… après le rapport bien perçu de Laure de La Raudière

En fait. Le 13 avril, la mission d’information de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale a remis son rapport sur « la neutralité d’Internet [avec un petit « i »] et des réseaux ». Ses auteurs, les députés Laure
de La Raudière et Corinne Erhel, y font neuf propositions.

Piratage en ligne : après la musique, le livre ?

En fait. Le 17 mars au soir a été inauguré le 31e Salon du Livre de Paris qui consacre, pour la quatrième année, un espace à l’édition numérique. « 2011, année charnière du numérique », scande le Syndicat national de l’édition (SNE) qui a créé et organise cet événement. Mais le spectre du piratage plane.

Conservation des données et libertés de l’internaute : « L’Etat veut-il tuer Internet en France ? »

Bis Repetita. Quatre ans après la première polémique déclenchée par le projet de décret sur la conservation des données, voici que finalement la publication au J.O. du 1er mars de ce même décret remis au goût du jour reprovoque une levée de boucliers de la part des FAI et des hébergeurs.

Début 2007, souvenez-vous, Nicolas Sarkozy était alors ministre d’Etat-ministre de l’Intérieur, sous l’autorité du Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin…
Cette année-là fut présentée une toute première mouture du décret imposant aux opérateurs télécoms, fixes ou mobiles, fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et aux hébergeurs des contenus du Web de conserver – durant un an – toutes les données
et les traces des internautes. A l’époque déjà, cette obligation prévue par la loi du
21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN), avait déclenché
l’ire des acteurs du Net.

Tous les contenus sous surveillance
Le président du Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste), Philippe Jannet, s’était même fendu d’un point de vue dans Le Monde daté du 21 avril 2007 pour interpeller le gouvernement : « L’Etat veut-il tuer Internet en France ? ». Après ce tollé, plus rien. Un an après, en février 2008 cette fois, le premier gouvernement de François Fillon – Nicolas Sarkozy est alors chef de l’Etat depuis huit mois – revient à la charge avec un autre projet de décret à peine différent du premier. A nouveau la polémique. Puis, plus rien ! Il faudra alors attendre trois ans avant de voir le décret sur « la conservation et à la communication des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne » signé le 25 février 2011.
La question est maintenant pour lui de savoir si le Geste (1) va le contester devant le Conseil d’Etat. « Il est clair que nous allons en discuter », a indiqué Philippe Jannet à Edition Multimédi@. Même son de cloche du côté l’Association des services Internet communautaires (Asic), dont le secrétaire général, Benoît Tabaka, parle aussi d’un recours possible une fois ses membres (2) consultés. De son côté, le président de French Data Network (FDN), Benjamin Bayart, nous confirme qu’il étudie également un recours pour attaquer ce décret devant la Haute juridiction administrative – comme il l’avait fait pour contre deux décrets de la loi Hadopi (3) : en mai dernier contre celui du 5 mars sur le traitement automatisé des données à caractère personnel et en août contre celui du 26 juillet 2010 sur la procédure des ayants droits devant la commission de protection des droits. Dans les deux cas, il est reproché le fait que l’Arcep n’a pas été saisie pour avis. Pourtant, il est prévu dans le premier décret que les FAI sont tenus de « communiquer dans un délai de huit jours suivant la transmission par la commission de protection des droits (CPD) de [l’Hadopi] des données techniques nécessaires à l’identification de l’abonné ». Et Iliad, la maison mère de Free, sera-t-elle tentée de prêter main forte aux contestataires ? L’opérateur de la Freebox par ailleurs attaqué le 10 décembre un autre décret de l’Hadopi forçant les FAI – Free en tête (4) – à envoyer à leurs abonnés les e-mails d’avertissement en cas de piratage en ligne. Quant au DG de la Fédération française des télécoms (FFT), Yves Le Mouël, il nous répond que « la fédération n’a pas encore travaillé sur le sujet ». Le Conseil d’Etat a déjà de quoi faire sur la question des données personnelles des internautes. Le décret paru le 1er mars au J.O. prévoit de conserver un inventaire à la Prévert : identifiant de la connexion (comme l’adresse IP), identifiant attribué à l’abonné, identifiant du terminal utilisé, dates et heure de début et de fin de connexion, caractéristiques de la ligne de l’abonné, identifiant de la connexion à l’origine de la communication, identifiant attribué
au contenu, objet de l’opération, types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus (notamment peer-to-peer), nature de l’opération, date et heure de l’opération, identifiant utilisé par l’auteur de l’opération, identifiant de cette connexion, nom et prénom ou raison sociale, adresses postales associées, pseudonymes utilisés, adresses de courrier électronique ou de compte associées, numéros de téléphone ou encore mot de passe, données permettant de le vérifier ou de le modifier. Sans oublier en cas de transaction, le type de paiement utilisé,
la référence du paiement, le montant, la date et l’heure de la transaction.

1 an de prison et 75.000 euros d’amende
Bref, toute la panoplie d’identification de l’internaute que tout hacker aimerait bien se procurer ! Si un FAI n’obtempère pas, il est passible d’un an de prison et de 75.000 euros. En 2007, la Cnil – qui a considéré l’adresse comme une donnée à caractère personnelle – avait émis des réserves mais n’avait dit mot sur le mot de passe (5). En 2008, l’Arcep avait été critique aussi (6). Reste à savoir maintenant si le Conseil d’Etat sauvera Internet en France et, par la même, les libertés fondamentales de la démocratie. Rien de moins. @

Charles de Laubier

Filtrage du Net : les ayants droits veulent que les expérimentations soient enfin menées

Elles auraient dû être lancées à partir de novembre 2009, soit 24 mois après
la signature des accords de l’Elysée « pour le développement et la protection
des œuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux ». Les expérimentations de filtrage sur Internet tardent. La Sacem le déplore.

Il y a un an, lors de ses vœux à la Culture (1), Nicolas Sarkozy avait déclaré que :
« Mieux on pourra “dépolluer“ automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant
sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage ».
Le chef de l’Etat le promet depuis les accords de l’Elysée « pour le développement
et la protection des œuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux », signés le 23 novembre 2007.

Filtrer, c’est « ouvrir la boîte de Pandore »
Les signataires ont prévu que « dans un délai qui ne pourra excéder 24 mois à compter
de la signature du présent accord, les prestataires techniques s’engagent à collaborer avec les ayants droit sur les modalités d’expérimentation des technologies de filtrage des réseaux ». Lors des 2e Rencontres parlementaires sur l’économie numérique, organisées le 8 février dernier et présidées par le député Jean Dionis, un membre du directoire de la Sacem (2) – Claude Gaillard – a déploré que ces expérimentations de filtrage tardent à se mettre en place. « Il faut les mettre en oeuvre », a-t-il insisté. La mise en place de radars TMG sur le Net et le recours à la réponse graduée de l’Hadopi ne suffisent pas aux ayants droits. Après le filtrage des jeux d’argent en ligne illégaux
et le filtrage des sites web de pédopornographie, il est question de filtrer les sites de téléchargement ou de streaming illicites dans le cadre de la lutte contre le piratage
des œuvres culturelles (musiques, films, livres, …). « Mettre en place un processus de filtrage, c’est indéniablement ouvrir la boîte de Pandore », préviennent Nicolas Curien, membre de l’Arcep, et Winston Maxwell, avocat associé chez Hogan Lovells, dans leur livre « La neutralité d’Internet » (3).
Pour l’heure, deux lois françaises organisent déjà le filtrage de l’Internet par le blocage de sites web. La première promulguée le 13 mai 2010 porte sur les jeux d’argent et
de hasard en ligne et prévoit que le président de l’Arjel (4) « peut également saisir le président du TGI de Paris aux fins de voir prescrire, en la forme des référés, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du site d’un opérateur » de site de jeu illégal (5). La seconde loi – celle sur la sécurité intérieure (ou Loppsi 2), actuellement examinée par le Conseil constitutionnel saisi le 14 février dernier – prévoit dans le cadre de la lutte contre la pédopornographie que « l’autorité administrative notifie [aux fournisseurs d’accès à Internet] les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant (…), auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai ». Faire cesser et empêcher sont les deux maître-mots
du filtrage du Web à la française. Pour la Loppsi 2, les sages du Palais Royal devront dire si la décision de bloquer des sites sur Internet doit relever de la seule autorité
et du contrôle du juge, comme c’est le cas pour la loi sur les jeux d’argent en ligne
ou pour la loi Hadopi prévoyant la coupure de l’accès (6). En appui de la saisine des parlementaires, la Quadrature du Net (7) a remis au Conseil constitutionnel un
« mémoire complémentaire » où est dénoncé le « filtrage administratif » (sans intervention du juge) et le caractère anticonstitutionnel de cette mesure de blocage
« disproportionné », qui utilise dans certains cas la technologie dite DPI (Deep Packet Inspection). Comme pour le filtrage de sites de jeux d’argent en ligne non autorisés ou de sites pédopornographiques, la question de l’intervention judiciaire se posera au futur filtrage des sites de téléchargement ou de streaming illicites. Quant à la position de
la Commission européenne sur le filtrage, elle a été exposée le 5 février lors d’une audience de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a fait l’objet d’un rapport (8).

Le juge doit s’imposer à l’Europe
« Les directives [européennes (9)], interprétées notamment au regard du droit à la vie privée et de la liberté d’expression, ne font pas obstacle à ce que les États membres autorisent un juge national, saisi dans le cadre d’une action en cessation (…), à ordonner à un fournisseur d’accès de mettre en place, afin de faire cesser les atteintes au droit d’auteur qui ont été constatées, un système de filtrage destiné à identifier sur son réseau la circulation de fichiers électroniques concernant une oeuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle (…) », estime l’exécutif européen. La CJUE doit
se prononcer – à la demande de la cour d’appel de Bruxelles – sur une affaire où un FAI belge, Scarlet, avait été condamné en 2007 à bloquer sur les réseaux peer-to-peer les musiques dont les droits étaient gérés par la Sabam – la Sacem belge. A suivre. @

Charles de Laubier

Tous pirates ?

De tout temps, les pirates ont évolué à la marge, suscitant la peur et la fascination. Ils étaient une poignée de marins ayant largué les amarres avec la légalité, et prêts à tout.
Et il ne saurait en être autrement : comment imaginer une société largement pacifiée et pour laquelle cependant une grande partie des citoyens pourrait être qualifiée de pirates ? C’est pourtant ce qui se passa durant presque vingt ans, de l’apparition des échanges de fichiers de musique au format MP3 (grâce au site pionnier Napster en 1999) jusqu’à la lente et progressive mise en place de services et de catalogues légaux dans des cadres fixant les droits et devoirs de chacun. « Tous pirates ! » Cette simple injonction pointe à elle seule les failles du système. Bien sûr, l’Internet a, depuis son origine, rimé avec partage et ouverture tout en restant rétif aux contraintes.

« Si la licence globale n’est toujours pas en place, ce sont des systèmes très proches qui se sont peu à peu imposés :
un utilisateur peut s’abonner à une offre d’accès incluant vidéo, presse, musique et littérature. »

De même que, dès les années 70, bien avant l’avènement de l’Internet, de jeunes technophiles antiinstitutions inventaient le phreaking (contraction de freak, free et phone), dont le but était tout autant de téléphoner gratuitement que de faire la démonstration de leur parfaite connaissance des systèmes téléphoniques des opérateurs. Mouvement qui se perpétue depuis, balançant sans cesse, au gré des innovations du Web, entre prouesse technique et délinquance. Les pirates véritables, ceux qui cherchent sciemment à s’enrichir rapidement aux détours des lois et rarement capturés, existaient bien avant et existent toujours. Ce qui a changé ? Une maturité nouvelle de l’Internet, dont la nature instable reste d’actualité, mais qui a relégué une grande partie des pratiques jadis illicites au rang de curiosités historiques. Qu’il y ait dans le monde numérique, comme ailleurs, des lois et des bonnes pratiques, des droits et des devoirs, c’est bien la moindre des choses. Mais l’équilibre a été long et difficile
à établir entre des forces antagonistes permettant que les droits des auteurs soient respectés et que les droits d’usage des copies privées soient préservés. Après l’appropriation de l’accès aux contenus par les internautes et les fournisseurs d’accès, les diffuseurs et les ayants droits ont eu l’écoute des régulateurs qui, au tournant de l’année 2010, ont été nombreux à mettre en place un corpus de règles allant de l’avertissement au délit pénal. La Nouvelle-Zélande a légiféré dès 2008, suivie par l’Irlande, la Suède et Taiwan au début 2009, puis par la Corée du Sud, La France,
le Royaume- Uni, la Belgique et bien d’autres.
Le principal atout de ces nouvelles lois « Hadopi » a sans doute été de susciter des débats souvent très animés. Pour le reste, nous avons assisté à une course sans fin entre des organismes officiels toujours en retard et des internautes jamais à court de solutions de contournement. Ceux-ci se sont d’abord détournés des sites de partage peer-to-peer, comme bitTorrent ou eDonkey qui furent les premiers visés par ces nouvelles lois, pour plébisciter les sites de streaming en temps réel, faisant ainsi le succès planétaire d’un obscur site hongkongais, Megavideo. Pour les geeks, des
plates-formes spécifiques se mirent en place comme Usenet ou Demonoid, tandis que
les adeptes des pratiques underground utilisaient des sites comme Pando ou Waste, un micro réseau où les échanges sont totalement sécurisés et invisibles hors réseau. Nous avions, d’un côté, une majorité d’utilisateurs recherchant des solutions simples comme le streaming et, de l’autre, une minorité d’internautes avancés toujours à l’affût de solutions permettant de dissimuler leur adresse IP (VPN, proxys…) et de préserver
leur anonymat. Nous étions de plus en plus nombreux à penser qu’il y avait urgence
à disposer d’un cadre économique clarifié et apaisé. Si la licence globale, qui est la traduction ultime de ce besoin de transparence, n’est toujours pas en place, ce sont des systèmes très proches qui se sont peu à peu imposés. Un utilisateur peut désormais s’abonner à une offre d’accès incluant pour un montant fixe et accessible un ensemble de services étendu, très riche intégrant la vidéo, la presse, la musique et la littérature. En toute légalité ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Crowdfunding
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing
et commercial de l’Idate. Rapport sur le sujet : « Le futur du Web »,
par Vincent Bonneau, également auteur d’une récente étude
pour l’Ofcom sur les techniques de contrôle des contenus en ligne.