Maisons d’édition : le livre audio risque de cannibaliser les livres numériques et imprimés

« En mai, écoute le livre qui me plait ! ». En France, mai 2022 est « le mois du livre audio ». Qu’ils soient sur support physique (CD) ou en ligne (en streaming ou en téléchargement), les livres audio sont de plus en plus écoutés. Mais il y a un risque de cannibalisation des ventes de livres à lire.

A pousser le livre audio comme jamais elles ne l’ont fait pour le livre numérique, les maisons d’édition ne sont-elles pas en train de se tirer une balle dans le pied ? Elles pourraient accélérer le déclin de leur industrie du livre. Non seulement éditer un livre audio ne relève plus de la planète Gutenberg, contrairement aux éditions imprimées et par extension numériques, mais, en plus, considérer l’écoute d’un livre audio comme de la lecture constitue un abus de langage dont les utilisateurs ne sont pas dupes. Ecouter n’est pas lire, et vice-versa. Le livre audio, c’est en quelque sorte de la lecture par procuration.

L’audiobook grignote d’abord l’ebook
A trop vouloir « mettre les livres sur écoute », en se diversifiant parfois eux-mêmes dans l’audiovisuel – comme Hachette Livre et Albin Michel qui détiennent respectivement 60 % et 40 % de la société Audiolib –, les maisons d’édition prennent-elles le risque de cannibaliser leur propre coeur de métier historique ? Lizzie du groupe Editis (Vivendi). Gallimard Audio/Ecoutez Lire du groupe Madrigall, Actes Sud Audio, … Nombreux sont les membres du Syndicat national de l’édition (SNE), représentant notamment les majors françaises de l’industrie du livre, qui ont décidé de donner de la voix à leur catalogue en faisant lire des oeuvres par des acteurs et comédiens plus ou moins célèbres. « Je ne pense pas qu’on puisse parler de “cannibalisation”, qui suppose qu’une pratique remplace l’autre. En tous cas, pas pour le livre imprimé qui a des usages très larges. En revanche, que le livre audio apporte d’autres adeptes à la lecture, ou intensifie la lecture, et qu’il progresse plus vite que le livre numérique – voire le dépasse en nombre –, c’est tout à fait possible. Une fois que l’offre sera élargie, la pratique de lecture audio s’installera durablement pour les générations les plus jeunes – ce sont déjà les trentenaires et moins qui l’adoptent », nous a répondu Valérie Lévy-Soussan (photo), PDG d’Audiolib chez Hachette Livre (groupe Lagardère) depuis près de dix ans (1) et présidente depuis mars 2019 de la commission « livre audio » du SNE (2).
Selon l’institut Médiamétrie pour le 12e baromètre sur les usages du livre numérique et audio, publié fin avril lors du 1er Festival du Livre de Paris par le SNE avec les sociétés d’auteurs Sofia et SGDL, sur 48,1 millions de lecteurs en France en 2021 (3), 47,7millions sont « lecteurs » de livres imprimés, 13,5 millions de livres numériques, et 9,9 millions sont « auditeurs » de livres audio. Où l’on voit que les audiobooks sont en passe de se hisser au même niveau que les ebooks, en termes d’utilisateurs. « Seuls 52 % des auditeurs de livres audio physiques [sur support CD, ndlr] en ont écouté un il y a moins d’un an, ce qui traduit vraisemblablement le début d’un véritable basculement du livre audio physique au profit du livre audio numérique », souligne ce baromètre. L’an dernier, le nombre d’auditeurs de livres audio physiques a reculé d’un point à 7,9 millions pendant que celui des livres audio numériques a progressé d’un point à 6,6 millions. Sans parler de la notoriété des audiobooks qui gagne du terrain par rapport aux ebooks. Si cannibalisation il y a de la part de l’écoute au détriment de la lecture, elle se fait par grignotement qui touche en premier lieu le livre numérique. Le livre broché (imprimé) semble moins impacté (4). C’est une aubaine pour les éditeurs puisque le livre audio numérique est, en vente à l’acte, à peu près au même prix que celui de son équivalent papier.
Une quinzaine de membres du SNE composent la commission « livre audio » du SNE, soit seulement 2 % de l’ensemble des 720 maisons d’édition que représente le syndicat. C’est justement cette commission qui a décrété le mois de mai 2022 « Mois du livre audio », une première. « Dans notre monde hyperconnecté, c’est de sens, plus encore que de silence, dont nous avons besoin », assure Valérie Lévy-Soussan, à l’heure où la lecture a été déclarée par le président de la République « grande cause nationale » jusqu’à l’été prochain. Après un Festival du Livre de Paris qui a privilégié le papier, le libre audio s’est fait entendre jusqu’au 11 mai au Festival du Livre audio organisé à Strasbourg par l’association La plume de Paon (5), laquelle assure la promotion du livre audio (6).

Des festivals du livre audio à gogo
La plume de Paon a organisé dans la foulée pour les professionnels, les 13 et 14 mai, toujours à Strasbourg, les Rencontres francophones du livre audio (7). Puis, à Paris cette fois et le 22 mai, le Festival Vox – « du livre audio et de la lecture à voix haute » – organise un marathon de lecture à la Maison de la poésie (8). Quant à la commission « livre audio » du SNE, elle a prévu le lancement d’ici fin mai d’un nouveau site Internet entièrement consacré au livre audio. Baptisé « Lire ça s’écoute ! », il sera doté de ressources professionnelles et d’un catalogue exhaustif de titres des éditeurs membres. @

Charles de Laubier

L’intelligence artificielle s’immisce dans l’industrie du livre, assise sur un tas d’or : ses données

La 22e édition des Assises du livre numérique, organisées le 6 décembre par le Syndicat national de l’édition (SNE), a pour thème « l’application de l’intelligence artificielle (IA) dans l’édition de livres ». Avec comme « invité inaugural » : Tom Lebrun, co-auteur en 2020 d’un livre blanc sur l’IA.

Ce n’est pas la première fois que les Assises du livre numérique (1) traitent de la question de l’intelligence artificielle (IA) dans l’industrie du livre. Déjà en 2017, lors de l’édition de 2017, une table-ronde avait été consacrés à ce sujet et avait fait l’objet d’une synthèse (2). Celle-ci relevait plus d’un défrichage de la part de la commission numérique que préside depuis plus de sept ans Virginie Clayssen (photo) au sein du Syndicat national de l’édition (SNE), elle-même étant par ailleurs directrice du patrimoine et de la numérisation chez Editis (groupe Vivendi).

L’exploitation numérique des livres, pas très claire

En fait. Le 9 mars, la Société civile des auteurs multimédia (Scam) – en partenariat avec la Société des gens de lettres (SGDL) et en présence du Syndicat national de l’édition (SNE) – a publié son 8e baromètre des relations entre auteurs et éditeurs dans l’industrie du livre. Mécontentement des auteurs, notamment sur les ebooks.

En clair. Réalisé tous les trois ans par la Société civile des auteurs multimédia (Scam) et la Société des gens de lettres (SGDL), ce baromètre des relations auteurs/éditeurs est intitulé pour sa 8e édition : « Le relâchement ». Cette dégradation des relations entre auteurs et les éditeurs s’observe par l’augmentation du taux des auteurs qui estiment avoir des relations non-satisfaisantes, voire conflictuelles avec tous leurs éditeurs (31 % contre 24 % en 2018). Cette grogne qui monte dans l’industrie du livre n’est pas seulement dû, loin s’en faut, au faible taux de rémunération moyen de 8,2 % (du prix public hors taxe de l’ouvrage) pour l’exploitation papier et 11,4 % pour l’exploitation numérique. C’est le contrat lui-même qui laisse encore à désirer, notamment sur le volet numérique pourtant censé avoir été balisé il y a huit ans maintenant par l’accordcadre du 21 mars 2013 intervenu entre le Syndicat national de l’édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE), puis codifié l’année suivante (1). « Pour [encore] un quart des auteurs et autrices, le dernier contrat signé ne distingue pas clairement l’exploitation papier de l’exploitation numérique », relève ce 8e baromètre. Ils sont 38 % des auteurs à trouver les contrats numériques « encore peu ou pas clairs ». Ils sont même encore 17 % à avoir appris fortuitement l’exploitation numérique de leurs œuvres… A noter que les contrats pour une exploitation uniquement numérique sont assez rares : 10 % uniquement en 2021 comme en 2018. « Dans leur très grande majorité (97 %), les auteurs n’ont pas demandé à bénéficier de la clause de réexamen des conditions économiques de la cession des droits d’exploitation numérique, prévue par les nouveaux contrats depuis le 1er janvier 2015 », pointe le baromètre.
Pour le taux de rémunération lié au livre numérique, il est « bien plus souvent inférieur à 5 % ». Mais il grimpe aussi « plus souvent » au-dessus de 15 % que pour l’exploitation papier. « Par exemple, 25 % des auteurs de littérature générale indiquent que leur dernier contrat prévoit un taux de rémunération de 20 % ou plus pour l’exploitation numérique de leurs œuvres », indique-t-on. In fine, le taux de rémunération moyen pour l’exploitation numérique est de 11,4 % avec une médiane à 10 %. Enfin, seulement 31 % des auteurs ont perçu des droits pour la copie privée numérique. @

La presse dans le monde vit la plus grave crise de son histoire, tandis que le papier tente de résister

La fin de la presse papier est un mythe savamment entretenu depuis deux décennies par des études plus ou moins pessimistes. Mais la profonde crise des journaux, exacerbée par le coronavirus, poussent certains éditeurs vers le « tout-numérique », mais avec des recettes publicitaires en moins.

« La consommation de journaux imprimés a diminué à mesure que le confinement compromet la distribution physique, ce qui accélère presque certainement la transition vers un avenir entièrement numérique », prédit le rapport 2020 de Reuters Institute sur l’information numérique, paru juste avant l’été. Et de constater : « Au cours des neuf dernières années, nos données ont montré que les actualités en ligne dépassaient la télévision comme source d’information la plus fréquemment utilisée dans de nombreux pays. Dans le même temps, les journaux imprimés ont continué à décliner tandis que les médias sociaux se sont stabilisés après une forte hausse ».

Le Monde : les abonnés numériques sont majoritaires

En fait. Le 8 juillet sur son site web et le 9 juillet dans son édition papier, Le Monde a fait état des résultats 2019 du groupe incluant « le quotidien de référence » mais aussi Courrier International, Le Monde Diplomatique et Télérama. Décidément, les abonnés numériques sauvent la presse. Le centre de gravité a basculé dans le digital.

En clair. Le quotidien Le Monde a franchi en mai dernier la barre des 300.000 « abonnés purs numériques », contre 220.000 à fin 2019 (1). Mais Jérôme Fenoglio, directeur du « Monde », et Louis Dreyfus, président du directoire du « Monde », ne précisent pas dans leur article (2) que ces chiffres incluent aussi la diffusion à l’international. Or si l’on s’en tient à la diffusion numérique payée uniquement en France, soit 184.898 de ventes numériques (dont 680 de ventes numériques par des tiers) selon le procès verbal de l’APCM (3), l’ex-OJD, l’édition numérique représente bien plus de la moitié – 57,1 % précisément (4) – de la diffusion payée du Monde en France (323.565 exemplaires vendus au total), contre 42,9 % pour le papier (appelé « Print »). Le basculement du centre de gravité du « quotidien de référence » est donc intervenu en 2019 (lire aussi EM@197, p. 1 et 2), alors qu’en 2018 (5) les ventes numériques pesaient encore moins de la moitié (47,9 %) et le papier était encore majoritaire (52,1 %). C’est que, à l’instar de la presse confrontée partout dans le monde à l’érosion de la diffusion papier, les abonnés numériques – de plus en plus nombreux – offrent aux éditeurs un relais de croissance salvateur. En cumulant Le Monde, Courrier International, Le Monde Diplomatique, Télérama et La Vie, le groupe atteint 415.117 abonnés numériques à mi-juin (voir graphique ci-contre). Ainsi, au cours de la 75e année de son « quotidien de référence » et grâce au digital, le groupe Le Monde a été rentable en 2019 et pour la troisième année consécutive : le bénéfice net est de 2,6 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires global de 302,7 millions d’euros, lequel affiche un léger recul de 0,8 %. Mais l’impact covid- 19 entraînant la chute des recettes publicitaires ternit déjà l’année 2020. @