Signaux contradictoires sur l’évolution du piratage (musiques, films, livres, …) dans le monde

Alors que l’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) constate avec Médiamétrie une baisse continue du piratage sur Internet en France, la Motion Picture Association (MPA) et l’ACE estiment, chiffres de Muso à l’appui, que le fléau augmente au contraire dans le monde

L’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), présidée depuis plus de 20 ans par Nicolas Seydoux (président de Gaumont), a publié en mai l’état arrêté au mois de mars 2023 de l’« audience des sites illicites dédiés à la consommation vidéo en France », mesurée par l’institut Médiamétrie. Ces chiffres mensuels, qui ont d’ailleurs été repris et présentés le 20 mai lors du Festival de Cannes par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), confirme que le piratage dans l’Hexagone est en forte baisse depuis cinq ans maintenant.

« Offres illégales » et protocoles « pirates »
La baisse du piratage en France est même continue, passant de 15,4 millions d’internaute présumés pirates par mois en 2018 à seulement 6,8 millions par mois au premier trimestre de 2023. Autrement dit, il y a 8,2 millions d’internautes pirates en moins dans l’Hexagone par rapport à cinq ans auparavant. Et ce, en plus, malgré la prise en compte par Médiamétrie des terminaux mobiles – smartphones et tablettes – depuis l’année 2018 (voir tableau page suivante). Le reflux de cette audience de « l’offre illégale », comme l’appelle l’Alpa, devrait se poursuivre au cours de l’année 2023 si la tendance baissière se poursuit.
En termes de pénétration de piratage sur le nombre d’internautes en France, les 6,8 millions de « pirates » mesurés entre janvier et mars derniers correspondent à 13 % des internautes. Ce taux atteignait 29 % en 2018. Il ressort en outre des chiffres de Médiamétrie pour l’Alpa que la plupart des internautes visitant des sites d’offres « illégales » piratent des films et des séries, mais ils sont aussi en recul de 8 % sur un an en mars 2023, à 6,5 millions d’individus. Pour le piratage de contenus de contenus sportifs, ils sont cette fois bien moins nombreux : 477.000 internautes « pirates » en mars 2023, en recul de 18 % sur un an. D’après le CNC, le « Top 5 » des films les plus piratés l’an dernier concerne : « Matrix Resurrections », « Les Animaux fantastiques : Les Secrets de Dumbledore », « Mourir peut attendre », « Top Gun Maverick » et « Jurassic World : Le Monde d’après ». Quant au « Top 5 » des séries les plus piratées l’an dernier, il est composé de : « Game of Thrones », « Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir », « She Hulk », « The Walking Dead » et « Grey’s Anatomy ». La baisse du piratage en France est aussi le résultat des décisions judicaires successives rendues, surtout au cours des années 2021 (mai, juin, juillet, octobre et décembre), 2022 (février, mai, juillet et novembre) ainsi qu’en mars 2023. Filmoflix, Filmgratuit, Wawacity ou encore et Zonetéléchargement font partie des sites qui ont fait l’objet de mesures de blocage judicaire exécutées par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Des cyberlockers – comprenez des sites de stockage et de partage en nuage (cloud) permettant aux utilisateurs de télécharger, de stocker et de partager du contenu dans des serveurs en ligne centralisés (le cyberlocker génère un lien URL unique, ou plusieurs, pour accéder au fichier téléchargé et de le diffuser) – ont aussi été bloqués judiciairement : Fembed, Upvid, Vudeo et Uqload, bien que ce dernier soit reparti à la hausse ces derniers temps.
La dernière décision judiciaire en date – celle du jugement du 11 mai 2023 du tribunal judiciaire de Paris ordonnant le blocage du cyberlocker Uptobox (1) – aux opérateurs télécoms – devrait à son tour contribuer à la tendance baissière du piratage. Concernant les protocoles Internet utilisés par les présumés « pirates », le streaming arrive en tête : en forte baisse depuis deux ans (- 37 %), il repart à la hausse depuis le début de l’année. Le direct download (DDL) arrivent en seconde position dans les pratiques de piratage, en baisse depuis deux ans (- 17 %), il est aussi récemment reparti à la hausse.

Streaming, DDL, livestreaming, P2P
Quant au livestreaming, il est en forte baisse (- 69 % en deux ans). Tandis que le peer-to-peer (P2P), qui fut par le passé le protocole dominant du piratage et la bête noire des industries culturelles, reste depuis quelques années le moins utilisé des protocoles « pirates ». Mais après des années de baisse, le P2P affiche une « relative stabilité » (dixit le CNC). En mai dernier, Denis Rapone (photo de gauche), ancien président de l’Hadopi et actuel membre du collège de l’Arcom, au sein de laquelle il est président du groupe de travail « Protection des droits sur Internet », a indiqué qu’en seulement six mois, 166 sites dits « miroirs » ont été bloqués entre octobre 2022 et avril 2023 par l’Arcom. Celle-ci a en effet désormais le pouvoir – instauré par la loi « Antipiratage » du 25 octobre 2021 et l’article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle (2) – de bloquer les sites qui contournent – en reprenant les contenus de sites bloqués – les décisions judicaires obtenues par les ayants droit.

Blocages par l’Arcom et par l’OCLCTIC
Une collaboration a ainsi été mise en place depuis le 5 octobre 2022 entre l’Arcom et l’Alpa. Lorsque cette dernière repère des sites miroirs reprenant des contenus de sites bloqués par les FAI, les titulaires de droits peuvent saisir l’Arcom afin que la décision de justice concernée soit actualisée (3). En outre, vient de paraître au Journal Officiel un décret daté du 12 juin 2023 désignant de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), au sein de la Police judiciaire, comme autorité administrative pouvant demander toutes mesures pour empêcher l’accès aux sites miroirs.
Si les chiffres en France montrent une tendance à la baisse de piratage, il n’en va pas de même au niveau mondial. Les grands studios d’Hollywood et autres majors du cinéma, réunis au sein de la puissance Motion Picture Association (MPA) aux Etats-Unis, fustigent, eux, une augmentation de la fréquentation des sites dits illégaux. La société britannique Muso, qui travaille étroitement avec ces grandes sociétés de production américaines en ayant accès leurs vastes bases de données d’œuvres, affirme détenir la plus complète « liste noire » de sites pirates. Selon son PDG cofondateur, Andy Chatterley (photo de droite), la fréquentation de ces sites a augmenté de 18 % en un an, pour atteindre 215 milliards de visites en 2022. Et d’après ses constatations, qu’il a détaillées dans un entretien à TechXplore le 1er juin dernier (4), près de 480.000 films et séries ont été diffusés l’an dernier sans autorisations des ayants droit. Ancien producteur de musique, Andy Chatterley a cofondé Muso en 2009. « C’est plus facile que jamais d’obtenir du contenu illégal », déclare-t-il. Il estime que les industries culturelles s’y prennent mal pour lutter contre le piratage sur Internet, que cela soit en mettant à l’amende les individus ou en bloquant les sites pirates par décisions de justice. « Contre-productif » et « perte de temps ». Les grands studios se concentrent désormais sur les « gros poissons », les Big Fish, à savoir les sites facilitant la piraterie d’œuvre et fréquentés par des millions d’utilisateurs de par le monde.
Avec la Motion Picture Association (MPA), dont sont membre Disney, Paramount, Sony Pictures, Universal, Warner Bros, ainsi que Netflix, a été créée en 2017 l’Alliance pour la créativité et le divertissement (ACE) – Alliance for Creativity and Entertainment – pour coordonner leurs efforts dans la lutte contre le piratage dans le monde. Parmi les membres de l’ACE, à vocation internationale, l’on retrouve ceux de MPA mais aussi Canal+, France Télévisions, Sky, BBC Studios, MGM (Metro- Goldwyn-Mayer devenu filiale d’Amazon), et Lionsgate, Fox, Amazon ou encore Apple. « Nous déployons l’expertise de plus de 85 professionnels à temps plein dans le monde entier, qui se consacrent à enquêter et à prendre des mesures contre les menaces de piratage en ligne existantes et émergentes », indique l’ACE sur son site web (5).

L’alliance ACE fait fermer les Big Fish
Dernière opération en date : annonce le 18 mai de la fermeture du principal service espagnol de streaming et de torrent illégal, AtomoHD (6). L’ACE est aussi intervenu à Taïwan, aux Philippines, au Brésil, au Vietnam, au Moyen-Orient et Afrique du Nord, mais aussi en Allemagne ou encore, comme annoncé le 14 février, en France avec la fermeture du deuxième site illégal de streaming et de téléchargement direct en France, Extreme-down (7). La piraterie n’a pas de frontières, les géants du divertissement l’ont compris. @

Charles de Laubier

Plus personne ne parle de la société Trident Media Guard (TMG), 20 ans cette année, et pour cause

Spécialisée dans « la recherche de contenu et l’anti-piratage sur Internet », l’entreprise nantaise TMG – créée il y a 20 ans – avait défrayé la chronique après que les SACEM, SDRM, SCPP, SPPF et Alpa l’aient retenue en 2010 pour traquer les internautes « pirates » sur les réseaux peer-to-peer.

Cofondée en mars 2002 par Alain Guislain et Bastien Casalta sous le nom de Mediaguard, la société nantaise TMG – Trident Media Guard – compte depuis 2007 à son capital (1) et dans son conseil d’administration l’acteur-producteur Thierry Lhermitte. C’est elle qui fut choisie fin 2009 par quatre organisations des droits d’auteur de la musique et du cinéma (2) réunis en « consortium » : côté musique, la SACEM et sa SDRM, la SCPP et la SPPF ; côté audiovisuel, l’Alpa.

Des millions d’adresses IP identifiées
Ces organisations des ayants droits des industries de la musique et de l’audiovisuel piègent depuis lors les internautes en les amenant à télécharger sur les réseaux peer-to-peer des fichiers musicaux ou cinématographiques protégés par le droit d’auteur. Mais pas n’importe quel fichier. TMG, aujourd’hui présidé et dirigé par Alain Ghanimé (photo), s’infiltre en effet sur les réseaux peer-to-peer comme BitTorrent, eMule ou encore μTorrent pour y déposer des œuvres protégées (musiques ou films), mais leurs fichiers sont banalisés et surveillés à distance. Autrement dit, il s’agit de sorte de leurres ou d’appâts pour « flasher » les internautes pris en flagrant délit de piratage. C’est là que Trident Media Guard porte bien son nom : un trident – du latin tridens – est une fourche à trois pointes servant à harponner les poissons ! Une fois que l’un d’eux a « mordu », son adresse IP est transmise à l’Hadopi (désormais l’Arcom) dans le cadre du « traitement automatisé de données à caractère personnel » qui avait été officialisé le 7 mars 2010. Ce cadre permet à la commission de protection des droits (CPD) de collecter auprès de ces organismes représentant les ayants droit les pseudonymes et adresses IP – y compris le protocole peer-to-peer utilisé – de chaque abonné incriminé (3).
Bref, ce trident – attribut de nombreuses divinités marines… – évolue depuis une douzaine dans les eaux profondes du Net. Le pic du volume d’adresses IP « pirates » livrées à l’Hadopi par les ayants droit (SACEM/SDRM, SCPP, SPPF et Alpa) fut atteint en 2017 avec plus de 18,7 millions dont 15,6 millions adresses IP ont pu être identifiées. C’est d’ailleurs ce qui motive l’action en justice lancée en 2019 par La Quadrature du Net – avec la FFDN (4), la FDN (5) et Franciliens.net – pour demander l’abrogation du décret « Traitement automatisé de données à caractère personnel » (6). L’affaire suit son cours (7) devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Pour les autres adresses IP qui n’ont pu être identifiées, la raison en est qu’il y a un recours croissant aux VPN (8), mais aussi à la pratique du partage d’adresses IP. Même les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) recourent eux aussi au partage d’adresses IP entre plusieurs abonnés pour faire face à la pénurie des adresses IPv4 (9). Pour y remédier, l’Hadopi a obtenu qu’un décret pris fin 2021 – en vigueur depuis le 1er janvier 2022 – conserver et traiter le « port source » (« port associé ») que lui communiquent les ayants droit, au même titre que l’adresse IP, puis de le transmettre pour identification aux FAI (10).
Ainsi, alimentée par TMG, l’Hadopi a pu de 2010 à fin 2021 envoyer à des abonnés Internet plus de 13,3 millions d’emails d’avertissement (appelées « recommandations »), dont le deuxième envoi (soit 10 % de ce total) est doublé d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Il leur est reproché des « téléchargements et mises à disposition illicites constatés à partir de leur connexion ». Et selon l’Hadopi, au moins sept personnes sur dix averties prennent des mesures pour éviter tout renouvellement d’actes de piratage (11). Concernant les autres, plus de 23.000 dossiers – toujours en cumulé sur plus de dix ans – ont fait l’objet d’un « constat de négligence caractérisée », envoyé par e-mail et courrier remis contre signature. Parmi eux, 8.476 dossiers ont été transmis à la justice (au parquet alias le procureur de la République) puis, selon les calculs de Edition Multimédi@, 3.148 suites judiciaires portées à la connaissance de l’Hadopi ont été engagées. Mais entre les relaxes, les classements sans suite, les rappels à la loi, les mesures alternatives aux poursuites et les régularisations sur demande du parquet, très peu de sanctions pénales sont in fine prononcées : quelques centaines tout au plus depuis douze ans.

Le P2P n’est pas mort ; il bouge encore
La pédagogie de l’Hadopi aurait largement triomphé sur le répressif. Si TMG continue à alimenter la réponse graduée en adresse IP, force est de constater que l’usage du peer-topeer s’est effondré au profit du streaming, du téléchargement direct et du live streaming. « Le nombre d’utilisateurs illicites des réseaux pair-à-pair est passé de 8,3 millions d’internautes par mois en 2009 à environ 3 millions par mois aujourd’hui, soit une baisse de plus de 60 % », s’est félicitée l’Hadopi dans son dernier rapport annuel. @

Charles de Laubier

Tron (blockchain) rachète BitTorrent (peer-to-peer)

En fait. Le 19 juin, le site d’information américain TechCrunch (Verizon/Oath) affirme que la société BitTorrent – au célèbre protocole peer-to-peer – a été vendue pour 140 millions de dollars à Justin Sun, fondateur et dirigeant de la start-up Tron spécialisée dans le « Web décentralisé » et la blockchain.

En clair. Blockchain et peer-to-peer : même combat dans la décentralisation du Web
et la distribution de contenus multimédias ? Près de quinze ans après sa création dans la Silicon Valley, la start-up BitTorrent Inc. – chargée du développement du fameux protocole peer-to-peer BitTorrent – vient d’être cédée pour la coquette somme de
140 millions de dollars. Il faut dire que l’entreprise fondée en 2004 par Bram Cohen
(le « père » du protocole peer-to-peer BitTorrent) et Ashwin Navin (Indo-Américan chargé de commercialiser le protocole) revendique aujourd’hui « plus de 170 millions d’utilisateurs chaque mois » et affirme même générer « près de 40 % du trafic Internet dans le monde chaque jour ».
Pour faire partie intégrante du réseau décentralisé BitTorrent, l’utilisateur doit préalablement télécharger un logiciel dit « client », dont le plus plébiscité est uTorrent.
A partir de là, il peut échanger musiques, vidéos et fichiers de contenus en tout genre. Après s’être fait connaître auprès des internautes avec le téléchargement peer-to-peer de fichiers audio et vidéo, BitTorrent a rajouté en 2012 une corde à son arc : le streaming peer-to-peer (1). Tant redouté par le passé des industries culturelles, car synonyme à leurs yeux de piratage d’œuvres sur Internet, BitTorrent s’est engagé depuis quelques années auprès des créateurs de films et de musiques en vantant
sa « méthode fantastique de distribution de contenus légaux ». Cela passe par des
« bundle » avec des artistes (Public Enemy, Pixies, Linkin Park, …). Exemple : Madonna a participé en 2013 au court métrage « Secret Project Revolution » diffusé
sur BitTorrent avec un appel aux dons. L’année suivante, l’album « Tomorrow’s Modern Boxes » de Thom Yorke a été le premier « bundle » payant proposé. En 2015, BBC Worldwide a mis la série télévisée « Doctor Who » dans un bundle BitTorrent. D’après TechCrunch, Akamai et Rovi s’étaient aussi intéressés à BitTorrent mais sans en concrétiser l’acquisition – le premier préférant s’emparer du concurrent Red Swoosh. Mais c’est Justin Sun, fondateur et dirigeant de la start-up Tron spécialisée dans le «Web décentralisé » (2) et la blockchain, qui vient de s’emparer de l’icône du peer-to-peer. Le 19 juin, le blog de BiTorrent (3) a quand même tenu à préciser qu’il n’était pas question de changer de modèle économique (freemium) ni de commencer à miner de
la cryptomonnaie ! @

Vers un statut proche de « radiodiffuseur » pour les sites de streaming… légal

Les sites de streaming de musique comme Deezer, gratuits et financés par la publicité, tentent maintenant de proposer des abonnements payants. Alors que l’Hadopi va scruter le peer-to-peer mais aussi le streaming, la question d’un statut pour ces sites de flux est posée.

Mi-novembre, la secrétaire d’Etat chargée de l’Economie numérique, Nathalie Kosciusko- Morizet, a envoyé à la commission Zelnik – laquelle a retardé à mi-décembre la remise de son rapport (1) – ses propositions développer les offres légales de musique sur Internet. Elle y préconise notamment la « création d’un statut proche de celui de radiodiffuseur pour les webradios et les sites de streaming ». Objectif : « sécuriser les revenus des artistes, comme c’est le cas sur la radio, et ouvrir tous les catalogues à ces sites » (2). En outre, NKM suggère la mise en place de « forfaits d’utilisation de la bande passante plus adaptés aux modèles économiques des sites de streaming légaux et des webradios. »