Epic Games (« Fortnite ») est à la croisée des chemins, entre univers 3D, Blockchain Gaming et… procès

A la Game Developers Conference (GDC), Epic Games – fondé par Tim Sweeney – a présenté les nouveautés de son écosystème et d’Unreal Engine, son moteur de création 3D. L’éditeur du célèbre jeu de tir « Fortnite », aux 236 millions d’utilisateurs, doit aussi payer à la FTC et aux joueurs 520 millions de dollars.

Du 22 au 24 mars à San Francisco, lors de la Game Developers Conference (GDC), Epic Games – l’éditeur de jeu-phénomène « Fortnite » et du moteur de création de jeux et de mondes virtuels Unreal Engine – a encore une fois mobilisé sa communauté de développeurs et de gamers avec des nouveautés et de nouvelles versions (la « 5.2 » d’Unreal Engine et la « Mega » de Fortnite notamment). Il y en a pour tous les goûts : construire des mondes photoréalistes avec Unreal Engine 5.2 ; créer son premier jeu dans Fortnite avec Unreal Editor for Fortnite (UEFN) ; utiliser MetaHuman pour créer des personnages humains très réalistes de toutes les façons imaginables ; concevoir de nouveaux personnages physiques dans UE5 et pouvoir « caresser le chien », … L’écosystème d’Epic en a vu de toutes les couleurs à la GDC (1). Les conférences et sessions étaient aussi retransmises en live sur Twitch (Amazon) et YouTube (Google). « Il y a maintenant sur ordinateur plus de 230 millions d’utilisateurs d’Epic Games Store [la boutique de distribution de jeux, ndlr], soit 36 millions de plus qu’en 2021, ce qui fait un total de 723 comptes multiplateformes Epic », a indiqué le 9 mars dernier la société de Caroline du Nord fondée il y a plus de trente ans et toujours dirigée et contrôlée (à 51 %) par Timothy Sweeney (photo), dénommé Tim.

820 millions de $ dépensés dans « Epic » en 2022
« Les éditeurs et les développeurs ont apporté 626 nouveaux titres de PC dans Epic Games Store en 2022 [dont 99 gratuits, ndlr], ce qui porte notre total à 1.548 jeux. C’est plus que n’importe quelle année précédente. Les joueurs ont dépensé 355 millions de dollars sur des applications tierces [jeux non édités par Epic, ndlr], en hausse de 18 % sur un an. En incluant nos propres jeux, les joueurs ont dépensé 820 millions de dollars en 2022, en baisse de 2 % par rapport à 2021 », s’est aussi félicité Epic Games. L’éditeur de Cary (où il a son siège social) prélève seulement 12 % sur les revenus des titres, aux lieux des 30 % pratiqués en général par Apple, Google ou Steam de Valve. Le vaisseau-amiral maison est Fortnite, le célèbre jeu de tir en 3D dit « à la troisième personne » (2), le personnage du joueur étant visible à l’écran durant la partie. Fortnite est le numéro un mondial des jeux en ligne sur ordinateur et compte plus de 236 millions d’utilisateurs actifs sur le dernier mois, d’après Active Player (3), et près de 40 millions d’heures en streaming sur Twitch.

Retour de Fortnite sur iOS en 2023
Dans le « Top 15 » mondial de 2022 (4), Fortnite arrive devant « Minecraft » de l’éditeur suédois Mojang Studios, que Microsoft a racheté en 2014, « Roblox » de Roblox Corporation, « League of Legends » de Riot Games (5), ou encore « Counter-Strike » de Valve. « Call of Duty » d’Activision Blizzard (en cours de rachat par Microsoft) n’est, lui, qu’à la 12e place. En une heure de temps, ce sont plus de 1,1 million de joueurs qui se retrouvent sur Fortnite. Et ce, en cumulant la fréquentation des trois modes développés chacun sur le même type de jeu (gameplay) et le même moteur de jeu (Unreal Engine) : « Fortnite: Save the World » (jeu pay-to-play coopératif depuis juillet 2017), « Fortnite Battle Royale » (jeu free-toplay de joueur contre joueur depuis septembre 2017) et « Fortnite Creative » (jeu free-to-play de bac-à-sable depuis décembre 2018).
Les trois modes sont monétisés avec la monnaie virtuelle du jeu, « V-Buck », que les gamers peuvent acheter avec de l’argent du monde réel ou bien gagner en remportant des missions. Ces « V-Bucks » peuvent être dépensés pour acheter des boîtes de butin (loot boxes) dans « Save the World » ou des articles cosmétiques dans « Battle Royale ». Quant au meta-game « Creative », où les joueurs construisent des structures sur des îles privées, il est un rival sérieux de Minecraft. La sortie de la version « Creative 2.0 », développée avec UEFN, est enfin disponible depuis le 22 mars (au lieu de fin 2022). Les fameuses loot boxes, sorte de pochettes surprises numériques ou piñatas digitales en forme de lamas, ou « loot llamas », ont valu à Epic Games d’être condamnés aux Etats-Unis par la Federal Trade Commission (FTC) à payer un total de plus d’un demimilliard de dollars : 520 millions de dollars précisément. L’injonction à rembourser les joueurs lésés pour un total de 245 millions de dollars a été définitivement adoptée le 13 mars dernier (6).
La FTC a ainsi condamné Epic Games pour ses pratiques « obscure » dans Fortnite incitant les utilisateurs à effectuer dans le jeu des achats (in-app purchases) non désirés, et notamment les enfants à dépenser des V-Bucks pour ces loot llamas, mais aussi des cosmétiques ou des missions, sans l’autorisation de leurs parents. Auparavant, dans une ordonnance distincte datée du 19 décembre 2022 (7), Epic Games avait déjà accepté de payer une amende de 275 millions de dollars pour avoir enfreint la loi américaine « Coppa » sur la protection de la vie privée en ligne des enfants (Children’s Online Privacy Protection Act). « Epic a utilisé des paramètres par défaut envahissants et des interfaces trompeuses qui ont dupé les utilisateurs de Fortnite, y compris les adolescents et les enfants », a fustigé la présidente de la FTC, Lina Khan, très redoutée des plateformes numériques (8). La société de Tim Sweeney, dont le chinois Tencent est le second actionnaire (à 40 %), doit non seulement supprimer toutes les informations personnelles précédemment recueillies auprès des utilisateurs de Fortnite, mais aussi obtenir désormais le consentement des parents des utilisateurs de moins de 13 ans ou des adolescents utilisateurs (ou de leurs parents) avant de recueillir des données personnelles. Un consentement préalable sera aussi exigé pour permettre les communications vocales et textuelles.
La monnaie virtuelle « V-Buck » est aussi au cœur des deux différends d’Epic Games avec Apple, d’une part, et Google, d’autre part, lesquels prélèvent jusqu’à 30 % de commission – hors-de-prix selon l’éditeur de Fortnite – sur les transactions effectuées dans les jeux téléchargés sur leur App Store. En raison du refus d’Apple et de Google de mettre fin à leur « comportement anticoncurrentiel et illégal », Epic a donné le choix à ses utilisateurs de payer directement avec des V-Bucks et de partager l’économie réalisée avec les joueurs.
En représailles, Apple et Google ont supprimé Fortnite le 13 août 2020 sur respectivement App Store (iOS) et Play Store (Android) – lesquels forment un quasi-duopole (9). L’éditeur de Fortnite est depuis en procès contre les deux géants du Net pour abus de position dominante sur le marché des applications mobiles, ainsi qu’au RoyaumeUni depuis 2021. Mais grâce au Xbox Cloud de Microsoft, Fortnite peut être joué toujours gratuitement sur iPhone/iPad et terminaux Android depuis le 5 mai 2022 : « Aucun abonnement requis, aucune taxe Apple de 30 % », avant lancé Tim Sweeney (10). Il avait rallié à sa cause Spotify, MatchGroup (Tinder) ou encore Deezer au sein de la Coalition for App Fairness (11). Alors que les verdicts en appel sont attendus cette année, le PDG fondateur s’attend – en 2023 – à un retour de Fortnite sur iOS (12).

Blockchain Gaming et métavers
Le studio de Caroline du Nord va aussi se renforcer en 2023 dans le Blockchain Gaming (ou GameFi) en ajoutant dans son Epic Games Store une vingtaine de jeux basés sur la blockchain, au nombre de cinq actuellement (13) et pouvant utiliser des NFT. Un métavers est en outre en préparation avec deux autres de ses actionnaires : Sony (4,9 %) et Kirkbi (3 %), maison mère du danois Lego (14). En revanche, Tim Sweeney a fait part à The Verge de son scepticisme sur une éventuelle version VR (réalité virtuelle) pour Fortnite (15). @

Charles de Laubier

Des opérateurs télécoms alternatifs défendent la neutralité de l’Internet, le Berec à Bruxelles aussi

L’Association des opérateurs télécoms alternatifs (Aota) est montée au créneau le 17 novembre pour défendre la neutralité de l’Internet qu’elle estime menacée par le projet d’un « Internet à péage ». Le Groupement européen des régulateurs des télécoms (Berec) étaye sa position.

Ce sont une quarantaine d’opérateurs télécoms dits alternatifs et présents au niveau local et régional, tels que Eurafibre, Add-on Multimédia, Adenis, Dauphin Telecom, Netalis, Lumos, Blue Infra, ou encore Ineonet pour ne citer qu’eux parmi une quarantaine de membres regroupés au sein de l’Association des opérateurs télécoms alternatifs (Aota), qui ont défendu la neutralité du Net. Son président, Bruno Veluet (photo de gauche), lui-même fondateur de Netwo (une plateforme permettant de créer et de gérer un opérateur télécoms), est monté au créneau – dans une tribune dans Le Monde (1) – pour « dénonce[r] cette volonté de mettre des barrières à l’entrée, pour accéder au réseau ».

Non au « péage numérique européen »
Les opérateurs de réseaux, la plupart historiques, veulent en effet faire payer aux plateformes numériques – dont les GAFAM/N (2) – un droit de passage sur leurs infrastructures télécoms. Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, Telecom Italia/Tim ou encore British Telecom/BT font depuis plusieurs mois du lobbying intense à Bruxelles, notamment auprès du commissaire européen Thierry Breton tout acquis à leur cause (3), pour que soit mis en place « un péage numérique européen » (dixit l’Aota) qui revient à « taxer les grands fournisseurs de contenus pour la transmission de leurs données sur les réseaux de télécommunication ».
Les grands opérateurs favorables à une telle mesure de « compensation directe » ou fair share, tous membres de l’association de lobbying Etno (4) basée à Bruxelles, ont l’oreille de Thierry Breton, lequel fut dans une ancienne vie président de France Télécom devenu Orange (octobre 2002-février 2005). Des eurodéputés (5) ont même pris fait et cause pour les opérateurs de réseaux. Le commissaire européen en charge du Marché intérieur prévoyait même de faire une proposition législative dans ce sens d’ici la fin 2022. Mais la Commission européenne a changé son fusil d’épaule et a prévu de lancer une consultation publique d’ici la fin du premier trimestre 2023 et pour une durée de cinq ou six mois, sur le thème plus vaste de « la régulation des réseaux » à l’ère des métavers et du streaming. Si une telle taxe venait à voir le jour, ce serait, prévient Bruno Veluet, « un coup porté à la libre concurrence, car les nouveaux entrants seront freinés, voire bloqués, alors que dans le numérique, c’est de là que vient l’innovation et l’animation concurrentielle du marché ». Ce serait aussi et surtout un coup portée à la neutralité de l’Internet, qui est le principe de non-discrimination dans l’accès au réseau et le transport des données. Ce qu’avait tant bien que mal préservé jusqu’à maintenant le règlement européen « Open Internet » du 25 novembre 2015. « Si cette législation est mise en place, elle provoquerait un Internet “à plusieurs vitesses”, menaçant la neutralité du Net, et donc potentiellement les libertés publiques, et déstabiliserait l’ensemble des équilibres économiques du secteur. (…) Il ne peut pas y avoir un Internet pour ceux qui paient (qui fonctionne bien) et un Internet de seconde zone, qui fonctionne comme il peut, pour les autres », s’inquiète le président de l’Aota. Les opérateurs alternatifs auraient, selon elle, les inconvénients du dispositif sans les avantages, « car ils ne sont pas en capacité économique de négocier l’accès à leurs réseaux face aux fournisseurs de contenus, et se verront imposer une quasi-gratuité ». Pour appuyer ses craintes, l’Aota fait référence à l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Berec) – dont fait partie l’Arcep en France – qui a émis des réserves sur « cette hypothèses sous-jacentes concernant la nécessité de réglementer la rémunération des grands fournisseurs de contenu et d’applications [GAFA] pour les services Internet fournisseurs de services Internet [FAI] ». Le Berec ne voit « ni fondement économique ni bénéfices tangibles à cette proposition et considère même que cette taxe pourrait entraîner un déséquilibre du marché ».

Les quinze considérations du Berec
En effet, dans sa note d’une quinzaine de pages datée du 7 octobre 2022, le Groupement européen des régulateurs des télécoms – placé sous la houlette de la Commission européenne et présidé cette année par la Néerlandaise Annemarie Sipkes (photo de droite) – conclut qu’il « n’a pas de preuve que ce mécanisme [de “compensation directe” susceptible d’être payée par les plateformes aux opérateurs, ndlr] est justifié ». Et que « la proposition des membres de l’Etno pourrait présenter divers risques pour l’écosystème Internet » (6).
Pour étayer sa démonstration, le Berec avant une quinzaine de motifs :
Internet a prouvé sa capacité à s’adapter aux conditions changeantes, notamment : l’augmentation du volume de trafic et l’évolution de la demande.
Toute mesure intervenant sur le marché doit être dûment justifiée.
Le modèle selon lequel « le diffuseur paie le réseau » – ou en anglais Sending party network pays (SPNP) – permettrait aux FAI d’exploiter le monopole de terminaison et il est concevable qu’un tel changement pourrait nuire considérablement à l’écosystème Internet.
Par conséquent, le SPNP exigerait une surveillance réglementaire et pourrait exiger une intervention.

L’Etno et le mythe du free-riding
Le trafic est demandé et donc « causé » par les clients des FAI.
Les grande plateformes et fournisseurs de contenus [GAFA, ndlr] sont également en mesure d’optimiser l’efficacité des données du contenu et des applications qu’ils fournissent.
Les coûts des réseaux d’accès fixe sont très peu sensibles au trafic, tandis que les réseaux mobiles le sont.
Les désaccords sur l’interconnexion IP concernent généralement l’accroissement de la capacité de la liaison d’interconnexion IP.
Le coût des mises à niveau du réseau qui sont nécessaires pour gérer un volume de trafic IP accru est très faible par rapport aux coûts totaux du réseau.
Les GAFA et les FAI dépendent les uns des autres.
La demande de contenu de la part des clients des FAI stimule la demande d’accès haut débit.
La disponibilité de l’accès haut débit stimule la demande de contenu.
Il n’y a aucune preuve de free-riding [à savoir que les infrastructures réseaux seraient considérées comme gratuites par les GAFA, ndlr].
Les coûts de la connectivité Internet sont généralement couverts et payés par les clients des FAI.
Une analyse plus large pourrait être effectuée sur d’autres approches liées à débat. Le Berec s’attaque notamment au mythe du freeriding, selon lequel les GAFAM/N utiliseraient les infrastructures télécoms sans compensation – totale ou partielle – pour les FAI et, par conséquent, que les coûts encourus par ces derniers ne seraient pas couverts. « Ces allégations ne sont pas nouvelles », rappelle le Berec dans ses conclusions préliminaires. Il y a dix ans déjà, en 2012 lors du Congrès mondial des technologies de l’information (WCIT 2012) organisé par l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Etno avait déjà plaidé pour « un mécanisme de tarification d’interconnexion particulier » déjà appelé à l’époque SPNP (Sending party network pays) et d’y faire référence dans le règlement sur les télécommunications internationales (ITR) de l’UIT. L’Etno a expliqué que son amendement n’avait d’autres buts que de s’assurer que les accords commerciaux existants de type paid peering (interconnexion IP payante) ne soient jamais interdits par des lois dans les Etats membres de l’UIT, organe des Nations Unies.
Dans sa réponse datée du 14 novembre 2012 (il y a dix ans maintenant), le Berec en a conclu : « Les deux faces du marché – les [GAFA] d’une part et les utilisateurs de ces applications d’autre part – contribuent déjà au paiement de la connectivité Internet. Rien ne prouve que les coûts de réseau des opérateurs ne sont pas déjà entièrement couverts et payés dans la chaîne de valeur Internet (des [GAFA] d’un côté, aux utilisateurs finaux de l’autre) » (7). Dans ses conclusions préliminaires du 7 octobre 2022, cette fois, le Berec est on ne peut plus clair : « Cela demeure vrai en 2022 comme en 2012 », surtout que, rappelle le groupement des « Arcep » européennes, il n’y a pas de place pour le free-riding dans les conditions actuelles de la concurrence sur le marché de l’interconnexion où les différends sont en général résolus par les acteurs eux-mêmes. Une étude de l’institut allemand Wik, publiée en février 2022, démontre d’ailleurs que les marchés du transit et du peering constituent « un écosystème d’interconnexion IP [qui] est en grande partie concurrentiel », avec des acteurs aussi variés que les opérateurs de réseaux, les FAI, les réseaux de distribution de contenu (CDN) ou encore les réseaux publics d’Internet (8).

Peering et bill & keep : tous se tiennent
A cela s’ajoute le fait que le principe historique du bill & keep permet aux opérateurs télécoms de ne pas se facturer entre eux. Bref, tout le monde se tient. L’investissement des FAI dans l’infrastructure réseau contribue à l’écosystème Internet et l’investissement des GAFA dans le contenu lui-même – et dans les plateformes numérique où ces contenus sont mis à disposition et/ou partagés – contribuent à cet écosystème global. Faire payer un droit de passage sur Internet, à la manière des octrois du Moyen-Age, présente donc un risque pour l’Internet et sa neutralité. @

Charles de Laubier

PLF 2023 : rejet de trois amendements taxant à 1,5 % le streaming musical pour financer le CNM

L’UPFI la prône ; le Snep n’en veut pas ; des députés ont tenté de l’introduire avec trois amendements dans le projet de loi de finances 2023 : la taxe de 1,5 % sur le streaming musical en faveur du Centre national de la musique (CNM) a été rejetée le 6 octobre à l’Assemblée nationale.

Une taxe sur le streaming musical de 1,5% sur la valeur ajoutée générée par les plateformes de musique en ligne. Telle était la proposition faite par des députés situés au centre et à gauche de l’échiquier politique, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Mais avant même l’ouverture des débats en séance publique le 10 octobre à l’Assemblée nationale (et jusqu’au 4 novembre), la commission des finances réunie le 6 octobre, a rejeté les trois amendements – un du centre et deux de gauche, déposés respectivement les 29 et 30 septembre.

Budget 2023 du CNM : plus de 50 M€
La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (« RAM »), n’a-t-elle pas assuré que le budget du Centre national de la musique (CNM) pour en 2023 est « suffisamment solide » ? Le CNM sera doté l’année prochaine de plus de 50 millions d’euros, grâce à la taxe sur les spectacles de variétés qui, d’après le projet de loi de finances 2023 déposé fin septembre (1), rapportera l’an prochain 25,7 millions d’euros (contre 35 millions en 2019, soit avant la pandémie). S’y ajouteront un financement garanti par l’Etat à hauteur de 26 millions d’euros et une contribution des sociétés de gestion collective (2) de quelque 1,5 million d’euros. Pour autant, la question de son financement se posera pour 2024 et les années suivantes.
Or la pérennité du budget de cet établissement public à caractère industriel et commercial – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’est pas assuré. D’où le débat qui divise la filière musicale sur le financement dans la durée du CNM, aux missions multiples depuis sa création le 1er janvier 2020 (3) – et présidé depuis par Jean-Philippe Thiellay (photo). A défaut d’avoir obtenu gain de cause avec ses trois amendements, l’opposition compte maintenant sur le sénateur Julien Bargeton (majorité relative présidentielle) qui va être missionné par la Première ministre Elisabeth Borne et RAM pour trouver d’ici le printemps 2023 un financement pérenne au CNM. L’une des vocations de ce CNM est de soutenir la filière dans sa diversité, un peu comme le fait le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour la production cinématographique, audiovisuelle ou multimédia. Mais avec un budget plus de dix fois moins élevé que ce dernier, le CNM dispose d’une très faible marge de manœuvre. Une partie des professionnels du secteur demandent donc depuis plus de deux et demi qu’existe le CNM de mettre les plateformes de streaming de type Spotify, Deezer, Apple Music ou encore YouTube à contribution (4). « Il est institué une taxe sur les locations en France, y compris dans les départements d’Outre-Mer, de phonogrammes et de vidéomusiques destinés à l’usage privé du public dans le cadre d’une mise à disposition à la demande sur les réseaux en ligne », prévoyaient à l’unisson les trois amendements finalement écartés. Et ce, qu’il s’agisse d’« un service offrant l’accès à titre onéreux [comme Spotify] ou gratuit [comme YouTube] ».
Les députés signataires – de Charles de Courson (centre droit) (5) à Sandrine Rousseau (écologiste) (6), en passant par Karine Lebon (Nupes) (7) – s’étaient concertés pour que la taxe sur le streaming musical soit assise sur trois sources de prélèvement : sur le prix hors taxe payé par le public, sur les recettes publicitaires, et sur les revenus générés par des services proposant des contenus crées par des utilisateurs. Tous s’accordent pour établir le taux de cette taxe à 1,5 % du total. « Il s’agit donc de permettre au CNM de fonctionner “sur ses deux jambes”, en trouvant un équilibre entre financement privé et finan-cement public, mais également entre les deux volets de la filière musicale : spectacle et musique enregistrée », justifiaient les députés centristes Charles de Courson et Michel Castellani. A gauche (Nupes en tête), les signataires indiquent s’appuyer sur les travaux de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI). « Le rendement de cette taxe est estimé à 21 millions d’euros », précisentils. L’UPFI est à la SPPF (société de gestion collective des producteurs indépendants de musique) ce que le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) est à la SCPP (société de gestion collective notamment des majors Universal Music, Sony Music et Warner Music).

UPFI/SPPF versus Snep/SCPP
Si l’UPFI/SPPF milite pour cette taxe de 1,5 % avec cinq autres organisations professionnelles (8), le Snep/SCPP, lui, est vent debout contre ce « nouvel impôt sur le streaming » et estime les « estimations erronées » faites à partir de « son assiette supposée de 1,4 milliard d’euros » (9). Le duo des majors défend plutôt « une contribution des services vidéo gratuits [YouTube, Facebook, …] dont les acteurs ne rémunèrent pas aujourd’hui la musique à sa juste valeur ». @

Charles de Laubier

Sacem: des NFT via Polygon et Musicstart via Tezos

En fait. Le 14 octobre, s’est achevée le 13e MaMA Festival & Convention qui s’est tenu durant trois jours à Paris. La Sacem y était présente, notamment pour y présenter son tout premier « drop » – dans le jargon du Web3, un lancement sur le marché de jetons non-fongibles, ou NFT. On peut en obtenir jusqu’au 24 octobre.

En clair. Sacem Lab se veut le fer de lance de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) dans le Web3 dans toutes ses dimensions (blockchain, NFT, métavers, …). En prévision de la remise le 13 décembre prochain de ses Grands Prix 2022 à la Maison de la radio et de la musique, la société de gestion de collective des droits d’auteurs a, le 12 octobre, mis « en vente sa première collection gratuite de NFT » auprès du public dans le monde entier pour qu’il tente de remporter « des lots exceptionnels ». Plus de 2.800 NFT ont ainsi été obtenus en 24 heures. L’obtention de son NFT est possible jusqu’au 24 octobre (1).
Pour cette première, la veille institution (171 ans) s’appuie sur la blockchain Polygon et a ouvert son serveur de messagerie sur Discord. Le jeu-concours-loterie se poursuivra à partir du 25 novembre, date à laquelle le détenteur d’un NFT pourra se connecter jusqu’au 12 décembre à son portefeuille électronique – soit via son propre wallet, soit via son custodial géré par l’application Paper (2). Le NFT changera alors d’apparence : or, silver, bronze ou classique, selon « les cadeaux qui lui sont associés » (3). Chaque NFT ainsi offert appartient à son détenteur (dans la limite de la licence accordée) et peut être revendu –10 % de royalties étant alors prélevés sur le montant de la revente – sur les places de marché comme OpenSea. « La technologie des NFT est aujourd’hui utilisée dans le milieu de la musique pour vendre des certificats liés à des œuvres d’art numériques, des titres, des albums, des artworks ou encore des places de concert », explique la Sacem. Cette opération dans le Web3 permet à la société de gestion collective de dompter « un nouveau monde, qui ressemble encore à un Far West » : dixit Cécile Rap-Veber (« CRV »), directrice généralegérante de la Sacem, dans le « Mag » aux sociétaires paru en juin. La cellule innovation Sacem Lab, elle, a été fondée début 2022 par son actuelle directrice, Adeline Beving (après dix ans passés à Radio France). L’incubateur belge Wallifornia MusicTech l’a aidée au printemps à « imaginer l’avenir de la Sacem dans le métavers ». Par ailleurs, Urights, filiale présidée par CRV (4), a lancé en juillet la version bêta de Musicstart (hébergé par Amazon) qui permet à tout artiste (5) de « déposer » une œuvre (texte de chanson, partition, master, …) en obtenant la preuve de son antériorité via la blockchain Tezos. @

Europe : iMessage d’Apple enfreint le règlement DMA

En fait. Le 7 septembre, à la conférence Code 2022 de Vox Media, le PDG d’Apple Tim Cook a fait part de son désintérêt pour le nouveau protocole RCS (Rich Communication Services) censé remplacer à terme SMS et MMS. La messagerie iMessage des iPhone de la marque à la pomme n’est pas « DMA-compatible ».

En clair. La messagerie iMessage d’Apple enfreint le règlement européen sur les marchés numériques, le fameux DMA (Digital Markets Act), en étant non-interopérable avec le protocole de messagerie RCS déjà utilisé par plus de 420 millions de mobinautes dans le monde (1). Dans son article 7, le DMA oblige tout « contrôleur d’accès » [gatekeeper], comme Apple, de « rend[re] interopérables au moins les fonctionnalités de (…) messagerie textuelle, (…) partage d’images, de messages vocaux, de vidéos et d’autres fichiers joints ».
Cross-plateforme, RCS – Rich Communication Services – est justement plébiscité comme messagerie instantanée et réseau social multimédia (texte, photo, vidéo, audio, …) fonctionnant sous IP sur les mobiles. Promu par les opérateurs mobiles au sein de la GSMA et par Google, ce standard remplacera à termes les SMS/MMS. Tim Cook, PDG de la marque à la pomme, est censé se mettre en conformité avec le DMA qui a été adopté le 18 juillet dernier (2) et qui sera applicable par les Vingt-sept « six mois après son entrée en vigueur [laquelle est prévue le vingtième jour suivant la publication au Journal Officiel de l’UE, ndlr] » – à savoir d’ici fin 2022 ou début 2023. Apple sera alors obligé de « publier (…) les détails techniques et les conditions générales d’interopérabilité avec [iMessage, ndlr] ». La Commission européenne, elle, pourra consulter les « Arcep » de l’UE au sein du Berec (3) afin de déterminer si « l’offre de référence » d’Apple lui permet de « se conformer avec cette obligation ».
Si l’iMessage des iPhone devait rester incompatible avec la plupart des smartphones en Europe – dont ceux de Samsung, Xiaomi, Huawei, Sony ou encore LG Electronics, tous fonctionnant sous Android –, Apple prendrait le risque d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires mondial. Google, lui, est très remonté contre Apple (4). Tim Cook fait la sourde-oreille : « Je n’entends pas nos utilisateurs demander que nous mettions beaucoup d’énergie pour l’instant là-dessus », a-t-il répondu le 7 septembre. « J’adorerais vous convertir à un iPhone », s’est contenté de répliquer le PDG d’Apple pour enterrer toute perspective d’interopérabilité avec RCS. Tim Cook a même lancé un « Achetez un iPhone à votre mère ! » à son interlocuteur qui racontait que celle-ci se plaignait de cette incompatibilité entre iMessage et RCS. @