Chronologie des médias : en attendant la réforme, l’accord « pro-Canal+ » rebat les cartes

Même si Canal+ a conclu un accord triennal, daté du 2 décembre 2021, avec les organisations professionnelles du cinéma français (200 millions d’euros par an, fenêtre s’ouvrant dès 6 mois), cela ne règle en rien la réforme toujours en cours de la chronologie des médias – bien au contraire.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

Plateforme vidéo : discret, Sony fourbit ses armes

En fait. Le 2 décembre dernier, l’analyste Simon Murray chez Digital TV Research a répondu à Edition Multimédi@ sur la raison de l’absence du groupe japonais Sony dans la course mondiale aux plateformes de SVOD, alors que les autres détenteurs de studios de cinéma ont lancé la leur (Disney+, Paramount+, Peacock, …).

En clair. « Ils [ni Sony Pictures Entertainment, ni Sony Pictures Television, ni Sony Interactive Entertainment, ndlr] n’ont rien déclaré publiquement, mais je pense qu’ils ont pris la décision qu’ils pourraient faire plus d’argent en restant agnostiques en termes de plateformes, plutôt que de lancer leur propre plateforme à partir de zéro (from scratch) », nous répond Simon Murray (photo), l’analyste et fondateur de Digital TV Research. Sony, maison mère d’une des grandes majors mondiales du cinéma avec Sony Pictures (studios Columbia Pictures), est le seul géant d’Hollywood à ne pas avoir sa propre plateforme de SVOD pour répliquer à Netflix, Amazon Prime Video ou encore à Apple TV+.

Droits de diffusion du sport : le public paie le prix fort pour voir les retransmissions

Le rapport parlementaire sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives sera présenté le 15 décembre. Il devrait proposer des évolutions pour favoriser la retransmission des matches et compétitions auprès d’un plus large public, voire gratuitement.

Six mois après la constitution de la mission d’information sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives et trois mois après le psychodrame « Mediapro » autour de la diffusion des rencontres de la Ligue 1 de football, la mission d’information sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives est dans sa dernière ligne droite. Le député Cédric Roussel (photo) présentera son rapport le 15 décembre. Ses conclusions sont très attendues sur la question de l’accès gratuit ou payant du public aux retransmissions des matches et des rencontres sportives.

France et USA : lettres contre Netflix et Amazon

En fait. Du 10 au 12 décembre, le « Prime Video Club » d’Amazon ouvre à Paris un « vidéo club éphémère Prime Video » pour y projeter des films et des séries. Et ce, en réponse à Netflix qui en projettera lui aussi, à Paris et à Lyon, du 7 au 14 décembre. Amazon prépare son entrée dans le cinéma avec le rachat de MGM.

En clair. Les deux géants de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), que sont Netflix et Amazon, viennent en France faire un pied-de-nez à la chronologie des médias (laquelle régit la sortie des nouveaux films, d’abord dans les salles de cinéma) et à l’exception culturelle à la française. La firme au logo « N » rouge organise du 7 au 14 décembre son festival « Netflix Film Club » dans deux lieux de cinéma différents : à la Cinémathèque française à Paris (1) et à l’Institut Lumière à Lyon (2). L’Association française des cinémas art et essai (AFCAE) n’a pas manqué de s’insurger – dans une lettre ouverte datée du 4 novembre adressée aussi à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot et au président du CNC Dominique Boutonnat – contre ce tapis rouge déroulé sous les pieds du numéro un mondial de la SVOD : « Une programmation promotionnelle indécente [à] décliner », fustige l’AFCAE (3).
De son côté, Amazon ouvre un « vidéo club éphémère Prime Video » sans précédent, en plein coeur de Paris, au 30 place de la Madeleine (dans le très chic VIIe arrondissement), du 10 au 12 décembre. Le numéro un mondial du e-commerce y projettera des films et séries dans le cadre de son Prime Video Club (4). « Réservez un salon privé et invitez jusqu’à 5 amis pour venir découvrir ou re-découvrir vos films et séries préférés. (…) Réservez une ou deux places pour assister à une projection en avant-première de la sélection Prime Video Club », propose Amazon. Si, contrairement à Netflix, la firme de Jeff Bezos n’a pas reçu les foudres des gardiens de la chronologie des médias et de l’exception culturelle, elle a en revanche été la cible, mais aux Etats-Unis, de quatre syndicats représentant plus de 4 millions d’employés : SEIU (Service Employees International Union), IBT (International Brotherhood of Teamsters), CWA (Communications Workers of America) et UFW (United Farmworkers of America). Ensemble, réunis au sein de la coalition SOC (Strategic Organizing Center), ils ont adressé le 22 novembre une seconde lettre ouverte à Holly Vedova, devenue en septembre directrice du bureau de la concurrence à la Federal Trade Commission (FTC) pour qu’elle s’oppose au rachat des studios hollywoodiens Metro-Goldwyn-Mayer (MGN) par Amazon (5). Une première lettre ouverte de 12 pages (6) lui avait déjà été envoyée le 11 août alors qu’Holly Vedova – plus de 31 ans à la FTC – n’était pas encore officialisée à son poste. @

La chronologie des médias et le fonds de soutien

En fait. Le 5 novembre, le CNC a adopté la mise en place d’un fonds « temporaire » pour « soutenir la production d’œuvres audiovisuelles destinées » aux plateformes de VOD/SVOD. Avant, le 3 novembre, Roselyne Bachelot a rappelé la date butoir du 10 février 2022 pour la chronologie des médias.

En clair. Le 7e Art français au sens large – le cinéma et l’audiovisuel – doivent maintenant donner plus de place aux plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) que sont Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+. Alors que les discussions et les points de blocage se poursuivent laborieusement autour de la prochaine chronologie des médias, afin de mieux prendre en compte les plateformes de SVOD dans les fenêtres de diffusion des films et dans l’écosystème du financement des films et séries, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a rappelé qu’il restait moins de trois mois pour trouver un accord : « La discussion doit désormais s’acheminer vers son terme (…). L’arrêté qui “étend” la chronologie des médias actuelle aux non-signataires de celle-ci, au premier chef les plateformes, expire le 10 février 2022. Nous ne pouvons venir buter sur cette échéance. Il nous faut impérativement disposer, avant cette date, d’une chronologie modernisée », a-t-il prévenu en clôture des rencontres cinématographiques de l’ARP, le 3 novembre dernier. Cet arrêté signé par Franck Riester (le prédécesseur rue de Valois) a été publié au J.O. le 10 février 2019 et prévoit que l’actuelle chronologie des médias – signée par les professionnels du secteur en septembre et décembre 2018 – est valable « pour une durée de trois ans » (1). Et cette échéance arrive à grand pas, alors les négociations patinent autour de la dernière proposition en date du CNC, celle du 19 juillet dernier (2). Celle-ci prévoit que les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ pourraient diffuser de nouveaux films 15 mois après leur sortie en salle de cinéma en France (au lieu de 36 mois actuellement), et même à 12 mois – sous réserve de payer la taxe « TSV » au CNC (3) – voire jusqu’à 6 mois s’ils contribuent au prix fort du décret SMAd (entré en vigueur le 1er juillet) et en cas d’accord avec le cinéma français. La chaîne cryptée Canal+ y est opposé. Sans attendre l’issue du bras de fer autour de la chronologie du cinéma, le CNC a pris les devants pour intégrer les plateformes de SVOD étrangères – soumises aux obligations « SMAd » de financement de films et séries – dans le soutien à la production audiovisuelle. Et ce, en décidant le 5 novembre d’ouvrir jusqu’au 30 avril 2022 un « fonds sélectif plateforme » dit FSP (4). Les œuvres éligibles seront retenues le 5 décembre par le CNC. @