Jean-Ludovic Silicani, Arcep : « Le renouvellement complet de notre infrastructure numérique est justifié »

Président de l’Arcep depuis deux ans, Jean-Ludovic Silicani répond à Edition Multimédi@. Selon lui, les consommateurs « gagneraient à passer au très haut débit ». Des « indicateurs de qualité de service » sont en préparation. Parmi les nouveaux pouvoirs de l’Arcep : veiller à la neutralité du Net.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le nombre de foyers raccordables à la fibre optique à domicile (FTTH) dépasse tout juste
1 million en France, dont 140.000 seulement sont abonnés, soit 12 %. Comment expliquez-vous ce
peu d’engouement, alors que l’on va investir près
de 25 milliards d’euros sur 15 ans ?
Jean-Ludovic Silicani :
On a beaucoup parlé ces derniers temps de l’absence d’une application phare qui déclencherait un large besoin des consommateurs. Or, je constate que la plupart des services que nous utilisons aujourd’hui sont en train d’évoluer et nécessitent des réseaux offrant une plus large bande passante et une meilleure qualité de service : télévision HD puis 3D, multiécrans, démocratisation du cloud computing, consommation et partage croissants de vidéos haute définition sur Internet… Les consommateurs découvrent progressivement ce qu’ils gagneraient à passer au très haut débit.

Michel Barnier : « Il n’est pas prévu que l’Observatoire du piratage agisse comme une “Hadopi européenne” »

Le commissaire européen en charge du Marché intérieur et des Services répond
en exclusivité aux questions de Edition Multimédi@ : l’ACTA ne sera pas plus contraignant que la future directive DPI, notamment en matière de coopération
des FAI dans la lutte contre le piratage sur Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Vous prévoyez au printemps 2012 la révision de la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle (DPI). Il est notamment question de « coopération » des intermédiaires (1). Mais les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne veulent pas être « les cyber-policiers du Web » : filtrer
ou bloquer les contenus du Net ne suppose-t-il pas des lois spécifiques et le contrôle des juges ?
Michel Barnier :
Comme cela a été indiqué dans le rapport de la Commission européenne du 22 décembre 2010 (2), les intermédiaires – notamment les prestataires de services Internet – se trouvent dans une position favorable pour contribuer à prévenir les infractions en ligne et à y mettre fin. A cause des spécificités de l’Internet,
il n’est souvent pas possible pour les autorités chargées de la mise en oeuvre des lois sur la protection de la propriété intellectuelle d’intervenir sans l’aide de ces intermédiaires. Pour ces raisons, je suis convaincu qu’une participation plus active des intermédiaires dans la lutte contre la contrefaçon et le piratage est indispensable, si nous voulons avoir du succès. Mais il n’est pas question de leur transférer des tâches qui incombent actuellement aux autorités publiques et judiciaires. Nous sommes en train d’étudier les situations dans les différents Etats membres et pays tiers, comme les Etats-Unis, et nous examinons les avantages et les inconvénients des solutions dans une étude d’impact détaillée (3). Cette dernière va être présentée avec la proposition législative dans le courant du premier semestre 2012.

Pourquoi la Commission européenne reste attentiste

En fait. Le 19 avril, la Commission européenne a publié une communication de sur la neutralité de l’Internet, mais sans décider quoi que ce soit. Pour l’heure, elle interroge jusqu’à l’été les patrons des télécoms et du Web – réunis en trois groupes de travail – sur le financement du très haut débit.

En clair. La commissaire européenne Neelie Kroes, en charge de la stratégie numérique, renvoie à plus tard toute mesure qui garantirait le principe de neutralité
de l’Internet, sans remettant pour l’instant à la transposition du Paquet télécom d’ici
au 25 mai (transparence, qualité de service, arbitrage, …) et au jeu de la concurrence qui devrait en découler (changement d’opérateur en un jour, …). Elle suggère aux opérateurs télécoms ou les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) d’informer – avant
la signature d’un contrat – les internautes « de la nature exacte du service auquel ils s’abonnent, y compris des techniques de gestion du trafic et de leur incidence sur la qualité du service ainsi que de toute autre restriction (par exemple, capacités maximales de bande passante ou vitesse de connexion disponible) ». Pour Neelie Kroes, qui anime trois groupes de travail de «CEO» (investissement très haut débit, interopérabilité et financement du Net) dont une ce 2 mai (1), il est donc urgent d’attendre – que les nouvelles directives « Cadre » et « Accès » soient appliquées. L’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) est chargé d’effectuer « un examen approfondi des questions à prendre en compte en vue de garantir un Internet ouvert et neutre, et notamment les entraves au changement d’opérateur, le blocage ou la limitation du trafic Internet ». Mais les résultats ne seront rendus qu’à la fin de l’année. Pourtant l’ORECE a déjà identifié des problèmes tels que « la limitation de vitesse (“throttling“) du peer-to-peer (P2P) pour le partage de fichiers ou le streaming vidéo » – observée notamment en France (2). Lorsque ce n’est pas des blocages ou des surtaxes (voix sur Internet, …). Bien que la Commission européenne assure qu’elle « veillera » au grain, sa position et son rapport a minima déçoit. Catherine Trautmann, l’eurodéputé française qui fut rapporteur du Paquet télécom
en 2009 (3), a accueilli « avec une grande circonspection » cette communication
qui « marque un renoncement de Mme Neelie Kroes » par rapport à son audition du
14 janvier 2010 par le Parlement européen. L’ancienne commissaire à la Concurrence avait en effet déclaré : « [Les FAI] ne devraient pas être autorisés à limiter l’accès au service ou le contenu pour des motivations commerciales, mais seulement en cas de problèmes de sécurité et de spam » (lire EM@6, p. 6). Faute de lignes directrices claires (lire EM@23, p. 8), les règles nationales autour de la neutralité du Net risquent de constituer un patchwork européen. @

Neutralité du Net : proposition de loi en septembre …

En fait. Le 21 avril, la député Laure de La Raudière a indiqué à Edition Multimédi@ qu’elle déposera en septembre prochain une proposition de loi
sur la neutralité d’Internet, reprenant certaines propositions de son rapport parlementaire sur le sujet – publié le 13 avril et envoyé à Eric Besson.

En clair. « Je vais déposer en septembre à l’Assemblée nationale une proposition de loi sur la neutralité d’Internet, qui portera sur trois axes. Le premier axe sera d’inscrire dans la loi la définition de la neutralité du Net pour lui donner une portée juridique. Le deuxième axe, plus transversal, établira une procédure unique pour les obligations de filtrage et de blocages de sites web – au lieu d’avoir la coexistence de quatre procédures différentes (LCEN, Hadopi, Arjel et Loppsi 2) – et de la placer sous l’autorité systématique du juge.
Le troisième axe sera de créer un Observatoire de la qualité d’Internet et charger l’Arcep de garantir l’accès à un Internet de qualité suffisante », nous explique la député UMP d’Eure-et-Loir, Laure de La Raudière, ingénieur des télécoms de formation.
Elle précise à Edition Multimédi@ que la notion de « qualité de service minimal » du nouveau Paquet télécom – transposable d’ici le 25 mai – doit s’entendre « non pas comme un minimum mais comme un niveau suffisant auquel l’Arcep aura l’obligation de veiller ». La vice-présidente de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, qui avait institué la mission d’information aboutissant au rapport parlementaire présenté le 13 avril avec Corinne Erhel (voir cidessous), nous apprend qu’elle l’a « envoyé le lendemain par email à Eric Besson ». Le ministre en charge de l’Economie numérique, qui était alors dans la Silicon Valley, lui a aussitôt répondu « via Twitter » : « Je vais le lire ». La député « espère que le gouvernement pourra s’en inspirer pour inscrire à l’ordre du jour des dispositions dans le cadre de la proposition de loi ». Mais force est de constater que le gouvernement – qui s’était aussi fendu d’un rapport destiné au Parlement (1) et daté du 16 juillet 2010 – est resté très attentiste sur la question de la neutralité des réseaux. Et Eric Besson a déjà renvoyé toute décision politique au 30 novembre (prochaines Assises du numérique). Lors d’un vote par scrutin public le 1er mars, le ministre de l’Economie numérique avait même fait rejeter (311 voix et 218 pour) la proposition de loi du député PS Christian Paul d’introduction dans la loi du principe de neutralité du Net (2). Quant au financement d’Internet ou à une éventuelle « terminaison d’appel data » (3), ils ne feront pas partie de la proposition de loi de Laure de La Raudière qui étudiera les conclusions attendues en juillet des
« trois tables rondes des CEO » – dont une prévue le 2 mai – organisées par Neelie Kroes sur le financement du Net. @

Réseaux très haut débit : financement innovant, PPP et neutralité du Net

coTreize ans après l’abolition des monopoles d’Etats du téléphone en Europe,
les pouvoirs publics sont appelés à la rescousse pour cofinancer les très coûteux réseaux de fibre optique. Les géants du Web aussi. Entre partenariat public-privé et terminaison d’appel data.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel.

Lorsque la ville de Pau décidait il y a plus d’une décennie de déployer un réseau de fibre optique jusqu’au domicile de ses habitants, les industriels du secteur saluaient la prouesse tout en s’interrogeant sur la nature des besoins devant être satisfaits par tant de capacités. Le remplacement récent et à grande échelle
des terminaux de téléphonie mobiles par des smartphones aboutit désormais à une popularisation sans précédent de l’accès à Internet et à une recrudescence du besoin en bande passante.