La DGMIC change de tête, y compris face aux GAFA

En fait. Le 5 octobre, Florence Philbert a été nommée – sur proposition de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak – directrice de la DGMIC, la direction générale des médias et des industries culturelles. Plus discrètement, Matthieu Couranjou devient « délégué à la régulation des plateformes numériques ».

En clair. Florence Philbert succède à Jean-Baptiste Gourdin qui occupait ces fonctions de directeur général des médias et des industries culturelles depuis janvier 2020 (1). La DGMIC est au ministère de la Culture l’épicentre des réformes du gouvernement pour l’audiovisuel, la presse, les services d’information en ligne, le pluralisme des médias, le livre, la musique, la publicité et les activités multimédias, ainsi que pour l’économie culturelle et l’économie numérique.
Ses effectifs sont actuellement de près de 150 personnes, regroupées cette année dans l’immeuble des Bons-Enfants (rue Saint-honoré dans le 1er arrondissement de Paris, près de la rue de Valois). Et depuis janvier 2021, la DGMIC a été renforcée avec la création d’une « délégation à la régulation des plateformes numériques ». Jusqu’alors adjoint à cette délégation chargée notamment de se mettre d’accord avec les GAFA, Matthieu Couranjou (ingénieur des mines) est depuis septembre pleinement délégué à la régulation des plateformes numériques (« DRPN »). Il succède ainsi à Laure Durand-Viel, qui fut la première à ce poste stratégique et jusqu’à son départ en mai dernier. C’est elle qui a supervisé pour le gouvernement les négociations du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA), les règlements européens qui sont sur le point d’entrer en vigueur dans les Vingt-sept pour respectivement les services et les marchés numériques.
Conseillère d’Etat et juriste, Laure Durand-Viel (« LDV ») a contribué à l’activité normative, notamment sur les contenus (« conciliation entre ordre public et liberté d’expression », « promotion de la diversité culturelle et du pluralisme », …). Cette DRPN compte pour l’instant sept personnes – agents, juristes et ingénieurs. Elle « conçoit la politique de régulation des plateformes numériques » pour le gouvernement, « assure une veille technologique » et « analyse l’évolution des modèles économiques (…) et des effets de la transition numérique » sur les médias et les industries culturelles, tout en « apport[ant] son expertise juridique sur ces questions, en lien avec le secrétariat général [du gouvernement] » (2) où LDV vient d’être nommée (3). Florence Philbert arrive à la tête de la DGMIC après « a[voir] notamment œuvré à la transposition des directives Services de médias audiovisuels (SMA), droits d’auteur et droits voisins ». Elle était depuis 2015 DG de l’IFCIC (4). @

« Facebook, Google & Big Telecoms veulent continuer à violer la neutralité du Net en Europe… »

« … Les régulateurs devraient les arrêter ». C’est l’alerte lancée par Barbara van Schewick, professeure de droit de l’Internet à la Stanford Law School aux Etats-Unis. Pour cette juriste allemande, les régulateurs des télécoms européens – du Berec – doivent préserver la neutralité de l’Internet.

L’organe des régulateurs européens des télécoms, appelé en anglais le Berec (1), s’est réuni du 8 au 10 juin à Chypre pour se mettre d’accord sur une mise à jour des lignes directrices sur « l’Internet ouvert » – alias la neutralité de l’Internet. Les précédentes avaient été publiées le 30 août 2016. Depuis, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), daté du 15 septembre 2020, avait jeté un pavé dans la mare en déclarant contraire à la neutralité de l’Internet – donc illégale – la pratique du « trafic gratuit ».

Fort lobbying des Gafam et des telcos
Appelé aussi zero-rating, cet avantage consiste pour un opérateur télécoms à ne pas décompter dans son forfait mobile les données consommées par l’internaute pour un service « partenaire ». Le problème est qu’en « favorisant » tel ou tel service, l’opérateur mobile le fait au détriment des autres applications concurrentes. Facebook/ Instagram/WhatsApp, Google/YouTube, Netflix, Spotify, Apple Music, Deezer, Twitter ou encore Viber profitent du dispositif qui incite implicitement les abonnés mobiles à les utiliser en priorité puisqu’ils ne sont pas décomptés du crédit de données lié à leur forfait. Dans son arrêt de 2020, la CJUE épinglait ainsi le norvégien Telenor en Hongrie (2). Plus récemment, dans un autre arrêt daté du 2 septembre 2021, la CJUE s’en est prise cette fois à Vodafone et de TMobile en Allemagne pour leurs options à « tarif nul » contraires à l’Internet ouvert (3).
Ce favoritisme applicatif était identifié depuis près de dix ans, mais les régulateurs européens n’y ont pas mis le holà. Les « telcos » font ainsi deux poids-deux mesures : des applications gratuites et attrayantes face à d’autres payantes et donc moins utilisées. « Nous sommes réticents à la sacralisation du zero-rating qui, par définition, pousse les consommateurs de smartphones à s’orienter vers un service – généralement le leader capable de payer le plus – au détriment de ses concurrents, au risque de les faire disparaître », avait déclaré au Monde en 2016 l’association de consommateurs UFC-Que choisir (4). Plus de six ans après l’adoption par les eurodéputés du règlement européen « Internet ouvert » (5), les inquiétudes demeurent. « Des plans de gratuité discriminatoires tels que StreamOn de T-Mobile et le Pass de Vodafone violent la loi européenne sur la neutralité du Net », a dénoncé le 30 mai dernier Barbara van Schewick (photo), professeure de droit de l’Internet à la Stanford Law School aux Etats-Unis. Dans un plaidoyer publié par le CIS (Center for Internet and Society) qu’elle dirige dans cette faculté américaine (6), l’informaticienne et juriste allemande fustige « ces stratagèmes discriminatoires [qui] favorisent presque invariablement les propres services de l’opérateur ou ceux de plateformes géantes comme Facebook et YouTube ». Elle appelle le Berec à contrecarrer ces pratiques en les proscrivant clairement dans les prochaines lignes directrices révisées sur l’Internet ouvert. « Ce que décide le Berec aura un impact sur des millions d’Européens et, s’il fait les choses correctement, cela augmentera la quantité de données que les gens obtiennent chaque mois, tout en rétablissant la concurrence en ligne », espère Barbara van Schewick. Mais l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques, basé à Bruxelles, subit de fortes pressions des lobbies des Gafam et des telcos « pour laisser des échappatoires afin que la gratuité discriminatoire puisse continuer ». Or, dénonce-t-elle, « cette pratique injuste cimente le pouvoir de marché des plateformes dominantes ».
Cette concurrence déloyale se fait aussi dans la musique en ligne et la SVOD. La professeure de droit de l’Internet cite le cas d’une start-up américaine lancée il y a dix ans, Audiomack. Après avoir examiné 34 programmes de zerorating pour les applications de musique en Europe, où cette plateforme musicale voulait de lancer, elle n’a pas eu d’offres ou de réponses de la part de 25 opérateurs télécoms. « Après dix mois de travail, elle a été incluse dans 3 programmes. Pendant ce temps, Apple Music était présent dans 26 et Spotify dans 23 », relate Barbara van Schewick.

Que le « trafic nul » soit bien interdit
Et d’après une étude d’Epicenter.works publiée en 2019, WhatsApp et Facebook, du groupe Meta, suivis par le français Deezer, sont les applications les plus « détaxées » parmi les 186 plans de trafic gratuit recensés (7). La professeure du CIS espère en tout cas que le Berec confirmera ce qu’il a déjà prévu d’indiquer dans les prochaines lignes directrices : à savoir que le trafic gratuit viole la neutralité du Net. C’est net et clair dans le projet de guidelines de mars dernier (8). Mais la professeure espère que toutes ces pratiques seront in fine clairement interdites, noir sur blanc, afin que les opérateurs télécoms ne puissent pas contourner l’obstacle. @

Charles de Laubier

Le numérique et la culture du candidat-président

En fait. Le 17 mars, le président de la République, Emmanuel Macron, a présenté son programme de candidat à sa réélection. L’ancien ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique a mis du digital dans ses promesses, comme en 2017, mais il est moins-disant en matière de culture et d’audiovisuel.

En clair. 2017-2022. Entre le candidat d’il y a cinq ans et le candidat d’aujourd’hui, les programmes présidentiels n’est pas du tout le même. Ce qui devait être la grande réforme du quinquennat – celle de l’audiovisuel (rapprocher les sociétés audiovisuelles publiques, et simplifier la réglementation audiovisuelle sur fond de basculement numérique) – a été sacrifiée sur l’autel du covid. A la place, il a fallu se contenter de quelques mesures (création de l’Arcom, lutte contre piratage étendue au streaming, contribution des grandes plateformes de SVOD au financement de films et séries françaises, …).
S’il devait y avoir « Macron à l’Elysée, saison 2 », le candidat de 2022 est beaucoup moins ambitieux sur l’audiovisuel : il promet de « supprimer la “redevance télé” » (démagogique ?) et de « garantir l’indépendance de l’audiovisuel public » (était-il donc soumis ?). Les producteurs, eux, s’inquiètent (1). Les industries culturelles, elles, en attendaient bien plus du candidat président. Emmanuel Macron s’en tient à trois promesses en faveur de la culture, dont deux guidées par le numérique : outre « des nouvelles commandes publiques artistiques à travers la France pour soutenir les jeunes créateurs », il prévoit d’une part « un investissement pour construire des métavers européens et proposer des expériences en réalité virtuelle, autour de nos musées, de notre patrimoine et de nouvelles créations, en protégeant les droits d’auteur et droits voisins », et d’autre part « une extension du Pass Culture pour accéder plus jeune à la culture ». Le candidat à sa succession rappelle au passage qu’il a déjà donné : « Pour préserver la culture, nous avons soutenu massivement les artistes pendant la crise ».
Pour le numérique en général, trois mesures sont avancées : « Généraliser l’enseignement du code informatique et des usages numériques à partir de la 5e », « Transformer l’Etat par le numérique » (2), « 20.000 accompagnateurs pour aider les Français qui en ont besoin dans la maîtrise des outils numériques et leurs démarches quotidiennes ». Un second quinquennat lui permettrait aussi d’« achever la couverture numérique du territoire par la fibre d’ici 2025 » (3). Le très haut débit « essentiellement en fibre optique » avait été promis par son prédécesseur François Hollande pour fin 2022… Quant au carnet de santé numérique, il « sera accessible à tous en 2022 ». @

Cybersécurité et cybercensure pourraient accélérer la balkanisation du Net et marginaliser l’Icann

L’avenir de l’Internet est hypothéqué par le cybersécuritaire et le cyberpolitiquement correct. Les remèdes contre les ransomware et les fake news pourraient s’avérer pire que les maux. Les lignes Maginot du Net et sa surveillance généralisée risquent d’accélérer son éclatement.

Pendant que les acteurs de l’Internet et les start-up de l’économie numérique font la fête à Lisbonne au Portugal, à l’occasion de la grand-messe du Web Summit du 1er au 4 novembre 2021 au Portugal (1), le « réseau des réseaux », lui, est de plus en plus pris à partie par les politiques de lutte contre la cybercriminalité et les cybermenaces, d’une part, et la traque aux fausses informations et aux contenus illicites, d’autre part. La pression des Etats, dont certains appellent à la « coopération internationale » contre ces « fléaux », réels ou pas, va peser sur le fonctionnement du Web et la gouvernance du Net.

Forte poussée des « Internet souverains »
L’Icann (2), seule organisation non-gouvernementale qui gère dans le monde les noms de domaine de l’Internet, est censée avoir pris depuis cinq ans maintenant son indépendant par rapport aux Etats-Unis. Mais son rôle reste méconnu et suscite la défiance de nombreux pays. Dirigée par le Suédois Göran Marby (photo), l’Icann est censée s’être émancipée depuis cinq ans de la tutelle étatsunienne et à la suite de l’expiration le 1er octobre 2016 du contrat qui la liait depuis 1998 au département du commerce des Etats-Unis (DoC) et son administration nationale des télécommunications et de l’information (NTIA).
Depuis ce tournant historique, la gestion de domaines et des « identificateurs uniques » du Net relève du secteur privé (3). L’Icann, qui est une société californienne à conseil d’administration présidée par Göran Marby, fait depuis lors figure d’autorité suprême de l’Internet, dotée d’une gouvernance multipartite (gouvernements, entreprises, société civile, etc.) et du département Iana (4) supervisant l’attribution mondiale des adresses IP, des numérotations autonomes, et des racines des noms de domaine (DNS). L’Européen Göran Marby – habitant et travaillant à Los Angeles – accompagne cette émancipation de l’institution (5), tout en s’engageant à ce que « l’Internet de demain reste aussi libre, ouvert et accessible que l’Internet d’aujourd’hui ». Or des vents contraires soufflent de plus en plus fort.
Rien qu’en matière de cybersécurité et de protection des données, l’Icann semble effacée. Les 13 et 14 octobre, les Etats-Unis ont réuni une trentaine de pays – dont la France, mais sans la Russie – pour riposter aux rançongiciels. Le 14 octobre, ils ont publié un « Joint Statement » contre les ransomware (6). De son côté, Göran Marby a fixé le 4 octobre dernier une dizaine d’objectifs (7) pour 2022 afin d’améliorer le fonctionnement et la transparence de l’Icann, dont la 23e assemblée générale annuelle s’est tenue fin octobre (8). Parmi eux, explique-t-il : « La sécurité de l’information, la cybersécurité et la sécurité personnelle combinées aux préoccupations liées à la protection de la vie privée sont des sujets d’actualité, mais la réponse à ces préoccupations a été dispersée entre divers groupes non reliés. Le DSFI-TSG [groupe de travail technique sur la sécurité du système de noms de domaines (9), ndlr] a construit un moyen de communiquer au-delà de certaines des frontières qui existent dans l’écosystème de l’Icann ».
A l’heure où la Russie, la Chine, l’Inde ou encore l’Iran cherchent à s’affranchir de l’Internet, la balkanisation du « réseau des réseaux » guette. « L’Internet libre et l’Internet souverain, ces deux notions ne se contredisent pas », avait lancé le président russe Vladimir Poutine en décembre 2019. Göran Marby le reconnaît : « Le rôle, le mandat et les activités de l’Icann sont peu connus », appelant sa communauté à « travailler plus étroitement avec les gouvernements du monde ». Et d’ajouter en perspective : « Le prochain milliard d’utilisateurs d’Internet proviendront en grande partie d’Asie et d’Afrique, alors nous devrions commencer à les rejoindre ». La Chine en fait partie. Sur les questions de cybersécurité, de cyberguerre, de « souveraineté numérique » ou d’« Internet souverain », l’Icann a-t-elle son mot à dire ? Reste que la mainmise de cette organisation privée sur la racine d’Internet, en cheville avec la société américaine Verisign cotée à la Bourse de New-York, fait débat. Le cofondateur d’Internet, Louis Pouzin (10) (*) (**), ne cesse de fustiger ce « monopole autoproclamé ».

Gouvernance du Net : le forum fin 2021
Göran Marby ouvra-t-il le débat au sein de l’Icann ? « Les discussions techniques sur les racines alternatives, les systèmes de noms de domaine alternatifs et les protocoles Internet alternatifs (IP) se poursuivent dans les forums en dehors de l’écosystème de l’Icann. Certaines propositions sont avancées et d’autres sont fondées sur des opinions plutôt que sur des faits, mais toutes ont le potentiel de changer la façon dont fonctionne Internet ». La 16e réunion annuelle du Forum sur la gouvernance de l’Internet (IGF), organisée par la Pologne – à Katowice du 6 au 10 décembre 2021 – sous le thème cette année d’« Internet United » (11) sonnera-t-elle la fin des divisions ? @

Charles de Laubier

Lignes directrices de l’article 17 : ménager chèvre (droit d’auteur) et chou (liberté d’expression)

La lutte contre le piratage sur Internet en Europe prend un tournant décisif avec la transposition – censée l’être depuis le 7 juin dernier par les Etats membres – de la directive « Droit d’auteur et droits voisins ». Mais les orientations de son article 17 déplaisent aux industries culturelles.