Convertisseurs de flux audio et vidéo : la pratique du stream ripping (copie privée) est menacée

Selon nos informations, la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) a lancé des actions judiciaires contre trois sites web de stream ripping. Mais ce brasarmé de défense des droits d’auteur des majors de la musique – que sont Universal Music, Sony Music et Warner Music réunis au sein du Snep (1) – ne souhaite pas communiquer sur ces actions en cours « tant qu’elles ne font pas l’objet de décisions de justice » (dixit Marc Guez, DG de la SCPP, à EM@).

YouTube-MP3, MP3Fiber, Flvto, 2conv
Le stream ripping consiste télécharger et sauvegarder un flux audio ou vidéo diffusé en streaming. Cette copie privée est a priori légale pour l’utilisateur…, jusqu’à preuve du contraire. Les sites web et/ou les éditeurs de logiciels permettant cette conversion à l’aide d’outils de type YouTube-MP3 sont dans le collimateur de l’industrie musicale depuis dix ans maintenant. « Les sites de stream ripping transgressent de façon éhontée
les droits des artistes et des producteurs de musique », avait même déclaré il y a un an Frances Moore (photo), la directrice générale de l’IFPI (2), la fédération internationale de l’industrie phonographique. Dernière cible
en date : MP3Fiber. Ce convertisseur en ligne basé au Canada affiche désormais sur son site web (3) le message suivant en rouge : « En raison d’une plainte de la RIAA, nous avons interrompu toutes conversions. Désolé pour la gêne occasionnée ».
En effet, la Recording Industry Association of America – l’équivalent du
« Snep » en France mais à l’échelle des Etats-Unis – a obtenu des administrateurs du site web l’arrêt de ce service. MP3Fiber proposait de convertir en stream ripping des vidéos capturées sur YouTube en fichier sonore MP3 – du nom du format de compression audio créé il y a 25 ans – ainsi que de télécharger les vidéos ellesmêmes à partir non seulement de YouTube mais aussi de SoundCloud, Dailymotion, Facebook, Vimeo, VKontakte ou encore Metacafe. Selon le site d’information Torrentfreak dans son édition du 21 août, la RIAA a obtenu de la société Domains by Proxy (DBP) – pourtant spécialisée dans la confidentialité des propriétaires de noms de domaines… – les coordonnées des administrateurs de MP3Fiber et en l’absence de toute injonction de la part d’un juge (4). Directement contactés par la RIAA, les responsables de MP3Fiber ont répondu au « Snep » américain qu’ils pensaient être dans la légalité étant donné leur présence au Canada, pays où les producteurs de musique sont rémunérés au titre de la copie privée par une taxe sur les supports vierges (blank media levy). La RIAA a rejeté cette défense en faisant remarquer que MP3Fiber était aussi accessible des Etats-Unis. L’organisation américaine des majors de la musique (Universal Music, Warner Music et Sony Music) a aussi fait pression sur MP3Fiber pour qu’il cesse de lui-même son activité s’il voulait éviter de subir le même sort judiciaire que YouTube-MP3 condamné en 2017 ou que deux actions en cours devant la justice contre deux autres sites basés en Russie, Flvto.biz et 2conv.com. Pour éviter un procès, les administrateurs du site de ripping incriminé ont décidé de suspendre leur service. « Ce site web a été en réalité géré comme un passe-temps. Nous avons dépensé plus d’argent sur des serveurs que nous ne l’avions jamais fait ; aussi, nous n’avons pas voulu entrer dans une quelconque bataille juridique. Nous avons à peu près cédé à leurs demandes sans penser à autre chose », ont-ils confié à Torrentfreak.
Il faut dire que les actions contre les sites de « YouTuberipping » se sont multipliés ces derniers mois et pourraient s’intensifier cette année. Outre les sites russes Flvto.biz et 2conv.com, qui sont aussi accessibles par Fly2mp3.org et qui disposaient aussi de serveurs en Allemagne, d’autres ont dû fermer à l’instar de Pickvideo.net, Video-download.co et EasyLoad.co.
La RIAA et la British Phonographic Industry (BPI) sont les « Snep » les plus actives dans le monde pour combattre le YouTube-ripping. Le site leader de cette pratique, YouTube-mp3.org, a été contraint de fermer en Allemagne l’an dernier à la suite d’une action en justice des maisons de disques américaines et britanniques.

En France, une exception de copie privée
Si la conversion de flux est considérée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne comme une pratique illégale, il n’en va pas de même en France où les ayants droit de la musique sont disposés à l’inclure dans le droit à la copie privée (5) comme exception au droit d’auteur (6). C’est du moins – indépendamment des trois actions de la SCPP – ce qui est actuellement discuté au sein de la commission « Musitelli » (lire p. 7), avec l’aide de l’Hadopi et de YouTube, à condition de distinguer le ripping légal de l’illégal. Un casse-tête. @

Charles de Laubier

Apple Music fête ses trois ans mais sans tirer parti de Shazam, dont le rachat pose problème

Apple Music fête ses trois ans et va franchir la barre des 50 millions d’utilisateurs. Arrivée tardivement sur le marché du streaming musical, après n’avoir juré que par le téléchargement avec iTunes,
la marque à la pomme fait de son nouveau service de musique une priorité. Avec l’appli Shazam ?

C’est le 8 juin 2015 – il y a trois ans presque jour pour jour – que la firme de Cupertino et de Culver City annonçait le lancement d’Apple Music, son service de streaming musical rendu disponible le 30 juin suivant dans une centaine de pays. Aujourd’hui, il compte plus de 40 millions d’abonnés payants – près de 50 million avec les essais gratuits. C’est encore loin des 75 millions d’abonnés du numéro un mondial du streaming musical, le suédois Spotify, mais sa rapide montée en charge lui a permis de s’arroger la seconde place mondiale, devant Amazon Music.

Nomination de Oliver Schusser
C’est dans un e-mail envoyé aux salariés d’Apple le 11 avril dernier (1) que le franchissement du seuil des 40 millions d’abonnés – auxquels s’ajoutent
8 millions d’utilisateurs qui testent gratuitement le service – a été annoncé par Eddy Cue, vice-président sénior des services et logiciels Internet de la marque à la pomme. Plus récemment, le PDG Tim Cook a indiqué à Bloomberg qu’Apple Music allait franchir les 50 millions d’utilisateurs. Ce niveau est atteint en trois ans, là où Spotify a mis huit ans pour y parvenir. Eddy Cue annonçait aussi la nomination de Oliver Schusser (photo) – entré chez Apple en 2004 et ayant lancé iTunes en Europe – comme vice-président d’Apple Music et des contenus internationaux. Cet Allemand, qui fut en charge à l’international des lancements d’App Store, d’iTunes, d’iBooks ou encore d’Apple News, va déménager de Londres pour aller aux Etats-Unis, en Californie. Il fut un ancien de Napster, d’Universal Music ou encore de Vodafone.
Sa nomination montre la volonté du PDG d’Apple, Tim Cook, de faire de la musique – audio et vidéo – un pôle prioritaire de développement. D’ailleurs, une nouvelle division d’édition musicale – probable futur label (2) – est créée à Londres sous la direction d’Elena Segal (ex-iTunes International).
La marque à la pomme s’est fixée comme objectif de réaliser 40 milliards
de dollars de chiffre d’affaires dans les services d’ici 2020, contre près de 30 milliards au cours de la précédente années fiscales clôturée le 30 septembre 2017 (soit alors 11 % du total). Malgré son lancement tardif sur le marché mondial de la musique en streaming (3), Apple est donc bien décidé à poursuivre son ascension et rattraper son retard. Selon leWall Street Journal, Apple Music gagne plus d’abonnés chaque mois (taux de croissance de 5 %) que son rival Spotify (2 % seulement) aux Etats-Unis (4). Oliver Schusser est aussi celui qui, à Londres, a fait en sorte qu’Apple jette son dévolu sur la société britannique Shazam Entertainment créée en 1999 et éditrice de la célèbre application de reconnaissance musicale lancée, elle, il y a dix ans. En 2014, Shazam franchissait la barre des 100 millions d’utilisateurs actifs par mois (5). Lors de son rachat par Apple en décembre 2017, l’entreprise est valorisée 1 milliard de dollars et devient de ce fait une licorne d’origine européenne. Mais, sans que cela ait été confirmé ou démenti, des médias ont indiqué que le montant de l’acquisition par Apple était d’environ 400 millions de dollars. L’appli de reconnaissance musicale tire principalement ses revenus de la publicité en ligne et des commissions liées à la redirection de ses utilisateurs vers des services de téléchargement et de streaming tels qu’Apple Music, Spotify ou encore Deezer.
Mais la Commission européenne a décidé, le 23 avril dernier, de lancer
« une enquête approfondie » sur le rachat de Shazam. Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée de la Concurrence, craint qu’Apple n’ait accès à des données sensibles sur le plan commercial concernant les clients de ses concurrents pour la fourniture de services de diffusion de musique en continu. « L’accès à de telles données pourrait permettre à Apple de cibler directement les clients de ses concurrents et de les encourager à choisir Apple Music. En conséquence, les services concurrents de diffusion de musique en continu pourraient se voir désavantagés sur le plan concurrentiel [voire] seraient lésés si à l’issue de l’opération [si] Apple venait à décider que l’application Shazam n’aiguillerait plus ses clients vers eux », s’inquiète la Commission européenne.

Apple-Shazam : verdict d’ici le 18 septembre
L’opération lui a été notifiée le 14 mars 2018 et dispose depuis de 90 jours ouvrables – soit jusqu’au 4 septembre prochain – pour prendre une décision. Cependant, ce délai a été prolongé de dix jours ouvrables supplémentaires, soit jusqu’au 18 septembre (6). Ce sont l’Autriche, la France, l’Islande, l’Italie, la Norvège, l’Espagne et la Suède qui lui ont demandé après l’annonce de l’opération en décembre dernier d’examiner l’acquisition de Shazam par Apple au regard du règlement européennes sur les concentrations, ce qu’elle avait accepté dès le 6 février. A suivre. @

Charles de Laubier

Believe, mini major de la musique, veut financer « une grosse acquisition » et songe à entrer en Bourse

Consacré coup sur coup en mars par Tech Tour et par Challenges, le distributeur et producteur de musique Believe cherche à nouveau à lever des fonds pour continuer à croître à l’international. Sony Music aurait pu n’en faire qu’une bouchée l’an dernier, mais les discussions ont tourné court.

Ce n’est ni Universal Music, ni Sony Music, ni Warner Music,
mais Believe (ex-Believe Digital) se voit déjà presque la quatrième major mondiale. C’est même à se demander si l’entreprise française cofondée en 2005 par Denis Ladegaillerie (photo), son actuel président, ne devrait pas à nouveau modifier sa dénomination sociale pour devenir cette fois « Believe Music » afin de se mettre au diapason du « Big Three » de la musique enregistrée. Avec un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros en 2017, en croissance de 40 % sur un an, Believe devrait franchir allègrement le demi-milliard d’euros cette année. Ce qui fait de cette société l’une des licornes potentielles les plus en vue en Europe.

Demi-licorne à 0,5 milliard de dollars
Autant distributeur numérique au service des artistes et labels indépendants que producteur de musique avec ses propres marques (Naïve, All Points et Animal 63), Believe a été identifié comme l’une des 284 pépites à fort potentiel en Europe par Tech Tour (ex-Europe Unlimited) – une société de conseil basée à Bruxelles et proche de l’Union européenne. Bien qu’elle n’ait pas été sélectionnée dans le « 2018 Tech Tour Growth 50 » dévoilé le 13 mars dernier, la mini major de la musique est en passe de rentrer dans le club des licornes – ces sociétés privées non cotées en Bourse affichant un chiffre d’affaires d’au moins 1 milliard de dollars. Pour 2017, si l’on exprime ses revenus en dollars, Believe est déjà une demi-licorne à un demi-milliard ! Mais Denis Ladegaillerie est décidé à mettre les bouchées doubles en accélérant sa croissance déjà à deux chiffres, en misant notamment sur l’international où l’ex-Believe Digital revendique déjà être « le leader mondial de la distribution digitale et des services aux artistes et labels indépendants ».
Cette activité consiste à aider et accompagner les artistes et labels dans une trentaine de pays – avec un effectif de d’environ 500 personnes – en leur fournissant une gamme complète de services : distribution digitale audio et vidéo, marketing digital, promotion, synchronisation, management des droits voisins, ainsi que des labels maison. La mini major joue surtout le go-between entre les indépendants et les plateformes de streaming musical telles que Spotify, Apple Music/iTunes, Deezer ou encore YouTube. Mais cette ambition mondiale, conjuguée à une croissance externe (acquisitions en 2015 de l’américain TuneCore spécialisé dans le self-releasing musical (1), fin 2015
du producteur français de musiques urbaine Musicast (2), et en 2016 du label français Naïve Records fondé par Patrick Zelnik il y a vingt ans (3)), est dévoreuse de capitaux. Les 60 millions de dollars levés en 2015 auprès du fonds californien Technology Crossover Ventures (TCV), lequel est aussi actionnaire de Spotify, ne suffisent plus. «Nous recherchons des partenaires qui pourraient nous aider à financer une grosse acquisition », a confié Denis Ladegaillerie à Challenges qui lui a décerné le 14 mars l’un des cinq Trophées des futures licornes parmi la cinquantaine d’entreprises françaises nominées cette année selon des critères très précis (4) et dans cinq secteurs d’activité différents à forte croissance. L’événement a eu lieu à Paris dans les locaux d’Euronext, l’opérateur de la Bourse du même nom… Or, c’est justement sur l’Euronext que Denis Ladegaillerie étudie actuellement une introduction boursière de Believe. En envisageant de faire appel au marché, il affiche sa volonté d’accélérer la croissance de cette startup de treize ans d’âge, tout en lui apportant une visibilité internationale, tout en se projetant dans le futur.
Augmenter ses fonds propres lorsque son activité est en expansion peut atteindre un certain seuil où les capitaux nécessaires au financement de son développement ne peuvent plus être réunis par les seuls actionnaires fondateurs. L’introduction en Bourse permet de pallier cette contrainte, tout en diversifiant les sources de financement.

Mini major indépendante des « Big Three »
Car l’ADN de Believe est l’indépendance au service des indépendants, avec l’objectif d’attirer de nombreux artistes et producteurs qui ne sont pas disposés à perdre leur âme au sein du quasi triopole mondial constitué par Universal Music, Sony Music et Warner Music. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les discussions engagées il y a un an avec Sony Music – révélées en juillet 2017 par le journal japonais Nikkei – ont tourné court. Pourtant, Denis Ladegaillerie fut de 2010 à 2012 président du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), qui représente en France les intérêts des majors. Mais Believe n’en est plus membre depuis que la société a rejoint l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI). L’indépendance à tout prix. @

Charles de Laubier

A l’occasion de son introduction à la Bourse de New York, le suédois Spotifymet cartes sur table

Alors qu’elle fêtera ses 12 ans le 23 avril et les 10 ans du lancement de Spotify.com le 7 octobre, la firme de Stockholm entre en Bourse le 3 avril.
Le numéro un mondial de la musique en ligne est valorisé près de 20 milliards
de dollars, mais perd toujours de l’argent. Déchiffrage.

Depuis son lancement il y a dix ans, le numéro un mondial du streaming musical a réglé un total cumulé de 8 milliards de dollars en royalties aux artistes, aux labels et aux producteurs de musique. Spotify compte en outre plus de 3 millions d’artistes et de créateurs qui utilisent sa plateforme musicale pour faire découvrir leurs musiques. Le catalogue, lui, est riche de plus de 35 millions de titres de musique, auxquels sont ajoutés chaque jour 20.000 de nouveaux morceaux enregistrés.

Des chiffres pour rassurer les investisseurs
La firme suédoise, cofondée il y a douze ans par Daniel Ek (photo), son actuel directeur général devenu milliardaire, détient 42 % de part de marché de la musique en streaming à l’échelon mondial. Spotify revendique, au moment de son introduction en Bourse, 160 millions d’utilisateurs actifs par mois (1), dont 58 millions en Europe, 52 millions en Amérique du Nord, 33 millions en Amérique latine, et 17 millions dans le reste du monde – « et le total mensuel continue de croître », est-il précisé dans le prospectus boursier déposé le 15 mars dernier auprès du gendarme de la Bourse américain, la Sec (2). Au 31 décembre 2017, Spotify faisait état de 159 millions d’utilisateurs actifs par mois, en hausse de 29 % sur un an (comparé aux 36 % de croissance entre 2015 et 2016), dont 71 millions d’abonnés payants. Ces derniers sont en augmentation de 46 % sur un an (71 % de croissance entre 2015 et 2016).« Une partie de cette croissance est due au succès de notre formule “Famille”, qui permet jusqu’à six accès dans un foyer pour un montant forfaitaire mensuel [14,99 euros par mois, ndlr]. Le modèle premium [abonnement payant, ndlr] représente environ 90 % de notre chiffre d’affaires total », détaille le groupe suédois. Les recettes d’abonnements sont en hausse de 38 % sur un an (52 % de croissance entre 2015 et 2016). On le voit, la croissance de Spotify ralentit à tous les niveaux. « Avec les différentes formules premium [Standard, Famille, Etudiant], le revenu moyen par utilisateur a baissé », souligne Spotify, qui voit dans ces formules à bas prix le moyen d’accroître l’engagement et le taux de rétention, tout en abaissant le taux de churn. Quant à la partie gratuite financée par la publicité, elle compte plus de 90 millions d’utilisateurs actifs par mois et contribue pour environ 10 % du chiffre d’affaires de Spotify, soit 416 millions d’euros en 2017 (contre 295 millions en 2016 et 196 million en 2015). « Nous voyons des opportunités supplémentaires de croissance sur le marché traditionnel de la publicité radiophonique, lequel est de 14 milliards de dollars par an aux Etats-Unis, et 28 milliards sur le marché mondial. Tous deux sont mûrs pour être “disruptés” par le streaming financé par la publicité », montre la présentation faite pour l’introduction en Bourse. Afin de soutenir sa croissance, Spotify indique avoir investi dans l’audio programmatique et dans des plateformes de “selfservice”. « Grâce à la combinaison entre nos activités financées par la publicité et les abonnements premium, le chiffre d’affaire a augmenté à plus de 4 milliards d’euros en 2017 », se félicite le groupe de Daniel Ek.
Mais au bout de dix ans d’existence, la plateforme suédoise continue de perdre de l’argent (3) : les pertes nettes ont plus que doublé à 1,2 milliard d’euros (contre 0,5 milliard en 2016). Mais la firme de Stockholm tente de relativiser : « Les pertes opérationnelles ont augmenté avec le chiffre d’affaires, mais la tendance vers la rentabilité est claire lorsque vous regardez les pertes d’exploitation en pourcentage
du chiffre d’affaires. Vous constatez la même tendance dans le “free cash-flow”qui est positif depuis deux ans [109 millions d’euros de flux de trésorerie en 2017, contre 73 millions en 2016, ndlr]. Cela veut dire que l’activité génère du cash, ne le consomme pas, malgré la forte croissance du “business” ». Concernant ce déficit chronique, Daniel Ek se veut rassurante auprès des investisseurs : « Notre marge brute a augmenté avec la croissance de l’activité, en particulier en 2017 [à 849 millions d’euros, contre 401 millions en 2016], au moment où nous avons renégocier les accords de licence avec
les majors de la musique [Universal Music, Sony Music et Warner Music, ndlr] ».

Le Nyse en attendant de passer au Nasdaq ?
Il faut dire aussi que Spotify n’a pas de dette et détient 1,5 milliard d’euros de cash
et équivalents à fin 2017. « Au total, Spotify croit que son modèle économique est à
la fois résistant et évolutif », conclut la présentation aux analyses. Pour autant, son introduction en Bourse se fera sans émission d’action, seuls des investisseurs convertirons leurs obligations en actions. Daniel Ek ne sonnera pas non plus la cloche du New York Stock Exchange (Nyse), pas plus qu’il ne fera la fête. En attendant de passer au Nasdaq ? @

Charles de Laubier

Musique en ligne : la rémunération minimale des artistes sur le streaming a du plomb dans l’aile

Depuis six mois qu’il a été signé par les syndicats de producteurs de musique
et ceux des artistes interprètes dans la torpeur d’une nuit d’été, le 7 juillet 2017, l’accord instaurant pour ces derniers une garantie de rémunération minimale pour leurs musiques diffusées en streaming n’est toujours pas appliqué. Ubuesque !

Depuis les accords « Schwartz » du 2 octobre 2015, du nom du médiateur Marc Schwartz (photo) à l’époque, qui instaurent en France le principe d’une garantie de rémunération minimale aux artistes, compositeurs et interprètes sur le streaming, ces derniers n’en bénéficient toujours pas – plus de deux ans et demi après. Cette redevance minimum venait pourtant de faire l’objet d’un accord avec les producteurs de musique dans la nuit du 6 au 7 juillet 2017 – à 4 heures et demie du matin ! – mais il avait aussitôt été dénoncé par plusieurs syndicats d’artistes le trouvant finalement « particulièrement injuste » ou « parfaitement inepte » pour leurs membres musiciens. Formée par le Syndicat national d’artistes musiciens (Snam)/CGT, le Syndicat français des artistes interprètes (SFA)/CGT, le Syndicat national des musiciens (SNM)/FO, et le Syndicat national des artistes chefs d’orchestre professionnels de variétés et arrangeurs (Snacopva)/CFE, cette intersyndicale avait dénoncé les conditions de la signature elle-même et de la réunion où, selon elle, « la négociation ne fut pas réellement loyale ». La loi « Création » de 2016 donnait jusqu’au 7 juillet dernier à la branche professionnelle de la musique enregistrée pour parvenir à un accord collectif (1), faute de quoi l’Etat imposerait par la loi une solution de rémunération des artistes interprètes pour l’exploitation de leurs musiques en streaming.

La balle est dans le camp du gouvernement
Aussi, les partenaires sociaux se sont sentis obligés de signer un texte où le diable
était en fait dans les détails. Selon nos informations, seule la CFDT qui exigeait plus de temps n’a pas signé cet accord. C’est le 10 juillet dernier que plusieurs organisations syndicales d’artistes interprètes, alertés notamment par la Guilde des artistes de la musique (Gam), ont dénoncé les termes de l’accord et demandé la réouverture immédiate des négociations, ce que les producteurs ont accepté puisqu’une médiation a été ouverte le 20 juillet suivant pour « aménager l’accord ». Mais l’échec du Médiateur de la musique, Denis Berthomier, fut rapidement constaté, le 28 juillet. « Les producteurs refusent de réévaluer les taux et tiennent à maintenir le système de l’avance qui leur est très favorable », nous indique Suzanne Combo, déléguée générale de la Gam, association d’artistes – mais pas syndicat, donc non signataire de l’accord – qu’elle a co-créée en 2013 avec d’autres artistes dont Axel Bauer et Issam Krimi (2).

Des syndicats d’artistes veulent renégocier
Résultat : cela fait six mois que cet accord existe mais les syndicats d’artistes ont demandé à l’Etat – au ministère du Travail en l’occurrence (3) – de ne pas étendre ce texte afin de bloquer son application tant que les syndicats de producteurs de musique campaient sur leurs positions. Thierry Chassagne, président de Warner Music France et membre dirigeant du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), lequel fait partie des signataires avec l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (Upfi), se rappelle de cette nuit de signature. « Cette dernière réunion intervenait quand même après neuf mois de négociations. A 20 heures, on avait trouvé un accord sur un salaire minimum [une rémunération minimal proportionnelle sur le streaming pour les artistes interprètes, ndlr] qui était au-dessus du salaire moyen. A 21 heures, Marc Schwartz [alors directeur de cabinet de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen] est arrivé pour dire que cela n’allait pas… Après discussions et ajustements jusqu’à 4 heures du matin, on a tous signé. Mais le lendemain, des syndicats d’artistes ont demandé finalement à retirer leur signature ! Je n’avais jamais vu ça. C’était… lunaire », a-t-il raconté le 17 janvier lors d’un déjeuner avec des journalistes organisé par la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), dont il est également président du conseil d’administration.
La SCPP est le bras armé des ayants droits du Snep et représente 2.600 producteurs de musique dont les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music. Thierry Chassagne comprend d’autant moins ce revirement des syndicats des artistes interprètes que, selon lui, la rémunération minimale trouvée cette nuit-là sur le streaming allait « bien au-delà de ce qui est prévu sur l’ensemble des contrats des artistes » avec les majors (Universal Music, Sony Music et Warner Music) et les producteurs indépendants. « Cela pénalise les plus petits », a-t-il déploré. Résultat :
le revenu minimum sur le streaming est en stand-by et les contrats artiste-producteur continuent de se négocier au cas par cas. « C’est un peu dans une impasse dans la mesure où la loi prévoyait que des mesures législatives pouvaient être prises si les professionnels ne parvenaient pas à un accord. Or il y a eu un accord signé, même s’il n’a pas été étendu par le ministère du Travail », a précisé Marc Guez, directeur général de la SCPP. Contacté par Edition Multimédi@, le directeur général du Snep, Guillaume Leblanc, indique que « les producteurs de musique n’ont pas d’intérêt à appliquer ce texte qui n’est pas rendu obligatoire ». Selon lui, « la situation est ubuesque ». La balle est donc dans le camp du gouvernement. Cet accord unique au monde pour une rémunération proportionnelle minimale sur les revenus du streaming – en l’occurrence des royalties pour les musiciens sous forme de « Smic numérique » – prévoit dans la convention collective deux options : soit le producteur de musique accorde une avance de 500 euros par titre assortie d’un abattement, soit il accorde un taux minimal à l’artiste. Mais tous ne l’entendent pas de cette oreille. « Les artistes demandent la réévaluation des taux et la suppression de l’option “avance” qui conduit à une rémunération inférieure à celle qu’ils ont aujourd’hui », explique de son côté Suzanne Combo (la Gam). Les syndicats ont bloqué sur le fait que l’artiste ayant choisi l’avance pouvait subir un abattement automatique de 50% sur ses revenus du streaming. De plus, souligne-t-elle, le recoupement de l’avance concerne tous les revenus (streaming, physique, merchandising, licensing, …), au lieu d’être limité aux sommes prévues au contrat et au seul streaming audio, ce qui ne garantit donc aucun minimum de rémunération spécifique au streaming. « Avec le système de l’avance, l’artiste perd tout intéressement au succès ultérieur de son oeuvre et le système de calcul de la rémunération devient particulièrement opaque », regrette l’organisation d’artistes qui rappelle qu’elle a toujours été opposée, depuis les accords « Schwartz » de 2015, au principe d’une avance minimale « contraire à la transparence et à l’intérêt des artistes ». Concernant cette fois l’option « taux », la Gam fustige le faire que l’abattement sur les taux bruts intervient lors d’investissements sur lesquels l’artiste n’a pas son mot à dire, ce qui ne constitue en aucun cas une garantie de rémunération minimale.

Taux bruts et de taux nets en question
« D’après notre expérience des contrats d’artiste et si l’on se réfère à l’étude de BearingPoint, tous les taux bruts proposés dans cet accord sont inférieurs à ceux communément appliqués sur les contrats d’artistes. Les taux nets, eux, sont deux fois inférieurs », commente Suzanne Combo. Selon la Gam, « la seule garantie de rémunération minimale acceptable serait une redevance sous forme de taux net à deux chiffres applicable dès la première exploitation ». L’Adami (4) et l’Alliance des managers d’artistes (Ama) soutiennent les revendications de la Gam. Si le streaming est en passe de sauver les producteurs de musique, il est loin de satisfaire les musiciens eux-mêmes en termes de royalties. @

Charles de Laubier