Le rapport « TV Connectée » de 2011 sera-t-il suivi d’une réforme du PAF en 2012 ?

Publié le 5 décembre, le rapport de la mission sur la télévision connectée (1) appelle
de ses voeux une réaction rapide des pouvoirs publics afin de préparer au mieux
la France aux conséquences de la révolution audiovisuelle annoncée.
La télécommande est dans les mains du gouvernement…

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel.

A l’horizon 2015, 100 % des foyers français seront équipés de téléviseurs connectés (2) permettant potentiellement de surfer, via le petit écran, sur l’ensemble du réseau Internet. Ce que le ministre de la Culture et de la Communication a annoncé comme un « tsunami » (3) promet de modifier nos habitudes de consommation. L’arrivée dans la chaîne des contenus des nouveaux acteurs – que sont les fournisseurs d’accès Internet (FAI), les agrégateurs de contenus et les fabricants de téléviseurs – devrait de plus engendrer des bouleversements profonds dans l’économie de l’audiovisuel.

Neutralité : YouTube et Cogent, premières victimes ?

Le 23 décembre 2011, l’Arcep a lancé deux consultations publiques – jusqu’au
17 février – sur la neutralité des réseaux : l’une sur le suivi de la qualité du service d’accès à Internet et son information ; l’autre sur la collecte trimestrielle d’informations sur les conditions d’acheminement des données.

Les internautes ayant des difficultés à accéder à Megavideo et Megaupload via le CDN (1) américain Cogent ou les internautes trouvant leur accès à YouTube ralenti auront-ils un jour une explication ? « Oui, Christophe Muller [directeur chez YouTube, ndlr] a bien entendu que des abonnés rencontraient des difficultés d’accès. Mais nous n’avons pas
de commentaire à apporter », a répondu à Edition Multimédi@ une porte-parole de Google France. Pour l’heure, seul un litige lié à la neutralité du Net est dans les mains de l’Autorité de la concurrence qui l’a confirmé le 29 août dernier après une information de La Tribune : Cogent l’a saisie d’une plainte contre France Télécom pour abus de position dominante et discrimination dans l’acheminement de son flux. L’Arcep devrait être saisie pour avis, mais cette dernière nous a indiqué ne pas vouloir s’exprimer. « L’accès à certains contenus, services ou applications spécifiques (…) seraient susceptibles de faire l’objet de restrictions ou blocages ciblés », prévient néanmoins l’Arcep dans le premier texte soumis à consultation. Le régulateur, qui doit se doter d’outils de suivi de la qualité de service, va remettre d’ici le 23 mars prochain – soit au plus tard un an après la promulgation de la loi du 22 mars 2011 (2) – un rapport au Parlement sur ses travaux en matière de neutralité de l’Internet et des réseaux. Les contributions des deux consultations aideront donc à finaliser ce rapport sur : les instruments et les procédures de suivi de la qualité de service de l’accès à l’Internet ; la situation et les perspectives des marchés de l’interconnexion de données ; les pratiques de gestion de trafic des opérateurs télécoms. « Notre approche est essentiellement préventive, l’objectif n’étant pas de définir des exigences minimales de qualité de service », prévient le régulateur dans le premier texte soumis à consultation. « Cette approche s’inscrit dans un contexte de crainte de sous-investissement des opérateurs, lequel pourrait conduire à une pénurie artificielle de ressources », s’inquiète-t-il.
Quoi qu’il en soit, l’Arcep explique plus loin qu’il s’agit aussi d’ »évaluer l’opportunité de fixer des exigences minimales de qualité du service d’accès à l’Internet ». D’autant que le nouveau cadre réglementaire (3) lui a donné le pouvoir de fixer ces exigences minimales de qualité du service. @

Sites pirates : moteurs de recherche, régies pub et systèmes de paiement appelés à la rescousse

Imaginez le moteur de recherche Google, la régie publicitaire Hi-Media et le système de paiement Paypal obligés, tout comme les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), de boycotter les sites web de piratage sur Internet. C’est ce que les Etats-Unis pourraient imposer par la loi.

Si l’une des deux propositions de loi « anti-piratage » actuellement débattues aux
Etats-Unis devait être adoptée en 2012, la lutte contre les sites sur Internet favorisant
le téléchargement illégal et la contrefaçon serait élargie à tous les acteurs du Net.
Le premier texte appelé Protect Intellectual Property (IP) Act a été introduit devant la Chambre des représentants le 12 mai ; le second intitulé Stop Online Piracy Act a été déposé au Sénat le 26 octobre.

Haro sur les sites « dévoyés » à l’étranger
La portée d’une telle loi, si elle devait aboutir, concernerait l’ensemble du Web mondial car sont visés tous les sites situés à l’étranger et portant atteinte à l’économie de la création et à la propriété intellectuelle. Avec ces deux textes distincts, les parlementaires américains – qu’ils soient démocrates ou républicains – veulent en effet mettre au ban de la société de l’information les « sites web dévoyés » (rogue websites). Il s’agit d’obliger l’ensemble des différents « intermédiaires techniques » américains de l’Internet à « geler » toutes leurs relations commerciales ou liens (contractuels ou via des hypertextes) avec les sites web étrangers « délinquants » qui seraient jugés coupables de violations systématiques des droits d’auteur ou de contrefaçon. Ainsi, le Protect IP Act (1) et le Stop Online Piracy Act (2) veulent donner aux juges américains le pouvoir d’identifier et d’envoyer des mises en demeure ou des injonctions obligeant non seulement les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) mais aussi les gestionnaires
de noms de domaine (DNS), les fournisseurs de solutions de paiement en ligne, les établissements bancaires, les régies de publicités online et toutes les sociétés de référencement d’informations sur le Web – dont les moteurs de recherche, les sites d’indexation, les répertoires en lignes (mentionnant liens hypertextes ou adresses
de sites) – de ne plus faire état du site pirate et de cesser toute activité avec lui. Ce boycotte électronique permettrait, selon les parlementaires américains, d’éradiquer
le téléchargement illicite, les violations au copyright et la contrefaçon. Si le procureur général (attorney general) prononçait une telle décision, un boycott en chaîne se mettrait en place aux Etats-Unis contre les sites web incriminés. Par exemple : le leader du micropaiement Paypal et le géant des cartes bancaires Visa devront bloquer les paiements vers ce site ; les moteurs de recherche Google et Yahoo devront le dé-référencer ; les agences de publicité Microsoft Advertising et Hi-Media auront obligation de cesser d’y placer des annonces publicitaires ; les FAI comme Orange et Free devront mettre à jour leurs serveurs DNS pour rediriger les internautes et les mobinautes cherchant ce site en infraction vers une page leur indiquant la mesure d’interdiction prononcée à son encontre. Le juge veillera cependant à ce que soient dans le collimateur les sites web dont l’activité principale est le piratage comme Newzbin en Grande-Bretagne (lire l’article juridique de Winston Maxwell p .8 et 9) mais non pas les autres sites étrangers qui pourraient se retrouver par exemple avec des vidéos contrefaites comme Dailymotion en France. Quelles sont les chances pour ces deux propositions de loi d’être adoptées et promulguées aux Etats-Unis ? « La proposition de loi “Stop Online Piracy Act” va encore plus loin que celle du “Protect IP Act”, et pose plus de problèmes au regard du Premier amendement de la Constitution américaine sur la liberté d’expression et de la presse. Le “Protect IP Act” semble plus équilibré. De toute façon, Barack Obama reste prudent par rapport à une loi “anti-piratage”, laquelle ne devrait pas être adoptée avant les élections présidentielles, prévues aux Etats-Unis le 6 novembre 2012 », explique Winston Maxwell, avocat,
à Edition Multimédi@.
Les deux textes en discussion risquent en outre de heurter le principe de la Net Neutrality et pourraient contrarier la volonté de l’administration Obama de garantir à l’international un Internet ouvert. Washington serait plus enclin à favoriser des accords avec les FAI sur la base du volontariat, plutôt que de légiférer de manière radicale comme le proposent les Protect IP Act et Stop Online Piracy Act.

La prudence de la Maison Blanche
Le 7 juillet 2011, Victoria Espinel, responsable pour
la propriété intellectuelle au sein du gouvernement étatsunien, a clairement souligné
– sur le blog de la Maison Blanche (3) – que l’accord « anti-piratage » conclu le jour
même entre les FAI et les ayants droits de la musique et du cinéma (4) était conforme
à « notre stratégie d’encourager les efforts volontaires ». Ce Memorandum of Understanding (MoU) ressemble à une « réponse graduée » mais sans volet pénal,
une sorte de « version privée de l’Hadopi » (5) selon propre termes de Winston Maxwell. Reste à savoir qui de l’auto-régulation ou de la législation l’emportera en 2012. @

Charles de Laubier

Neutralité du Net : la transposition du Paquet télécom laisse un goût d’inachevé

Bien que la neutralité des réseaux ait été au cœur du Paquet télécom, son principe n’a finalement pas été gravé dans le marbre communautaire. Du coup,
si le processus législatif est terminé, le débat sur sa préservation est loin d’être clos.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel.

La publication au Journal Officiel, le 26 août dernier, de l’ordonnance de transposition du Paquet télécom (1) met
un point final à un processus législatif débuté près de quatre ans plus tôt. C’est en effet le 13 novembre 2007
que fut engagée une vaste révision de ce Paquet télécom adopté une première fois en 2002. Fruit de deux ans de négociations, cette deuxième version fut finalement votée
fin 2009 à l’issue d’une procédure de conciliation entre le Conseil de l’Union et le Parlement européen.

La neutralité d’Internet entre les mains de l’Arcep

En fait. Le 26 août est parue au « Journal Officiel » l’ordonnance de transposition
du Paquet télécom qu’Eric Besson – ministre en charge notamment de l’Economie numérique – avait présentée en Conseil des ministres le 24 août, ainsi que le rapport correspondant au Président de la république.

En clair. Ne cherchez pas « neutralité des réseaux » et encore moins « neutralité d’Internet » dans le texte de l’ordonnance de transposition du Paquet télécom : ce principe n’y apparaît pas explicitement. Certes, le texte soumis ce 24 août au président de la République Nicolas Sarkozy mentionne bien dans ses motifs deux objectifs :
« garantir la neutralité des réseaux » et « promouvoir la neutralité des réseaux », mais l’ordonnance ellemême ne repend pas ces termes. En fait, il faudra désormais s’en remettre aux opérateurs télécoms, dont les obligations sont accrues, et à l’Arcep, dont les pouvoirs sont renforcés. Pour les internautes et les mobinautes, l’article 3 complète le Code des postes et des communications électroniques pour que « [le ministre chargé des communications électroniques et l’Arcep] veillent (…) à favoriser la capacité des utilisateurs finals à accéder à l’information et à en diffuser ainsi qu’à accéder aux applications et services de leur choix ». S’il n’est pas satisfait, le consommateur pourra faire jouer la concurrence en changeant d’opérateur télécoms ou de fournisseur d’accès à Internet (FAI). Encore faut-il que ces derniers informent correctement leurs abonnés. C’est ce que prévoit l’article 33 de l’ordonnance. Sur les treize informations que doivent donner les fournisseurs aux consommateurs « sous une forme claire, détaillée et aisément accessible », quatre touchent de près ou de loin la neutralité du Net : niveau de qualité, procédures pour mesurer et orienter le trafic, restrictions à l’accès à des services et à leur utilisation (ainsi qu’à celle des équipements terminaux fournis), mesure afin de réagir à un incident ayant trait à la sécurité ou à l’intégrité (1). Cela suppose qu’en amont le gouvernement et le régulateur « veillent à l’exercice de la concurrence relative à la transmission des contenus (…) », et « fixent des obligations en matière d’accès » et fassent respecter le « principe de non discrimination ». Pour y parvenir, l’Arcep « peut [c’est-à-dire qu’elle n’est pas obligée, ndlr] fixer des exigences minimales de qualité de service » (article 16) et « peut également être saisie des différends portant sur (…) les conditions réciproques techniques et tarifaires d’acheminement du trafic entre un opérateur et une entreprise fournissant des services de communication au public en ligne [tels que Google/YouTube, Facebook, Dailymotion, etc, ndlr] » (article 17). Les rapports de force peuvent commencer, comme dans la plainte récente de Cogent contre Orange. @