Orange et SFR se tirent la bourre dans les contenus, au risque de créer un duopole néfaste en France

Ne parvenant pas à augmenter leur Arpu en raison de la guerre des prix accrue qu’ils se livrent depuis cinq ans, les opérateurs télécoms voient dans des contenus premiums des relais de croissance. Mais seuls Orange et SFR ont
de gros moyens, au risque d’engendrer un duopole. L’Arcep s’inquiète.

Depuis cinq ans maintenant que Free Mobile a été lancé pour bousculer l’ordre établi du triopole alors en place, les opérateurs télécoms se livrent en France à une bataille sans merci sur les prix. A défaut de ne plus pouvoir se différencier sur les tarifs, tirés vers le bas à la grande satisfaction des utilisateurs, voilà que les stratégies de différenciation des fournisseurs d’accès à Internet se déplacent sur les contenus. Le cinéma, le sport ou encore la presse sont devenus des produits d’appel pour les opérateurs dont les réseaux – censés évoluer rapidement vers le très haut débit – passent au second plan ou presque.

TV et VOD : pourquoi Altice, maison mère de SFR, veut lancer Altice Studios et Altice Channel Factory

La stratégie de convergence d’Altice (SFR, Portugal Telecom, Cablevision, …), déjà surendetté à hauteur de 50 milliards d’euros, suppose d’investir dans des contenus originaux et coûteux. En plus d’Altice Media, dirigé par Alain Weill,
le groupe multimédia crée Altice Studios et Altice Channel Factory.

Le groupe de télécoms et de médias Altice, présidé par Patrick Drahi et en passe de détenir la totalité du capital de SFR, a annoncé le 5 septembre la création de deux nouvelles entités baptisées respectivement Altice Studios et Altice Channel Factory. Elles œuvreront pour l’ensemble du groupe en France et à l’international. La première produira des films et des séries originales, sous la direction de Nora Melhli, ex-directrice de la fiction de la société de production Shine France et ex-Endemol Fiction ; la seconde créera de nouvelles chaînes de télévision, sous la direction cette fois de Alain Weill (photo), directeur général d’Altice Media et de SFR Media, ainsi que PDG de son groupe NextRadioTV (BFM TV, RMC, …) intégré depuis l’an dernier dans Altice.

En un an, le revirement de Martin Bouygues sur sa filiale télécoms a été des plus spectaculaires

En février 2015, l’héritiez de l’empire Bouygues affirmait mordicus qu’il était hors de question de céder sa filiale télécoms – « Vous vendriez votre femme, vous ? ». Mais Martin Bouygues a depuis retourné sa veste pour vendre à la découpe l’un des bijoux de famille mal en point. Quitte à pactiser avec Orange.

« Bouygues Telecom poursuit la mise en place de son plan de transformation (…) visant à lui garantir un avenir autonome. De plus, le groupe n’a reçu à ce jour aucune offre de rachat pour sa filiale Bouygues Telecom ». C’était, souvenezvous, ce qu’avait assuré Martin Bouygues (photo), PDG du groupe éponyme, en août 2014, soit quelques mois après avoir échoué dans un projet de rapprochement entre Bouygues Telecom et SFR. Vivendi avait alors préféré finalement vendre SFR à Numericable (Altice).

Ebook : Orange arrête MO3T, à cause d’Hachette ?

En fait. Le 22 février, Orange confirme à Livres Hebdo et à ActuaLitté l’abandon du projet de plateforme professionnelle ouverte de livres numériques MO3T – en gestation depuis 2012. « Certains acteurs n’ont pas suivi », comme Hachette. Née aussi en 2012, la plateforme TEA de Decitre se développe, elle.

En clair. Les éditeurs, les libraires et les opérateurs télécoms n’ont pas réussi en France à s’entendre en quatre ans en vue de mettre en place une plateforme de gestion commune ouverte de livres numériques. Le projet baptisé MO3T, pour « modèle ouvert trois tiers » (édition-librairie-numérique), est mort-né. Ainsi en a décidé Orange faute d’avoir réussi à réunir dans le consortium « l’ensemble des acteurs du marché », à commencer par Hachette qui avait dès le début en 2012 qualifié le projet de « flou ». L’absence du numéro un français de l’édition (groupe Lagardère) a instillé le doute
chez beaucoup d’autres tout au long des développements et des négociations interprofessionnelles.
MO3T devait associer les opérateurs télécoms Orange, SFR et Bouygues Telecom (sans qu’il soit jamais question d’ailleurs de Free), ainsi que les maisons d’édition Editis, La Martinière, Gallimard, et les libraires Dialogues, Lamartine, La Procure ou en encore les prestataires ePagine et Dilicom. Cette plateforme B2B devait servir aux vendeurs pour gérer la distribution de livres numériques auprès du grand public via tous les canaux possibles : sites web, applications mobile, boutiques physiques, etc. MO3T avait l’ambition d’être aux ebooks ce que Dilicom (1) est aux livres imprimés, une plateforme interprofessionnelle entièrement ouverte. Transparente pour le lecteur final, elle aurait permis à ce dernier d’acheter son livre numérique n’importe où – en librairie ou en ligne – pour le stocker dans son cloud personnel, sans souci d’interopérabilité entre ses terminaux. MO3T voulait être ouvert là où Amazon, Apple ou Adobe étaient fermés, voire verrouillés. Malgré un budget de 7 millions d’euros, dont 3 millions obtenu du « Grand emprunt » (investissements d’avenir financés par le contribuable via l’Etat), le GIE ne verra jamais le jour faute d’entente entre les parties. Pourtant, en Allemagne, un consortium similaire – Tolino – a, lui, réussi sous la houlette de Deutsche Telekom grâce au soutien des éditeurs et libraires.
La plateforme française TEA (« The Ebook Alternative »), lancé en 2012, par les librairies Decitre, se verrait bien, elle, comme « le Tolino français » (2) qui propose sa solution DRM (Digital Rights Management) anti-Adobe baptisée Care (Content and author rights environment). Pas sûr que cela soit suffisant pour adapter toute la filière du livre au numérique. @

Maurice Lévy, président de Publicis : « La fraude publicitaire, c’est quelque chose de très grave »

Le président du directoire du groupe Publicis, Maurice Lévy, se dit préoccupé par la fraude publicitaire qui sévit dans le monde numérique avec des robots virtuels (botnets) qui cliquent automatiquement les publicités en ligne pour détourner de l’argent. Mais il se dit moins inquiet au sujet des adblockers, « pour l’instant ».

« C’est quelque chose de très grave. Hélas, ce sont des centaines de millions, peut-être des milliards de dollars qui s’évadent. Et c’est très grave parce que cela jette l’opprobre sur l’ensemble d’une profession et crée des risques très importants sur les médias qui font leur boulot honnêtement et qui attendent ces recettes », a estimé Maurice Lévy (photo), président du directoire du groupe Publicis depuis 1987, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef) dont il était l’invité le 4 février dernier. Le recours à des robots virtuels, chargés de cliquer automatiquement sur les e-pubs, l’inquiète. Selon l’association américaine des annonceurs, l’ANA (Association of National Advertising), ces derniers devraient perdre cette année 7,2 milliards de dollars au niveau mondial au profit des robots virtuelles qui organisent la fraude publicitaire massive. Une étude du cabinet EY réalisée pour le compte de l’IAB (Interactive Advertising Bureau) et rendue publique en décembre avance une perte plus importante : 8,2 milliards de dollars par an rien qu’aux Etats-Unis. Comment cela fonction-t-il ?