reporter « Black Widow » et deux autres films dont les sorties en salles étaient prévues en mai. C’est en 1923 que le jeune Walt Disney (20 ans) crée à Hollywood, avec son neveux Roy, Disney Brothers Cartoon Studio juste après la faillite de Laugh-O-Gram Studio (à Kansas City dans le Missouri), son tout premier studio de cinéma. La société prendra le nom de Walt Disney Studio en 1926. Ce sera en 1939 que le producteur implantera ses studios à Burbank, où il décèdera le 15 décembre 1966 à l’âge de 65 ans. C’est là que la Walt Disney Company, renommée ainsi en 1984, a construit sa légende. Aujourd’hui, dans le monde, le groupe Disney emploie 223 .000 personnes et a généré près de 70 milliards de dollars de chiffre d’affaires (69,570 milliards précisément en hausse de 17 %) au titre de son dernier exercice annuel décalé qui s’est achevé le 28 septembre 2019, pour un bénéfice net bien supérieur à 10 milliards de dollars (11,584 milliards exactement).
Bob Chapek devra détourner son regard de ses habituels parcs d’attraction pour se polariser sur le poste « directto- consumer » (DTC) qui comprend non seulement Disney+ mais aussi les autres services de streaming de la compagnie : ESPN+ (plateforme sportive (4)), Hotstar (un service de SVOD indien lancé février 2015 par Fox avant son rachat par Disney), et Hulu (la plateforme vidéo dont Disney a pris le contrôle en mars 2019 en rachetant la participation de Fox). ESPN+ compte 7,6 millions d’abonnés (étant cantonné aux Etats-Unis et confronté actuellement aux annulations sportives à cause du Covid- 19), Hotstar 150 millions grâce à l’Inde mais aussi les Etats-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne, tandis que Hulu revendique 30,4 millions d’abonnés en attendant son expansion internationale prévue à partir de 2021.

Rentabiliser l’OTT, le grand défi de Bob
Mais la ligne comptable « Direct-to-Consumer & International » de Disney fait apparaître dans les derniers résultats annuels (5) une perte opérationnelle de près de 2 milliards de dollars (1,814 milliard précisément). En raison des lancements de plateformes sur Internet, dont Disney+ en cours, c’est le seul segment qui perd de l’argent, les autres activités (« Media Networks », « Parks, Experiences and Products » et « Studio Entertainment ») étant chacune très rentables. C’est là que réside le plus gros défi que doit relever le nouveau Bob de Disney : rendre rentable le virage Over-the-Top (OTT) de la compagnie pour qu’elle ne vacille pas à terme. @

Charles de Laubier

La neutralité du Net, victime collatérale du virus

En fait. Le 19 mars, le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, a appelé les plateformes vidéo, de streaming et de jeux en ligne à « limiter la consommation de leurs services », et les internautes à « privilégier les téléchargements anticipés des vidéos (…) pendant les heures creuses (notamment après 23h) », tout en évitant la 4K.