Racheté par Xandrie il y a 5 ans, Qobuz croît encore

En fait. Le 4 janvier, Georges Fornay, directeur général délégué de Qobuz, a répondu aux questions de Edition Multimédi@ à l’occasion des cinq ans depuis le rachat par le distributeur numérique Xandrie de la plateforme française de musique en ligne de haute-qualité. Il mise sur la croissance plutôt que sur la rentabilité.

Les ayants droits cherchent à monétiser les UGC, ces contenus créatifs générés par les internautes

Les « User-Generated Content » (UGC) sont en plein boom, que cela soit dans la création musicale, la production audiovisuelle ou les jeux vidéo et l’e-sport. En Europe, la directive « Copyright » consacre ces contenus générés par les internautes. Les détenteurs des droits d’auteur lorgnent ce potentiel.

« Personne ne peut nier que le contenu généré par les utilisateurs (UGC) a eu un impact sociétal énorme. Nous nous connectons, communiquons et réseautons avec d’autres utilisateurs d’UGC. Cela a créé une communauté de créateurs florissante comprenant des musiciens, des producteurs de contenu, des joueurs, des influenceurs et plus encore », s’enthousiasme Vance Ikezoye (photo), le PDG fondateur d’Audible Magic, spécialiste de la reconnaissance de contenus, dans son introduction du rapport intitulé « La montée en puissance de l’UGC », réalisé par Midia Research et publié en octobre.

Exceptions aux droits d’auteur et libertés
« La création et la consommation d’UGC continuent de croître de façon spectaculaire. Pour profiter de cette expansion continue du marché, il faut mettre en œuvre de nouveaux cadres de licence plus simples, en particulier pour la musique où cela pourrait générer un marché accessible d’une valeur de 6 milliards de dollars pour les propriétaires de contenu et les plateformes de médias sociaux », poursuit Vance Ikezoye, Américain d’origine japonaise (1). Ce rapport examine les implications sur les UGC de la directive européenne portant « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique ». Cette directive Copyright, qui, adoptée il y a un an et demi maintenant, doit être transposée par les Etats membres de l’Union européenne au plus tard le 7 juin 2021, fait la part belle justement aux « contenus générés par les utilisateurs aux fins spécifiques de la citation, de la critique, de la revue, de la caricature, de la parodie ou du pastiche ». Cet espace de liberté d’expression des utilisateurs du Net – voire de « liberté des arts » – est garanti par « l’application des exceptions ou limitations au droit d’auteur » rendues obligatoires, quand bien même les plateformes numériques doivent prendre des mesures pour lutter contre le piratage en ligne d’œuvres protégées. Les UGC se retrouvent ainsi consacrés dans toute l’Europe par le fameux article 17 de cette directive « Copyright » : « Les Etats membres veillent à ce que les utilisateurs (…) puissent se prévaloir de l’une quelconque des exceptions ou limitations existantes [citation, critique, revue, caricature, parodie ou pastiche, ndlr] lorsqu’ils téléversent et mettent à disposition des contenus générés par les utilisateurs sur les services de partage de contenus en ligne », peut-on lire à son septième alinéa (3). Cette disposition favorable à l’esprit créatif des internautes ne manquera pas d’accélérer et de sécuriser juridiquement la production culturelle émanant des UGC et, partant, de contribuer à la croissance du marché du streaming. Les GAFAM, comme les autres plateformes de musiques et/ou de vidéos, se retrouvent couvertes par ces exceptions qui limitent le droit d’auteur au profit du grand public. Si les industries culturelles et leurs ayants droits veulent y trouver aussi une opportunité de monétiser leurs œuvres, elles doivent faciliter l’octroi de licences aux plateformes de diffusion d’UGC, afin de créer de nouvelles sources de revenus. Sinon, le manque à gagner risque d’être énorme pour elles. Selon ce rapport « Audible/Midia », les revenus mondiaux des UGC liés à la musique – générés par la publicité des contenus disponibles sur les plateformes gratuites – s’élèveront à 4 milliards de dollars en 2020, dont 2,2 milliards de dollars sont identifiés comme des revenus potentiels pour les détenteurs de droits de musique.
« Pour être clair, tous ces revenus ne sont pas actuellement versés aux détenteurs de droits – il s’agit simplement d’une estimation des revenus potentiels attribuables au CGU axé sur la musique », précise bien le rapport. Et en 2022, au rythme où s’intensifie l’activité des réseaux sociaux – lesquels totalisent 119 milliards de dollars de chiffre d’affaires publicitaires grâce à leurs quelque 7,7 milliards d’utilisateurs dans le monde –, les revenus issus de l’exploitation de la seule musique des UGC sur les plateformes telles que YouTube, Facebook ou encore TikTok devraient atteindre près de 6 milliards de dollars, avec un potentiel de royalties pour les titulaires de droits musicaux de 3,2 milliards de dollars (voir graphique page suivante). La Chine, notamment avec sa plateforme de vidéos courtes musicales TikTok alias Douyin éditée par le groupe ByteDance, va contribuer pour la moitié de l’augmentation des revenus publicitaires des médias sociaux entre 2019 et 2022.

Ciné et télé veulent aussi leur part
Bien que TikTok soit confronté en 2020 à l’incertitude aux Etats-Unis et en Inde, l’ampleur des revenus de ByteDance indique à quel point le groupe chinois (17 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2019) est importante pour le secteur de la musique. « L’UGC a longtemps été sous-monétisé pour les détenteurs de droits musicaux », souligne Mark Mulligan, directeur général de Midia Research. Mais il n’y a pas que la musique des UGC qui représente un potentiel de recettes pour les ayants droits. Le cinéma et la télévision sont aussi très prisés par les contenus générés par les utilisateurs, notamment sur les médias sociaux avec des contenus tels que des caricatures, des parodies, des bandes-annonces (pour les fans sur YouTube par exemple) ou encore des vidéos de relaxation sur le mode dit ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response), phénomène venu d’Asie et très prisé des jeunes, provoquant des sensations agréables (frissons, picotements, stimulus visuel, auditif, olfactif ou cognitif).

Jeux vidéo et e-sport ne sont pas en reste
Mais, estime le rapport « Audible/Midia », les industries audiovisuelles et cinématographiques ont permis jusqu’à présent un UGC généralisé, principalement promotionnel et basé sur des clips à durée limitée (de quelques secondes à quelques minutes), mais, à l’instar des titulaires de droits musicaux, elles n’ont pas encore puisé dans la monétisation issue du partage des recettes publicitaires. Le sport aussi pourrait devenir source de contenu des UGC auprès notamment d’un public jeune, sportif et/ou supporteur. « Alors que la pandémie mondiale du coronavirus et les perturbations à long terme des événements sportifs se poursuivent, les détenteurs de droits se concentrent encore plus sur la création d’un engagement numérique au-delà de la diffusion pure et simple d’événements en direct », souligne le rapport. Les jeux vidéo et l’e-sport ne sont pas en reste : le potentiel publicitaire des UGC est fort, mais la publicité n’est pas le seul moyen de monétiser. Dans Fortnite (Epic Games) ou League of Legends (Riot Games), les utilisateurs jouent gratuitement, mais les microtransactions et les biens virtuels sont intégrés dans les jeux comme des options de vente incitatives. Les utilisateurs peuvent personnaliser leurs avatars ou leur expérience en jeu au moyen de « skins » ou en utilisant la monnaie virtuelle pour même introduire de nouveaux personnages. Les fans peuvent acheter des badges, payer des « pourboires » aux autres joueurs ou payer pour que leurs commentaires soient bien en vue sur les tableaux d’affichage, ou faire tout autre microtransaction dans le gaming et l’e-sport. « Les créateurs d’UGC dépendent de leurs plateformes de distribution et des ententes qu’ils ont avec eux. Par conséquent, développer les opportunités “UGC” revient à nouer des partenariats avec les grandes plateformes vidéo (YouTube, Twitch, Facebook Gaming, …), et les mondes sociaux et vidéoludiques (Fortnite, Call of Duty, GTA, Fall Guys, Minecraft, Roblox, …). Des cadres durables doivent être mis en place avec les distributeurs d’UGC », estime le rapport d’une trentaine de pages (4). Cela suppose de faciliter l’octroi de licences pour les plateformes numériques, afin de résorber non seulement le transfert de valeur (value gap) mais aussi l’écart technologique (innovation gap).
Par exemple, Twitch (groupe Amazon) a récemment lancé « Soundtrack by Twitch » (5), avec un catalogue de plus de 1 million de chansons sous licence mises à disposition de sa communauté de créateurs qui peuvent les utiliser dans leurs flux. De son côté, Snap a lancé en octobre « Sounds on Snapchat » (6) qui permet désormais à ses utilisateurs d’ajouter de la musique sous licence à leurs vidéos. In fine, les titulaires de droits ne doivent pas voir les UGC comme une menace ou une cannibalisation de leurs contenus professionnels. Des partenariats win-win doivent s’instaurer, via la plateforme de diffusion. @

Charles de Laubier

Digital Services Act (DSA) : un draft sous le manteau

En fait. Les 1er et 2 octobre, à Bruxelles, s’est tenu un conseil européen extraordinaire, où a été abordé le futur Digital Services Act (DSA) que la Commission européenne doit encore finaliser pour le présenter au Parlement européen le 2 décembre. Une version provisoire (draft) a circulé sous le manteau…

Après Québecor, Qobuz veut signer d’autres accords

En fait. Le 21 septembre, la plateforme française de musique en ligne de haute-qualité Qobuz (éditée par Xandrie), a annoncé avoir levé 10 millions d’euros auprès de ses actionnaires historiques, Nabuboto et Québecor. Après l’alliance avec ce dernier, d’autres accords à l’international sont prévus.

Internet des oreilles : le marché des podcasts se structure en France et les droits d’auteur aussi

Cet été 2020 – au-delà de « L’Eté du podcast » qui s’est achevé le 2 septembre au Ground Control à Paris – marque une étape décisive pour le marché français de l’Internet des oreilles : structuration, mesure d’audience et droit d’auteur viennent professionnaliser un segment de l’audio digital en plein boom.

Quand le New York Times, qui édite en podcast depuis 2017 un programme quotidien baptisé « The Daily », annonce le 22 juillet qu’il va acquérir la société Serial Productions, à l’origine du premier blockbuster audio « Serial » (1), c’est que la vague des podcasts s’amplifie. Selon des sources proches du dossier, « The Times » aurait déboursé 25 millions de dollars pour se renforcer dans l’audio journalism (2).

Consolidation en cours
Mais la plus grosse acquisition de cet été dans le podcast a eu lieu là encore aux Etats-Unis : le 13 juillet, le groupe de radio en ligne SiriusXM a annoncé qu’il rachetait la plateforme de podcast Stitcher pour 325 millions de dollars. Du jamais vu sur ce marché en pleine croissance de l’audio digital. L’opération doit être finalisée ce trimestre : le groupe de médias E.W. Scripps revend ainsi Stitcher le double du montant qu’il avait déboursé pour s’en emparer en 2016. SiriusXM s’impose dans le podcast face à iHeartMedia, Apple Podcast ou encore Spotify. Ce dernier, numéro un mondial du streaming musical se diversifiant dans le podcast pour être moins dépendant des majors du disque, avait racheté Gimlet début 2019 pour 230 millions de dollars, puis The Ringer début février 2020 pour plus de 140 millions de dollars, ainsi que l’exclusivité du podcast « The Joe Rogan Experience » fin mai 2020 pour plus de 100 millions de dollars. Fin 2017, Spotify avait fait l’acquisition de Soundtrap. De son côté, Apple a annoncé le 15 juillet le lancement de ses propres podcasts originaux dont un quotidien d’actualité baptisé « Apple News Today » (dans le prolongement de son application Apple News). La marque à la pomme n’est plus seulement diffuseur avec Apple Podcast, mais aussi désormais producteur audio.
En France, le marché du podcast a entamé à pas comptés sa consolidation. Fin 2018, le groupe Les Echos-Le Parisien (groupe LVMH) avait acquis 33,3 % de la société éditrice et diffuseuse de podcasts Binge Audio (3), cofondée en 2016 par Joël Ronez (photo), ancien directeur des nouveaux médias de Radio France et ex-responsable web d’Arte. Selon le premier classement de podcasts publié le 21 juillet (4) par l’ACPM (ex-OJD), Binge Audio est en tête des audiences en France avec plus de 1,5 million de téléchargement de fichiers audios sur le mois de juin mesuré. Suit de très loin le groupe de presse Prisma Media (groupe Bertelsmann) avec les podcasts de ses marques Gentside, Capital, Ça m’intéresse, Management, Télé Loisirs et Géo. Tandis que la major Warner Music termine ce « Top 8 des marques de podcasts » (5) avec Novio. Mais les acteurs du podcast en France adhérents à la mesure d’audience de l’ACPM (6) sont peu nombreux par rapport au foisonnement de ce marché naissant. Majelan (fondé par l’ancien président de Radio France, Mathieu Gallet), Sybel, Tootak, Bababam, Paradiso Podcast (partenaire depuis mai d’Universal Music France), MadmoiZelle, Louie Media, Nouvelles Ecoutes, ou encore Taleming sont autant de plateformes et de titres qui donnent de la voix. La plateforme vidéo TV5MondePlus, lancée le 9 septembre, qui propose aussi des podcasts. Et Prisma Media vient de lancer le 10 septembre, avec sa filiale soeur M6, Audio Now.
Créé en 2016, Binge Audio se présente comme un « réseau de podcasts nouvelle génération », propose gratuitement (7) des programmes audio originaux (podcasts natifs), distribués sur Binge.audio et sur toutes les plateformes – à savoir « toutes les apps de podcasts sur iOS et Android (Apple Podcasts, Podcast Addict, Castbox, Google Podcasts, PocketCasts, …), Spotify, Deezer, YouTube, SoundCloud, Sybel, Amazon Alexa, Google Home, … ». La société présidée par Joël Ronez, dont les deux tiers du chiffre d’affaires sont générés par des podcasts de marques, vient en outre de signer un accord avec la Société civile des auteurs multimédias (Scam), afin de rémunérer « les auteurs et autrices des œuvres sonores à la demande » au titre des droits de diffusion de leurs créations sur Internet. Les négociations pour parvenir à un partage de la valeur se sont déroulées sous les auspices du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste). Il y a dix ans, la Scam avait conclu un accord comparable avec Arte Radio et compte bien signer avec d’autres plateformes de podcasts.

Droit d’auteur et publicité
Des négociations devraient aussi aboutir avec la Sacem (8), la SACD (9) et d’autres sociétés de gestion collective des droits d’auteur. La vitalité de l’audio digital en France suppose que les producteurs de podcasts, les éditeurs, les plateformes, les régies publicitaires et les agences se retrouvent ensemble autour d’un écosystème rentable. L’ACPM y contribue en certifiant les audiences monétisables auprès des annonceurs et en organisant Innov’Audio Paris, dont la 3e édition se tiendra le 9 décembre. @

Charles de Laubier