La lourde responsabilité de la « Cnil » irlandaise

En fait. Le 23 avril, la présidente de la Cnil a annoncé sur Franceinfo qu’elle va « saisir de façon officielle la “Cnil” irlandaise [la DPC] sur les conditions de collecte et d’exploitation des données sur cette application TikTok Lite ». Ou comment son homologue de Dublin est devenue centrale en Europe.

L’ambition de Perplexity de vouloir détrôner le moteur de recherche Google laisse… perplexe

La start-up Perplexity AI, cofondée en août 2022 et dirigée par Aravind Srinivas, a lancé un moteur conversationnel intelligent présenté comme « une alternative aux moteurs de recherche traditionnels » – autrement dit à Google qui domine largement le marché mondial.

Selon nos informations auprès de Statcounter, Google domine toujours de manière écrasante le marché mondial des moteurs de recherche avec – sur le mois de mars 2024 – 91,38 % de part de marché (1) avec près de 80 milliards de visites ce mois-là selon Similarweb, suivi de très très loin par Bing (Microsoft) qui peine à faire mieux que 3,35 % avec près de 1,3 milliard de visite sur le mois, ou encore par Yahoo avec seulement 1,1 % mais sans que l’on sache précisément le nombre de visite correspondant à son moteur par rapport à son portail média. Autant dire que la filiale d’Alphabet est en situation de quasi-monopole.

« Chat-search », à la fois moteur et robot
C’est à cette position dominante dans le search que de nouveaux entrants rêvent de s’attaquer en tentant de profiter de l’effet de levier technologique de l’intelligence artificielle en général et de l’IA générative en particulier. L’Indo-américain Aravind Srinivas (photo de gauche) et le Biélorusse Denis Yarats (photo de droite) travaillant aux Etats-Unis, tous les deux cofondateurs en août 2022 de la start-up californienne Perplexity AI, ont entrepris de faire entrer la recherche en ligne dans la nouvelle ère de ce qu’ils appellent l’« AI-native search ». Leur moteur conversationnel, qui a dépassé en mars 2024 les 56 millions de visites, est présenté comme un « couteau suisse » de la recherche en ligne.

Projet de loi SREN : procédure accélérée… ralentie

En fait. Le 10 avril, l’Assemblée nationale discutera en séance publique du texte élaboré le 26 mars par la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi visant à « sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN). Et ce, après que le Sénat a amendé le 2 avril dernier ce texte de la CMP.

Quel rapport entre le e-commerçant Zalando et trois sites pornos ? Le Digital Services Act !

Les plateformes de e-commerce Zalando et pornographiques Pornhub et Stripchat – mais pas XVideos – ont en commun de contester devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) leur inscription dans la liste des « très grandes plateformes en ligne » dans les Vingt-sept régies par le DSA.

Le e-commerçant allemand Zalando avait été désigné le 25 avril 2023 par la Commision européenne – dans le cadre du Digital Services Act (DSA) – comme « très grande plateformes » ou VLOP (1) dans le jargon bruxellois, aux côtés de Alibaba/AliExpress, Amazon Store, Apple/AppStore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia et YouTube, ainsi que des « très grands moteurs de recherche en ligne » ou VLOSE (2), Bing et Google Search (3). A ce « Big 19 » sont venus s’ajouter le 28 décembre 2023 trois autres VLOP, les plateformes pornographiques Pornhub, Stripchat et XVideos (4).

La Commission européenne devant la CJUE
Chacune de ces vingt-deux plateformes très fréquentées présentent autant de « risque systémique » qu’elles ont l’obligation de gérer pour l’éviter sous peine d’amendes. Mais depuis juin 2023, Zalando demande à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’annulation de la décision de la Commission européenne, celle du 25 avril 2023 listant les dix-neuf géants du Net qui présentent chacun un « risque systémique » et qui sont soumis de ce fait à des obligations renforcées. Et, selon les informations de Edition Multimédi@, la société Aylo Freesites éditrice du site pornographique Pornhub et basée à Chypre – elle-même rachetée il y a un an par le fonds d’investissement québécois Ethical Capital Partners (ECP) –, vient de déposer, le 1er mars 2024, son recours devant la CJUE. Également basée à Chypre, la société Technius – éditrice du site pornographique Stripchat – avait fait de même le 29 février 2024.
Toujours selon nos informations, la société tchèque WGCZ Holding – cofondée par le Français Stéphane Pacaud et éditrice du site pornographique XVideos – ne déposera pas, elle, de recours devant la CJUE. Car le 29 février 2024, le site XVideos a déclaré en ligne avoir environ « 84 millions d’utilisateurs par mois dans l’Union européenne [dont 40 % de visiteurs en sessions incognito, ndlr], soit au-dessus du quota des 45 millions » (5). Depuis l’entrée en vigueur le DSA (6) le 25 août 2023, sont désignés par la Commission européenne comme « très grande plateforme en ligne » ou « très grand moteur de recherche en ligne », les géants du Net qui totalisent au moins 45 millions d’utilisateurs par mois dans l’Union européenne (UE). Ce seuil est équivalent à 10 % de la population totale des Vingt-sept (7). La société Zalando, basée à Berlin en Allemagne et coprésidée par ses cofondateurs Robert Gentz et David Schneider (photos), a été la première « très grande plateforme en ligne » à contester sa désignation comme VLOP. Le 27 juin 2023 (8), le e-commerçant a donc saisi la CJUE pour demander l’annulation de la décision de la Commission européenne. Dans la requête que Edition Multimédi@ a consultée, la société Zalando estime d’abord que « le [DSA] ne lui est pas applicable, ne serait-ce que parce que son service n’est pas un service intermédiaire et, de ce fait, ni un service d’hébergement ni une plateforme en ligne au sens de ce règlement ». Donc, « la condition de la fourniture de contenus tiers n’est pas remplie » puisque « [Zalando] fournit ses propres contenus par l’intermédiaire de la vente de ses articles ».
Et quand bien même « une partie du service devait être qualifiée de “plateforme en ligne’’, cette partie n’atteindrait pas le seuil de 45 millions de destinataires actifs par mois », assure-t-elle, en pointant « des critères erronés » de la Commission européenne. De plus, la société berlinoise considère que « les règles relatives au calcul du seuil sont trop imprécises et enfreignent le principe de précision consacré par le droit de l’[UE] ». Et Zalando d’enfoncer le clou : le calcul du DSA « ne suffit pas, en raison de sa nature juridique et de son libellé lacunaire ». Aussi, « l’imprécision de la méthode de calcul […] viole le principe d’égalité de traitement en prévoyant un seuil global pour l’ensemble des plateformes en ligne, indépendamment des critères fondés sur le risque des services concernés ».

Zalando estime ne pas être « hébergeur »
Autre grief avancé par Zalando pour demander l’annulation de la décision de la Commission européenne à son égard : « L’application du [DSA] constitue une ingérence disproportionnée dans les droits et libertés fondamentaux […] et viole ainsi le principe de proportionnalité », tandis que « la [Commission européenne] n’expose pas, dans sa décision, la raison pour laquelle le service de [Zalando] relève de la notion de “service d’hébergement” […], alors que c’est une condition essentielle pour l’application de […] de ce règlement » (9). Reste à savoir ce que dira dans un premier temps l’avocat général de la CJUE. @

Charles de Laubier

La « bulle IA » déjà multimilliardaire va-t-elle éclater comme son ancêtre la « bulle Internet » ?

Mars 2000 et mars 2024. Près d’un quart de siècle sépare ses deux dates. La première marque l’éclatement de la « bulle Internet » ; la seconde est celle de l’état de la « bulle IA » aujourd’hui. Les perspectives de chiffre d’affaires de l’intelligence artificielle suscitent frénésie. Mais à risque.

Euphorie, exubérance, spéculation, effervescence, irrationalité ou encore inconscience : toutes les conditions financières et comportementales sont aujourd’hui réunies pour que l’agitation planétaire autour des intelligences artificielles génératives fasse gonfler encore plus la « bulle IA » actuelle. Les géants du numérique et les start-up/licornes technologiques qui la composent au niveau mondial cumulent à elles seules dans ce domaine une valorisation totale – capitalistique et/ou boursière – qui se chiffre en trilliards d’euros, soit des milliers de milliards d’euros.

Pas « si » la bulle IA va éclater, mais « quand »
Et la licorne OpenAI – valorisée 80 milliards de dollars selon le New York Times daté du 16 février 2024 (1) – n’est que la partie émergée de l’iceberg du marché planétaire de l’intelligence artificielle. Présidée par son cofondateur Sam Altman (photo), elle s’est propulsée à la première place mondiale des IA génératives en lançant le 30 novembre 2022 – il y a seulement quatorze mois ! – ChatGPT. Et le chiffre d’affaires de la société californienne a bondi, grâce aussi à son autre IA générative à succès Dall·E, pour atteindre sur l’année 2023 la barre des 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires, d’après cette fois le Financial Times du 9 février dernier (2). Du jamais vu, aussi bien en termes de valorisation que de revenu, pour une jeune pousse créée en 2015 sous forme de laboratoire de recherche en IA, à but non lucratif, et assortie depuis 2020 d’une entité commerciale.
Le partenariat infonuagique, financier et capitalistique avec Microsoft (3), débuté progressivement à partir de 2019 et estimé actuellement à 13 milliards de dollars, a contribué au succès d’OpenAI. Depuis, la concurrence des IA génératives (GenAI) et de leurs grands modèles de langage (LLM) bat son plein : Anthropic avec Claude, Google avec Gemini/Gemma, Meta avec Llama, Mistral AI avec Large, pour ne citer que les plus financés et les plus avancés, en attendant aussi le discret Ferret d’Apple (4). Par exemple, Anthropic – l’un des rivaux les plus sérieux d’OpenAI – a vu sa valorisation dépasser les 15 milliards de dollars, après avoir levé à l’automne dernier 6 milliards de dollars auprès d’Amazon (deux-tiers) et Google (un tiers), somme qui s’est ajoutée au 1,5 milliard de dollars obtenus auparavant (5). Quant à la licorne française Mistral AI, après avoir pactisé avec Microsoft, encore lui, elle est courtisée par Softbank (6). Au total, les montants investis en capital risque dans l’IA sont colossaux : les milliers de milliards d’euros de valorisation constituent ainsi une « bulle IA » sans précédent, apparue en un temps record – moins d’un an et demi. Et l’afflux d’investissements vers l’IA continue, le patron d’OpenAI ayant même estimé – d’après les propos de Sam Altman au Wall Street Journal daté du 8 février (7) – jusqu’à 7.000 milliards de dollars le besoin d’argent nécessaire dans le monde au développement des IA pour les prochaines années. Le plus coûteux réside dans la puissance de calcul fournie par des puces superpuissantes, ces semiconducteurs étant appelés « unités de traitement graphique » ou GPU (Graphics Processing Unit). L’américain Nvidia est le numéro un mondial dans ce domaine.
Alors qu’il a fallu au moins cinq ans pour la « bulle Internet » avant d’atteindre jusqu’à 3 trilliards de dollars de valorisation. Et encore, avec l’aide à l’époque des importantes valorisations boursières dans les télécoms (opérateurs et équipementiers). La question n’est dès lors plus de savoir s’il y aura l’éclatement de la « bulle IA », mais quand. Car, comme le montre le cycle de la « hype », toute nouvelle technologie suit une courbe qui atteint rapidement un pic (effet « waouh »), avant de redescendre brusquement, puis de reprendre progressivement son souffle pour atteindre un plateau qui progressera lentement au cours des années suivantes (8). A côté, en France, la recommandation du Comité de l’intelligence artificielle générative, de créer un fonds d’investissement qui serait baptisé « France & IA » et qui mobiliserait 10 milliards d’euros de capital-investissement d’entreprise et de soutien public, semble dérisoire.

Des prévisions de revenus dithyrambiques
Installé depuis septembre 2023 auprès du Premier ministre, cette commission de l’IA a remis son rapport (9) le 13 mars au président de la République, alors qu’Emmanuel Macron se prépare à accueillir fin 2024 ou début 2025 à Paris le 2e Sommet sur la sécurité de l’IA (AI Safety Summit). Le rapport estime que l’IA pourrait augmenter en dix ans le PIB de l’Hexagone « de 250 à 420 milliards d’euros, soit autant que la valeur ajoutée de toute l’industrie ». Au niveau mondial, Grand View Research estime le chiffre d’affaires généré par l’IA à près de 200 milliards de dollars en 2023 (196,6 milliards précisément). Et avec une croissance prévisionnelle de 37,3 % en moyenne par an, le marché planétaire de l’IA atteindrait près de 1.819 milliards de dollars d’ici 2030. @

Charles de Laubier