Minimum garanti pour le streaming musical : c’est pas gagné !

En fait. Le 23 mars, le projet de loi « Création » a été voté en seconde lecture à l’Assemblée nationale. L’une des mesures-phare du texte est l’instauration d’une garantie de rémunération minimale pour le streaming de musique en ligne. Mais la filière a un an pour se mettre d’accord sur les modalités. Sinon…

Maylis RoquesEn clair. Les négociations sur la mise en place et le niveau de la garantie de rémunération minimum que devront verser les producteurs aux artistes-interprètes pour la diffusion de musique en flux sans téléchargement – autrement dit le streaming (1) – ne font que commencer !
C’est Maylis Roques (photo), par le passé secrétaire générale du CNC (2) (2010-2014), qui a été désignée pour présider – en tant que représentante de l’Etat – une commission pour aboutir à un accord collectif – conformément à ce qui est prévu par l’accord Schwartz de septembre 2015.

Après Allbrary et Qobuz, Xandrie veut s’enrichir d’autres sites en ligne dans la culture et le divertissement

Déjà opérateur de la bibliothèque digitale Allbrary et nouveau propriétaire de la plateforme de musique en ligne Qobuz, la société Xandrie prévoit d’autres acquisitions « de sites d’information ou de ventes de contenus » pour devenir « le spécialiste international de la culture et du divertissement digital ».

Par Charles de Laubier

Denis Thébaud« Xandrie souhaite adjoindre à son offre d’autres sites dans le domaine de la culture et du divertissement, que ce soit des sites d’information ou de ventes de contenus. Nous prévoyons de nouvelles acquisitions en 2016 et 2017 ; nous avons plusieurs cibles. Notre scope est large, pour autant qu’il serve la stratégie Xandrie de devenir le spécialiste international de la culture et du divertissement », indique Denis Thébaud (photo), PDG de Xandrie, dans un entretien à Edition Multimédi@.
Fondateur de cette société créée en 2012, dont il détient environ 80 % du capital (1), il est aussi PDG du groupe Innelec Multimédia (coté en Bourse) qu’il a créé il y a 32 ans pour la distribution physique de produits tels que jeux vidéo, DVD, logiciels, CD audio, consoles ou encore objets connectés (2). Denis Thébaud a aussi créé il y a 20 ans la société Focus Home Entertainment (aussi cotée en Bourse), le troisième éditeur français de jeux vidéo (3) dont il est actionnaire à plus de 50 %.

« 15 millions d’euros dans Qobuz d’ici 2020 »
En faisant l’acquisition fin décembre de Qobuz, la plateforme de musique en ligne de haute qualité sonore, Xandrie rajoute une corde à son arc – et prévoit d’autres acquisitions. « Notre premier projet est Allbrary qui, comme Qobuz, se veut être une verticale de Xandrie. Qobuz sera donc préservé au sein de notre groupe, avec son identité propre et ses équipes dédiées. Au-delà de la somme de reprise qui est raisonnable, nous allons consentir sur les cinq prochaines années des investissements pour développer cette pépite musicale qui a beaucoup d’avenir : 10 millions d’euros
en marketing et 5 millions en développement technique », nous précise-t-il (4).
Ainsi, d’ici à 2020, la société de Denis Thébaud injectera plus – soit un total de 15 millions d’euros – que les 13 millions d’euros levés par Qobuz auprès des fonds de capital-risque Innovacom et Sigma Gestion depuis sa création par Yves Riesel usqu’ici son PDG (5), et Alexandre Leforestier. Cette reprise de Qobuz par Xandrie fait suite à une décision du Tribunal de commerce de Paris qui, le 29 décembre dernier, a prononcé la reprise des actifs de la plateforme musicale par Xandrie, à l’exception
du passif.

Qobuz : la pépite française donne de la voix
Qobuz avait été placé en redressement judiciaire le 9 novembre, après une période
de plus d’un an d’observation durant laquelle aucun repreneur ne s’était manifesté, après que les actionnaires de la plateforme musicale aient refusé de renflouer la société. Le report de l’entrée en Bourse de Deezer, décidé en octobre, a sans doute rendu sceptiques les investisseurs sur le modèle économique des services d’écoute
en ligne. Denis Thébaud nous a confié qu’il a regardé le dossier durant ces douze derniers mois, sans prendre de contact avant le mois d’octobre, tandis qu’une autre société (Son Vidéo Distribution) présentait une offre de reprise concurrente. « Notre offre était la mieux disante, elle garantissait la reprise de quasiment tous les salariés. C’est un challenge important que nous nous sommes fixés et nous voulons attendre l’équilibre en quatre ans », ajoute Denis Thébaud.
Une quarantaine de personnes travaillent aujourd’hui pour Qobuz, dont les locaux sont basés à Paris dans le 19e arrondissement. Le chiffre d’affaires de la plateforme musicale pour l’année en cours devrait dépasser les 10 millions d’euros, contre 7,5 millions en 2015 (au lieu de 12,5 millions espérés initialement…) et 6,4 millions en 2014. Les derniers chiffres connus sur Qobuz faisaient état d’environ 21.500 abonnés et de plus de 100.000 utilisateurs actifs par mois. « La clientèle que nous visons en Europe, d’abord, apprécie la musique haute qualité car elle a de l’oreille et dispose souvent d’équipements Hifi très performants. C’est une clientèle qui apprécie le streaming, qualité CD [16-Bit/44,1 Khz, ndlr], mais télécharge aussi beaucoup pour posséder sa musique et l’utiliser à sa guise. Notre abonnement “Sublime” à 219,99 euros par an,
qui est “notre offre la plus chère”, est plébiscitée par ces amateurs car elle offre le streaming qualité CD, et aussi des prix préférentiels sur le téléchargement en qualité Hi-Res 24 Bits », explique le PDG de Xandrie. En mai dernier, Qobuz a revendiqué être le premier service de musique en ligne européen à être certifié « Hi-Res Audio », label de haute qualité sonore – Hi-Resolution Audio (HRA) – décerné par la prestigieuse Japan Audio Society, association nippone des fabricants de matériel audio. Au printemps dernier, Qobuz avait d’ailleurs protesté contre l’utilisation trompeuse par le service de musique Deezer du terme « Haute-Résolution » pour qualifier la qualité de son service « Elite ». La plateforme française a en outre noué des partenariats avec des fabricants de matériels Hifi et hightech tels que Sony, LG, HTC, Samsung, Sonos, Devialet, Linn, Lumin, Bluesound ou encore Google (Chromecast). « Au-delà de la musique, nos amateurs apprécient la qualité de la documentation, les livrets, la présentation des artistes et tous les partis pris du site pour faire découvrir en permanence des perles musicales, classique, jazz, rock, etc. », ajoute Denis Thébaud. Qobuz et ses 30 millions de titres musicaux, assortis de métadonnées enrichies, vont migrer sur le cloud d’Amazon (AWS), tandis que l’été prochain sera lancée une offre familiale (Qobuz Family) et une solution « voiture connectée » avec CarPlay d’Apple
et Android Auto de Google.
Au sein de Xandrie, Qobuz et Allbrary seront deux marques complémentaires. Au-delà des synergies possibles entre les deux, il y aura une « mutualisation des moyens et des équipes » dans les fonctions supports : administration, finance, juridique, relations avec les ayants droits, systèmes d’information, … Les deux verticales vont continuer à se développer en Europe (pays anglophones et germanophones) et à l’international (6). Qobuz est déjà ouvert dans neuf pays (7). Quant à la marque « Allbrary The Digital Library », elle a été déposée sur les Etats-Unis, le Canada, la Chine, le Japon, l’Inde
et l’Algérie. Allbrary, que Edition Multimédi@ avait révélé fin 2012 dans le cadre d’une interview exclusive avec Denis Thébaud (8), se veut la première bibliothèque digitale réunissant – dans sa version bêta – six univers différents : ebooks, films et séries, jeux vidéos, logiciels, création digitale et partitions musicales. Viendront ensuite la presse et la musique. Et c’est en toute discrétion qu’Allbrary a ouvert un service de vidéo à la demande (VOD), en version bêta là aussi (allbrary.fr/vod), destiné au marché français et permettant dans un premier temps de louer et de visionner des films et séries. Les vidéos sont en effet proposées en streaming et sous forme de location en ligne (sur
48 heures), le téléchargement définitif étant prévu dès cette année, en attendant l’abonnement SVOD. Selon nos informations, Xandrie a choisi l’agrégateur VOD Factory, lequel édite déjà les services vidéo de SFR, de Tevolution ou encore de
la Fnac.

Allbrary sortira de sa bêta mi-2016
La bibliothèque digitale sera accessible sur tous les écrans. « Allbrary est disponible sur Windows, Android et sera disponible sur iOS en mai prochain. Dans un mois environ [en février], nous aurons une nouvelle version bêta plus évoluée, et c’est vers mi-2016 que nous commencerons réellement notre développement commercial », nous a-t-il confié. Allbrary, qui dépasse les 80.000 références d’œuvres culturelles est accessible soit par le site web Allbrary.fr, soit par des applications pour smartphones et tablettes, et bientôt directement sur des terminaux et des téléviseurs connectés. @

Charles de Laubier

Piratage sur Internet : pourquoi Mireille Imbert-Quaretta dissuade de recourir aux amendes administratives

Présidente depuis six ans de la Commission de protection des droits (CPD), bras armé de l’Hadopi avec la réponse graduée, Mireille Imbert-Quaretta achève son mandat le 23 décembre. Cette conseillère d’Etat, qui dément la rumeur la faisant briguer la présidence de l’Hadopi, ne veut pas d’amendes sans juge.

Par Charles de Laubier

MIQCe sont des propos de Nicolas Seydoux, révélés par Edition Multimédi@ début novembre, qui ont relancés le débat sur l’amende forfaitaire automatique pour lutter contre piratage sur Internet. « Il n’y a qu’une seule solution : c’est l’amende automatique. Donc, on va essayer de passer un amendement au Sénat sur la nouvelle loi parlant de propriété littéraire et artistique [projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » qui sera débattu
en janvier 2016 au plus tôt, ndlr]. Je ne suis pas sûr que le Sénat votera cet amendement, mais ce dont je suis sûr, c’est que l’on prendra date sur ce sujet », avait confié le président de Gaumont (1) et président de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa).
Son entourage nous a indiqué, début décembre, qu’il était encore trop tôt pour faire état de cet amendement. Infliger des amendes administratives automatiques aux pirates du Net est une vieille idée, apparue bien avant l’Hadopi et poussée par les ayants droits
de la musique (dont le Snep (2)) et du cinéma (dont l’ARP (3)), puis portée dès son élection présidentielle en 2007 par Nicolas Sarkozy. Ce dernier rêvait de transposer
sur Internet sa politique de sécurité routière qu’il avait basée – lorsqu’il fut auparavant ministre de l’Intérieur – sur le déploiement national de radars automatiques, d’ailleurs sans aucun débat parlementaire (4)…

Risques de censure du Conseil constitutionnel
Pas sûr cependant que le Sénat vote en début d’année prochaine un tel amendement « Amende automatique ». Mireille Imbert- Quaretta (photo), présidente jusqu’à l’échéance de son mandat le 23 décembre de la Commission de protection des droits (CPD) chargée de la réponse graduée au sein de l’Hadopi, a déjà fait savoir en juin à la mission d’information sénatoriale sur l’Hadopi – dans une note révélée ici en ligne
que l’idée d’amende administrative – automatique ou pas – risquait d’essuyer un rejet constitutionnel.
« Le retour à des sanctions administratives prononcées par la CPD ne s’inscrirait plus dans un processus de saisine des juridictions judiciaires. Le dispositif ne respecterait pas les décisions du Conseil constitutionnel et encourrait de forts risques de censure »,
a prévenu Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ ») dans sa cette note intitulée « Revenir à une sanction administrative ? ».

Juge judiciaire incontournable
Le 25 novembre dernier, MIQ l’a clairement redit, en ajoutant qu’une telle amende automatique administrative – sans décision du juge judiciaire – serait « totalement contre-productif ». Surtout que, selon elle, la réponse graduée est déjà « une usine
à gaz » ! Publié en juillet dernier, le rapport sénatorial sur l’Hadopi a tout de même préconisé une amende administrative « notifiée par une commission des sanctions indépendante », en remplacement de l’actuelle sanction judiciaire, tout en maintenant au sein de l’Hadopi la réponse graduée. Reste à savoir si le chef de l’Etat, François Hollande, prendra le risque électoral – surtout à l’approche de la présidentielle de 2017 – de faire ce dont Nicolas Sarkozy a rêvé… Il n’en reste pas moins que, dans la lutte contre le piratage sur Internet, les amendes pénales infligeables au cas par cas – sous le contrôle du juge – ne manquent pas et elles peuvent être lourdes – surtout si elles sont assorties de dommages et intérêts. Bras armé de l’Hadopi, la CPD peut saisir le procureur de la République au titre de la contravention dite de 5e classe pour
« négligence caractérisée » dans la surveillance d’un accès à Internet. Alors que la loi
« Hadopi » de 2009 limite l’action de la CPD aux réseaux peer-to-peer (le streaming et le téléchargement direct étant en dehors de ses compétences), la sanction maximale encourue est une amende de 1.500 euros pour un particulier ou 7.500 euros s’il s’agit d’une personne morale (entreprise, organisation, association, …). Dans les faits, les peines d’amende prononcées à l’encontre des internautes reconnus coupables de piraterie se situent entre 50 euros et 1.000 euros, assorties ou non de sursis (5). Or,
sur près de 100 millions de saisines de la CPD par les organisations des ayants droits de la musique (Sacem/SDRM, SCPP, SPPF) et du cinéma ou de l’audiovisuel (Alpa) depuis le coup d’envoi en septembre 2010 de la réponse graduée, l’Hadopi n’a en fin de compte envoyé en cinq ans et au 30 juin dernier qu’à peine 5 millions d’emails
de premier avertissement, lesquels ont été suivis de moins de 500.000 envois de deuxième avertissement par lettre remise contre signature (7). In fine, l’Hadopi a indiqué qu’elle avait transmis à la justice un total de 365 dossiers de pirates récidivistes depuis le tout premier d’entre eux établi en mars 2012 (dont 245 dossiers transmis rien que sur ces douze derniers mois, confirmant une accélération). « Ce n’est qu’en 2015, que la CPD est parvenue à traiter la moitié des saisines qu’elle reçoit chaque jour,
avec l’objectif de parvenir à toutes les traiter à moyen terme. Pour y parvenir, l’Hadopi
a besoin de moyens supplémentaires », nous a expliqué MIQ.

Reste à savoir ce que les procureurs de la République – moins d’une centaine d’entre eux ont été saisis par la CPD depuis le début – font de ces dossiers judiciaires : comment peut-on comprendre que l’Hadopi ne soit « pas toujours tenue informée »
des suites judiciaires données par ces procureurs ? A ce jour, seulement 51 décisions de justice ont été portées à la connaissance de la CPD en cinq ans – et encore, la moitié l’ayant été au cours de l’année écoulée… Pourtant, la CPD est censée être représentée lors des audiences des auteurs de faits incriminés. Mais en réalité, elle
n’a effectivement été présente que 27 fois depuis la toute première audience devant
un tribunal de police en 2013.

Réponse graduée et contrefaçon
De leur côté, les ayants droits de la musique ou du cinéma ont la possibilité d’intenter une action en justice fondée sur le délit de contrefaçon – puni cette fois de trois ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende, voire de cinq ans de prison et 500.000 euros d’amende en cas de délit ou de blanchiment en bande organisée – et de demander des dommages et intérêts pouvant atteindre plusieurs millions d’euros. Bref, les sanctions pécuniaires – amendes ou dommages et intérêts – ne font pas défaut dans l’arsenal judiciaire français. Mais les ayants droits ne sont toujours pas contents… @

Charles de Laubier

ZOOM

Mireille Imbert-Quaretta ne peut succéder à Marie-Françoise Marais à la tête de l’Hadopi
Edition Multimédi@ a demandé à Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ ») si la rumeur la faisant briguer la présidence de l’Hadopi pour succéder à Marie-Françoise Marais, dont le mandat arrive comme le sien à échéance le 23 décembre prochain, était fondée.
« Je ne comprends pas cette rumeur. A la lecture de l’article L. 331-16 du code de
la propriété intellectuelle, le Premier président de la Cour de cassation ne peut
nommer qu’un membre en activité de la Cour de cassation, fonctions que je n’ai jamais exercées », nous a-t-elle répondu. Magistrate et conseillère d’Etat (68 ans), « MIQ »
fut notamment directrice adjointe du cabinet d’Elisabeth Guigou au ministère de la Justice (1997-2000). Elle vient tout juste d’être nommée – par arrêté du 27 novembre
– « personnalité qualifiée, chargée du contrôle de la plateforme nationale des interceptions judiciaires ». « Je n’avais pas envisagé cette dernière activité (PNIJ)
pour laquelle je n’ai été sollicitée que très récemment »,nous a-t-elle confié. @

La France, le Canada et la Belgique proposent d’adapter au numérique la Convention de l’Unesco de 2005

En fait. Le 20 octobre, la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles fête ses 10 ans. Selon les informations de Edition Multimédi@, la France, le Canada et la Belgique proposent une « directive opérationnelle transversale » sur le numérique.

En clair. Ce n’est pas plusieurs « directives opérationnelles » sur le numérique que proposent la France et le Canada, rejoints par la Belgique, mais une seule « directive opérationnelle transversale » pour « une mise en oeuvre de la convention relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique ». Edition Multimédi@ s’est procuré – et met en ligne – le projet de texte porté pour l’instant par ces trois pays qui l’ont approuvé avant le 10 octobre dernier, en vue de le présenter au Comité intergouvernemental de l’Unesco qui se réunira du 14 au 16 décembre prochain. Mais c’est seulement en… juin 2017 que cette directive opérationnelle transversale sur le numérique sera soumise pour adoption à la Conférence des parties. Le rythme de l’Unesco n’est décidément pas celui de la révolution numérique !

Pourquoi Deezer s’en remet à la Bourse de Paris pour faire le poids face à Spotify et Apple

Fondé en août 2007 par Daniel Marhely et Jonathan Benassaya, Deezer est devenu en huit ans une plateforme de streaming musical avec 6,3 millions d’abonnés, dont la moitié en France. La domination de Spotify et l’arrivée d’Apple Music poussent en Bourse l’entreprise française, non rentable mais cofinancée par le milliardaire russo-britannique Leonard Blavatnik.

Leonard BlabatnikLe premier actionnaire de Deezer n’est autre que le milliardaire russo-britannique Leonard Blavatnik (photo), la plus grosse fortune de Grande-Bretagne avec un patrimoine estimé à 18 milliards d’euros.
Né à Odessa en Ukraine et ressortissant des États-Unis, il détient à ce jour – via sa holding personnelle Access Industries – 26,9 % du capital dilué (36,7 % avant dilution) de la société française Odyssey Music Group qui s’est rebaptisée Deezer le 4 septembre dernier pour prendre le nom de sa célèbre plateforme musicale éditée jusqu’alors par sa filiale Blogmusik.
C’est dans cette dernière que les majors mondiales de la musique détenaient chacune des bons de souscription d’action (BSA) ou warrants, qui leur donnaient accès à des actions de son capital. En faisant jouer leur option dans la perspective de l’introduction en Bourse prévue à la fin de cette année, Universal Music, EMI (racheté fin 2011 par la précédente), Sony Music, Warner Music et détiennent à elles quatre plus de 20 % du capital dilué de Deezer, avec pour l’instant respectivement (1) : 5,88 %, 1,89 %, 3,79 % et 3,79 %.

Majors et Orange : risques de conflits d’intérêt
Les quatre majors qui ne font plus que trois constituent donc ensemble le deuxième actionnaire de future entreprise cotée, derrière l’investisseur Leonard Blavatnik, mais devant Orange et ses 10,6 % (14,5 % avant dilution). Les trois labels mondiaux représentent environ 13 % du catalogue musical de Deezer qui compte plus de 35 millions de titres au total, « mais approximativement 67 % des contenus streamés sur sa plateforme ».
Son offre est donc largement dépendante des musiques fournies sous licence par les trois majors, qui ont en plus un intérêt capitalistique direct à ce que cela rapporte. D’autant que Deezer, comme les autres plateformes musicales, doit leur payer à l’avance des « minimums garantis » (MG), lesquels peuvent s’avérer plus élevés que les revenus de la plateforme.
A noter que la holding du milliardaire et philanthrope d’origine soviétique, Access Industries, détient Warner Music depuis 2011 après avoir acquis la major américaine pour plus de 3milliards de dollars. Pour prévenir tout conflit d’intérêt, Guillaume d’Hauteville – vice-président d’Access Industries et directeur chez Deezer depuis 2012 – s’est engagé à ne pas obtenir les détails des accords commerciaux avec les autres majors.
De même, Pierre Louette – directeur général adjoint d’Orange et directeur chez Deezer depuis 2015 – est tenu lui aussi de ne pas avoir connaissance des contrats passés avec d’autres opérateurs télécoms (2).
Parmi les actionnaires suivants, l’on retrouve notamment DC Music (9,5 %) des frères Rosenblum (fondateurs de Pixmania), Idinvest Partners (9,45 %) soutenu par les groupes Allianz et Lagardère, ou encore Xavier Niel (3,6 %). Malgré une levée de fonds de quelque 70 millions d’euros en 2012, Deezer n’a pas pu se lancer de façon indépendante à la nécessaire conquête des Etats-Unis où était déjà implanté son concurrent suédois Spotify. Plus généralement, la plateforme française n’a pas eu
les reins assez solides financièrement pour assurer son expansion internationale.
A la demande des majors actionnaires, Deezer a dû rapidement développer les abonnements – 6,3 millions à ce jour (3) – au détriment de la gratuité financée par la publicité qui ne rapportait pas assez. C’est en août 2010 que le partenariat est noué avec Orange pour proposer un bundle entre ses forfaits fixe ou mobile, accord qui a
été l’année suivante étendu au Royaume-Uni. D’autres partenariats avec d’autres opérateurs télécoms ont suivi, en Belgique, Autriche, Pays- Bas, Hongrie, Pologne, Serbie, Amérique du Sud, Afrique, Moyen-Orient et Asie. Sans parler des offres faites avec des fabricants d’appareils high-tech grand public tels que Sonos, Bose, Bang & Olufsen, Devialet, Philips, LG, Panasonic, Parrot, Sony, Samsung, Toshiba, voire avec des constructeurs automobiles comme BMW et Audi.

Moins dépendant d’Orange
En raison de ce déploiement en dehors de France, le chiffre d’affaires généré par Orange a décru en proportion : de 56 % du total des revenus en 2012 à moins de 25 % actuellement. Mais la France pèse encore plus de la moitié des revenus de Deezer (52,3 % des 141,9 millions d’euros de 2014), suivie par le reste de l’Europe (28,7 %), l’Amérique Latine (15,1 %) et de manière anecdotique les Etats-Unis (0,2 %). Et la plateforme musicale n’a jamais généré de bénéfices. Ses pertes nettes se succèdent
et se ressemblent d’une année sur l’autre : 27,1 millions d’euros en 2014, 22 millions
en 2013 ou encore 28,8 millions en 2012. Toutes proportions gardées, Spotify ne fait guerre mieux. @

Charles de Laubier