Décision « Allostreaming » : une première mondiale mais à portée limitée

En France, six fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et sept moteurs de recherche vont devoir respectivement bloquer et déréférencer seize sites de streaming de
la galaxie « Allostreaming ». Mais la CJUE, la neutralité du Net et la loi française
« LCEN » empêchent toute mesure généralisée.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

Dans un jugement rendu en la forme des référés le 28 novembre 2013 (1), le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris a tranché
en faveur des professionnels français du film dans un litige qui les opposaient à six fournisseurs d’accès à Internet (Orange, Bouygues Telecom, Numericable, Free, SFR et Darty Télécom)
et sept moteurs de recherche (notamment Google, Microsoft, Yahoo et encore Orange).

Qualité de service : l’Arcep va informer les internautes

En fait. Le 20 novembre, Jean-Ludovic Silicani, président de l’Arcep, a présisé à EM@ que les premiers résultats de la qualité de l’accès à Internet – à partir d’un ordinateur – seront publiés « avant la fin du premier trimestre 2014 ». Ensuite, l’Arcep envisage des outils plus interactifs avec les internautes.

En clair. L’Arcep y travaille depuis début 2012 et a pris une décision-cadre début 2013. Mais cette fois, la mesure de la qualité d’accès à Internet à partir d’un ordinateur (Internet fixe) est sur le point de voir le jour en France. C’est l’une des principales composantes de la neutralité d’Internet. « Nous aurons – avant la fin du premier trimestre 2014 – les premiers résultats de la qualité de l’accès à Internet sur quatre ou cinq caractéristiques
(le temps de latence, les débits, etc). Nous les rendrons publics et nous les améliorerons pour avoir des données réccurentes pour voir si la qualité d’accès à Internet évolue et si ce niveau est correct », nous a expliqué Jean-Ludovic Silicani,
le président de l’Arcep, en marge de son intervention au DigiWorld Summit de l’Idate
à Montpellier.
Il prévient que si le régulateur constatait la baisse globale du niveau de qualité de service, en-dessous d’un certain seuil, il se réserverait alors le droit, comme le prévoit la directive « Service universel et droits des utilisateurs » (1) et sa transposition en France (lire EM@41, p. 4), la possiblité de définir un standard minimal de qualité d’accès aux haut débit et très haut débit. En outre, l’Arcep étudie la façon de fournir aussi aux internautes des outils de mesure de la qualité de leur accès à l’Internet fixe
et mobile. Objectif : que les abonnés puissent – avec une « appli » ou un site web de monitoring – contrôler par eux-mêmes les éventuels blocages ou ralentissements de leur ligne et vérifier ainsi que leur FAI et opérateur mobile respectent la neutralité du Net.

Mozilla pose la question de la neutralité des App Store

En fait. Le 21 novembre, Tristan Nitot, président Mozilla Europe et porte-parole mondial de la fondation, est intervenu au DigiWorld Summit pour dénoncer « la face sombre des places de marché » de type App Store – Apple en tête. Il a plaidé pour que le Web soit « la plate-forme de marché universel ».

Tristan Nitot siteEn clair. Le fondateur de la Mozilla Foundation Europe, qui distribue depuis maintenant dix ans le navigateur Firefox (1),
n’y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer les écosystèmes fermés tel que celui d’Apple. « Les places de marché comme l’App Store d’Apple ont une face sombre.
Les développeurs d’application sur ces plates-formes perdent
la relation avec les utilisateurs finaux. C’est un problème grave car ils ne peuvent plus se passer de ces intermédiaires. On est obligé de passer par Apple », a prévenu Tristan Nitot (photo), lors de son intervention incisive remarquée à Montpellier.

Marché unique numérique : Neelie Kroes présentera le 11 septembre le nouveau « Paquet télécom »

La fragmentation du marché des télécoms en Europe, que cela soit dans ses pratiques tarifaires ou dans ses régulations encore trop nationales, nécessite des remèdes qui plairont moins aux opérateurs télécoms qu’aux consommateurs européens.

(Depuis la publication de cet article dans EM@84, la Commission européenne a présenté le 11 septembre 2013 son projet pour un marché unique des télécoms)

Par Charles de Laubier

NKC’est le 11 septembre que la commissaire européenne en charge de l’Agenda numérique, Neelie Kroes (photo), présentera un nouveau « Paquet télécom » en prévision du Conseil de l’Union européenne (UE) d’octobre.
Son objectif sera d’achever la création d’un marché unique numérique en remédiant à la fragmentation du marché des télécoms en Europe.
Les eurodéputés auront à se prononcer sur cette réforme législative des télécoms vers Pâques 2014 en vue d’une entrée en vigueur des nouvelles directives à partir de 2015.

Vers un marché unique des télécoms
Neelie Kroes entend donner une nouvelle impulsion pour créer un vrai « marché unique des télécoms ». Le 30 mai dernier, devant le Parlement européen (1), elle prévenait : le Paquet télécom sera un « compromis législatif radical (…) pour le bien-être à long terme des consommateurs ».
Comprenez : les opérateurs télécoms n’auront pas le dernier mot. « Il n’est pas d’autre secteur [que les télécoms], dans notre marché unique européen encore incomplet, qui ait moins besoin de barrières, et c’est pourtant dans ce secteur qu’elles sont le plus hautes. (…) Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser subsister les innombrables obstacles artificiels et inutiles qui existent aujourd’hui. (…) Nous pourrons faire plus s’il y a plus de liberté, de concurrence et d’opportunités et si les droits des consommateurs sont vraiment respectés ! », a insisté la commissaire européenne.

Conjuguer concurrence et investissement
Cette volonté de mettre un terme aux « frontières artificielles » faisant obstacles à la concurrence sur un marché unique numérique inquiète les opérateurs télécoms qui reprochent à la Commission européenne de favoriser depuis vingt ans la concurrence
et les consommateurs – et partant la bataille tarifaire – au détriment de leurs parts de marché, de leurs marges et de leurs capacités de financement dans des réseaux très haut débit (4G et FTTH).
C’est ce qu’exprime par exemple Orange (2), relayé par le gouvernement français
(l’Etat étant actionnaire à 27 %). « Aujourd’hui, la priorité ne doit plus être d’accroître la concurrence entre les opérateurs télécoms, qui est désormais bien installée (dans de nombreux pays d’Europe les principales offres d’accès à l’Internet fixe multiservice ou “triple play” sont à un tarif plus de deux fois inférieur à ce qui est disponible aux Etats- Unis), mais de créer les conditions pour le développement des réseaux à très haut
débit qui contribueront à une attractivité durable de l’Europe », ont en effet écrit Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin (3) dans une tribune parue dans Les Echos du 24 juin dernier.
L’inquiétude des opérateurs télécoms grandit, alors que Neelie Kroes a déjà annoncé fin mai son intention de mettre fin aux tarifs dits de roaming au sein de l’UE d’ici les élections européenne de mai 2014. Dans leur résolution sur « l’achèvement du marché unique numérique » adoptée le 4 juillet dernier, les eurodéputés se sont déjà « réjouis de l’intention de la Commission de présenter un nouveau paquet télécoms pour remédier à
la fragmentation du marché dans ce secteur, y compris des mesures pour supprimer les tarifs d’itinérance à l’avenir ».
La neutralité du Net et la qualité de service seront aussi au coeur du Paquet télécom
à venir. « Je garantirai la Net Neutrality. (…) Je mettrai fin aux blocages et restrictions anticoncurrentiels, pour chaque citoyen, sur chaque réseau, sur chaque terminal », a promis Neelie Kroes, le 9 juillet dernier devant une commission du Parlement européen. Dans la résolution des eurodéputés, le Parlement européen « invite la Commission et les Etats membres à renforcer la gouvernance du marché unique du numérique, en veillant
à la neutralité d’Internet ». La Commission a justement confirmé le 9 juillet avoir perquisitionné chez des opérateurs télécoms (Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, …) soupçonnés d’abus de position dominante dans l’interconnexion Internet (4). « Ce service est crucial pour le fonctionnement d’Internet et pour la capacité des utilisateurs finaux à atteindre le contenu Internet avec la qualité de service nécessaire, sans tenir compte de
la localisation du fournisseur », a expliqué l’exécutif européen pour montrer l’importance de ces perquisitions surprises.

Lever les obstacles pour le consommateur
Bref, Neelie Kroes devra ménager la chèvre (les opérateurs) et le chou (les consommateurs). Au-delà du marché unique des télécoms, les eurodéputés invitent
les Etats membres et la Commission européenne « à faire du développement du
marché unique du numérique une priorité politique absolue et à élaborer une approche d’ensemble » et « à renverser, d’urgence, les obstacles qui s’opposent encore au marché unique du numérique ». @

Charles de Laubier

Une loi « Neutralité du Net » : les contre, les pour

En fait. Le 16 avril, le président l’Association des services Internet communautaires (Asic), Giuseppe de Martino, qui est aussi secrétaire général de Dailymotion, a été auditionné par la commission des Affaires économiques du Sénat sur la neutralité du Net. Après quatre ans de débat, la loi ne va pas de soi.

En clair. « A-t-on vraiment besoin d’une loi ? Nous qui avons les mains dans le cambouis, on en doute ! », a expliqué le président de l’Asic devant les sénateurs. Pour l’Association des services Internet communautaires, qui compte Google, Dailymotion, Yahoo, Deezer ou encore Facebook, parmi ses vingt membres, estime suffisant les pouvoirs de règlement de différends conférés à l’Arcep par l’ordonnance du 24 août 2011. Parmi les sénateurs présents, seul Bruno Retailleau, secrétaire de la commission des Affaires économiques, a pris la parole pour abonder dans le sens de l’association : « Je partage l’approche qu’une loi [sur la neutralité du Net] peutêtre dangereuse. Le Paquet télécom [transposé par l’ordonnance, ndlr] a donné la capacité à l’Arcep d’intervenir et le texte prévoit le principe de non-discrimination ».
Par ailleurs, selon nos informations, le Syntec Informatique est lui aussi contre une loi mais hésite à s’exprimer en raison des positions contradictoires entre ses membres (Orange et Google par exemple). Fleur Pellerin, ministre de l’Economie numérique,
est plus que jamais prise entre deux feux : d’un côté, les opposants à une loi, de l’autre, les partisans d’une législation comme le Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (Geste). Or il ne lui reste que quelques mois pour décider si la neutralité des réseaux doit entrer ou non dans une loi sur « la protection des droits et libertés numériques » qui sera proposée au Parlement « début 2014 au plus tard », comme
s’y est engagé le gouvernement dans sa « feuille de route numérique » fixée le 28 février.
« Le gouvernement proposera des dispositions législatives si, après l’avis du Conseil national du numérique sur la neutralité de l’Internet, un manque juridique est constaté
pour la protection de la liberté d’expression et de communication sur Internet », avait en outre promis Matignon. Mais le 13 mars, le jour même où le CNNum rend son avis en affirmant que « la loi de 1986 sur la liberté de communication au public est le véhicule juridique le plus approprié pour accueillir efficacement le principe de neutralité », la ministre Fleur Pellerin émet des réserves : « Un changement de titre de la loi de 1986 n’aurait qu’une portée symbolique » ; « Il faut définir précisément ce qu’on entend par “neutralité du Net’’ ». Le CNNum, lui, prépare une « V2 » de son avis pour convaincre. @