Sport : match TV versus OTT

Une succession d’événements médias montrent bien que
le paysage audiovisuel mondial a bien changé. Une série,
un film et une comédie musicale occupent le devant de la scène en battant des records d’audience. Points communs : chacune de ces œuvres a pour thème une épopée sportive
et toutes ont comme producteur principal… une grande association sportive. Des ligues et quelques grands clubs
de football, de basket ou de baseball sont en effet devenus de véritables groupes
de médias disposant depuis longtemps de lieux de spectacles, puis de leurs propres moyens de diffusion et, désormais, de productions. Ce sont des empires sans équivalents, construits sur des contenus « premium ». Sachant que seuls la fiction (films et séries récents) et certains événements sportifs réunissent les conditions nécessaires pour bénéficier de ce qualificatif (forte attractivité, rareté et acceptation
des consommateurs à payer). Qu’on le déplore ou non, le sport est devenu le divertissement majeur du XXIe siècle. Cette ascension tient autant à l’attrait toujours croissant des compétitions qu’aux nouvelles mannes captées au fil du temps par les propriétaires des droits sportifs. Et ce, grâce à la diversification des modes de diffusion des matchs et aux débouchés offert par Internet.

« Des ligues et quelques grands clubs sportifs
sont devenus de véritables groupes de médias »

Tout a commencé bien avant la révolution numérique. Le sport a tout d’abord bénéficié de l’envolée des droits de diffusion audiovisuelle, comme le montre le doublement des reversements des éditeurs de télévision à péage aux propriétaires des droits sportifs :
de près de 500 millions d’euros aux Etats-Unis entre 1995 à plus de 1 milliard en 2015 !
La principale raison de cette envolée est à trouver dans les records d’audience qu’atteignent régulièrement les matchs : plus de 110 millions de téléspectateurs pour le Super Bowl avant 2015. En France, les meilleures audiences TV reposaient aussi sur les compétitions internationales de football et de rugby. Le sport a également bénéficié de la multiplication progressive des chaînes de télé, offrant de plus en plus d’espace aux sports les plus demandés – comme à ceux longtemps écartés des lumières cathodiques. Puis, c’est en se lançant sur Internet que les ayants droits ont jeté les bases de leur relais de croissance actuel. A l’exception notable des ligues de football européennes, longtemps focalisées sur la vente de droits TV, les ligues sportives majeures ont très tôt développé des stratégies OTT (Over-The-Top) en complément d’une stratégie TV traditionnelle. Sur leur marché domestique, il s’agissait de favoriser la vente de droits aux chaînes en clair et payantes pour les rencontres de « têtes d’affiche » et d’éditer en même temps un service de vidéo OTT d’accès direct aux matchs non diffusés à la télévision. Pour les pays où les ligues ne bénéficiaient d’aucune couverture TV, leurs services OTT offraient un accès à l’ensemble des matchs. Ces revenus additionnels ont permis aux ayants droits d’augmenter leur pouvoir de négociation vis-à-vis des grands « Networks ».

Pour les sports moins populaires, la diffusion via une plate-forme web, comme Livesport.tv, Laola1.tv ou bien sur YouTube, est encore souvent la seule manière d’assurer leur retransmission : il était déjà possible en 2014 de visionner un match
du confidentiel Horseball sur Vimeo. La migration vers une distribution « tout OTT »
a depuis, bien progressé, même si elle n’a pas remplacé complètement le modèle classique de la télévision. La National Football League des États-Unis a transformé les quelque 5 milliards de dollars provenant de la vente de droits TV en près de 20 milliards aujourd’hui grâce à la vente de droits internationaux et des revenus tirés des médias mobiles. En Europe, malgré l’importance des droits TV, la Premier League de Football au Royaume-Uni ou la Ligue Nationale de Rugby en France ont progressivement joué la carte de la diffusion sur Internet pour répondre aux 20 % à 30 % de leurs millions de supporters prêts à s’abonner à leur service premium. Ces nouvelles « machines à cash » du divertissement ont trouvé un nouvel équilibre entre un accès du plus grand nombre aux sports populaires et l’offre de productions dérivées comme le cinéma, les jeux vidéo, les spectacles et… les programmes télé. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Ciné et OTT.
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/b2025).
Sur le même thème, l’institut a publié son rapport
« Les stratégies OTT des ayants droits de contenus
premium : sport, cinéma et fiction TV » (lire p. 7).

A défaut d’avoir des offres de films et de séries premium sur Internet, en OTT, le piratage menace

L’étude de l’Idate sur « les stratégies OTT des ayants droits de contenu premium » montre que l’industrie du cinéma est en retard par rapport au monde du sport dans l’offre de contenus premium sur le Net. Et pour cause : barrières et réticences y sont plus nombreuses. Au profit du piratage ?

Réseaux de chaînes : le PAM de YouTube et Dailymotion

En fait. Le 25 mars, Disney annonce l’achat de Maker Studios, diffuseur de quatre réseaux de 55.000 chaînes de vidéos diffusées sur YouTube et Dailymotion, pour
un montant de 500 à 950 millions de dollars selon des objectifs de performances. Canal+ (Vivendi) et Webedia (Fimalac) s’intéressent aussi aux MCN.

Cloud TV : une télé nouvelle génération en gestation

En fait. Le 21 janvier, Verizon a annoncé l’acquisition à Intel de l’activité de télévision à la demande dans le nuage (« Cloud TV »). Ayant développé OnCue,
un service de Web TV à péage sur Internet, Intel Media n’a pas réussi à le lancer, faute d’accord avec de grands producteurs – Disney en tête.

Jean-Yves Charlier, SFR : « A quoi servent les réseaux très haut débit s’il n’y pas de nouveaux contenus et applications ? »

PDG de SFR depuis août dernier, Jean-Yves Charlier estime que la filiale télécoms de Vivendi, bientôt séparée du groupe, ne doit plus se contenter de déployer de la 4G et de la fibre. L’opérateur doit aussi faire le pari de proposer des contenus et services en « extra » : VOD avec Canal+, musique avec Napster ou encore TV avec Google.

Par Charles de Laubier

Jean-Yves Charlier siteA la question de savoir si SFR pourrait prendre des participations, notamment minoritaires, dans des fournisseurs de contenus, comme l’a fait par exemple Orange dans Deezer, le PDG de la filiale de Vivendi, Jean-Yves Charlier (photo), a clairement répondu à Edition Multimédi@ : « Cela ne fait pas partie de notre stratégie qui consiste à nouer des partenariats forts et innovants comme nous venons de le faire avec Google et le décodeur TV que nous avons lancé le 19 novembre. Il s’agit d’innover et de le faire en partenariat ».
La filiale de Vivendi a en effet annoncé qu’il est le premier opérateur en Europe à proposer un décodeur TV basé sur Android, donnant accès aux services de Google – dont YouTube – sur la télévision. Proposé en option de la box, moyennant 3 euros par mois,
ce décodeur TV est aussi le premier pas de SFR vers un acteur dit Over-The-Top (OTT).

Avec Google, premier grand pas de SFR vers les OTT
« C’est un signe que les opérateurs télécoms sont désormais prêts à signer des partenariats avec de grands OTT, comme a pu aussi l’exprimer Belgacom – mono-pays comme SFR – qui veut se développer à l’international avec des services OTT », nous a confié Gilles Fontaine, directeur général adjoint de l’Idate(1).
Cela montre aussi que l’état d’esprit des opérateurs de réseaux vis à vis des géants du Net commence à changer : ils ne sont plus seulement ceux que l’on doit faire payer pour l’utilisation des infrastructures réseaux, mais ils deviennent désormais des partenaires possibles dans les contenus.

« Nous ne pensons pas chez SFR que notre rôle est de créer des contenus mais de créer les plates-formes qui vont pouvoir accueillir ces contenus. Je crois qu’il faut des partenariats beaucoup plus forts entre les opérateurs mobile et ces acteurs de contenus et de services Over-The-Top. C’est pour cela que les offres 4G que nous déployons avec Canal+ dans la VOD, Naptser dans la musique ou Coyote dans l’aide à la conduite, par exemple, sont des exclusivités. C’est aussi pour cela que nous avons travaillé dix-huit mois avec Google pour amener en France le premier décodeur TV », a expliqué Jean-Yves Charlier, également membre du directoire de Vivendi, lors de son intervention au DigiWorld Summit de l’Idate à Montpellier le 20 novembre dernier. « Car nous pensons qu’il est absolument essentiel d’intégrer dans notre réseau à la fois YouTube de manière ‘’simless’’ et aussi Google Play. Pour un opérateur télécoms comme SFR, ce n’est pas tant de promouvoir ses propres offres que d’intégrer de manière intelligente et sans couture, avec un service impeccable en mobilité comme à la maison, ces nouveaux usages », a-t-il ajouté.

Les « extras » Google, Canal+, Naptser, …
SFR revendique le fait d’avoir été le premier opérateur télécoms en France à lancer la 4G (à Montpellier en 2012 lors du précédent DigiWorld Summit). Il revendique aussi être le premier opérateur à lancer la fibre à 1 Gbit/s. Mais « à quoi servent d’ailleurs ces nouveaux réseaux [très haut débit] si nous n’avons pas de nouvelles applications et de nouveaux contenus à proposer à nos abonnés ? », s’est demandé le nouveau patron de SFR, nommé en août dernier. Pour lui, il ne s’agit plus de déployer déployer des réseaux pour simplement déployer des réseaux. « Nous avons fait le pari de favoriser les usages. C’est pour cela qu’au sein de nos offres 4G, on a inclus des nouvelles applications pour favoriser justement ces usages. On le voit bien avec cette stratégie des ‘’extras’’ : il y a énormément d’intérêt de nos clients pour ces nouvelles applications, comme la VOD avec Canal Play, la musique avec Napster ou encore l’aide à conduite avec Coyote. Résultat, SFR revendique plus de 600.000 abonnés 4G », s’est félicité Jean-Yves Charlier. Participant de la volonté de SFR de se repositionner sur le marché, ces « extras » ont ainsi convaincu le marché. Dans le fixe, l’annonce d’un nouveau décodeur TV avec Google participe également de cette stratégie des « extras ». L’offre d’accès ne se conçoit plus comme une fin en soit ; l’offre de contenus et de services tend à s’imposer si l’on veut séduire les internautes et les mobinautes avec le très haut débit. Au-delà, SFR s’est déjà positionné comme un acteur sur de nouveaux services tels que le cloud avec son investissement dans Numergy – coentreprise avec Bull – ou la domotique avec son offre Home. « Le premier challenge pour l’industrie va être de réussir le pari, sur la 4G notamment, de pouvoir monétiser l’explosion des usages, lesquels sont chez SFR en croissance d’environ 50 % par an. Mais le débat sur la 4G est en fait un débat sur le très haut débit à la fois fixe et mobile, sur la convergence. Car les consommateurs de demain vont vouloir avoir un service sans couture en mobilité ou dans leur foyer. C’est pourquoi nous investissement à la fois sur la 4G et sur la fibre », a-t-il déclaré.

Plus largement, SFR estime que les pouvoirs publics doivent aussi s’engager avec plus de vision dans le développement des usages et promouvoir les nouvelles applications
des technologies à très haut débit. « Il faut dès maintenant développer les services qui donneront à ces réseaux un vrai pouvoir démultiplicateur auprès des citoyens, des entreprises et des collectivités en France, à l’instar de ce que font d’autre pays dans
l’e-learning, l’e-santé ou l’e-administration par exemple. Après avoir passé la dernière décennie à connecter toutes les personnes et tous les lieux, l’opportunité qui s’offre à nous est maintenant de connecter des milliards d’objets, de deuxième ou troisième écrans à ces réseaux, et d’inventer des nouveaux services ».

Et pour favoriser les nouveaux usages et le déploiement de réseaux à très haut débit, SFR renforce les partenariats en France avec les pouvoirs publics comme c’est le cas avec la signature en octobre dernier d’une convention très haut débit avec Lille Métropole. Dans le cadre de cet accord, les collectivités territoriales se sont engagées à faciliter le déploiement de la fibre optique et surtout à contribuer directement aux développements des nouveaux usages numériques. « Les pouvoirs publics doivent jouer un rôle beaucoup plus visionnaires que de simplement dire : ‘’Il faut fibrer’’ ou ‘’Il faut déployer la 4G’’.
Les pouvoirs publics doivent investir eux-mêmes pour favoriser ces nouveaux usages
et ces nouvelles applications », a-t-il insisté. @

Charles de Laubier