Emmanuel Macron fait sienne la « taxe streaming » controversée pour financer le CNM

L’Elysée a fait sa Fête de la Musique le 21 juin dernier et Emmanuel Macron l’a inaugurée en lançant un ultimatum aux plateformes de streaming musical afin qu’elles trouvent –d’ici le 30 septembre — un accord avec le Centre national de la musique (CNM) sur une « contribution obligatoire ».

« On le sait – vous le pratiquez –, il y a de plus en plus de streaming. Ce que je lui ai demandé [à Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture] est, d’ici à la fin du mois de septembre, de trouver un accord de place pour que toutes les plateformes – qui font parfois beaucoup d’argent avec le streaming – nous aident à le redistribuer de la manière la plus intelligente pour financer la création et les artistes [via le Centre national de la musique]. Comme on l’a fait en France avec le cinéma et la création audiovisuelle [via le CNC, ndlr] », a déclaré Emmanuel Macron (photo), président de la République, lors de son discours d’ouverture de la Fête de la Musique, à l’Elysée, le 21 juin dernier.

Mises en garde au gouvernement
Et le chef de l’Etat, micro sur scène, de prévenir les Spotify, YouTube, Apple Music, Amazon Music, Deezer et autres Qobuz : « C’est un très bon modèle qui permet de respecter le droit des artistes, de défendre la diversité des cultures et l’exception culturelle à laquelle nous tenons tant. Donc, il faut que l’on ait un accord avec ces plateformes de streaming. Sinon, de toute façon, on prendra nos responsabilités pour les mettre à contribution et nous aider à financer les musiques » (1). Cet ultimatum fait suite au rapport « sur le financement des politiques publiques en direction de la filière musicale » que le sénateur Julien Bargeton, appartenant à la majorité relative présidentielle, a remis le 20 avril à Rima Abdul-Malak (2). Il préconise une « taxe streaming » à 1,75 % sur le chiffre d’affaires des plateformes de streaming pour la musique enregistrée, qui serait le pendant de la « taxe billetterie » à 1,75 % du spectacle vivant actuellement en vigueur.
« Faute d’un accord au 30 septembre 2023, le gouvernement se réservera la possibilité de saisir le Parlement d’une contribution obligatoire des plateformes de streaming, du type de celles proposées par le sénateur Julien Bargeton », a aussi annoncé l’Elysée dans un communiqué (3). Depuis le printemps, le prochain projet de la loi de finances 2024 est évoqué comme véhicule législatif pour faire adopter cette « taxe streaming » si la filière musique ne réussissait pas à se mettre d’accord à temps avec les plateformes de musique en ligne (4). « Le président de la République souhaite en outre que la France porte au niveau européen la poursuite des avancées obtenues sur la rémunération des artistes par les plateformes de streaming », indique aussi l’Elysée. Le Syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), dont sont membres Spotify, Deezer, Qobuz et 17 autres plateformes musicales et services des artistes s’est dit inquiet suite à la déclaration d’Emmanuel Macron : « Nous craignons les conséquences catastrophiques de cette taxe sur le streaming musical, sur les ayants droits et finalement sur la création ». L’ESML, dont est président Ludovic Pouilly, par ailleurs vice-président de Deezer en charge des relations avec les institutions et l’industrie de la musique, estime que « cette taxe s’apparenterait ainsi à un nouvel impôt de production, reposant sur des acteurs indépendants européens et français du streaming musical comme Deezer, Spotify et Qobuz dont l’activité n’est pas encore rentable. Alors que nos services de streaming musical français et européens souffrent d’une concurrence déloyale des GAFA, qui ne contribuent pas à la même hauteur que nous au financement de l’industrie musicale (…) » (5).
De son côté, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), qui représentant notamment les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music, fustige depuis des mois « la création d’un nouvel impôt sur le streaming dont notre secteur devrait s’acquitter ». Dans un communiqué du 22 juin, le Snep, son bras armé « droit d’auteur » la SCPP (6), La Scène Indépendante et le Réseau des musiques actuelles de Paris (Map) mettent aussi en garde le gouvernement : « La situation du streaming reste fragile ».

Bertrand Burgalat : #taxestreamingnonmerci
Et les quatre organisations de poursuivre : « Les plateformes françaises et européennes, dont le modèle économique est centré sur la diffusion de musique, n’ont pas atteint le seuil de rentabilité. Elles opèrent de surcroît sur un marché moins dynamique ici que dans les autres grands pays de la musique, dans un contexte de concurrence accrue et d’incertitude sur l’intelligence artificielle » (7). Le président du Snep, Bertrand Burgalat (producteur, musicien, compositeur, arrangeur et chanteur français), s’est fendu de deux tweets assassins. Le premier pour lancer le 21 juin : « Après avoir empêché la guerre en Ukraine et refondé la France en cent jours, le président Macron s’attaque au streaming » (8) Le second le 24 juin pour dire : « Le président de la République a donc demandé à Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, de réunir sans délai l’ensemble des acteurs de la filière etc : déjà 2 jours ouvrés sans signe de vie du ministère. #taxestreamingnonmerci » (9). Aucun commentaire de la ministre de la Culture n’est en effet intervenu après l’allocution d’Emmanuel Macron à L’Elysée, où Rima Abdul Malak était bien présente face à la scène de la Fête de la Musique du « Château ».

Financer le CNM pour aider la filière
En revanche, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) ainsi que son bras armé « droit d’auteur » la SPPF (10) sont favorables à cette taxe sur les plateformes de streaming musical. Avec une vingtaine d’autres organisations, notamment du spectacle vivant comme le Syndicat des musiques actuelles (Sma), le Syndicat national du spectacle musical et de variété (Prodiss) et d’autres (Camulc, Felin, Forces musicales, Prodiss, Profedim, …), elles ont « salu[é] l’annonce volontariste du président de la République de favoriser la concertation rapide de la filière et, à défaut d’une piste qui fasse l’unanimité, de mettre en œuvre une contribution de la diffusion numérique ». Et de rappeler au gouvernement : « Nous avions collectivement soutenu la piste d’une mise à contribution de la diffusion numérique (plateformes de streaming, réseaux sociaux, etc.), tant dans son activité payante que gratuite ».
Cette « taxe streaming » permettrait, selon leurs supporteurs, de financer le Centre national de la musique (CNM), établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre de la Culture, afin de mieux aider la filière musicale et ses artistes.
La Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) y est, elle aussi, favorable. « La mise en place d’une contribution des plateformes de streaming, qui pourrait intervenir dans la prochaine loi de finances, si les professionnels ne parvenaient pas à faire émerger des solutions adaptées d’ici le 30 septembre, serait une mesure juste, utile et efficace, comme l’est déjà de façon analogue pour l’audiovisuel et le cinéma la taxe sur les services de vidéo à la demande », considère la société de gestion collective fondée par les auteurs réunis autour de Beaumarchais en 1777 pour défendre les droits des auteurs (11). « Le bon choix du PR [président de la République, ndlr] en soutien de l’excellent rapport du sénateur @JulienBargeton », a tweeté le 21 juin Pascal Rogard, directeur général de la SACD (12). La perspective de cette « taxe streaming » a creusé les divisions au sein de la filière musicale française. L’opposition entre le Snep et l’UPFI est à son comble. La Fête de la Musique a même été gâchée, notamment à l’occasion d’un dîner-débat organisé le 21 juin par l’UPFI et le Prodiss où était convié « l’ensemble de l’écosystème pour un débat ouvert et franc » et où « la question du financement de la filière a été au coeur des échanges » (13). Le Snep représentant les majors de la musique enregistrée avait décliné l’invitation en ces termes twittés le jour même : « Le Snep ne participe pas au déjeuner du Prodiss et de l’UPFI, qui multiplient les faux-semblants d’union d’un écosystème musical plus divisé que jamais. Face à ce constat, la ministre de la Culture a annoncé une concertation par les pouvoirs publics. Il est temps en effet de sortir de l’impasse : des solutions existent pour éviter l’écueil d’un nouvel impôt de production, injuste, qui mettrait en risque toute la chaîne de valeur de la musique enregistrée, les plateformes françaises et européennes, les artistes, les auteurs, les compositeurs, les éditeurs et les producteurs » (14). Ambiance. Présent à ce dîner, Antoine Monin, directeur général de Spotify pour la France et le Benelux, a pris la parole au nom de l’ESML en déclarant : « La filière musicale française et le CNM méritent mieux que le rapport Bargeton. Si la première saura se remettre d’une énième guerre picrocholine, je ne suis pas certain que le second survivra à une telle fracture originelle ». Les protestations ont fusé parmi les convives.

Une « taxe anti-rap » et « taxe raciste » ?
Comme le rap caracole en tête de la musique enregistrée depuis quelques années, porté par le streaming et son succès auprès de la jeune génération, la « taxe streaming » a dès l’automne dernier été… taxée de tous les maux. « Non à la taxe streaming. Taxe anti-rap. Taxe raciste. Taxe non justifiée », avait tweeté le rappeur Niska le 4 octobre dernier à l’attention de Rima Abdul Malak (15). Face à la montée de la polémique sur les réseaux sociaux, le président du CNM, JeanPhilippe Thiellay (photo ci-dessus), avait dû s’inscrire en faux : « C’est un raccourci biaisé de dire que ce serait une taxe anti-rap. Sur le top 10.000 des écoutes, ce genre en représente un quart, pas plus. Et dire que le CNM n’aime pas le rap, c’est faux. Et nous accuser de racisme, c’est blessant » (16). @

Charles de Laubier

PDG d’Universal Music, Lucian Grainge veut plus d’abonnés au streaming et mieux payer les artistes

Première major mondiale « du disque », Universal Music a comme PDG depuis 12 ans « Sir » Lucian Grainge. L’homme le plus puissant de l’industrie musicale étudie avec Tidal et Deezer les moyens d’avoir plus d’abonnés au streaming, de monétiser les fans et de mieux rémunérer les artistes.

Le « Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique » – depuis que Lucian Grainge (photo) a été décoré ainsi en 2010 par la reine Elisabeth II (1) – veut changer l’écosystème du streaming musical afin d’accroître le nombre d’abonnements, mieux monétiser les fans, et trouver le moyen de mieux rémunérer les artistes. Et ce, à l’heure où la filière musicale s’interroge sur la méthode de rémunération des ayants droit – rester au market centric ou passer au user centric – et tente de lutter contre la fraude aux clics – ces fake streams (2). Et sur fond de « NFTéisation » de la musique dans le Web3 (3).

Accords similaires avec Tidal et Deezer
PDG depuis mars 2011 d’Universal Music, plus que centenaire maison de disques et première major mondiale de la musique enregistrée, le Britannique Lucian Grainge (63 ans depuis le 29 février et vivant à Los Angeles) a passé des accords avec les plateformes de streaming musical Tidal (d’origine norvégienne) et Deezer (française) pour repenser le modèle économique de la musique en ligne. Le premier partenariat a été noué le 31 janvier dernier avec Tidal, l’ex-plateforme musicale du rappeur Jay-Z, afin d’« explorer un nouveau modèle économique novateur pour la diffusion de musique en streaming, qui pourrait mieux récompenser la valeur créée par les artistes et refléter plus fidèlement l’engagement des abonnés avec ces artistes et musiques qu’ils aiment » (4).
Un deuxième accord similaire vient d’être annoncé, le 15 mars, avec cette fois Deezer, là aussi pour « étudier de nouveaux modèles économiques potentiels pour la diffusion de musique en streaming qui reconnaissent plus pleinement la valeur créée par les artistes ». A travers ces deux partenariats, l’objectif d’Universal Music est double : augmenter le nombre d’abonnés auprès des plateformes de streaming musical, tout en prévoyant une meilleure rémunération des artistes. « Grâce à une analyse approfondie des données [deep data], le partenariat (avec Deezer) examinera les avantages et évaluera la viabilité de différents modèles économiques visant à stimuler la croissance des abonnés, établir des liens plus solides avec les fans de musique sur la plateforme, et créer des occasions commerciales qui profitent aux artistes et à l’ensemble de la communauté musicale », a expliqué le 15 mars (5) la major des Beatles, d’Abba, de Taylor Swift, d’Ariana Grande, de Lady Gaga, de Kanye West ou encore de Drake. C’est dans le même esprit que l’accord avec Tidal est conclu en début d’année : « Tidal et UMG [Universal Music Group, ndlr] étudieront comment, en exploitant l’engagement des fans, les services et plateformes de musique numérique peuvent générer une plus grande valeur commerciale pour chaque type d’artiste. La recherche s’étendra à la façon dont différents modèles économiques pourraient accélérer la croissance des abonnés, renforcer la rétention [autrement fidéliser les abonnés, ndlr] et mieux monétiser les fans [fandom] au profit des artistes et de la communauté musicale en général », a détaillé le 31 janvier le groupe basé à Hilversum aux Pays-Bas, à 37 kms d’Amsterdam où il est coté en Bourse depuis sa scission (spin-off) d’avec Vivendi en septembre 2021.
Qu’il est loin le temps où Universal Music traînait – en vain (6) – Deezer devant la justice à l’été 2011 pour diffusion gratuite de la musique. A l’époque, Universal Music faisait partie de Vivendi, la maison mère de SFR, grand rival d’Orange, l’ex-France Télécom ayant de son côté pactisé dès 2010 avec… Deezer, dont il a pris 11 % du capital et en assura la distribution exclusive (7). C’était de bonne guerre. Après ce procès les deux parties ont aussitôt trouvé un accord pour favoriser les abonnements au détriment de l’écoute gratuite – depuis limitée. Aujourd’hui, aux côtés des 20 % du chinois Tencent, Vivendi ne détient plus que 10 % du capital d’Universal Music (8), lequel pousse toujours – avec Sony Music et Warner Music – les plateformes de streaming à pratiquer l’abonnement payant – allant jusqu’à entrer au capital de Spotify pour avoir un droit de regard (9). Dans sa bataille contre la gratuité musicale, même légale, les trois majors de la musique sont parvenues à leurs fins.

Les trois majors ont imposé l’abonnement
Le streaming audio par abonnement est désormais la première source de revenu de l’industrie musicale, soit en 2022 près de la moitié (48,3 %) des 26,2 milliards de dollars des revenus de la musique enregistrée dans le monde, selon l’IFPI (10). Et en France selon le Snep (11), ce streaming audio par abonnement a pesé 46,2 % l’an dernier. Universal Music, qui publiera son rapport annuel le 30 mars et tiendra son assemblée générale annuelle le 11 mai, a réalisé 10,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, dont 5,3 milliards avec la musique enregistrée. Plus des deux tiers (73,3 %) de cette dernière somme proviennent des abonnements du streaming musique, soit une hausse de 18,4 % sur un an. @

Charles de Laubier

Les podcasts attirent de plus en plus d’auditeurs : ce marché va faire basculer l’écoute audio

Ils sont 17,6 millions de personnes en France à avoir écouté des podcasts chaque mois, d’après Médiamétrie. Les audiences sont parfois tellement élevées qu’on n’en croit pas ses oreilles. Edition Multimédi@ prévoit qu’en 2023 l’écoute audio se fera majoritairement en ligne.

Pour Edition Multimédi@, il est probable qu’en 2023 la poussée de l’audience des podcasts – notamment sur smartphones – fasse basculer la majorité (51 %) de la consommation audio globale sur Internet, contre 48 % l’an dernier. La radio en direct – sur la FM et/ou en DAB+ – s’arrogeait en 2022 encore 53 % du total de l’écoute audio dans la journée.

2023, année de bascule vers l’audio online
Mais au cours de 2023, elle pourrait devenir minoritaire par rapport à l’écoute en ligne qui deviendra majoritaire (streaming musical, radio à la demande/podcasts replay, musique perso hors CD et vinyles, podcasts natifs hors radio et livres audio confondus). Mais les plateformes de streaming musical – de Spotify à YouTube, en passant par Apple Music, Amazon Music, Deezer ou encore Qobuz – seront encore largement dominants sur l’audio online. La diversification de certaines d’entre elles dans la diffusion de podcasts va augmenter le poids de ces derniers dans l’audience online globale (voir graphique ci-dessous). La consommation de podcasts augmente continuellement, au point que l’on se demande si le binge-listening ne va pas être à l’audio se qu’est le binge-watching à la vidéo. Rien qu’en France, la progression du nombre de personnes écoutant des podcasts chaque mois a progressé en 2022 de 17 % pour atteindre les 17,6 millions d’auditeurs (soit un gain de 2,6 millions d’adeptes en un an). C’est l’institut de mesure d’audience Médiamétrie qui l’indique dans son étude « Global Audio ». Autrement dit, 36,1% des internautes déclarent écouter au moins un podcast par mois en 2022.
Si l’on regarde sur trois ans, le nombre d’auditeurs de podcasts a même bondi de plus de 60 % (voir graphique page suivante). Sont pris en compte aussi bien les podcasts dits « replay » (de contenus audios déjà diffusés à la radio) que des podcasts dits « natifs » (créations audio originales). Cette « radio à la demande » – expression qui relève cependant d’un abus de langage puisque de nombreux podcast sont produits en dehors de toute radio – complète ou concurrence la radio en direct (FM ou via Internet), les services de streaming musical (gratuit et par abonnement), les livres audio (physiques et numériques), ou encore l’écoute musicale de bibliothèques personnelles (CD, MP3, achat de titres, vinyle, …). Les podcasts ont de plus en plus l’oreille des auditeurs. « Les adeptes de podcasts sont plutôt fidèles : près de la moitié d’entre eux (47 %) concentrent leur consommation sur leurs podcasts favoris, généralement de 1 à 3 podcasts par semaine », a constaté Médiamétrie. Et ils sont tout de même 89 % à écouter entre la moitié et l’intégralité du podcast. Sur l’ensemble des auditeurs, la moitié d’entre eux (56 %) pratiquent une écoute régulière, dont 20 % très régulière. La Génération Z (15- 27 ans) est encore plus régulièrement à l’écoute, avec un taux de 61 %. A la fidélité et à assiduité, s’ajoute un accroissement : 85 % des auditeurs de podcasts écoutent autant ou plus de podcasts qu’un an auparavant.

Mesure site-centric avec liens tagués
Médiamétrie fait aussi remarquer que les podcasts se partagent en famille pour 64 % des parents auditeurs qui les font écouter à leurs enfants. Quant aux modes d’accès aux podcasts, ils sont pour 76 % des auditeurs les sites web ou les applications mobiles des éditeurs de radio, suivis des plateformes vidéo et des réseaux sociaux où ils découvrent plus volontiers de nouveaux contenus. Mais qu’écoutent au juste en podcasts les 17,6 millions d’auditeurs ? « Lorsque les Français écoutent des podcasts, c’est avant tout pour e divertir, se détendre. En effet, que ce soit pour les podcasts radios ou natifs, l’humour se classe numéro 1 des genres les plus consommés. Mais les podcasts sont aussi un moyen d’étendre ses connaissances ou encore de s’informer, selon les adeptes qui placent les podcasts d’actualité en deuxième place de leurs thématiques préférées », relève Médiamétrie. La dernière mesure en date des podcasts par Médiamétrie porte sur le mois de décembre 2022, durant lequel près de 182 millions de podcasts français ont été écoutés ou téléchargés dans le monde, dont 142 millions – soit 78 % – d’entre eux l’ont été en France.
L’institut de mesure d’audience publie le volume d’écoutes des éditeurs qui ont souscrits à son « eStat Podcast » pour leurs podcasts préalablement diffusés (replay) et/ou des podcasts natifs (originaux). La méthodologie consiste à comptabiliser l’ensemble des contenus audio écoutés directement en streaming ou téléchargés sur la majorité des supports d’écoute (plateformes, sites web, applications mobiles, …). « Les indicateurs sont établis à partir de la technologie site-centric [trafic enregistré sur le support lui-même, ndlr], explique Médiamétrie.
Cette technologie consiste à intégrer un tag placé dans le lien de téléchargement et n’ayant pas d’incidence sur l’expérience utilisateur. Des filtrages sont effectués chaque mois afin d’exclure les téléchargements abusifs. En outre, afin d’éviter de comptabiliser deux fois un même podcast, les téléchargements intervenant dans l’heure qui suit un premier appel à téléchargement sont également exclus ».

Le poids des éditeurs radios et télés
Ainsi, en décembre 2022, France Inter est le premier éditeur – parmi les souscripteurs de Médiamétrie – en termes de podcasts, avec plus de 45 millions d’écoutes et/ou de téléchargements (dans le monde) parmi des titres tels que « Affaires sensibles », «C’est encore nous », « Géopolitique », « La Bande originale », ou encore « Grand bien vous fasse ». Arrive ensuite en seconde position RTL avec plus de 32 millions d’écoutes et/ou de téléchargements (toujours dans le monde), avec des titres tels que « Les grosses têtes », « Laurent Gerra », « L’heure du crime », « Le journal RTL », ou encore « Ça peut vous arriver ». Sur la troisième marque du podium, c’est France Culture avec plus de 32 millions (mais à 42.114 écoutes du second), avec « Philosophie », « Les Pieds sur terre », « Le Feuilleton », « LSD », ou encore « Le Cours de l’histoire ». Médiamétrie liste au total 19 éditeurs de podcasts qui sont des radios ou des télévisions. Si l’on prend les podcasts titre par titre, le trio de tête est composé de « L’AfterFoot » (édité par RMC) avec plus de 18,7 millions d’écoutes et/ou de téléchargements, « Les Grosses têtes » (RTL) avec plus de 16,9 millions, « Hondelatte raconte » (Europe 1) avec plus de 9,3 millions. Médiamétrie liste ainsi une trentaine de titres (1).

Le « Top » des podcasts par l’ACPM
En revanche, le classement de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM) – ex-OJD – est plus diversifié et important en nombre, avec sur le même mois de décembre 313 titres mesurés. Les trois premiers sont : « Les actus du jour Hugo Décrypte » avec plus de 1,3 million de téléchargements (monde) dans le mois pour 456 épisodes, édités par l’influenceur Hugo Decrypte ; « Transfert » avec plus de 1,1 million pour 233 épisodes par Slate ; et « Métamorphose, éveille ta conscience ! » avec plus de 1 million pour 601 épisodes par Métamorphose. L’ACPM dresse aussi une liste de 63 marques de podcasts (2), dont le trio de tête : Binge Audio (3) avec plus de 1,8 million de téléchargements sur décembre 2022 du monde entier, Studio Minuit avec plus de 1,7 millions de téléchargements, et Slate avec plus de 1,4 million. L’actualité de Hugo Decrypte arrive, elle, en quatrième position avec plus de 1,3 million de télécharge-ments en ce mois de décembre 2022.
Ces milliers d’épisodes bénéficient d’une force de distribution que sont les plateformes de podcasts telles que Spotify, Apple Podcasts, Google Podcasts, Deezer et autres. Depuis 2020, des accords de droit d’auteur ont été négociés et signés (4), avec la Scam, la SACD ou encore la Sacem (5). De son côté, le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) propose désormais aux éditeurs un nouveau mandat pour englober les rediffusions de leurs podcasts lorsque ceux-ci sont repris par des entreprises ou des organismes – via ou pas des prestataires de veille informationnelle (6) – dans leurs panoramas de presse par exemple. @

Charles de Laubier

L’industrie de la musique a du mal à s’attaquer au fléau des « fake streams » : l’opacité domine

Cela fait des années que la fraude au streaming musical est détectée sans que ce fléau des « fake streams » ne soit stoppé. Et ce, au détriment de la rémunération des artistes relégués dans le classement. Cela pourrait représenter jusqu’à 30 % de l’audience des musiques écoutées en ligne.

En 2021, le total du chiffre d’affaires généré par le streaming musical dans le monde atteignait 16,9 milliards de dollars. C’est devenu la principale source de revenus de l’industrie de la musique enregistrée, soit plus de 65 % du total (numérique, physique, droits voisins et synchronisation confondus), d’après la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), dirigée par Frances Moore (photo). Mais, selon différentes sources, de 5% à 30 % en volume de la musique en streaming relèveraient de fausses écoutes – les « fake streams ».

845 millions de dollars captés illégalement ?
Impossible à ce stade de savoir ce que cela représente en valeur en raison de l’opacité des plateformes de streaming musical (Spotify, Deezer, Apple Music, Amazon Music, …). Si les fake streams devaient représenter ne serait-ce que 5 % du chiffre d’affaires du streaming musical dans le monde, cela correspondrait à… 845 millions de dollars de captés illégalement au détriment d’autres artistes relégués mécaniquement dans le volume de streams. Pire : en appliquant 10 % en valeur, l’addition de la fraude aux clics dépasserait largement les 1,5 milliard de dollars !
Cette extrapolation faite par Edition Multimédi@ est bien sûr invérifiable, mais elle n’est pas invraisemblable tant les fake streams ont pris de l’ampleur aux dires de la filière musicale. En juillet 2019, dans le magazine américain Rolling Stone, un label affirmait que « 3 % à 4% des flux mondiaux sont des flux illégitimes, représentant environ 300 millions de dollars de recettes potentielles perdues qui sont passées de sources légitimes à des sources illégitimes et illégales » (1). Depuis, les « fermes à clics » et la « manipulation de streams » ont proliféré pour augmenter l’audience de titres : logiciels robotisés (bot, botnet) ou personnes physiques rémunérée pour générer du clic. Au niveau mondial, le taux de 30 % a même été avancé par la filière musicale, notamment cité par le journaliste Sophian Fanen, cofondateur de Les Jours et auteur de l’enquête au long cours sur « La fête du fake stream» (2). Il nous précise cependant : « Il ne s’agit que d’une estimation, et [ce taux de 30 %] ne concerne que la nouveauté. Les faux streams ne fabriquent pas de l’argent ; ils font grossir artificiellement la masse globale de streams à partir de laquelle les plateformes rémunèrent la filière à partir de leurs revenus mensuels (qui varient) ». En France, où l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) est montée au créneau le 6 décembre pour appeler « à un sursaut du secteur et des pouvoirs publics face à ce phénomène désastreux à l’ampleur grandissante », le taux de fake streams se situerait entre 5% et 10 % des écoutes quotidiennes, d’après ElectronLibre. L’UPFI a adressé une lettre à sa centaine de membres et labels indépendants (Believe, Harmonia Mundi, PlayTwo, Wagram Music, …) pour « condamne[r] fermement et sans équivoque le principe de manipulation des écoutes, rappelant qu’elle relève d’une tricherie (…), un artiste ayant acheté des streams capte une rémunération qui lèse l’ensemble des artistes » (3). Elle estime en outre que l’Arcom (4) serait « légitime » pour réguler le streaming et « recueillir les plaintes contre les acteurs fournissant des prestations d’achat de streams ».
Contacté par Edition Multimédi@, le directeur général de l’UPFI, Guilhem Cottet, rappelle qu’en mai 2021 un amendement avait été déposé dans ce sens au Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi « Régulation et protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique », celle-là même qui a fondé l’Arcom. Bien qu’il ait été retiré, cet amendement (5) soutenu par la filière musicale proposait que l’Arcom puisse avoir des pouvoirs d’enquête et de « lutte contre la manipulation de diffusions en flux ». Ses agents habilités et assermentés pourraient « constater les faits susceptibles de constituer une infraction ». « En parallèle, rappelle aussi Guilhem Cottet, les organisations de producteurs avaient adressé un courrier à Roselyne Bachelot (6) pour la sensibiliser sur ce dossier : à la suite de cela, elle avait missionné une étude du Centre national de la musique (CNM), qui devrait être publiée début 2023 ». Au lieu de juin 2022…

Spotify dit lutter contre les manipulations
Le CNM bute sur la non-divulgation des données d’écoutes par les plateformes de streaming. C’est le cas du numéro un mondial de la musique en ligne Spotify qui affirme pourtant auprès de ses actionnaires et investisseurs – le groupe de Stockholm est coté à la Bourse de New York (Nyse) – prendre très au sérieux les fake streams : « L’échec à gérer et corriger efficacement [par des algorithmes et manuellement] les tentatives de manipulation des flux pourrait avoir une incidence négative sur nos activités, nos résultats d’exploitation et notre situation financière », prévient-il dans son dernier rapport annuel. @

Charles de Laubier

Après le rejet de trois amendements taxant à 1,5 % le streaming musical pour financer le CNM, place à la mission « Bargeton »

L’UPFI la prône ; le Snep n’en veut pas ; des députés ont tenté de l’introduire en vain par trois amendements rejetés le 6 octobre dernier : la taxe de 1,5 % sur le streaming musical en faveur du Centre national de la musique (CNM) va refaire parler d’elle lors des auditions de la mission confiée au sénateur Julien Bargeton.

Une taxe sur le streaming musical de 1,5% sur la valeur ajoutée générée par les plateformes de musique en ligne. Telle était la proposition faite par des députés situés au centre et à gauche de l’échiquier politique, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Mais avant même l’ouverture des débats en séance publique le 10 octobre à l’Assemblée nationale (et jusqu’au 4 novembre), la commission des finances réunie le 6 octobre, a rejeté les trois amendements – un du centre et deux de gauche, déposés respectivement les 29 et 30 septembre. La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (« RAM »), n’a-t-elle pas assuré que le budget du Centre national de la musique (CNM) pour en 2023 est « suffisamment solide » ? Le CNM sera doté l’année prochaine de plus de 50 millions d’euros, grâce à la taxe sur les spectacles de variétés qui, d’après le projet de loi de finances 2023 déposé fin septembre, rapportera l’an prochain 25,7 millions d’euros (contre 35 millions en 2019, soit avant la pandémie).

Julien Bargeton missionné par décret d’Elisabeth Borne publié le 25 octobre
S’y ajouteront un financement garanti par l’Etat à hauteur de 26 millions d’euros et une contribution des sociétés de gestion collective (1) de quelque 1,5 million d’euros. Pour autant, la question de son financement se posera pour 2024 et les années suivantes. Or la pérennité du budget de cet établissement public à caractère industriel et commercial – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’est pas assuré. D’où le débat qui divise la filière musicale sur le financement dans la durée du CNM, aux missions multiples depuis sa création le 1er janvier 2020 – et présidé depuis par Jean-Philippe Thiellay. A défaut d’avoir obtenu gain de cause avec ses trois amendements, l’opposition compte maintenant sur le sénateur de la majorité présidentielle Julien Bargeton (photo) qui vient d’être missionné – par décret publié le 25 octobre et signé par la Première ministre Elisabeth Borne – pour trouver d’ici le printemps 2023 un financement pérenne au CNM. L’une des vocations de ce CNM est de soutenir la filière dans sa diversité, un peu comme le fait le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour la production cinématographique, audiovisuelle ou multimédia. Mais Continuer la lecture