Musique et vidéo : la bataille mondiale des métadonnées et de la recommandation en ligne

La société Gracenote veut devenir le standard dans la gestion des métadonnées décrivant les musiques et les vidéos numériques. Mais, au-delà de la reconnaissance des œuvres, se joue une bataille cruciale pour les industries culturelles : la recommandation en ligne auprès des utilisateurs.

ITunes d’Apple, Google Play, le could d’Amazon, les smartphones de HTC, le nouveau Napster de Rhapsody ou encore les TV connectées de Sony et de Toshiba : ils ont tous en commun de faire appel à la méga-base de métadonnées de la société américaine Gracenote. Y sont décrits plus de 180 millions de titres de musiques de part le monde. Cette mine d’informations sur les œuvres musicales (titre, genre, artiste, droits d’auteur, référence, illustration, paroles, …), consultée en temps réel à raison de plusieurs centaines de millions de requêtes par jour (plusieurs milliards par mois), permet aux plates-formes de musique sur Internet, aux fabricants de terminaux ou aux éditeurs
de boutiques en ligne, de proposer aux internautes ou aux mobinautes des services
de reconnaissance de musique.

AllMusic, The Echo Nest, MusicBrainz, …
Dès qu’un utilisateur insère un CD/DVD, choisit une musique en streaming ou regarde un clip vidéo sur sa télévision connectée, il peut avoir des informations sur ce qu’il écoute. Au-delà de l’identification et de la description d’œuvres musicales, Gracenote permet une prestation cruciale : la recommandation, grâce à une expertise éditoriale et algorithmique s’appuyant sur sa vaste base de données musicales. La qualification de contenus est un élément décisif aujourd’hui au regard de l’évolution du marché de la musique en ligne, où le streaming et le flux audio (webradio, smart radio, playlists, …) prennent le pas sur le téléchargement. Sur le mode « Vous avez aimé tel morceau ; vous adorerez tel autre »,
la recommandation – émanant d’une boutique en ligne ou d’amis sur les réseaux sociaux – est devenue stratégique pour les industries culturelles et facteur de différenciation pour les plates-formes numériques (1). Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) s’y mettent aussi, comme le montre en France Free, qui a affirmé être « le premier opérateur au monde à proposer le service de reconnaissance musical Music ID de Gracenote » (2). Les métadonnées montent même en voiture avec Ford, Toyota ou Chrysler. Gracenote, qui appartient depuis 2008 à Sony, est en passe d’être vendu au groupe de médias américain The Tribune Compagny, pour 170 millions de dollars. Ce dernier compte rapprocher Gracenote, qui a aussi développé une base de métadonnées dans la vidéo,
de sa propre base données sur les programmes de télévision et de films de cinéma TMS (Tribune Media Services). Cette reconnaissance automatique de contenus audiovisuels devient essentielle. Ainsi, Gracenote compte LG, Sony et Philips parmi ses clients en télévision connectée, Syfy Sync de NBC Universal ou Zeebox dans la synchronisation du second écran et Vudu du groupe Walmart, entre autres, dans les services de cloud vidéo, en plein boom. Appelé anciennement CDDB (Compact Disc Data Base), Gracenote est loin d’être le seul à donner le « la » dans les métadonnées musicales. La concurrence s’organise. La société américaine AllMusic (ex-All Media Guide), rachetée en 2007 par Rovi et basée dans le Michigan, commercialise aussi une base de métadonnées de 30 millions de musiques. Parmi ses clients : de nouveau iTunes, Yahoo, eMusic ou encore AOL. AllMusic rivalise avec une société du Massachusetts, The Echo Nest, revendiquant une base de plus de 35 millions de titres référencés qu’utilisent Vevo, Spotify, Rdio, MTV, Warner Music, Yahoo ou encore Nokia (3). Il y a aussi MusicBrainz (utilisé par la BBC)
et Freedb (racheté par l’allemand Magix), qui ont tous les deux la particularité d’avoir été créés pour prendre le contre-pied de Gracenote, devenu payant (sous licence), en rendant libres leurs bases de métadonnées musicales. Si les gestionnaires de métadonnées sont essentiellement anglo-saxons, la diversité musicale européenne est-elle suffisamment bien couverte par les algorithmes mélomanes ? En France, il y a la société Music Story, créée en 2008 et basée à Lille. Elle gère une base de métadonnées musicale de près de 130.000 artistes francophones et près de 500.000 photos d’artistes, pour plus de 1,1 million d’enregistrements. Ses clients : Deezer, VirginMega.fr, Lagardère, Priceminister ou encore la webradio Radionomy.

Music Story : métadonnées francophones
En plus de la qualification des titres de musiques francophones, l’équipe éditoriale
de Music Story y ajoute des notes biographiques, des chroniques d’albums, des discographies, des informations commerciales (disponibilité, prix, support, …), ainsi
que les comptes sociaux des artistes sur Twitter, Facebook ou YouTube. C’est que la recommandation proposée par les Facebook, Twitter et autres Dailymotion serait devenue l’une des principales sources d’audience des plates-formes de contenus culturels en ligne. Internet devient ainsi un jukebox géant, fonctionnant sur recommandations. @

Charles de Laubier

Mash-up manifesto

Cette semaine, l’événement est la première grande rétrospective consacrée au Mash-up qui vient de
s’ouvrir au Grand Palais. Une manière de reconnaître
que les artistes à l’origine de ces œuvres, dites
« transformatives », sont des créateurs à part entière. Etonnantes, surprenantes, dérangeantes, amusantes,
ces œuvres sont bien issues d’un courant artistique majeur né de façon désorganisée. Apparues spontanément en l’an 2000, elles ont fleuri sur Internet grâce à la disponibilité d’une infinité de contenus et d’outils, très simples d’utilisation, permettant de réaliser ces fameux copier-coller, comme autant de possibilités de reproduire, découper, modifier des musiques, des photos ou des vidéos, voire des textes. Le Mash-up est
une composition originale réalisée à partir d’éléments hétérogènes, un assemblage numérique de morceaux visuels, sonores ou textuels provenant de sources très diverses. Le phénomène a d’abord démarré à l’initiative d’internautes s’amusant à détourner des fichiers musicaux, à créer des photos ou des animations, puis très
vite des vidéos réalisées à partir de clips vidéo ou de bandes annonces – donnant naissance à une nouvelle oeuvre souvent drôle et décalée.

« Vers une économie nouvelle de la combinaison
et de la réutilisation, naviguant entre les notions
de Creative Commons et de copyright revisités. »

Cet art ne s’inscrit-il pas dans la continuité de collages pratiqués par de nombreux artistes célèbres, cubistes de Braque et Picasso, surréalistes de Max Ernst ou poétiques de Prévert ? Sans parler des siècles de pratiques de l’emprunt ou de
la citation par les plus grands maîtres florentins jusqu’aux œuvres de Manet, Goya
ou Delacroix. Comme le Ready Made, un siècle plus tôt, marqua l’entrée dans une nouvelle ère, le Mash-up a ouvert un nouveau terrain de jeu pour les nouvelles générations d’artistes. Certains photographes ne s’y sont pas trompés, qui, dès 2011, par la voix d’un collectif comptant dans ses rangs le grand Martin Parr, signèrent un manifeste : désormais les choses seraient différentes car, à l’âge du numérique, les ressources sont illimitées et les possibilités infinies. Dès lors, les actes artistiques se sont multipliés, comme ce film Mash-up réalisé en 2013, « Globodrome » de Gwenola Wagon, proposant de refaire le Tour du Monde en 80 jours de Jules Verne à travers
des lieux visités par Phileas Fogg sur Google Earth grâce à des centaines de photos
et de vidéos prises par autant de photographes ou de caméras. Bien sûr, la loi a dû s’adapter pour définir un cadre réglementaire prenant en compte le droit des auteurs des contenus réutilisés dans certaines œuvres qui voyaient leurs cotes s’envoler. Des artistes se trouvaient dans la situation paradoxale de ne pouvoir présenter leur travail, car en but à ce que d’aucuns dénonçaient comme une véritable prohibition. C’est le Canada qui fut le premier pays au monde, dès 2012, à se doter d’une « exception Mash-up », permettant de faire prévaloir la notion d’oeuvre innovante sur le traditionnel copyright. L’usage « transformatif » fut mieux accepté aux Etats-Unis grâce à la tradition du fair use. Tandis que la France se prévalait d’une vision très restrictive, rejetant les œuvres dans les limbes de la contrefaçon.

Péniblement, l’Europe s’est également dotée d’un cadre légal basé sur l’élargissement
de l’exception de courte citation. Le Mash-up a également débordé le domaine de l’art et représente un potentiel d’innovation important par la fusion de multiples services Internet. Avec les quantités de données de l’Open Data, le Mash-up d’applications
offre la possibilité de livrer des applications Web rapidement, à faible coût avec des composants réutilisables. Ce gisement de création a pris des formes très diverses, allant de la création de services comme Pinstagram (combinaison de Pinterest et d’Instagram), au succès de très nombreuses start-up chinoises (Shan Zhai) qui utilisent autant la simple copie de sites Internet occidentaux à succès que le Mash-up pour créer de nouveaux services. Une économie nouvelle de la combinaison et de la réutilisation, naviguant entre les notions de Creative Commons et de copyright revisités, est bien
en train de se tailler une place au soleil. La preuve est désormais faite que la réutilisation peut être synonyme d’innovation. Ce que nous avait dit Max Ernst,
il y a bien longtemps : « Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la
colle qui fait le collage. » @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Les régulateurs
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 »
(http://lc.cx/en2025).

Les opérateurs télécoms reprochent aux ayants droits de limiter l’accès aux contenus audiovisuels

Licences, droits d’auteur, minimums garantis, chronologie des médias, honoraires… Les opérateurs télécoms historiques (Orange, Deutsche Telekom, KPN, Belgacom, etc) dénoncent auprès de la Commission européenne les freins
à la circulation des œuvres et contenus audiovisuels.

« Les nouvelles et convergentes plateformes [numériques] sont confrontées à des difficultés pour accéder à des contenus premium [audiovisuels], à des conditions et dans des délais raisonnables. La disponibilité de ces contenus premium est entravée par des pratiques qui s’appliquaient dans un monde analogique et qui n’ont plus de raison d’être dans un environnement digital », se sont plaints les opérateurs télécoms historiques européens auprès de la Commission européenne.

Producteurs et ayants droits en cause
Dans sa réponse à la consultation publique sur le livre vert sur la convergence audiovisuelle (1), l’ETNO – l’organisation qui les réunit à Bruxelles depuis vingt ans (2) – s’en prend aux producteurs audiovisuels et cinématographiques. « Acquérir des licences auprès des ayants droits (producteurs) peut devenir difficile pour les nouveaux entrants ou les concurrents plus fragiles économiquement. Et l’accès à l’offre de gros de chaînes proposant des contenus premium s’avère difficile pour les fournisseurs de services qui essaient d’établir une nouvelle plateforme, soit sur une infrastructure déjà utilisée pour la distribution de services appropriés (TV payant sur réseau câblé, par exemple), soit sur une infrastructure alternative (réseau DSL versus TV par satellite ou TNT, par exemple) », expliquent les opérateurs télécoms européens, parmi lesquels Orange, TDF, Deutsche Telekom, KPN, Belgacom, TeliaSonera, Telefonica, Telecom Italia ou encore Swisscom. Ensemble, ils dénoncent les « intentions protectionnistes » de certains acteurs traditionnels à la fois présents dans la distribution et la production audiovisuelles,
« lesquels voient dans le haut débit et Internet en général une grande menace pour leurs activités ». Les opérateurs télécoms historiques ont maille à partir avec les chaînes de télévision historiques, et plus généralement avec l’industrie des contenus. L’ETNO pointe notamment du doigt les droits de propriété intellectuelle, soupçonnés de freiner la libre circulation des œuvres audiovisuelles et l’accès aux chaînes : « Nous acceptons entièrement le besoin des détenteurs de droits de percevoir une juste rémunération pour leurs œuvres. Cependant, quand [le droit d’auteurs] prend la forme de protection de contenu haut de gamme, il devrait être équilibré avec le besoin et le droit d’entreprendre ». Les opérateurs télécoms fustigent aussi le fait que « souvent l’industrie des contenus et les majors ont, en particulier, un haut pouvoir de négociation et imposent unilatéralement des conditions pour la disponibilité de contenu haut de gamme ». Et de citer pêle-mêle : les minima garantis, les frais d’honoraires, les fenêtres de diffusions liées à la chronologie des médias (lire encadré ci-dessous), les catalogues limités, les obligations pour des
« questions de sécurité », les licences pour des territoires et des technologies fragmentés, l’obligation de pratiquer le « géo-blocage » – rendant impossible la mise en place de services pan-européens –, ou encore les exclusivités. Sur toutes ces conditions sont jugées contraignantes : « Ces clauses aboutissent à empêcher les fournisseurs innovants (principalement de services à la demande) d’accéder à des contenu haut de gamme et quasi-haut de gamme, avec la conséquence que les consommateurs sont souvent privés de la possibilité d’avoir accès à ce contenu sur des plateformes convergentes ». Surtout que dans certains cas, les consommateurs ne peuvent même pas accéder à des contenus de bonne qualité. L’ETNO n’épargne pas non plus les plateformes en ligne d’applications (3), notamment l’App Store d’Apple et la Smart TV
de Samsung. @

Charles de Laubier

ZOOM

Haro sur la chronologie des médias
Dans leur réponse à la consultation de la Commission européenne sur son livre vert surnommé TV connectée, les opérateurs télécoms historiques européens regrettent
que « les stratégies marketing pour les sorties de films des majors influencent le développement de nouvelles activités [en ligne], puisque les studios de cinéma concentrent 100 % de leurs budgets marketing dans la première fenêtre associée à la sortie en salle ». Pour eux, la chronologie des médias « sape la capacité des éditeurs
et des distributeurs à proposer des contenus audiovisuels haut de gamme ». Et se demandent pourquoi les fenêtres des circuits de diffusion (salles, chaînes, …) sont « trop longues », alors que celles de la vidéo à la demande (VOD) sont «limitées» ? Résultat :
« Cela aboutit à une pénalisation déloyale et disproportionnée des services en ligne et en conséquence l’indisponibilité des contenus ouvrant la porte à la piraterie numérique ». @

Jeux vidéo : industrie culturelle sans droits d’auteurs

En fait. Le 24 septembre, les sénateurs André Gattolin et Bruno Retailleau ont publié leur rapport sur les jeux vidéo. Pour soutenir ce secteur, ils prônent une
taxe sur les jeux vidéo vendus en boîte sur support physique en France. Mais cette « industrie culturelle » peut-elle se passer de droits d’auteurs ?

En clair. Oeuvre logicielle ou oeuvre culturelle ? Pour les deux sénateurs, le jeu vidéo relève d’une industrie culturelle (1), d’ailleurs plus importante – avec 53 milliards de dollars de chiffres d’affaires en 2012 dans le monde, selon l’Idate – que le cinéma et la musique. En France, d’après le SNJV (2), le jeu vidéo pèse 3 milliards d’euros, contre 1,3 milliard pour le cinéma, 1,2 milliard pour la vidéo et 617 millions d’euros pour la musique.
« Le jeu vidéo constitue la première industrie culturelle en Europe. (…) La Commission européenne en a consacré le caractère culturel dans une décision de 2007 relative aux aides d’État », soulignent les sénateurs.

L’Hadopi n’a pas dissuadé le piratage de films en ligne

En fait. Le 26 juin, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a publié un baromètre des usages d’après un sondage déclaratif d’Opinion Way (4.740 internautes interrogés). L’étude révèle
que la réponse graduée n’a pas dissuadé le piratage de films.

En clair. Le baromètre « Carnets de consommation » de l’Hadopi (1) démontre que la réponse graduée a échoué à préserver le cinéma du piratage, là où elle semble avoir été dissuasive pour la musique. En téléchargement, le piratage de films est pratiqué par 69 % des personnes interrogées (contre seulement 20 % le faisant de façon légale). C’est l’inverse de ce qui se passe dans le téléchargement de musiques, où 66 % déclarent le faire sur des plates-formes légales (contre seulement 25 % le faisant de manière illicite). Comme l’action de l’Hadopi a porté sur le téléchargement des fichiers culturels, essentiellement sur les réseaux peer-to-peer, force est donc de constater
que la réponse graduée n’a pas atteint ses objectifs pédagogiques et dissuasifs.
Même si l’Hadopi n’agit toujours pas directement sur le streaming, ce que la loi n’a pas prévu dans ses attributions, l’échec de la réponse graduée est aussi patent dans ce type de consommation en ligne devenu prédominant (2). En effet, l’étude montre qu’un film sur deux est visionné en streaming de manière légale (49 % des internautes interrogés) et la proportion de ceux déclarant le faire de façon illicite reste élevée
(38 %). Là aussi, c’est bien plus que dans les usages de consommation de musiques en streaming où les internautes privilégient – et c’est presque un plébiscite ! – la consommation légale (92 %) au détriment des sites illicites (seulement 5 %).
Ainsi, après que la filière musicale a essuyé les plâtres faute d’avoir su s’adapter à
la vague numérique, l’industrie du cinéma est à son tour confrontée au piratage sur Internet. Faute d’une offre légale de catalogue de films suffisante, d’ailleurs souligné
par le rapport Lescure (EM@80, p. 4), le septième art refait les mêmes erreurs. Si la musique commence à tirer parti des plates-formes légales pour le streaming et le téléchargement (YouTube pour l’essentiel, iTunes, Deezer, Spotify, Dailymotion, …),
il n’en pas encore de même pour le cinéma où les sites présumés pirates tirent encore leurs épingles du jeu (YouTube pour une partie, Torrent 441, Allostreaming, Dpstream.net, Streamiz, Cpasbien, …). Le cinéma fait non seulement moins bien que
la musique mais aussi que le livre ou le jeu vidéo qui, en streaming et téléchargement, sont plus consommés légalement que piratés. @