Avec cinq actionnaires, Universal Music a la cote

En fait. Le 21 septembre, débutera la cotation à la Bourse d’Amsterdam d’Universal Music Group (UMG), filiale de Vivendi qui s’en déleste en partie pour se recentrer sur les médias et la publicité. Cette ouverture du capital d’UMG aux investisseurs – dont Tencent (20 %) et Pershing Square (10 %) – va rapporter gros à Vincent Bolloré.

La taxe « copie privée » a rapporté aux industries culturelles plus de 4 milliards d’euros en 20 ans

C’est une manne dont les ayants droit de la musique, de l’audiovisuel, de l’écrit (presse-édition) et de la photo (image fixe) ne peuvent plus se passer. De 2002 (taxe sur les CD/DVD) jusqu’à 2020 (taxation de presque tous les appareils de stockage), la « rémunération pour copie privée » fait recette.

La « rémunération pour copie privée », qui est une taxe prélevée sur le prix de ventes des supports et appareils de stockage numérique (smartphone, tablettes, box, clés USB, disques durs externes, cartes mémoires, disques optiques, …), est appliquée pour « compenser le préjudice subi par les auteurs, artistes, éditeurs et producteurs du manque à gagner résultant de l’utilisation de leurs oeuvres ». Cette taxe « copie privée » est la contrepartie du droit de copie privée, permettant à chacun d’enregistrer des musiques, des films, des livres ou des photos pour un usage privé, dans le cadre du cercle restreint familial (1).

Musique : 2 milliards d’euros cumulés
Selon les calculs de Edition Multimédi@, à partir des chiffres enfin rendus publics par Copie France, qui est l’unique organisme chargé de percevoir la rémunération pour copie privée, l’année 2020 a franchi deux seuils symboliques : la barre des 4 milliards d’euros pour le total cumulé des sommes perçues depuis près de vingt ans (2002-2020), dont le cap des 2 milliards d’euros dépassé rien que pour la musique (part sonore au sens large). Ces deux dernières décennies « digitales » (2) ont ainsi vu les recettes de la taxe «copie privée» grimper au fur et à mesure de la généralisation des usages numériques et des appareils et/ou support de stockage associés.
En Europe, la France est le pays qui taxe le plus : sur plus de 1 milliard d’euros collectés sur 2020 au titre du private copying levy dans l’Union européenne (4), l’Hexagone pèse à lui seul plus d’un quart (26,8 %) de ces recettes totales. En effet, Copie France a collecté l’an dernier 273 millions d’euros, soit 5 % de mieux que l’année précédente. Et les industries culturelles et les ayants droit (auteurs, artistes, éditeurs et producteurs) n’entendent pas en rester là puisque d’autres appareils vont être assujettis à leur tour par la « commission pour la rémunération de la copie privée », laquelle est rattachée au ministère de la Culture et présidée jusqu’en septembre 2021 par le conseiller d’Etat Jean Musitelli (photo). Ainsi, à partir du 1er juillet prochain seront taxés eux aussi les smartphones et les tablettes revendus reconditionnés – à moins que la polémique suscitée par l’exonération à la taxe « copie privée » envisagée un temps dans le projet de loi « Empreinte numérique » (5) n’ait raison de ce nouveau barème déjà publié au J.O. du 6 juin (6). Autre taxation en vue : celle des ordinateurs (fixes et portables) pour leurs disques durs internes, jusque-là épargnés pour des raisons politiques d’inclusion numérique (7). La commission « Musitelli » y travaille, comme le confirme son président à Edition Multimédi@ : « Le CSA [l’institut d’études, pas le régulateur de l’audiovisuel, ndlr] a pu lancer le sondage dans la deuxième quinzaine de mai. Il est en cours de réalisation et devrait s’achever début juillet. Il est prévu que les résultats de l’enquête soient présentés à la commission vers la mi-septembre ». A suivre. @

Charles de Laubier

Streaming musical : Believe fait face aux majors sur le marché de la distribution numérique d’artistes

Denis Ladegaillerie, PDG fondateur de Believe (acquéreur de TuneCore en 2015), veut lever 500 millions d’euros en Bourse. Il défie les majors (Universal Music, Sony Music et Warner Music) dans la distribution numérique des artistes musiciens, voire en les détournant d’eux par l’autoproduction.

« Le groupe [Believe] fait en particulier face à un accroissement de la concurrence sur le marché de la musique numérique et des services aux artistes de la part des majors de l’industrie musicale », est-il écrit dans le document d’enregistrement approuvé le 7mai 2021 par l’Autorité des marchés financiers (AMF), en vue de l’introduction en Bourse de cette mini-major française cofondée par Denis Ladegaillerie (photo) et spécialisée dans la distribution mondiale d’artistes.

Défier les « Big Three » (majors)
Believe, dont la date de première cotation et la fixation du prix de l’action ne sont pas encore arrêtées, surfe plus que jamais sur la vague du streaming musical. Ce segment du marché mondial de la musique enregistrée a généré 13,4 milliards de dollars en 2020, soit 62 % du total d’après l’Ifpi (1), la fédération internationale de cette industrie culturelle. Si Believe est encore une mini-major tendance « petit poucet » (441 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier) face aux « Big Three » que sont Universal Music (7,4 milliards d’euros) , Sony Music (3,7 milliards d’euros) et Warner Music (3,6 milliards d’euros), l’entreprise créée il y a une quinzaine d’années pourrait bousculer l’ordre établi. Or l’introduction envisagée à la Bourse de Paris, pour tenter de lever autour de 500 millions d’euros, ne sera pas de trop pour rivaliser avec le trio dominant.
Car, bien que cela soit leur fonds de commerce historique, les majors ne sont pas cantonnés aux seuls grands artistes, vedettes et stars de renommée internationale. De même que Believe n’a pas vocation à rester circonscrit à la recherche et à l’accompagnement de nouveaux talents et d’artistes locaux qui passeraient sous les radars des majors. Les majors ont eux aussi développé des offres de distribution numérique voire d’autoédition par l’intermédiaire de filiales : Universal Music opère Ingrooves et Virgin Music Label & Artist Services ainsi que Spinnup ; Sony Music dispose des plateformes numériques The Orchard et Awal ; Warner Music est présent sur le segment de marché avec ADA (Alternative Distribution Alliance). Believe n’est donc pas le seul distributeur numérique à proposer aux artistes musicaux indépendants de se prendre en main eux-mêmes en s’autoéditant, via notamment la plateforme américaine de self-releasing TuneCore acquise en avril 2015 et/ou en les accompagnant par un de ses labels. Believe a vocation à se différencier des majors avec ses « solutions automatisées pour les artistes » (TuneCore, Backstage, SoundsGood, Musicast, …). Ainsi, sur tunecore.com, un artiste peut distribuer de manière automatisée ses contenus audio auprès des plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Apple Music, Amazon Music ou YouTube) et des médias sociaux (TikTok, Instagram, …), en contrepartie du paiement d’un abonnement et de crédits. « L’accès à cette plateforme peut, au choix de l’artiste, être complété notamment par des solutions d’édition musicale et de synchronisation », précise le groupe Believe. La tentation est de plus en plus forte pour les artistes de s’autoéditer pour se lancer ou pour s’affranchir des producteurs de « disques » (2). Sans parler de la désintermédiation par les plateformes de streaming elles-mêmes (3).
La bataille mondiale dans la recherche de nouveaux talents a engendré une hyper concurrence jusque dans les plateformes d’autoproduction. Même les majors s’y sont mises. Par exemple, Universal Music (groupe Vivendi) avait fait l’acquisition en 2012 de la start-up suédoise Spinnup, concurrent direct de TuneCore. Après la Suède, le reste de la Scandinavie, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, la plateforme spinnup.com avait été lancée sur l’Hexagone en octobre 2016. Aujourd’hui encore Vivendi mise sur Spinnup pour attirer des artistes indépendants en autoproduction ou/puis en labellisation. « Dans le but d’abaisser les barrières potentielles, d’élargir le champ de recrutement des nouveaux talents et d’adapter les pratiques au monde digital, les entités du groupe multiplient les initiatives et les plateformes de recrutement hors circuits traditionnels. C’est notamment la mission première de la plateforme de distribution d’UMG [Universal Music Group, ndlr], Spinnup », explique le groupe de Vincent Bolloré dans son rapport d’activité 2020 publié par l’AMF le 14 avril dernier.

Spinnup, sérieux rival de TuneCore
Il s’agit pour la plus grande major mondiale, dont l’introduction à la Bourse de Paris est prévue « d’ici à la fin de l’année », d’« offrir un lieu d’expression et de visibilité aux artistes indépendants ». Et Vivendi, la maison mère d’UMG, de se féliciter : « La plateforme a rencontré un franc succès en 2020 avec 24 artistes Spinnup signés par le groupe dans plusieurs pays (…). C’est, à date, le plus grand nombre d’artistes signés via la plateforme en une année ». Un rival pour TuneCore. @

Charles de Laubier

La famille Mohn, propriétaire de Bertelsmann, se déleste de médias traditionnels pour faire face aux GAFAN

La discrète famille milliardaire Mohn, qui fête cette année le centenaire de la naissance de son père fondateur Reinhard Mohn, tente de faire pivoter le groupe international Bertelsmann en cédant des médias traditionnels (M6 en France, RTL en Belgique). Il s’agit d’être encore plus global et digital face aux géants du numérique.

Le plus grand groupe allemand de médias et d’édition Bertelsmann – alias « Bertelsmann SE & Co. KGaA » – est une société en commandite par actions (comme l’est par exemple Lagardère en France) et non cotée en Bourse, dont 80,9% des actions sont détenues par trois fondations (Bertelsmann Stiftung, Reinhard Mohn Stiftung et BVG Stiftung). Les 19,1 % restants sont entre les mains de la famille Mohn. C’est Christoph Mohn, l’un des deux garçons (1) de Reinhard Mohn (décédé en 2009) – le père fondateur de Bertelsmann de l’après-Seconde guerre mondiale – et de Liz Mohn (photo), qui est l’actuel président du conseil de surveillance du groupe allemand présent dans 50 pays. Liz Mohn – 79 ans (née Beckmann, elle fêtera ses 80 ans le 21 juin), est vice-présidente du directoire de Bertelsmann Stiftung et présidente du directoire de Bertelsmann Verwaltungsgesellschaft (BVG), laquelle holding familiale contrôle tous les droits de vote à l’assemblée générale de la maison mère Bertelsmann SE & Co. KGaA et, comme on dit, de « sa commanditée » Bertelsmann Management SE – dont le PDG est Thomas Rabe depuis 2012. La fille de Liz Mohn, Brigitte, est aussi à la manœuvre en tant que membre du conseil d’administration de Bertelsmann Stiftung et actionnaire de BVG.

De petite maison d’édition nationale, à multinationale
Autant dire que la famille Mohn – la veuve de Reinhard Mohn en tête, elle qui détient un droit de veto – préside plus que jamais aux destinées de ce groupe aux origines presque bicentenaires. Bertelsmann est devenu une multinationale des médias et de l’édition, toujours basée à Gütersloh (en Allemagne), où sa création originelle remonte à 1835, lorsque l’aïeul Carl Bertelsmann y créé une petite maison d’édition et d’imprimerie théologique d’obédience protestante, « C. Bertelsmann », qui prospéra un temps sous le Troisième Reich avec le descendant Heinrich Mohn. Celui-ci dû démissionner en 1947 à la suite de révélations sur le passé nazi de la maison d’édition. Reinhard Mohn (l’un de ses fils) reprit alors l’entreprise avec son imprimerie pour la mettre sur la voie du succès. Décédé il y a douze ans, ce dernier a légué à sa femme Liz Mohn un un groupe médiatique international et diversifié dans la musique, l’audiovisuel ou encore la presse.

Faire face à la déferlante du streaming
Dynastie milliardaire et discrète, la famille Mohn n’en est pas moins impliquée dans les affaires opérationnelles du conglomérat, composé aujourd’hui du groupe audiovisuel RTL Group au Luxembourg, des maisons d’édition Penguin Random House et Simon & Schuster à New York, du groupe de presse Gruner+Jahr (dont Prisma Media) à Hambourg, du gestionnaire de droits musicaux BMG (3) à Berlin, de la société de services et de gestion de bases de données Arvato à Gütersloh, de l’imprimerie Bertelsmann Printing Group (BPG) à Gütersloh, de l’activité d’enseignement à distance Bertelsmann Education Group à New York, et de la société d’investissement Bertelsmann Investments (BI).
Le groupe Bertelsmann, qui emploie 132.842 personnes dans le monde, a publié le 30 mars ses résultats financiers 2020 avec un chiffre d’affaires en recul de 4,1 %, à près de 17,3 milliards d’euros, et un bénéfice net bondissant de 34 %, à 1,5 milliards d’euros (4). L’érosion des revenus montre que le vent tourne : les revenus des médias traditionnels, qui ont fait depuis l’après-Guerre la prospérité de Bertelsmann et la fortune des Mohn, est en train de s’effriter sous les coups de boutoir des GAFAN – Google, Amazon, Facebook, Apple, Netflix, pour ne citer que ces géants du numérique. Le premier groupe audiovisuel européen RTL Group, dont le directeur général est Thomas Rabe depuis 2012, voit ses recettes publicitaires s’affaisser – sur sa soixantaine de chaînes de télévision et sa quarantaine de radios – au fur et à mesure que les marques optent de plus en plus pour des annonces en ligne. En outre, Internet est devenu une plateforme TV géante, sans frontières et de plus en plus live (5).
Le quotidien belge L’Echos a révélé le 24 mars dernier que la direction luxembourgeoise avait envisagé de vendre ensemble ses filiales française Métropole Télévision détenue à 48,3 % (M6, W9, RTL, RTL2, Fun Radio, un tiers de Salto, …) et belge RTL Belgium détenue à 100 % (RTLTVI, RTL Play, Club RTL, Plug RTL, …). Mais finalement « les deux dossiers ont été scindés », la banque JP Morgan conseillant la famille Mohn – via Thomas Rabe – pour ces deux cessions stratégiques en vue. Amplifiée par la crise sanitaire, la chute des revenus de la publicité en 2020 (-14 % pour RTL Belgium et -11,5 % pour M6) précipite la réorganisation de RTL Group, dont le bénéfice net 2020 s’est effondré de -27,7 % (à 625 millions d’euros) pour un chiffre d’affaires en net recul de -9,5 % (à 6 milliards d’euros). « Il y a de solides arguments en faveur de la consolidation dans l’industrie européenne de l’audiovisuel », ne cesse de répéter Thomas Rabe depuis janvier. Dans l’édito du rapport 2020 de RTL Group publié début mars, il l’a redit et assure « invest[ir] dans l’avenir de [ses] entreprises, en particulier dans le streaming et les technologies publicitaire » (ad-tech, publicités ciblées, data, …). En France, Nicolas de Tavernost, président de M6, avait abondé dans Le Figaro daté du 16 février : « Si le marché français ne se consolide pas à brève échéance, il sera bientôt laminé par les plateformes comme Netflix ou Amazon ». Pour la vente de RTL Belgium, les acquéreurs potentiels sont le groupe de presse belge Rossel (Le Soir, La Voix du Nord, Sudpresse, …), le français TF1 ou encore le groupe audiovisuel flamant SBS Belgium. Pour la vente de M6, bien plus avancée, les candidats se bousculent au portillon : à nouveau TF1, Vivendi (Canal+), NRJ, Xavier Niel, Daniel Kretínsky (CMI), Patrick Drahi (Altice), Mediaset (Berlusconi) ou encore le trio Niel-Pigasse-Capton (Mediawan).
La famille Mohn, elle, regarde déjà au-delà des médias traditionnels et entend faire « la promotion de contenu multimédia de première classe et de solutions de service novatrices qui inspirent les clients du monde entier ». Dès 2019, afin de jouer les synergies – notamment digitales et crossmédias – entre les filiales, a été créée la Bertelsmann Content Alliance dans les contenus, dont dépend l’Audio Alliance pour produire et distribuer des podcasts sur sa propre plateforme Audio Now (6).
La transformation digitale de Bertelsmann est en marche : « Regarder la télévision sur tablette, lire sur des lecteurs électroniques, utiliser des applications pour feuilleter des magazines… la mégatendance de la numérisation change la façon dont les gens utilisent les médias. Bertelsmann aspire à être à l’avant-garde de ce changement, et par conséquent la transformation numérique de ses activités de médias et de services est une priorité stratégique pour l’entreprise » (7). Tout est dit.

A l’affût d’acquisitions numériques
Dans la famille Mohn, il y a aussi Shobhna Mohn, la femme de Christoph Mohn. Elle aussi est à pied d’oeuvre pour faire pivoter Bertelsmann. En tant que vice-présidente exécutive de la commanditée Bertelsmann Management SE, en charge de la stratégie de croissance dans le monde et des investissements de BI, Shobhna Mohn est à l’affût d’acquisitions – « en particulier en Chine, en Inde et au Brésil », précise-t-elle sur son compte LinkedIn. Le 30 mars, Thomas Rabe a annoncé cinq priorités de croissance que sont « des médias champions nationaux, du contenu global, des services globaux, de l’éducation en ligne, et un portefeuille d’investissements ». @

Charles de Laubier

Streaming, self-releasing et maisons de disques

En fait. Le 8 janvier, le jour de son anniversaire, le chanteur Pascal Obispo (56 ans) a lancé sa propre plateforme numérique – « Obispo All Access » – pour s’affranchir des « maisons de disques » (il était notamment chez Epic Records/Sony Music depuis 1990). Le streaming crée des vocations d’autoproduction (self-releasing).