La tentation de réguler le trafic sur Internet

En fait. Le 8 avril, la cour d’appel de Columbia aux Etats-Unis a donné raison au câblo-opérateur américain Comcast en estimant que la Federal Communications Commission (FCC) n’avait pas les compétences pour réguler la gestion des accès aux réseaux, même au nom de la « Net Neutrality ».

En clair. C’est un cas d’école pour l’Europe qui a pris du retard dans le débat sur la neutralité de l’Internet, principe qui revient à ne pas discriminer l’accès aux contenus
du Web quel qu’ils soient, ni à restreindre la bande passante ou la qualité des réseaux. Malgré ses efforts pour préserver ce principe, la FCC se retrouve délégitimée dans sa volonté de le préserver. Pour les défenseurs de la « Net Neutrality », comme Google ou Amazon, c’est un revers judiciaire. Pour les tenants pour une gestion plus différenciée des flux véhiculés sur Internet, comme Comcast, Verizon ou AT&T (et d’autres opérarteurs télécoms dans le monde), c’est une avancée. Pour les internautes, représentés par deux associations – Free Press et Public Knowledge – à l’origine de la saisine de la Justice dès novembre 2007 contre les blocages de réseaux d’échanges décentralisés peer-to-peer comme BitTorrent, c’est un échec. « Comcast est maintenant autorisé à bloquer les sites web en tout impunité », déplorent l’avocat de Free Press, Ben Scott. En 2008, la FCC avait condamné Comsast pour avoir empêché ses abonnés d’utiliser une application peer-to-peer pour télécharger des vidéos. Le câblo-opérateur américain, qui attend encore le feu vert pour sa fusion avec NBC Universal (voir EM@10 p. 8 et 9) revendique le droit de gérer son réseau pour « éviter la congestion ». Le jugement en appel du 8 avril en a décidé autrement. Mais la FCC ne s’avoue pas vaincue pour autant, estimant que le tribunal a invalidé sa décision mais « n’a pas fermé la porte » à d’autres moyens pour parvenir à « préserver un Internet libre et ouvert ». D’autant que le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs, a reprécisé que le président américain Barack Obama était un partisan de la neutralité du Net. Et l’Europe dans tout cela ? « Ce sont les directives européennes sur les communications électroniques qui délimitent le périmètre d’action des Etats membres. Réguler au-delà de ces limites pourrait conduire à une contestation juridique similaire à l’affaire Comcast aux Etats-Unis. On peut voir un parallèle entre l’affaire Comcast et le récent veto de la Commission européenne (1) contre la proposition polonaise de réguler l’échange de trafic IP », indique à Edition Multimédi@ Winston Maxwell, avocat associé de Hogan & Harton et membre du groupe d’expert sur la neutralité du Net mis en place par la ministre française, Nathalie Kosciusko-Morizet. @

La fusion Comcast-NBC Universal pose la question des rapports « tuyaux/contenus »

L’intégration verticale entre le câblo-opérateur Comcast et le groupe audiovisuel NBC Universal, qui attend l’aval des autorités américaines, soulève des questions sur l’avenir de la télévision délinéarisée et sur le respect de la neutralité de l’Internet.

Par Winston Maxwell (photo), à Paris, et Daniel Brenner, à Washington DC, avocats associés de Hogan & Hartson

Au cours des dernières semaines, le Congrès a organisé des audiences pour examiner l’avenir de la télévision aux Etats- Unis, notamment en tenant compte de la fusion annoncée en décembre dernier du premier câblo-opérateur américain Comcast avec le fournisseur de programmes NBC Universal (1). Ces audiences ont mis en lumière l’ensemble des problématiques de la distribution de programmes audiovisuels face aux défis de l’Internet et de la concurrence naissante de l’IPTV (2), c’est-à-dire de toute forme de distribution télévisée sur Internet (en direct sur le Web, en vidéo à la demande ou encore en catch up TV).

Allociné : « La convergence Internet-téléviseurs nous ouvre des horizons intéressants »

Claude Esclatine et Grégoire Lassalle, respectivement PDG et cofondateur d’Allociné, expliquent à Edition Multimédi@ comment leur site web est devenu le numéro 2 mondial de l’information et de la vidéo sur le cinéma. Ils lèvent le voile sur leur projet de chaîne de télévision.

Edition Multimédi@ : Le site Allociné est crédité de 7,6 millions de visites uniques en décembre 2009 pour 30 millions de vidéos diffusées. Que recherchent vos internautes ?
Claude Esclatine (photo) et Grégoire Lassalle :
Au cœur de ce record établi pendant deux mois consécutifs fin 2009 et qui traduit un bond de 25 % de notre audience, la vidéo occupe une place croissante. Les utilisateurs réguliers d’AlloCiné – plus d’un internaute sur cinq en France – attendent beaucoup d’informations et de services, mais aussi beaucoup
d’images. AlloCiné ne diffuse aucune oeuvre dans son intégralité. C’est avant tout un media, dont la mission est de faire la promotion du Septième Art. Les quelque 100 millions de vidéos diffusées au cours du quatrième trimestre de l’an dernier concernent, toutes, des bandes annonces, y compris celles diffusées en post-roll [clip publicitaire après une vidéo, ndlr], des extraits de films, des making off [film sur le film], des interviews. En outre, les émissions en propre d’AlloCiné pèsent dorénavant plus de
10 % de ce volume, pourcentage lui-même en forte hausse. Par contre, les téléchargements en vidéo à la demande (VOD) – gérés depuis octobre 2009 via la plate-forme de CanalPlay – ne sont pas pris en compte dans ces chiffres, pas plus que les spots vidéo publicitaires. Quant au nouveau player video d’AlloCiné, mis en ligne
– y compris via les players « exportés » vers nos partenaires – à l’occasion de la nouvelle version du site en octobre dernier, il est accessible en haute qualité.

Yves Le Mouël, FFT : « L’Internet ouvert ne signifie pas bande passante gratuite »

Coûts de la riposte graduée Hadopi, filtrage du Net, déploiement de la fibre optique, neutralité des réseaux, contribution au Cosip, taxe pour l’audiovisuel public, augmentation de la TVA triple play,… Le directeur général de la Fédération française des télécoms, Yves Le Mouël, précise ses positions.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La loi sur la sécurité intérieure (Loppsi 2) et la loi sur les jeux en ligne prévoient de légaliser le filtrage sur Internet. Craignez-vous que cela ne s’étende à la lutte contre le piratage ?
Yves Le Mouël :
Pour les opérateurs et fournisseurs d’accès, Internet est d’abord un formidable espace de liberté qu’il faut promouvoir. Mais c’est aussi un espace qui n’échappe pas à
la loi. Dans cette logique, les opérateurs et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI)
ont toujours respecté et respecteront toujours la législation en vigueur. Ils rappellent néanmoins que les dispositifs de lutte contre le piratage ou la cybercriminalité qu’on leur demanderait de mettre en oeuvre doivent être proportionnés à l’objectif recherché, d’autant qu’ils sont loin d’être infaillibles et ne sauraient garantir l’atteinte de l’objectif poursuivi. La pédagogie du bon usage reste la meilleure arme contre les comportements abusifs sur Internet.

Futur du Net : équilibre entre neutralité et sécurité

En fait. Le 21 janvier, les trois fondateurs de l’Internet – Vinton Cerf, Robert Kahn
et Louis Pouzin – ont évoqué le futur du « réseau des réseaux », à l’invitation de Forum Atena. Le Français était en visioconférence de Paris avec les deux Américains, l’un de Washington, l’autre de Californie. Historique.

En clair. Les trois pères fondateurs de l’Internet se posent de sérieuses questions à propos de l’avenir de leur « bébé », que cela soit sur sa capacité à supporter toutes
les connexions des terminaux – fixes ou de plus en plus mobiles – et des objets ou
à acheminer tous les contenus et services. « Avec 1,7 milliard d’internautes dans le monde et la montée en puissances des mobiles utilisés par 4 milliards d’humains, Internet est en plus de plus en plus sollicité. La radio, la télévision et autres médias
y convergent, avec les conséquences technologiques et économiques que cela engendre », a déclaré Vinton Cerf, qui a créé le protocole Internet TCP/IP après
s’être inspiré en mars 1973 des travaux du Français Louis Pouzin sur le datagramme (commutation de paquets) lors d’une visite rendue à Louveciennes. Recruté il y a cinq ans par Google, dont il est vice-président, l’Américain a fait part de ses trois préoccupations au regard du Net : la sécurité, la capacité et la neutralité du réseau.
Son compatriote Robert Kahn, président de la Corporation for National Research Initiatives, estime que la Net Neutrality doit aboutir à ce que les fournisseurs d’accès
à Internet « jouent la transparence » à l’égard des internautes, s’il doit y avoir différenciation de qualité de services. Pour l’architecte du réseau Arpanet dans les années 70, le problème est qu’« il faudrait harmoniser les réglementations nationales au regard d’Internet, devenu un système d’information global ». Quant à Louis Pouzin, pour qui « Internet présente beaucoup de défauts », il estime que le futur du Net s’affranchira des sept couches du modèle ISO, lesquelles séparent encore sur le réseau les communications physiques des applications situées dans les couches plus hautes. Cela passe par des “Sabots”, lesquels permettraient d’établir au-dessus de l’architecture réseau des liaisons de bout en bout avec identification et qualité de services intégrées entre deux communiquants. Comme l’Américain John Day (1),
qui parle lui de « DIF » (pour Distributed Inter-process communications Function),
le Français pense qu’Internet est à bout de souffle car « trop gros et trop ouvert » et dépassé par la mobilité. Les “Sabots” ou les “DIF”, sortes de réseaux privés virtuels sécurisés et maîtrisés, permettraient de lui apporter une meilleure sécurité, une meilleure gestion évolutive et une meilleure interface pour les services et les contenus qu’il propose. @