Devant l’urgence du tout connecté à très haut débit, la Commission européenne change de paradigme

Le retard de la France dans le déploiement du très haut débit fixe et mobile
est emblématique d’une Europe qui se rend compte du relativement faible investissement de ses opérateurs télécoms. La faute à une réglementation
trop « consumériste » ? Jean-Claude Juncker veut corriger le tir.

Rémy Fekete, associé Jones Day

L’Europe n’est pas prête. Elle n’est pas prête à s’inscrire dans une économie numérique où le très haut débit est la règle et la condition du fonctionnement des nouveaux outils, des services, des contenus, bre f , d e l’activité des entreprises et de la vie
des citoyens.
« France Numérique 2012 », « Plan de relance numérique »,
« Plan national très haut débit » (PNTHD), « Plan France très haut débit » (France THD) : depuis six ans, les politiques n’ont
eu de cesse d’annoncer pour l’Hexagone des jours meilleurs et, en particulier, l’accession de la totalité de la population au très haut débit.

Ce qui attend Isabelle de Silva, nouvelle présidente de l’Autorité de la concurrence

Fraîchement nommée à la tête de l’Autorité de la concurrence, par décret du président de la République daté du 14 octobre dernier, Isabelle de Silva (conseillère d’Etat) a prononcé le 8 novembre sa première décision (contre SFR). Mais le plus dure reste à venir, notamment dans l’audiovisuel et le numérique.

Sa toute première décision, rendue le 8 novembre, est une amende de 80 millions d’euros infligée à l’encontre du groupe Altice pour avoir brûlé les étapes – via sa filiale Numericable
à l’époque (1) – dans le rachat de SFR et de Virgin Mobile.
La successeure de Bruno Lasserre, Isabelle de Silva (photo),
a condamné le groupe de Patrick Drahi pour avoir accédé à
de nombreuses informations stratégiques sur ses deux cibles avant même d’avoir obtenu le feu vert de l’Autorité de la concurrence (2).

Canal+, OTT, Booking.com, …
Ce baptême du feu pour Isabelle de Silva n’est qu’une mise en jambes pour cette conseillère d’Etat qui va devoir affronter des dossiers autrement plus épineux. Certes, elle est membre du collège de l’Autorité de la concurrence depuis mars 2014 et a déjà eu à traiter de grosses affaires comme celle l’an dernier de la plateforme en ligne de réservation hôtelière Booking.com – laquelle a remis son rapport d’engagements qu’Isabelle de Silva doit examiner d’ici le 1er janvier 2017 lors d’une séance contradictoire. Mais cette fois, cette surdiplômée (Ena, Hec, Cems, licence de Philosophie), se retrouve propulsée au devant de la scène pour cinq ans de mandat.
Le premier vrai gros dossier qu’elle devra affronter est assurément celui de Canal+, dont les 33 restrictions imposées à la filiale de télévision payante du groupe Vivendi après la prise de contrôle de TPS et CanalSatellite en 2006 – il y a maintenant dix ans – arrivent à échéance l’an prochain, le 23 juillet 2017 précisément. L’Autorité de la concurrence, qui pourra prolonger ou pas ces mesures correctrices pour cinq ans supplémentaires à l’issue d’une nouvelle analyse, a déjà prévu de rendre sa décision
« au plus tard le 23 juin 2017 » à l’issue d’échanges contradictoires avec le groupe Canal+. Pour y voir plus clair, elle a mené de juillet à fin septembre une consultation publique « auprès des éditeurs de chaînes payantes et gratuites, et des nouveaux entrants comme Netflix voire Amazon en France, pour voir ce qui a changé » (3). Isabelle de Silva et les sages de la rue de l’Echelle s’interrogent d’ores et déjà sur
« l’impact concurrentiel de l’entrée de nouveaux acteurs de la télévision linéaire (comme SFR Sport) ou non linéaire (comme Netflix) », que cela soit sur les marchés
de l’acquisition de droits de diffusion que sur les marchés de distribution de services
de télévision payante. L’Autorité de la concurrence a déjà commencé à analyser « dans quelle mesure l’émergence de nouveaux usages, comme l’accès aux chaînes de télévision au moyen d’une simple connexion Internet (offres dites “Over-The-Top”) modifie le fonctionnement concurrentiel des marchés ». Parmi les mesures correctrices en vigueur depuis dix ans, Canal+ doit, par exemple : limiter à trois ans la durée des accords-cadre (output deals) conclus avec les majors américaines pour l’achat de droits de diffusion de films en TV payante ; acheter séparément auprès des majors les droits de diffusion pour la VOD et la SVOD, sur une base non exclusive et sans les coupler avec des achats de droits pour une diffusion linéaire de TV payante ; s’abstenir de demander à ce que sa plateforme VOD ou SVOD soit distribuée de manière exclusive sur les plateformes des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ; dégrouper les chaînes cinéma du bouquet CanalSat éditées par le groupe Canal+ avec un maintien de leur qualité pour les mettre à la disposition de tout distributeur qui en fait la demande.
Le dossier Canal+ a déjà connu des rebondissements, tels que le retrait de l’autorisation de rachat de TPS et CanalSatellite prononcé par le gendarme de la concurrence en 2011 en raison de plusieurs manquements aux engagements de 2006 (autorisation rétablie en 2012, puis, après annulation en Conseil d’Etat, en 2014…). Plus récemment, en juin, l’Autorité de la concurrence s’est opposée à l’accord de distribution exclusive entre Canal+ et beIN Sports que Vincent Bolloré – devenu président de Vivendi (4) – avait projeté pour redresser la chaîne cryptée (5). Isabelle de Silva n’est pas au bout de ses peine dans ce dossier épineux. Sa sensibilité « culture », pour avoir été conseillère technique en 1999 et 2000 de Catherine Traumann, alors ministre de la Culture et de la Communication, l’aidera sûrement à appréhender le nouveau Canal+ en vigueur depuis le 15 novembre et plus que jamais premier pourvoyeur de fonds du cinéma français (6).

Publicité en ligne
Autre gros dossier hérité de Bruno Lasserre : la publicité en ligne. Le 23 mai dernier, l’Autorité de la concurrence s’était en effet auto-saisie « pour avis » afin d’« analyser les conditions d’exploitation des données dans le secteur de la publicité en ligne » – avec Google et Facebook en ligne de mire (7). Y a-t-il position dominante et conflits d’intérêts ? Isabelle de Silva devra répondre (8) à ces questions au second semestre 2017. @

Charles de Laubier

Lagardère Active met le numérique et la data au coeur de sa stratégie afin de résister aux GAFA

Nommé il y a près de cinq ans (le 7 novembre 2011) à la présidence de Lagardère Active (regroupant la presse et l’audiovisuel du groupe d’Arnaud Lagardère), Denis Olivennes change de braquet cette année en faisant du numérique et du traitement des données sa priorité pour générer de nouveaux revenus.

C’est un signe : Valérie Salomon, jusqu’alors directrice des régies publicitaires d’Altice Media et de Libération, vient d’arriver chez Lagardère Active en tant que présidente de Lagardère Publicité et se voit rattachée à Corinne Denis, directrice du numérique et du développement des revenus. « C’est d’autant plus important que la data et le numérique sont au cœur de notre problématique de revenus. Il fallait donc que cela [la publicité et le numérique, ndlr] soit marié de manière très étroite », a souligné Denis Olivennes (photo), le patron de Lagardère Active, devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 4 octobre dernier.
Sous son autorité, Corinne Denis – nommée à la tête de la nouvelle direction numérique de Lagardère Active en mai 2015 – a non seulement vu ses attributions étendues depuis janvier dernier au développement des revenus, mais voit maintenant passer sous sa coupe la régie publicitaire de Lagardère Active (1). « Lorsque je suis arrivé, j’ai décentralisé le groupe autour de ses marques [Elle, Paris Match, Le Journal du Dimanche, Europe 1, Gulli, …, ndlr], ainsi que les régies, a poursuivi Denis Olivennes. Mais il y a une couche transversale pour les outils, le marketing, la data, pour le numérique ou encore les grand comptes. C’est de tout cela dont Valérie Salomon a en charge. Et pour être sûr que le tournant du numérique est pris et le faire avancer, elle est sous l’autorité de Corinne Denis ».

Un trésor de guerre de 100 millions de contacts
Lagardère Active a donc décidé de mettre les bouchées doubles dans le digital et la data, devenus le nerf de la guerre des médias en pleine mutation face aux géants du Net, les fameux GAFA. « Nous devons arriver à générer de nouveaux revenus et de nouvelles activités. C’est le développement du numérique et, encore balbutiant, de la data dont on espère beaucoup ». Ce trésor de guerre est constitué par les quelque 100 millions de contacts que traite Lagardère Active en France et à l’international. Mais cela ne suffit pas à faire le poids face aux Google, Facebook, Twitter ou encore Snapchat, lesquels revendiquent chacun plusieurs centaines de millions d’utilisateurs dans le monde – lorsque cela ne relève pas du milliard pour certains.

Une plateforme data commune ?
Aussi, pour arriver à se battre à armes égales, le président du directoire de Lagardère Active (2) en appelle aux autres médias français pour se fédérer autour des données numériques selon un principe d’open innovation : « Je souhaite que nous nous réunifions. Car la taille des médias français est trop peu critique à l’échelle du monde pour que l’on soit divisé. Nous sommes en train de créer, avec le groupe Les Echos, une plateforme sur la data, qui doit être ouverte (à d’autres médias) comme pour La Place Média, ainsi qu’à des start-up. Nous serons ainsi beaucoup plus puissants nombreux contre eux (les GAFA) ». Lagardère Active a été l’initiateur de La Place Média, une plateforme de publicité programmatique lancée en 2012 avec, outre Lagardère Publicité, les régies Amaury Médias, FigaroMedias, TF1 Publicité et France Télévisions Publicité, rejointes depuis par 200 éditeurs partenaires.
Mais toutes les grandes régies n’ont pas fait cause commune, certaines préférant créer une plateforme concurrente. Ainsi est né Audience Square, initié par M6, Le Monde,
Le Nouvel Observateur, NextRadioTV, Le Point, Prisma, RTL, L’Express-Roularta, Libération et Les Echos. « Si l’on peut faire une seule plateforme sur le traitement des données, nous sommes pour. Si l’on ne veut pas reproduire ce qui s’est passé avec La Place Média et Audience Square, ce serait encore mieux. On s’y prend tôt. On a fait un appel ouvert. J’espère que l’on va réussir à ramener tout le monde », a confié Denis Olivennes. Pour préparer cette plateforme « Data Science », qui fut annoncée le 5 septembre dernier mais dont la structure reste à constituer, des expérimentations sont déjà menées depuis quelques semaines entre Lagardère Active et les deux médias du groupe LVMH (Les Echos et Le Parisien), avec des start-up spécialisées, sur le partage et l’analyse de données, ainsi que sur la modélisation de systèmes algorithmiques (3). L’union des médias français dans la data serait en tout cas une réponse aux GAFA qui bousculent à leur avantage le marché publicitaire. Le patron de Lagardère Active estime qu’il y a là transfert de valeur au détriment de la presse : « La publicité dans les médias en France est de l’ordre de 11 milliards d’euros par an. Entre 2004 et 2015, ce montant n’a pas vraiment changé. Sauf que 2 milliards de ce marché sont passés des médias traditionnels vers les nouveaux médias, dont 1,5 milliard partis de la presse imprimée (print). Et malheureusement, 80 % de cette manne publicitaire a été captée par les GAFA. Nous n’avons pas retrouvé dans les sites Internet des journaux l’argent que les journaux imprimés avaient perdu ». Il fallait donc réagir. Pour sa part, Lagardère Active a comme objectif d’atteindre 10 % de résultat d’exploitation. « Lorsque je suis arrivé, nous étions à 6,2 %. Aujourd’hui, nous sommes à 8,2 %, proche de la rentabilité de Lagardère Publishing [Hachette Livres, ndlr] », se félicite Denis Olivennes qui compte aussi pour y parvenir sur le hors-média tel que l’organisation physique de forums (comme le font déjà Elle et Le JDD) ou le développement du brand content (dont aura la charge Emilie Briand, ex-Webedia, recrutée en février).
Encore faut-il que le groupe Lagardère Active poursuive sa mue engagée par Denis Olivennes fin 2011 dans le cadre du projet « Réinventer Lagardère Active ». Cela s’est traduit pour l’instant par une réduction des effectifs de près de 1.000 personnes, une stabilisation du chiffre d’affaires pour la première fois depuis 2008 (à 963 millions d’euros en 2015, contre 958 millions l’année précédente), une progression du résultat opérationnel de 25 % ces trois dernières années, et un retour à la croissance de leurs revenus des sites Internet du groupe. « Pour autant, nous sommes à la moitié du chemin. On est loin d’avoir accompli cette mutation », a prévenu Denis Olivennes,
qui compte encore « réduire l’exposition » de Lagardère Active à la presse, tout en l’augmentant à l’audiovisuel et au digital. Après un plan de départs volontaires qui s’achèvera en février 2017 chez Télé 7 Jours, Ici Paris et France Dimanche, ces trois titres de presse dite « populaire » devraient être cédés s’ils trouvaient preneur(s) comme l’ont été auparavant une dizaine de titres (4).
Reste à savoir si Denis Olivennes a les moyens financiers de ses ambitions numériques, comparé à des groupes tels que Axel Springer et Webedia. « Une partie du cash des 80 millions d’euros opérationnel nous permet de restructurer notre activité. Et ce qui nous reste, nous le consacrons aux investissements dans notre développement. Ce donc des investissements plus limités que si nous avions choisi de nous endetter », a-t-il reconnu. Et de défendre la stratégie du groupe : « Nous n’avons pas, comme l’a fait Axel Springer, investi massivement dans un numérique, qui n’a d’ailleurs pas grand chose à voir avec le numérique des médias puisque ce sont principalement des annonces classées. C’est une autre stratégie. Nous, nous avons choisi de demeurer un groupe média et de se transformer comme tel ».

Ne plus décevoir Arnaud
Si la stratégie numérique avait pu décevoir Arnaud Lagardère (échec de l’agence digitale Nextidea, déboires du comparateur de prix LeGuide.com, tout juste revendu à Kelkoo, …), malgré les performances de Doctissimo.com, Boursier.com ou encore de Billetreduc.com, Denis Olivennes espère lui donner cette fois satisfaction. @

Charles de Laubier

Le projet de réforme européenne du droit d’auteur à l’heure du numérique fait des vagues en France

La Commission européenne a présenté, le 14 septembre, son projet de réforme du droit d’auteur pour le marché unique numérique. En France, les réactions sont moins épidermiques qu’attendu. Les lobbies sont maintenant à l’oeuvre avant le prochain débat au Parlement européen.

Le gouvernement français s’est dit satisfait que « la réforme [du droit d’auteur (1)] aborde l’enjeu essentiel du partage de la valeur entre les créateurs et les intermédiaires qui mettent massivement en ligne des œuvres protégées ». Mais la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, et le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Harlem Désir, veulent « la clarification du statut de ces activités au regard du droit d’auteur, en particulier le droit de la communication au public et une responsabilisation appropriée de ces intermédiaires, en coopération avec les titulaires de droit ».

Désaccord sur la territorialité
Dans leur communiqué commun du 15 septembre, les deux ministres estiment qu’« il s’agit d’une occasion historique de mettre fin à une situation profondément inéquitable, et destructrice de valeur, aux dépens des auteurs, des artistes et du financement de la création ». Le gouvernement français apporte notamment son soutien à la proposition de création d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse, afin de permettre à ces derniers de faire valoir leurs droits et ceux des journalistes dans les relations contractuelles avec les plateformes numériques et dans la lutte contre la contrefaçon. En revanche, le gouvernement émet des réserves sur « l’approche ciblée » de la Commission européenne en matière d’exception au droit d’auteur et demande « des améliorations et des clarifications pour mieux prendre en compte les intérêts légitimes des secteurs concernés ». Quant à la proposition européenne sur les œuvres indisponibles, elle devrait, selon les deux ministres, « mieux refléter la diversité des approches nationales, à l’image du dispositif français ».
Enfin, ils expriment « avec force leur désaccord avec l’extension du principe du pays d’origine à certains services en ligne des radiodiffuseurs », estimant que cela risque
de « fragiliser la territorialité des droits d’auteur, qui constitue (…) la clé de voûte de
la distribution et du financement de l’audiovisuel selon des modalités adaptées à la diversité des espaces culturels et linguistiques qui font la richesse de l’Union européenne et de sa culture ». S’il n’est plus question explicitement de licence paneuropéenne, la Commission européenne souhaite que le droit de diffusion audiovisuelle soit transfrontalier au sein du marché unique numérique. De leur côté,
les acteurs du Net – pour la plupart réunis en France au sein de l’Association des services Internet communautaires (Asic) – dénoncent ce projet de directive européenne sur le droit d’auteur qu’ils considèrent comme « un texte approximatif et bancal remettant en cause le modèle ouvert de l’Internet ». Représentant Google (et sa filiale YouTube), Dailymotion (Vivendi), PriceMinister (Rakuten), AOL et Yahoo (tous les deux détenus par Verizon (2)), ainsi que Facebook, Deezer (Access Industries (3)), Microsoft ou encore Allociné (Fimalac), l’Asic « exprime sa plus vive inquiétude sur les attaques qui sont faites à des principes fondamentaux de l’Internet ». Selon elle, le projet de directive sur le droit d’auteur « ébranle deux de ces principes » que sont les liens hypertextes caractéristiques du Web, d’une part, et le statut d’hébergeur, d’autre part.
Contre le premier principe, il est question d’instaurer un droit voisin pour les contenus numériques des journaux. « Les éditeurs de presse en ligne pourront demander rémunération pour l’utilisation – l’indexation, un court extrait, un partage sur un réseau social, etc. – de leurs contenus », déplorent les acteurs du Net. Contre le second principe, il est prévu que les intermédiaires doivent conclure des accords de licence
et prendre des mesures de protection des contenus grâce à des technologies de reconnaissance de contenu. « Le diable étant dans les détails, le texte ne s’arrête pas
à ce qui aujourd’hui a été mis en place volontairement depuis près de dix ans par les hébergeurs (…) comme Dailymotion et YouTube – à travers les contrats conclus en France avec la SACD (4), la Sacem (5), la Scam (6) et l’ADAGP (7)… et l’adoption de systèmes de reconnaissance de contenus type (Audible Magic, Signature ou Content ID…) – mais va plus loin et prévoit une obligation de “prévenir la disponibilité des contenus” sur ces plateformes. L’article 13 [du projet de loi de directive sur le droit d’auteur, ndlr] veut ainsi instaurer une obligation de monitoring et de filtrage pour ces plateformes en contradiction totale avec les principes de la directive e-commerce », dénonce l’Asic.

La bataille du statut
Les acteurs du Net reprochent à la Commission européenne d’ouvrir « une brèche » dans le statut de l’hébergeur. Ils entendent bien poursuivre les discussions devant le Parlement européenne et le Conseil de l’Union européenne pour que soit préservé ce statut qui leur assure une responsabilité allégée en cas de contrefaçon (lire aussi p. 3). « Les positions de la France (…) confirment les craintes de l’Asic », ajoute l’association française des acteurs du Net, présidée par Giuseppe de Martino, par ailleurs directeur général délégué de Dailymotion.

« Saborder »… : lapsus de la Cisac
Du côté des auteurs et des ayants droits, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) estime pour sa part que la réforme proposée va dans le bon sens : « L’ensemble de propositions sur le droit d’auteur en Europe (…) constitue un bon point de départ pour remédier à la situation inéquitable faite aux créateurs sur le marché numérique ». Mais l’organisation – regroupant 230 sociétés de gestion de droits d’auteur dans le monde et présidée par le musicien Jean-Michel Jarre – demande aux institutions européennes de « prendre d’autres mesures pour assurer une rémunération équitable et un meilleur avenir aux créateurs sur les réseaux numériques ». A noter au passage que dans la version française du communiqué de la Cisac publié le 14 septembre, il est écrit que la proposition de directive sur le droit d’auteur « saborde [sic] la question du transfert de valeur » – alors qu’il est dit dans la version originale en anglais « that tackles the issue of transfer of value », dans le sens « traite » ou « aborde »… Ce transfert de valeur, appelé value gap (ou perte de valeur), décrit la distorsion du marché créée par l’usage, par des intermédiaires en ligne, d’oeuvres protégées sans rémunérer convenablement leurs créateurs. « L’Europe a entendu l’appel de la communauté des créateurs et des sociétés d’auteurs pour une action urgente », se félicite Gadi Oron, directeur général de la Cisac, pour qui « la nouvelle proposition européenne reconnaît le rôle et les obligations des services en ligne sur
le marché numérique ». Son président, Jean-Michel Jarre, enfonce le clou : « La Commission européenne a fait un effort pour (…) remédier à la situation actuelle, inéquitable, du marché numérique. Des acteurs majeurs utilisent des oeuvres pour générer des profits colossaux sans rémunérer équitablement leurs créateurs » (8).

La Sacem, qui est membre de la Cisac au même titre que la SACD, la Scam, l’ADAGP ou encore la SGDL (9), prend en effet acte « du signal envoyé aux artistes et créateurs puisque ce texte contient des mesures intéressantes permettant de corriger le transfert de valeur dont profitent les nouveaux acteurs numériques au détriment des créateurs [et] de lutter en particulier contre l’irresponsabilité des intermédiaires techniques de l’Internet ». La SACD, elle, accueille le projet de réforme du droit d’auteur « avec circonspection », en constatant que « la Commission européenne semble avoir entendu la mobilisation en faveur du droit d’auteur de certains pays, dont la France, et des créateurs européens, légitimement inquiets face aux menaces évoquées en 2014 de remettre en cause la territorialité des droits ». Et de mettre en garde, en dramatisant quelque peu l’enjeu : « Parce que le financement de la création audiovisuelle et cinématographique est étroitement lié à la possibilité de maintenir des exclusivités territoriales, toute remise en cause profonde du droit d’auteur mettrait en danger la diversité de la création et menacerait le droit de créer ». La SACD, forte de plus de 58.500 auteurs associés, estime en outre que la Commission européenne ne va pas assez loin en termes d’obligation de transparence, dans le triptyque reddition des comptes-révision des contrats-règlement des conflits – « le triangle des Bermudes du droit des auteurs » ! La société de gestion collective propose d’y remédier en instaurant «un droit inaliénable à rémunération pour tous les auteurs européens afin que les créateurs puissent (…) percevoir une juste rémunération pour l’exploitation de leurs œuvres partout en Europe, notamment sur les services en ligne ».
Et pour accroître la disponibilité et la circulation des films et séries en Europe, elle préconise – tel que cela a été adopté en France dans la loi « Création » – de « mettre
à la charge de ceux qui détiennent les droits l’obligation de faire leurs meilleurs efforts pour assurer l’exploitation des œuvres ». Cette obligation d’exploitation suivie des œuvres permettrait d’enrichir l’offre légale et éventuellement d’enrayer le piratage
sur Internet. Globalement, écrit sur son blog Pascal Rogard, directeur général de la SACD, « la Commission européenne ne mérite ni excès d’honneur ni indignité , juste
la note moyenne qui convient à un exercice technocratique essayant de tenir un équilibre (…) ».
Quant à la Société civile des auteurs multimédia (Scam), qui gère les droits de plus de 38.100 associés, elle exprime son soulagement en constatant que « la réforme radicale annoncée à l’arrivée de la Commission Juncker semble enterrée et que les exceptions au droit d’auteur sont plus limitées que prévu » (10) (*) (**). Elle regrette cependant « le silence pesant (…) sur un droit [inaliénable, ndlr] à rémunération géré collectivement
par les sociétés pour les auteurs d’œuvres audiovisuelles utilisées en ligne », ce que défend depuis longtemps la Société des auteurs audiovisuels (SAA), laquelle s’est aussi dite déçue.

Neutralité technologique
Concernant le principe de neutralité technologique retenu pour les services de retransmission, c’est aux yeux de la Scam « une bonne chose », mais elle se demande pourquoi la Commission européenne « s’est-elle abstenue d’éclaircir une bonne fois pour toutes la notion de communication au public mise à mal par la Cour de Justice de l’Union ? ». Enfin, la Scam dirigée par Hervé Rony s’interroge sur l’opportunité de mettre en place un droit voisin des éditeurs de presse : « Il ne faudrait pas qu’il affaiblisse les droits des journalistes »… @

Charles de Laubier

Mathieu Gallet : « Je n’ai aucun problème avec la RNT »

En fait. Le 21 septembre, Mathieu Gallet, PDG de Radio France, était l’invité d’un dîner-débat organisé par le Club audiovisuel de Paris (CAVP). Il s’est dit favorable à la radio numérique terrestre (RNT) et y verrait bien Fip, Mov et même France Musique. Pour peu que l’Etat actionnaire le soutienne.

En clair. Le patron de Radio France, Mathieu Gallet, n’attend plus que le feu vert
du gouvernement et un « soutien » financier de l’Etat actionnaire pour se lancer sur
la RNT. «La RNT peut être intéressante pour certaines de nos radios qui sont peu couvertes en FM. Fip a dix fréquences, Mov trentedeux. Elle peut être un vrai complément. Et je n’exclus pas France Musique en raison de la qualité (du son numérique)», a-t-il confié le 21 septembre devant le Club audiovisuel de Paris (CAVP). C’est la première fois qu’il se prononçait résolument en faveur de la RNT que les grandes radios privées (RTL, NRJ, Europe 1, RMC/BFM, …) boudent.
Une centaine de radios indépendantes émettent sur la RNT depuis juin 2014 à Paris, Marseille et Nice, en attenant Strasbourg, Lille et Lyon d’ici à la fin de l’année, puis l’ensemble du territoire d’ici 2023. Encore faut-il que l’Etat actionnaire se décide à préempter des fréquences : « Ce n’est pas exclu », a indiqué au Monde Patrice Gélinet, membre du CSA (1), lequel a accordé le 22 juin dernier à Radio France l’autorisation d’expérimenter la RNT dans l’Est parisien. Mais aller plus loin pour la Maison ronde pose un problème financier. « J’ai un problème : le coût. Si notre actionnaire (l’Etat) est d’accord pour nous soutenir, moi je n’ai aucun problème avec la RNT. Mais je fais avec mes petits moyens », a tenu à dire Mathieu Gallet. Et d’expliquer : « En 2017, cela fera quatre ans que Radio France a un budget qui est strictement reconduit à l’identique (2). Alors que mes coûts augmentent ». Radio France devrait encore être déficitaire cette année d’environ 15 millions d’euros (13,9 millions en 2015 et 2 millions en 2014). Cependant, la fin de la bande AM (modulation d’amplitude) pourrait sonner le début de la RNT à Radio France : « A la fin de l’année, nous arrêtons les grandes ondes. Les ondes longues (LO) et ondes moyennes (OM) représentent 13 millions d’euros par an. C’est ce que je vais pouvoir économiser auprès de TDF… », s’est félicité le PDG. En plus de la qualité sonore, de la gratuité et de l’anonymat, il voit dans la RNT un autre avantage : « Cela va nous permettre d’avoir accès à nos publics sans être intermédié par un FAI, une plateforme de partage en ligne, un média ou par un réseau social. (…) Je vois bien tous ces avantages, mais il y a un inconvénient : ce sont les sous ». @