Piratage : les plateformes du Net évitent l’obligation de « surveillance généralisée » des contenus, quoique…

Elles ont eu chaud. Les plateformes YouTube, Dailymotion, Facebook et autres Yahoo ont failli perdre leur statut d’hébergeur à responsabilité limitée. La loi
« République numérique », si elle est promulguée en l’état, ne leur impose pas d’obligation de surveillance généralisée ni de filtrage automatique. Seulement une « censure préventive »…

Les députés avaient imposé aux plateformes numériques « la mise en oeuvre de dispositifs de reconnaissance automatisée » de contenus piratés tels que des musiques ou des films. C’était une obligation majeure adoptée en janvier dernier par l’Assemblée nationale en matière de « loyauté des plateformes », au grand dam des acteurs du Net tels que YouTube, Dailymotion, Facebook ou encore Yahoo (lire ci-dessous).

Vers un «guichet unique» pour protéger les œuvres – films en tête – sur les plateformes numériques

Un an après la présentation, le 11 mars 2015, du plan gouvernemental de lutte contre le piratage sur Internet, les ayants droit se mobilisent face aux acteurs du Net. Le CNC a lancé une mission pour recenser les techniques de protection des œuvres et prévoir un « guichet unique » pour les producteurs.

La ministre de la Culture et de la Communication, qui était encore Fleur Pellerin avant d’être remplacée au pied levé par Audrey Azoulay, avait chargé le Centre national du cinéma
et de l’image animée (CNC) de mener des actions en vue d’enrichir l’offre légale et de lutter contre les sites Internet d’œuvres piratées.

Après Popcorn Time, Torrents Time défie le cinéma

En fait. Le 8 février, le site web d’information TorrentFreak a révélé que l’organisation néerlandaise Brein – représentant des ayants droits (cinéma, musique, …) – a exigé des responsables de Torrents Time de cesser immédiatement de « faciliter » le partage de « contenus illicites » sur son
réseau peer-to-peer.

En clair. Regarder des films en streaming en utilisant la technologie peer-to-peer BitTorrent directement et facilement à partir de tout navigateur web. Voilà ce que permet Torrents Time, sur lequel s’appuient les nouveaux fork (1) de Popcorn Time – lequel avait été fermé en octobre dernier par la justice canadienne (2) – et bien d’autres
« Netflix » alternatifs. Ses créateurs n’entendent pas se laisser intimider par les industries culturelles, cinéma en tête. L’organisation de défense des ayants droits aux Pays-Bas (film, série, musique, livre, …) dont l’acronyme Brein signifie « Protection Rights Entertainment Industry Netherlands », a mis en garde Torrents Time – dans un récent courrier écrit par son juriste Pieter Haringsma – contre les copies piratées qui circulent sur ce réseau peer-to-peer. « Cessez et renoncez immédiatement à fournir Torrents Time », leur demande-t-il instamment, en menaçant explicitement l’équipe incriminée d’une action en justice non seulement contre leur hébergeur LeaseWeb, mais aussi contre eux mêmes en tant que responsables du logiciel de distribution.
« Nous vous tiendrons bien sûr responsable de tous les coûts encourus incluant des frais de justice. Ces coûts peuvent être substantiels », écrit le juriste. Torrents Time est ce nouveau plug-in devenu la nouvelle bête noire de l’industrie du cinéma dans le monde et particulièrement en Europe, le service ayant été notamment intégré par le nouveau Popcorn Time Online, par le site suédois The Pirate Bay de partage de fichiers musicaux ou vidéos, ou encore par KickassTorrents.
Ayant révélé le courrier de Brein, le site web d’information TorrentFreak rapporte que l’équipe de Torrents Time n’a pas battu en retraite face à ces menaces des ayants droits. Au contraire, les responsables du site web accusés de piratage ont envoyé
une fin de non recevoir à Brein : « Sachez que nos clients nient toutes les suppositions et les allégations contenues dans votre lettre, y compris le fait que Brein représentent les ayants droits et que vous avez la qualité à agir au nom d’entités anonymes et non identifiées », ont-ils rétorqué, tout en menaçant à leur tour de saisir la justice.
Le bras de fer entre les éditeurs de logiciels de partage en réseau peer-to-peer, qui s’estiment non responsables des contenus échangés par leurs utilisateurs, et les industries culturelles se poursuit. @

Blue Efficience, plus fort que Content ID de YouTube ?

En fait. Le 4 février, Blue Efficience s’est félicitée d’être « le nouveau prestataire technique de protection et lutte contre l’exploitation non autorisée des œuvres
du groupe TF1 », après un appel d’offre remporté en juillet 2015. Cette société française fait la chasse au piratage de films sur Internet.

En clair. Créée en 2008 par Thierry Chevillard, un ingénieur féru de technologies de protections électroniques et formé à l’ESIEE (ex-école Breguet), la société Blue Efficience cherche à s’imposer dans le cinéma français avec non seulement sa solution d’empreintes numériques afin, explique-t-elle, de « permettre le filtrage en amont de la plupart des vidéos pirates », mais aussi sa prestation de « recherche manuelle continue des œuvres sur les plateformes afin de retirer les vidéos qui n’auraient pas été filtrées par les systèmes automatisés ».
Avec cette veille manuelle, Blue Efficience revendique notamment une meilleure efficacité que la solution Content ID de YouTube : « Le robot Content ID ne permet
en effet pas d’identifier les contenus qui ont été habilement déformés par les pirates afin de passer entre les mailles du filet ». Et d’affirmer à l’encontre de Google : « Ainsi, YouTube héberge actuellement des milliers de films dont la mise en ligne n’a été aucunement approuvée par leurs auteurs » En décrochant un contrat avec TF1,
cette start-up voit sa technologie de protection sur réseaux peer-to-peer, streaming ou téléchargement direct une nouvelle fois consacrées. La filiale de télévision du groupe Bouygues s’ajoute à ses références où l’on retrouve France Télévisions Distribution, Universal Pictures France, UGC, Mars Distribution, Pyramide Distribution, ou encore Les Films du Losange. L’Hadopi fait aussi partie de ses clients, Blue Efficience étant
« prestataire technique », comme l’est Trident Media Guard (TMG) pour les ayants droits de la musique (1). Avec TF1, Blue Efficience tente de s’imposer un peu plus face au géant YouTube et sa technologie Content ID. La première chaîne française s’était d’ailleurs résolue en décembre 2011 à souscrit tardivement à Content ID que YouTube lui proposait depuis… avril 2008 afin d’empêcher la mise en ligne de copies audiovisuelles non autorisées.
Au lieu de cela, TF1 avait préféré ferrailler en justice contre la filiale vidéo de Google. La procédure a duré huit ans et a tourné à l’avantage de YouTube. Pour ne pas perdre la face, la chaîne de Bouygues a finalement préféré enterrer la hache de guerre en novembre 2014 avec YouTube et accepter d’utiliser sa technologie Content ID, plutôt que d’être déboutée dans un procès enlisé. Depuis, TF1 a même lancé des chaînes
sur YouTube, mais pas sous sa propre marque (2). @

Piratage sur Internet : pourquoi Mireille Imbert-Quaretta dissuade de recourir aux amendes administratives

Présidente depuis six ans de la Commission de protection des droits (CPD), bras armé de l’Hadopi avec la réponse graduée, Mireille Imbert-Quaretta achève son mandat le 23 décembre. Cette conseillère d’Etat, qui dément la rumeur la faisant briguer la présidence de l’Hadopi, ne veut pas d’amendes sans juge.

Par Charles de Laubier

MIQCe sont des propos de Nicolas Seydoux, révélés par Edition Multimédi@ début novembre, qui ont relancés le débat sur l’amende forfaitaire automatique pour lutter contre piratage sur Internet. « Il n’y a qu’une seule solution : c’est l’amende automatique. Donc, on va essayer de passer un amendement au Sénat sur la nouvelle loi parlant de propriété littéraire et artistique [projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » qui sera débattu
en janvier 2016 au plus tôt, ndlr]. Je ne suis pas sûr que le Sénat votera cet amendement, mais ce dont je suis sûr, c’est que l’on prendra date sur ce sujet », avait confié le président de Gaumont (1) et président de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa).
Son entourage nous a indiqué, début décembre, qu’il était encore trop tôt pour faire état de cet amendement. Infliger des amendes administratives automatiques aux pirates du Net est une vieille idée, apparue bien avant l’Hadopi et poussée par les ayants droits
de la musique (dont le Snep (2)) et du cinéma (dont l’ARP (3)), puis portée dès son élection présidentielle en 2007 par Nicolas Sarkozy. Ce dernier rêvait de transposer
sur Internet sa politique de sécurité routière qu’il avait basée – lorsqu’il fut auparavant ministre de l’Intérieur – sur le déploiement national de radars automatiques, d’ailleurs sans aucun débat parlementaire (4)…