TV et VOD : pourquoi Altice, maison mère de SFR, veut lancer Altice Studios et Altice Channel Factory

La stratégie de convergence d’Altice (SFR, Portugal Telecom, Cablevision, …), déjà surendetté à hauteur de 50 milliards d’euros, suppose d’investir dans des contenus originaux et coûteux. En plus d’Altice Media, dirigé par Alain Weill,
le groupe multimédia crée Altice Studios et Altice Channel Factory.

Le groupe de télécoms et de médias Altice, présidé par Patrick Drahi et en passe de détenir la totalité du capital de SFR, a annoncé le 5 septembre la création de deux nouvelles entités baptisées respectivement Altice Studios et Altice Channel Factory. Elles œuvreront pour l’ensemble du groupe en France et à l’international. La première produira des films et des séries originales, sous la direction de Nora Melhli, ex-directrice de la fiction de la société de production Shine France et ex-Endemol Fiction ; la seconde créera de nouvelles chaînes de télévision, sous la direction cette fois de Alain Weill (photo), directeur général d’Altice Media et de SFR Media, ainsi que PDG de son groupe NextRadioTV (BFM TV, RMC, …) intégré depuis l’an dernier dans Altice.

Nora Melhli et Alain Weill
C’est une étape cruciale pour la maison mère de SFR, deuxième opérateur télécoms
en France, dans sa stratégie de convergence réseaux-contenus destinée à séduire
de nouveaux clients – actuellement 50 millions dans le monde – et surtout ne plus
en perdre. SFR a en effet perdu depuis le début de l’année 324.000 abonnés mobile (760.000 en un an), faute pour la filiale d’Altice d’avoir pu leur proposer des offres suffisamment attractives afin d’éviter qu’ils ne partent chez Free ou chez Bouygues Telecom aux tarifs plus agressifs. Dans le fixe, c’est 170.000 abonnés qui lui ont tourné le dos en un an. Et depuis le début de l’année, l’action de SFR a reculé de près de
30 % en Bourse. Il y a donc urgence pour le groupe de Patrick Drahi à reconquérir des clients dans l’Hexagone et à en recruter plus dans les autres pays où il est présent (Etats-Unis, Portugal, Israël, République Dominicaine, …). Cela passe par l’enrichissement de ses offres d’accès par des contenus originaux destinés à des clients « premium » susceptibles de générer de plus fortes marges grâce à un Arpu (1) plus élevé – voire avec des tarifs revus en hausse. L’annonce de la création des deux entités « contenus » a été faite lors de la présentation du projet du groupe Altice de monter à 100 % dans le capital de SFR, dont il détient actuellement un peu moins de
78 %, et de retirer SFR de la Bourse de Paris au terme de cette offre publique d’échange qui sera lancée le 22 septembre (2).
Le tandem Melhli-Weill sur la création de contenus cinématographiques et audiovisuels devrait permettre à Altice en général et à SFR en particulier de tirer plus de valeur de l’intégration verticale. Mais le groupe coté à la Bourse d’Amsterdam, déjà surendetté à hauteur de plus de 51,5 milliards d’euros, aura-t-il les reins assez solides pour investir dans de coûteuses productions originales (films, séries, …) et faire bonne figure face à des producteurs aguerris tels que Netflix, Canal+ ou Amazon ? Altice Studios produira des films et séries originaux, là où Orange Studio (ex-Studio 37) en coproduit après que l’opérateur historique ait renoncé en 2010 à être lui-même producteur. Altice table sur ses différents réseaux pour assurer la distribution et la diffusion de ses œuvres, notamment en France sur Zive, son service de VOD par abonnement (3) lancé en novembre 2015. Or Zive – qui est rebaptisé SFR Play et dont le budget annuel devrait tripler à environ 90 millions d’euros, selon Alain Weill (4) – doit encore convaincre : il n’est pour l’instant fréquenté que par 0,2 % des utilisateurs ayant consommé en France de la VOD payante (contre 27 % pour Orange et 25,8 % pour Netflix), selon le classement 2015 que le CNC (5) a publié en mai dernier (voir page 10). Pour l’heure,
le groupe Altice a réalisé en 2015 un chiffre d’affaires de 14,4 milliards d’euros (dont 11 milliards de SFR) pour une perte nette de 243,4 millions d’euros (dont un bénéfice net de 682 millions pour SFR). SFR fait l’objet d’un plan de départs volontaires portant sur 5.000 salariés d’ici à 2019 sur les 15.000 actuels. @

Charles de Laubier

ZOOM

La nouvelle entité SFR Media
Dirigée par Alain Weill, DG d’Altice Media, SFR Media est composé de :
• SFR Presse où est regroupé l’ensemble des activités presse du groupe en France (L’Express, Libération, L’Expansion, L’Étudiant, Stratégies, NewsCo, …) ;
• SFR RadioTV où l’on retrouve les activités audiovisuelles, toujours en France (BFM TV, BFM Business, BFM Paris, RMC, RMC Découverte) ;
• SFR Sportréunissant les différentes activités consacrées aux sports : BFM Sport, RMC Sport, SFR Sport 1, SFR Sport 2, SFR Sport 3, SFR Sport 4 et SFR Sport 5. Altice Media opère aussi la chaîne d’information internationale i24 News. Alors que la chaîne BFM Paris sera lancée le 7 novembre prochain, le groupe pourrait également intégrer à terme la chaîne Numéro 23 dont il est actionnaire à 39 %. Il est en outre un des candidats à la reprise de la fréquence de TV Toulouse. @

En un an, le revirement de Martin Bouygues sur sa filiale télécoms a été des plus spectaculaires

En février 2015, l’héritiez de l’empire Bouygues affirmait mordicus qu’il était hors de question de céder sa filiale télécoms – « Vous vendriez votre femme, vous ? ». Mais Martin Bouygues a depuis retourné sa veste pour vendre à la découpe l’un des bijoux de famille mal en point. Quitte à pactiser avec Orange.

« Bouygues Telecom poursuit la mise en place de son plan de transformation (…) visant à lui garantir un avenir autonome. De plus, le groupe n’a reçu à ce jour aucune offre de rachat pour sa filiale Bouygues Telecom ». C’était, souvenezvous, ce qu’avait assuré Martin Bouygues (photo), PDG du groupe éponyme, en août 2014, soit quelques mois après avoir échoué dans un projet de rapprochement entre Bouygues Telecom et SFR. Vivendi avait alors préféré finalement vendre SFR à Numericable (Altice).

Du stand alone à la dissolution
Et il y a encore un an, alors que les marques d’intérêt d’Orange et d’Altice pour Bouygues Telecom se faisaient insistantes, Martin Bouygues avait une nouvelle fois brandi le drapeau de l’indépendance de sa filiale télécoms : « Nous sommes beaucoup courtisés, comme tous les opérateurs du monde. Mais il n’y a aucune négociation en cours. Le choix, c’est le stand alone ; on a été très clairs là-dessus. Bouygues Telecom dispose d’un portefeuille de fréquences exceptionnel et peut donc parfaitement poursuivre son chemin seul », avait-il déclaré fin février 2015. Martin Bouygues avait même lancé lors de la présentation des résultats financiers : « Vous vendriez votre femme, vous ? ». C’était il y a douze mois. Avec Orange, les premières discussions
en 2014 avaient achoppées sur le prix « trop élevé » qu’en demandait Bouygues. Depuis la fin de l’an dernier, l’héritiez du groupe familial de BTP et de communication a fait un revirement spectaculaire sur l’avenir de Bouygues Telecom en réengageant des discussions avec Orange – comme l’avait révélé l’agence Bloomberg le 8 décembre, pourtant aussitôt démentie par Bouygues (« Aucun projet de sortie des secteurs des télécoms et de la télévision »). Après des rumeurs persistantes et des révélations du Canard Enchaîné le 29 décembre mêlant TF1 aux négociations entre Orange et Bouygues, les deux groupes se sont résolus à confirmer leurs discussions le 5 janvier 2016. La maison mère de Bouygues Telecom s’est, elle, fendue d’un communiqué ambigu : « Intéressé par tout schéma qui lui permettrait de conforter son ancrage durable dans les télécoms, Bouygues annonce que des discussions préliminaires ont été engagées avec Orange pour explorer toute éventuelle opportunité ». Il n’est alors plus question d’indépendance, ni de pouvoir poursuivre en cavalier seul dans les télécoms. Martin Bouygues est maintenant prêt au démantèlement de sa filiale que se partageraient ses trois concurrents : l’ex-France Télécom, le groupe SFR-Numericable et Iliad- Free. Quel revirement de situation ! Alors qu’il y a un an encore, ne voulant pas sacrifier ses télécoms sur l’autel de la concentration à trois opérateurs (1), il se disait confiant dans l’avenir de Bouygues Telecom: « Nous avons été en enfer durant quatre ans ; on a voulu nous tuer, mais ça a raté ! », ironisait-il. Bouygues Telecom était alors bien vivant… lui-même d’ailleurs aussi (2). Maintenant, c’est « Bouygues Telecom est mort, vive… Orange ! ».
Vingt-deux ans après avoir créé cette filiale télécoms, Martin Bouygues est décidé à délester son groupe de cette activité moribonde (59 millions d’euros de perte nette
en 2015, en hausse de 30 %). Quelle fin cynique pour « le petit poucet » (3) qui avait bousculé dès le milieu des années 1990 le marché français alors encore dominé par l’ancien monopole France Télécom. Qui aurait pu imaginer qu’un jour Bouygues aurait été prêt à dissoudre ses télécoms dans Orange, dont il espère avoir en contrepartie
une participation de 15 % du capital – aux côtés de l’Etat français qui détient actuellement 23 % ?
Ce dernier souhaite en tout cas rester « l’actionnaire de référence » de l’opérateur historique et, sans être trop dilué, limiter les prétentions de Martin Bouygues, lequel valorise « son bébé » plus de 10 milliards d’euros (4). Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, doit faire en sorte que ce projet de « rapprochement » n’aboutisse pas à des licenciements – comme l’exige l’Elysée. Il espère du même coup réorienter à la hausse la valorisation boursière de son groupe après avoir subi une décote depuis l’arrivée du quatrième opérateur mobile Free début 2012.

Décision attendue en mars
Les négociations du trio Orange-Etat-Bouygues – auxquels il faut ajouter l’Autorité de
la concurrence (5) – devraient prendre encore « quelques semaines » et ont « 50 % de chances d’aboutir », selon Stéphane Richard le 16 février. Une décision est maintenant attendue en mars. Martin Bouygues a beau dire que sa filiale télécoms continuera seule son chemin en cas d’échec de ces négociations, mais qui peut vraiment le croire maintenant… Egalement en recul, la filiale TF1 subira-t-elle le même sort ? Allez savoir… @

Charles de Laubier

Ebook : Orange arrête MO3T, à cause d’Hachette ?

En fait. Le 22 février, Orange confirme à Livres Hebdo et à ActuaLitté l’abandon du projet de plateforme professionnelle ouverte de livres numériques MO3T – en gestation depuis 2012. « Certains acteurs n’ont pas suivi », comme Hachette. Née aussi en 2012, la plateforme TEA de Decitre se développe, elle.

En clair. Les éditeurs, les libraires et les opérateurs télécoms n’ont pas réussi en France à s’entendre en quatre ans en vue de mettre en place une plateforme de gestion commune ouverte de livres numériques. Le projet baptisé MO3T, pour « modèle ouvert trois tiers » (édition-librairie-numérique), est mort-né. Ainsi en a décidé Orange faute d’avoir réussi à réunir dans le consortium « l’ensemble des acteurs du marché », à commencer par Hachette qui avait dès le début en 2012 qualifié le projet de « flou ». L’absence du numéro un français de l’édition (groupe Lagardère) a instillé le doute
chez beaucoup d’autres tout au long des développements et des négociations interprofessionnelles.
MO3T devait associer les opérateurs télécoms Orange, SFR et Bouygues Telecom (sans qu’il soit jamais question d’ailleurs de Free), ainsi que les maisons d’édition Editis, La Martinière, Gallimard, et les libraires Dialogues, Lamartine, La Procure ou en encore les prestataires ePagine et Dilicom. Cette plateforme B2B devait servir aux vendeurs pour gérer la distribution de livres numériques auprès du grand public via tous les canaux possibles : sites web, applications mobile, boutiques physiques, etc. MO3T avait l’ambition d’être aux ebooks ce que Dilicom (1) est aux livres imprimés, une plateforme interprofessionnelle entièrement ouverte. Transparente pour le lecteur final, elle aurait permis à ce dernier d’acheter son livre numérique n’importe où – en librairie ou en ligne – pour le stocker dans son cloud personnel, sans souci d’interopérabilité entre ses terminaux. MO3T voulait être ouvert là où Amazon, Apple ou Adobe étaient fermés, voire verrouillés. Malgré un budget de 7 millions d’euros, dont 3 millions obtenu du « Grand emprunt » (investissements d’avenir financés par le contribuable via l’Etat), le GIE ne verra jamais le jour faute d’entente entre les parties. Pourtant, en Allemagne, un consortium similaire – Tolino – a, lui, réussi sous la houlette de Deutsche Telekom grâce au soutien des éditeurs et libraires.
La plateforme française TEA (« The Ebook Alternative »), lancé en 2012, par les librairies Decitre, se verrait bien, elle, comme « le Tolino français » (2) qui propose sa solution DRM (Digital Rights Management) anti-Adobe baptisée Care (Content and author rights environment). Pas sûr que cela soit suffisant pour adapter toute la filière du livre au numérique. @

Maurice Lévy, président de Publicis : « La fraude publicitaire, c’est quelque chose de très grave »

Le président du directoire du groupe Publicis, Maurice Lévy, se dit préoccupé par la fraude publicitaire qui sévit dans le monde numérique avec des robots virtuels (botnets) qui cliquent automatiquement les publicités en ligne pour détourner de l’argent. Mais il se dit moins inquiet au sujet des adblockers, « pour l’instant ».

« C’est quelque chose de très grave. Hélas, ce sont des centaines de millions, peut-être des milliards de dollars qui s’évadent. Et c’est très grave parce que cela jette l’opprobre sur l’ensemble d’une profession et crée des risques très importants sur les médias qui font leur boulot honnêtement et qui attendent ces recettes », a estimé Maurice Lévy (photo), président du directoire du groupe Publicis depuis 1987, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef) dont il était l’invité le 4 février dernier. Le recours à des robots virtuels, chargés de cliquer automatiquement sur les e-pubs, l’inquiète. Selon l’association américaine des annonceurs, l’ANA (Association of National Advertising), ces derniers devraient perdre cette année 7,2 milliards de dollars au niveau mondial au profit des robots virtuelles qui organisent la fraude publicitaire massive. Une étude du cabinet EY réalisée pour le compte de l’IAB (Interactive Advertising Bureau) et rendue publique en décembre avance une perte plus importante : 8,2 milliards de dollars par an rien qu’aux Etats-Unis. Comment cela fonction-t-il ?

Le coût pour mille impressions (CPM) dévoyé
« C’est très simple, a expliqué celui qui fut d’abord ingénieur informaticien (1) avant de rejoindre en 1971 Marcel Bleustein- Blanchet, le fondateur de Publicis. On distribue de la publicité et on est payé à la vue, c’est le pay per view. Pour pouvoir facturer le client, il faut que le consommateur clique. Et il y a des esprits astucieux, malins, qui ont créé des robots, donc un algorithme, un robot virtuel qui clique lorsqu’il reçoit le message (publicitaire). Ce ne sont pas les publicitaires qui fraudent, mais des plateformes qui détiennent des profils (de consommateurs) et qui cliquent automatiquement en affirmant “Mon consommateur a lu votre message (publicitaire) et il l’a aimé !” pour ensuite facturer ». Selon une enquête de l’ANA aux Etats-Unis, les annonceurs enregistrent en 2015 un taux de 3 % à 37 % de cliquent frauduleux générés par des robots. Les médias ayant des niveaux élevés de CPM, le fameux coût pour mille
« impressions » (affichage de la publicité en ligne, qu’elle soit bandeau, vidéo ou annonce textuelle), sont les plus vulnérables à ces robots cliqueurs. La publicité programmatique (2), y compris pour les vidéos publicitaires, génère le plus de fraude
au clic provenant du trafic non-humain.

Des robots à clics en réseau (botnets)
En France, d’après la société Integral Ad Science spécialisée dans l’optimisation de la qualité média, les impressions frauduleuses générées par des robots représentent environ 10 % des impressions publicitaires, contre 11,2 % en Allemagne et 12,9 % en Grande-Bretagne. Les opérateurs de botnets, ces réseaux de robots, s’en donnent à cœur joie et agissent sans frontières. Pour le numéro trois mondial de la publicité (derrière WPP et Omnicom), c’est d’autant plus inquiétant que cela instaure le doute.
« C’est un phénomène très embêtant parce qu’il conduit à des interrogations, comme
le fait l’ANA. C’est vrai que, sur la publicité programmatique, il y a énormément de
gens qui ont trouvé malin de faire des robots qui cliquent, qui ouvrent des liens, qui déclenchent des vidéos, qui ouvrent des messages, voire qui répondent pour les plus sophistiqués », a indiqué Maurice Lévy préoccupé. Au point que Publicis travaille avec une équipe du MIT (3) pour savoir comment être beaucoup plus rigoureux dans le tracking, c’est-à-dire la manière de remonter l’information jusqu’à l’utilisateur final.
« Sur les mobiles (smartphones et tablettes), c’est beaucoup plus facile que sur les ordinateurs », constate-t-il.
Autre phénomène : celui du pay-to-click ou paid-to-click (PTC), encore appelé cashlink. Cette fois, ce sont des êtres humains – et non plus des robots – qui sont payés pour cliquer sur des publicités en ligne ou des vidéos publicitaires. L’une des plateformes PTC, My Advertising Pays, organise d’ailleurs une première rencontre à Lausanne en Suisse le 20 février prochain pour expliquer le concept et séduire de nouveaux adeptes. Chacun peut constituer son propre réseau de « filleuls », lesquels génèreront à leur tour des royalties à partir de leurs gains, selon le principe du multi-level marketing (organisation pyramidale). Pour Maurice Lévy, rien de nouveau ni de répréhensible.
« Cela a toujours existé. Rappelez-vous, la première opération de ce type-là, c’était vers 1999 ou 2000. C’est vrai que c’est discutable mais ça ne prend pas ; il n’y a pas grand chose. C’est beaucoup plus efficace quand Verizon, AT&T, T-Mobile ou Orange offrent des services et que les gens trouvent cela intéressant de cliquer. Et l’on va se trouver de plus en plus avec des échanges où les gens seront intéressés au clic ».
Et le président de Publicis d’ajouter : « L’élément dangereux, c’est la fraude. Celui-ci
(le paid-to-click) n’en est pas. Il y en a peu. C’est moins important que les messages (publicitaires) inutiles qui sont adressés aux mauvaises personnes, même si cela sert
la marque par un phénomène de halo qui nourrit l’image de la marque ». Quant à la question de l’impact des adblockers, ces logiciels permettant aux internautes ou aux mobinautes d’empêcher que les publicités en ligne ou les vidéo publicitaires ne s’affichent dans leur navigateur, elle lui a été également posée. Mais là, le patron de Publicis (4) s’est voulu rassurant devant l’Ajef en minimisant leur portée : « Il n’y a
pas de développement très important, ni une espèce de contamination générale. C’est un phénomène qui est assez modeste pour l’instant. Chaque fois qu’il y a eu des phénomènes de ce genre, la bonne solution passait toujours par la créativité ». Selon lui, la publicité est acceptable lorsqu’elle apporte quelque chose, « quand elle est créative, quand elle fait sourire, quand elle apporte un peu de couleurs dans un paysage gris, ou lorsqu’elle apporte des informations intéressantes sur un produit nouveau ou quelque chose de différent ou une proposition commerciale attrayante ».

C’est justement dans ce sens que l’éditeur allemand du logiciel Adblock Plus a engagé depuis novembre des discussions baptisées… « Camp David » (5), dans le but de trouver avec les publicitaires et les médias des annonces « plus acceptables ». Une seconde réunion s’est tenue à Londres le 2 février. Quant à l’Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d’information (Wan- Ifra), elle a organisé le 11 février à Francfort un « Ad Blocking Action Day » afin d’améliorer la publicité en ligne. En France, où la Cnil conseillait en décembre 2013 d’utiliser… des adblockers (6), le Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) a, lui, tenu quatre « réunions de crise » sur les adblockers depuis 2014. Selon une étude d’Adobe et de PageFair publiée en août 2015, plus de 198 millions d’utilisateurs dans le monde – dont 77 millions en Europe – ont déjà bloqué les e-pubs à partir de leur navigateur ou de leur smartphone. Cela devrait provoquer cette année une perte cumulée mondiale de 41 milliards de dollars pour les éditeurs et les annonceurs (7), contre près de 23 milliards de dollars estimés en 2015.

La pub intrusive l’agace aussi
Quoi qu’il en soit, Maurice Lévy conçoit très bien que la publicité puisse agacer, lorsqu’elle est intrusive. « C’est à nous de gérer les choses de la manière la plus intelligente qui soit et d’éviter les problèmes d’intrusion, d’invasion, de saturation, ceux qui énervent les gens, moi compris ! Je ne supporte pas, quand je regarde un e-mail qui est une chose privée d’aller sur une pièce attachée de mon email, et d’avoir une pub ». Reste à savoir quand interviendra l’aggiornamento des publicitaires… @

Charles de Laubier

La tentative d’un retour à un triopole rappelle de bien mauvais souvenirs (entente illicite et prix élevés)

C’était fin 2005 : le « triopole mobile » de l’époque – Orange, SFR et Bouygues Télécom – écopait d’une amende record de 534 millions d’euros pour constitution de cartel afin de préserver leurs parts de marché et des prix élevés. Ce précédent historique devrait dissuader de retourner à trois opérateurs télécoms.

Ce fut le 30 novembre 2005 – il y a maintenant plus de dix ans – que les trois opérateurs mobiles Orange, SFR et Bouygues Telecom avaient été condamnés à, d’une part, une sanction pécuniaire de 442 millions d’euros pour entente illicite sur trois ans (2000-2002) revenant à se répartir le marché et, d’autre part, à 92 millions d’euros pour avoir échangé régulièrement des informations confidentielles (1) sur le secteur durant plusieurs années (1997-2003).

UFC-Que Choisir, garde-fou
Ces 534 millions d’euros furent, faut-il le rappeler, l’amende la plus élevée jamais infligée – tous secteurs confondus – par le Conseil de la concurrence (devenu l’Autorité de la concurrence). Cette entente illicite avait permis aux trois opérateurs de ce « cartel mobile » de stabiliser leurs parts de marchés respectives et de maintenir des prix élevés. A l’époque de ces comportements anticoncurrentiels, la France commençait à peine à dépasser les 20 millions d’abonnés mobile (2) et plusieurs études y soulignaient un faible taux de pénétration du mobile par rapport à d’autres pays européens, tout en relevant des tarifs « supérieurs » à la moyenne. La fédération des consommateurs UFC-Que Choisir (3), dont Alain Bazot (photo) est le président depuis 2003, avait été
à l’origine de la plainte devant le Conseil de la concurrence, le 22 février 2002, avant qu’elle ne saisisse, le 13 octobre 2006, le tribunal de commerce de Paris pour démontrer le lien direct entre la faute du « triopole » et le préjudice subi par leurs abonnés. Un peu plus de dix ans après, UFC-Que Choisir a mis en garde le 5 janvier dernier contre un rapprochement Orange-Bouygues Telecom, dont les « discussions » – initiées par Martin Bouygues luimême – avaient été officialisées le jour même, qui aboutirait à un retour au triopole, avec cette fois Orange, SFR et Free. Stéphane Richard, PDG d’Orange, a estimé le 12 janvier que les discussions ont « une chance sur deux » d’aboutir… « Attention danger ! », a lancé UFC-Que Choisir, en craignant cette « configuration qui faisait de la France le pays où les prix des abonnements [mobile] étaient 25 % plus élevés que la moyenne européenne et qui avait donné lieu
à des pratiques sévèrement condamnées par le Conseil de la concurrence ! ». Pire, cette opération aboutirait à réduire également à trois le nombre de fournisseurs d’accès à l’Internet (FAI), dans le fixe, « en faisant disparaître l’acteur jouant depuis peu le rôle d’agitateur du marché » – à savoir Bouygues Telecom, qui a lancé sa Bbox fin 2008.
« Il est primordial, prévient UFC-Que Choisir, que les consommateurs soient assurés que ces discussions n’entraînent pas une entente sur les stratégies commerciales
à venir des opérateurs. (…) Les consommateurs se souviennent que, suite à la condamnation de l’entente dans le domaine de la téléphonie mobile, il avait fallu attendre sept ans pour que le marché soit redynamisé ! [avec le lancement de Free Mobile en 2012, ndlr] ».
De son côté, l’association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), que préside depuis 2004 Reine- Claude Mader (4), a également réagi en voyant dans le rapprochement Orange-Bouygues Telecom « une menace à la fois pour la richesse
des offres proposées et pour le niveau tarifaire de nos abonnements », en rappelant elle aussi la condamnation historique de 2005. Elle met aussi en garde contre une concentration du marché français des télécoms, dont l’indice dit HHI (5) serait de plus de 3.400 points, soit un niveau risqué pour le bon fonctionnement de la concurrence. D’autant que le nouvel ensemble Orange-Bouygues Telecom détiendrait près de 50 % des parts de marché dans ce secteur en France, sans préjuger des cessions d’actifs qui pourraient être exigées. C’est au gouvernement – l’Etat est outre actionnaire d’Orange à 24 % – d’en décider in fine, même si l’Autorité de la concurrence, l’Arcep et, éventuellement, la Commission européenne auront leur mot à dire. Tandis que la prochaine assemblée générale du groupe Bouygues, le 21 avril prochain, sera décisive.

L’Autorité de la concurrence préfère à 3
Lorsque la rumeur a commencé à courir sur un tel rapprochement, le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, avait déclaré sur France Info le 17 décembre 2015 : « Soyons clairs. Pour la concurrence, quatre opérateurs, c’est mieux que trois. Qui pourrait dire le contraire ? (…) Mais faut-il avoir la religion de quatre et dire que la concurrence est uniquement une affaire de nombres ? Certainement pas ». Il s’exprimait alors que les sages de la rue de L’Echelle venait d’infliger – encore !
– une amende record pour un seul opérateur télécoms… A savoir : 350 millions d’euros à Orange pour entrave à la concurrence sur le marché des entreprises (6). @

Charles de Laubier