Musique en ligne : le français Qobuz fête ses 10 ans en 2018 et part à la conquête des Etats-Unis

C’est au CES de Las Vegas, grand-messe internationale de la high-tech, que la plateforme française de musique en ligne Qobuz a annoncé son lancement prévu mi-2018 aux Etats-Unis. Propriété de la société Xandrie fondée par Denis Thébaud, Qobuz joue la qualité face à Spotify, Apple Music, Tidal, Amazon Music ou encore Deezer.

Par Charles de Laubier

Le marché américain a dépassé l’an dernier les 30 millions d’abonnements payants aux plateformes de musique en streaming telles que Spotify, Tidal, Apple Music ou encore Deezer, selon la Recording Industry Association of America (RIAA). Le « Snep » (1) américain, qui représente – entre autres « maisons de disques » aux Etats-Unis – les majors de la musique enregistrée (Universal Music, Sony Music, Warner Music), confirme aussi que le streaming représente désormais la première source de revenu (plus de 60 %) de la musique en ligne outre-Atlantique, loin devant le téléchargement (moins de 20 %), tandis que les supports physiques comme les CD poursuivent leur déclin (à peine plus de 15 %). Rien qu’au premier semestre 2017, le streaming musical a généré sur les plateformes aux Etats-Unis 2,5 milliards de dollars – un record qui en appellera d’autres.

Qobuz à l’assaut d’un marché de 5 milliards de dollars
D’autant que sur l’ensemble de l’an dernier, la barre des 5 milliards aurait été allègrement franchie par rapport aux 3,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires réalisés par ces mêmes plateformes en 2016. La musique en streaming contribue donc, pour plus de la moitié des revenus de la musique enregistrée, à faire des Etats-Unis le premier marché au monde, d’après la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI).
Comme son compatriote Deezer, la plateforme française Qobuz se lance à son tour aux Etats-Unis qui fait ainsi figure de nouvel eldorado de la musique en ligne. « Nous créons à New York une filiale détenue à 100 % par Xandrie », indique Denis Thébaud (photo), son président, à Edition Multimédi@. Fondateur de la société française Xandrie, il a racheté il y a deux ans (en décembre 2015) le fonds de commerce de Qobuz qui se trouvait en grande difficulté financière. Denis Thébaud est par ailleurs président du distributeur spécialiste des logiciels de loisirs Innelec Multimédia et de l’éditeur de jeux vidéo Focus Home Interactive (deux sociétés cotées en Bourse). Après s’être étendu en Europe dans onze pays à ce jour, tout en étant membre de Digital Music Europe (2), la plus petite plateforme française de musique en ligne affiche une encore plus grande ambition : aller concurrencer outre-Atlantique le suédois Spotify, numéro un mondial de la musique en ligne avec ses 70 millions d’abonnés payants (3), et les américains Apple Music, Tidal (de Jay-Z) et Amazon Music ainsi que plus de soixantedix autres plateformes musicales actives.

ARPU élevé grâce aux qualités CD et Hi-Res
C’est son plus grand défi depuis sa création il y a dix ans. Service de musique en ligne conçu en 2007 par Yves Riesel, alors dirigeant fondateur du label Abeille Musique et de Lyra Media Group (deux entités aujourd’hui disparues), Qobuz devient véritablement actif en 2008. Dix ans après, les Américains vont bientôt pouvoir trouver Qobuz sur le site web de référence Whymusicmatters.com développé par RIAA et la Music Business Association (Music Biz). Le lancement de la plateforme Qobuz.com aux Etats-Unis interviendra entre le printemps et l’été prochains. « Mi-2018 », indique Denis Thébaud, qui la présente aux Américains en étant exposant au CES à Las Vegas (10-12 janvier). Ce sera l’occasion de lancer une nouvelle version du site web, maintenant que les applications iOS et Android ont été refaites. « Les évolutions à venir de Qobuz.com
en feront un subtil mélange entre notre ADN musicale et une ouverture à tous les contenus musicaux d’Amérique du Nord, avec des progrès sur la découverte musicale et la bibliothèque individuelle de nos clients. Nous proposerons le streaming et le téléchargement définitif avec une qualité sonore digne de l’enregistrement en studio », nous explique Denis Thébaud.
Qobuz était pour la première fois présent au Consumer Electronics Show dans le pavillon « Hi-Res » du Digital Entertainment Group (DEG) dont il est membre aux côtés des grands groupes de médias et de divertissement américains. Car le nouvel entrant français sur le marché américain de la musique en ligne entend se différencier par la qualité sonore bien meilleure que le médiocre MP3 et la plupart des services de streaming dont les formats de compression standards provoquent des pertes. « Qobuz est le service de musique de streaming à la plus haute résolution au monde. Il offre toujours ses contenus dans une qualité supérieure à la plupart des autres plateformes, à tout le moins dans le format open source Flac en 16 Bit/44,1 Khz, semblable à la qualité CD », explique le PDG de Xandrie audio (16 Bit/44,1 Khz), mais aussi sur son
1 million de titres enregistrés en qualité « studio » sans perte dite Hi-Res (24-Bit/44,1 à 192 Khz) pour « haute résolution ». Qobuz a été le premier service de musique en ligne européen à être certifié « Hi-Res Audio », le label de haute qualité sonore Hi-Resolution Audio (HRA) décerné par la prestigieuse Japan Audio Society (JAS), association nippone des fabricants de matériel audio. Si Qobuz a été le pionnier du Hi-Res en Europe, ce ne sera pas le cas outre-Atlantique où l’on compte pas moins d’une demi-douzaine de plateformes musicales déjà estampillées « Hi-Res Music » : Acoustic Sounds Super Hirez, Pro Studio Masters, Pono, Presto Classical, Onkyo Music et HDtracks. Mais le « frenchie » Qobuz a une longueur d’avance au regard de la richesse de son catalogue. A noter que le logo officiel « Hi-Res Music » qu’affichera aussi Qobuz a été créé par la RIAA en 2015 pour le téléchargement de musiques et l’année suivante pour le streaming. Venant en complément du label japonais « Hi-Res Audio » (4), cette garantie de haute qualité sonore a été approuvée par le DEG au sein duquel Qobuz participe à la commission « Hi-Res », mais aussi par la Consumer Electronics Association (CEA) qui organise la grand-messe du CES à Las Vegas, ainsi que par la puissante Recording Academy Producers & Engineers Wing (P&E Wing) qui organise les fameux Grammy Awards (60e édition fin janvier).
Grâce à l’engouement des mélomanes soucieux d’obtenir une haute résolution sonore de leurs musiques, Qobuz table plus sur un revenu moyen mensuel par abonné sur le streaming de qualité (de 19,99 euros par mois à 349,99 euros par an) que sur le simple forfait de musique illimitée en streaming MP3 à 9,9 euros par mois. « L’ARPU (5)
de nos clients exigeants est plus élevé sur Qobuz que sur d’autres plateformes musicales », assure Denis Thébaud. En novembre dernier, sans dévoiler le nombre de ses abonnés, il avait indiqué à l’AFP que cet ARPU était de 178 euros par mois et que la part de marché de Qobuz était de 2,7 % en France où, selon le Snep, l’on comptait l’an dernier 3,9 millions d’abonnés à un service de streaming musical.

Après la mise en sommeil d’Allbrary
La société non cotée Xandrie a réalisé en 2016/2017 (exercice clos au 31 mars) un chiffre d’affaires de 9,1 millions d’euros, mais elle a accusé une perte nette de 6 millions d’euros « compte tenu notamment de charges exceptionnelles de 1,7 millions d’euro lié à la mise en sommeil de l’activité Allbrary » (6) (*) (**) (***) (****), sa bibliothèque en ligne multiculturelle lancée en 2015. Une augmentation de capital de Xandrie à hauteur de 4,1 millions a été réalisée en novembre 2016 pour financer son développement autour de Qobuz. @

Charles de Laubier

Universal Music pèse plus de 70 % de la valorisation de sa maison mère Vivendi : la Bourse en vue

Que vaudrait Vivendi sans Universal Music ? Le numéro un mondial des producteurs de musique dirigé par Lucian Grainge, atteint une valorisation de 23,5 milliards de dollars et compte pour plus des deux-tiers de la capitalisation boursière de sa maison mère. La mise en Bourse d’une partie de son capital est à l’étude pour 2018.

Par Charles de Laubier

Universal Music est maintenant valorisé 23,5 milliards de dollars, contre environ 20 milliards auparavant. Et ce, depuis que Goldman Sachs a publié fin août un rapport « Music in the air » qui revalorise la première major mondiale de la musique enregistrée – devant Sony Music et Warner Music. La banque d’investissement américaine justifie cette augmentation après avoir révisé à la hausse ses prévisions sur le marché global de la musique en ligne : le chiffre d’affaires mondial du streaming devrait bondir, selon elle, de 3 milliards de dollars en 2016 à… 28 milliards de dollars d’ici 2030, lesquels revenus seront alors générés en grande partie par 847 millions d’abonnés aux plateformes de musique en ligne (Spotify, Apple Music, Deezer, Amazon Music, …).
La major Universal Music, dont le PDG depuis 2011 est Lucian Grainge (photo), devance ainsi de 15 % la valorisation de la seconde major, Sony Music estimée à
20,1 milliards de dollars, mais surtout la plus grosse filiale du groupe français Vivendi pèse à elle seule plus de 72 % de la valorisation boursière globale de sa maison mère !

Première filiale et moitié des revenus de Vivendi
En effet, si l’on compare en euros à la date du 15 septembre, Vivendi était valorisé à la Bourse de Paris d’à peine plus de 27 milliards d’euros et sa pépite musicale aux labels prestigieux (Polydor, Capitol, Motown, Deutsche Grammophon, Blue Note, Island Records, …) de l’équivalent de 19,7 milliards d’euros. Vivendi considère depuis longtemps que sa propre capitalisation boursière est sous-évaluée au regard de la valeur de ses actifs, à commencer par sa « pépite » Universal Music qui détient 34 % de part de marché au niveau mondial sur la musique enregistrée (supports physiques ou numériques) et qui a repris le chemin de la croissance grâce au streaming et à ses abonnements.
C’est pour remédier à cette sous-évaluation que le groupe français songe à introduire en Bourse sa première filiale – première en chiffre d’affaires : 5,267 milliards d’euros
en 2016, soit presque la moitié des revenus de Vivendi ! Dépassant ainsi les 5,253 milliards d’euros de chiffre d’affaires de Canal+, Universal Music est aussi la première filiale en résultat opérationnel à 687 millions d’euros, contre 303 seulement pour Canal+.

Grainge, PDG « au moins jusqu’en 2020 »
Le président du conseil de surveillance de Vivendi, Vincent Bolloré, a confirmé le
1er juin dernier, lors de l’assemblée générale du groupe Bolloré (lequel contrôle de
fait Vivendi), qu’il étudiait une introduction en Bourse de la supermaison de disque :
« La tentation existe ; on l’étudie pour montrer la valeur d’Universal [Music] et des actifs de Vivendi. On verra bien le moment venu ; on choisira le moment le plus opportun ». Et le milliardaire breton avait ajouté ironique : « La question d’une introduction en Bourse c’est de savoir à quel moment c’est le mieux. C’est comme les soufflés au fromage, il faut les sortir au bon moment ! ». Depuis, le projet semble s’accélérer. L’agence Bloomberg a fait état début août de rencontres entre des conseillers financiers et Vivendi qui serait prêt à vendre 10 % à 20 % du capital de la major à l’occasion d’une introduction en Bourse envisagée pour 2018. Déjà, le 22 mai dernier, dans une interview au Wall Street Journal, le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine, n’avait pas exclu qu’une part minoritaire du capital d’Universal Music puisse être mise sur le marché. « Ce n’est pas une vache sacrée », avait-il lancé. Lors de l’assemblée générale de Vivendi fin avril, il avait été aussi question d’une possible introduction en Bourse d’« Universal ». A l’époque, des analystes financiers tablaient même sur la vente d’une part du capital pouvant aller jusqu’à 49 %.
Outre le fait que cette opération permettrait à la maison mère d’Universal Music d’espérer mieux valoriser les deux groupes, cela limiterait aussi l’endettement – déjà
à 5,6 milliards d’euros fin 2016 – de Vivendi qui est en train d’acquérir l’agence de publicité Havas (1). Vivendi est sollicité de longue date par des banques pour céder ou mettre en Bourse sa pépite Universal Music, allant jusqu’à décliner une offre de rachat faite en 2015 pour un montant jugé alors insuffisant de 13,5 milliards d’euros. D’après l’agence Reuters, la marque d’intérêt venait de Liberty Media, le groupe du milliardaire américain John Malone. Selon le Financial Times, une première offre sur Universal Music avait été faite en 2013 par le groupe japonais SoftBank qui avait proposé – en vain – 6,5 milliards d’euros. Il y a deux ans, le fonds américain Psam (2) – très critique sur « le flou » de la stratégie de Vivendi (3) – avait demandé à ce que la filiale Universal Music soit séparée de sa maison mère pour mieux la valoriser. Vincent Bolloré avait assuré au printemps dernier qu’il ne comptait pas vendre son joyau. D’autant que les revenus du streaming ont transformé sa filiale musicale en vache à lait (4) du groupe, au moment où l’autre filiale Canal+ est à la peine. Outre le fait d’être actionnaire minoritaire – à l’instar des autres majors – de Spotify (5) et de Deezer pour mieux faire pression sur eux (6), Universal Music dispose d’accords avec plus de 400 plateformes de streaming (Apple Music, Pandora, iHeartMedia, …). Y compris avec Amazon Music qui vient d’être lancé en France ce mois-ci. La major de Vivendi, qui s’est en outre associé à Sony Music pour lancer un service de streaming low cost en Grande-Bretagne, se félicite de voir que les trois artistes les plus « streamés » en 2016 sont tous des talents du groupe : Drake, Rihanna et Justin Bieber. Près de 60 % de ses ventes sont réalisées par les répertoires locaux dans leur pays, comme par exemple les Beatles au Royaume-Uni ou Serge Gainsbourg en France.
Autant dire que Sir Lucian Charles Grainge (57 ans) va terminer en beauté son mandat de PDG d’Universal Music, qui a débuté en 2011. Ce Britannique – nommé en novembre 2016 « Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique » par la reine Élisabeth II et désigné au dernier Cannes Lions en mars « Personnalité média de l’année 2017 » – chapeaute les trois activités : musique enregistrée d’Universal
Music Group (UMG), édition musicale de Universal Music Publishing (UMPG) et merchandising de Bravado. Pour « accélérer la monétisation de la musique dans
le numérique, élargir la diffusion de ses contenus audio et vidéo en multipliant les partenariats avec des plateformes, et renforcer ses relations stratégiques avec les marques et les sponsors », Vivendi avait annoncé en juillet 2015 le prolongement
« au moins jusqu’en 2020 » des fonctions de Lucian Grainge. Pas question de s’endormir sur ses lauriers : « UMG tire aussi parti, avec l’aide de Vivendi, des nouvelles opportunités sur les marchés émergents (Chine, Russie, Brésil, Afrique). Dans certains de ces pays, l’évolution de la législation sur la protection du droit
d’auteur permet au groupe d’améliorer la monétisation de sa bibliothèque de contenus musicaux », est-il expliqué dans le dernier rapport d’activité.

Dailymotion, Initial et SpinnUp
Vivendi pousse aussi sa filiale musicale à se développer dans le live grâce à ses salles de spectacle et à ses partenariats avec les festivals. Et Universal Music va plus que jamais contribuer à alimenter en clips vidéo Dailymotion (7). Par ailleurs, pour la promotion de nouveaux talents, la major a lancé en septembre dernier une plateforme de découverte de jeunes artistes baptisée Initial Artist Services, ainsi que le site web SpinnUp (8) pour l’autoproduction et l’autodistribution de musiciens sur Spotify, Deezer ou iTunes. Car pas question pour la première maison de disque de se faire « ubériser ». @

Charles de Laubier

Malgré ses pertes financières chroniques, Spotify vise une entrée en Bourse d’ici le début 2018

La société suédoise Spotify, devenue numéro un mondial de la musique en ligne, veut réussir d’ici un an à lever suffisamment d’argent en Bourse pour assurer son avenir. Car, pour l’heure, les pertes financières se creusent malgré un chiffre d’affaires qui franchira cette année les 3 milliards d’euros.

Le numéro un mondial du streaming musical a revendiqué mi-juin 140 millions d’utilisateurs actifs chaque mois, dont près de 50 millions d’abonnés payants, mais continue de perdre de l’argent : 349 millions d’euros en 2016, en hausse de 47 % sur un an, d’après les données financières publiées par sa holding Spotify Technology SA basée au Luxembourg. Quant au chiffre d’affaires, il a progressé de plus de 50 % à 2,93 milliards d’euros.

Introduction en Bourse pour ses 10 ans
La société suédoise espère signer avec les majors de la musique enregistrée Sony Music et Warner Music des accords de licence à l’échelle mondiale sur le long terme, comme elle l’a fait avec Universal Music (Vivendi) en avril dernier. Comme les majors sont actionnaires minoritaires de Spotify pour quelques pourcentages chacun (1),
en échange de la mise à disposition de leur catalogue, cela ne devrait pas poser de problème. En attendant, la plateforme de streaming a dans la foulée signé un nouvel accord avec un groupement de labels indépendants, la société néerlandaise Merlin Network (20.000 producteurs de musique), qui est considérée comme une « quatrième major potentielle » (dixit Spotify). Ces accords pluriannuels lui permettraient de trouver enfin le chemin de la rentabilité.
Ces accords de long terme seraient aussi le meilleur atout de Spotify pour rassurer les investisseurs dans la perspective de son introduction en Bourse, prévue à New York – sur le Nyse – d’ici le début de l’année 2018. Cette perspective boursière, que le cofondateur de Spotify Martin Lorentzon (photo de gauche) a tenté de démentir, a été confirmée à Reuters début juin. En fait, Martin Lorentzon s’était déjà opposé à une entrée en Bourse. Or, ce n’est plus lui qui dirige la plateforme de streaming musical depuis qu’il en a cédé les rênes de PDG à un autre cofondateur, Daniel Ek (photo de droite). N’est-ce pas pour mieux préparer son introduction en Bourse que l’entreprise
a renoncé en décembre dernier à acquérir – pour l’instant – la plateforme musicale allemande SoundCloud ? La dernière valorisation boursière de Spotify est estimée à
13 milliards de dollars – contre 8,5 milliards de dollars en 2015. Ce qui en fait une belle « licorne » mondiale, du surnom de ces sociétés non cotées mais valorisées au moins un milliard de dollars. Cependant, Spotify perd de l’argent depuis son lancement public en 2008 (le logiciel éponyme fut développé à partir de 2006). Si cette année 2017 marque le franchissement de la barre des 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires,
le numéro un mondial du streaming musical doit encore convaincre sur sa viabilité économique. La croissance des revenus de 2016 (+ 53 %) est certes moins élevée qu’en 2015 (+ 80 %), mais un peu plus forte qu’en 2014 (+ 45 %). Une cotation en Bourse permettait à Spotify de poursuivre son expansion internationale, en ajoutant
à sa soixantaine de marchés où il est déjà présent le Japon – considéré comme le second marché mondial pour l’écoute de la musique. Si Spotify se décide et réussit
à entrer en Bourse dans les prochains mois, ce sera la première plateforme musicale
à le faire après que Deezer ait renoncé à franchir le pas en octobre 2015 (2). Les plateformes de streaming musical gagnent en notoriété partout dans le monde, notamment en France auprès des utilisateurs, que cela soit Deezer (+ 2 points), Spotify (+ 5 points) et Apple Music (+ 7 points), d’après GfK dans son baromètre de début 2017 mis en place pour le Snep (3). Toujours sur l’Hexagone, Spotify s’arroge 24,5 % de parts de marché en 2016 dans le streaming musical audio et vidéo. Ce qui place la plateforme suédoise derrière le français Deezer et ses 38,8 % de parts de marché.

Vers de la musique sponsorisée à la « Payola »
En plus de ses revenus de publicité pour financer l’accès aux musiques gratuites, et surtout les abonnements qui montent en puissance à raison de plus de 30 % de ratio gratuit-payant, l’entreprise suédoise basée au Luxembourg a commencé à tester le
« pay per play ». Il s’agit de proposer aux producteurs de musique et différents labels de financer la diffusion de titres musicaux dans les playlists de Spotify. Ce « sponsored content » n’est pas proposé comme une publicité en tant que telle, mais comme un morceau avec les autres lors de la diffusion auprès des seuls utilisateurs du streaming gratuit. « Sponsored song » est une option fonctionnant sur le mode opt-out, selon
le site web TechCrunch. Pour la plateforme, et indirectement les ayants droits, les chansons sponsorisées permettraient d’engranger plus de recettes de la part des utilisateurs du gratuit qui rapportent habituellement moins que les abonnés payants. Cette pratique rappelle celle dite « Payola », qui est un système de paiement effectué par les maisons de disques à des stations de radio si elles veulent que leurs titres soient mieux exposés à l’antenne et donc dans les « Charts ». Décrié aux Etats- Unis dans les années 1950, la payola – néologisme créé à l’époque à partir de pay (payer) et le nom de l’un des premiers lecteurs de 33 tours, Victrola – est interdite, sauf à ce que la radio avertisse clairement le caractère sponsorisé du morceau de musique passant
à l’antenne. Avec les « Sponsored songs » de Spotify, les producteurs de musique enregistrée renouent avec cette pratique américaine qui ne fut pas exportée en Europe.

Il y a plus de dix ans, des majors ont été soupçonnées de contourner la législation en employant des promoteurs présentés comme indépendants : Sony BMG en juillet 2005, Warner Music en novembre 2005 et Universal Music en mai 2006 ont conclu un arrangement avec l’Etat de New York en payant respectivement 10, 5 et 12 millions de dollars d’amendes. Quatre des principales sociétés de radiodiffusion – Clear Channel Communications, CBS Radio, Entercom Communications et Citadel Broadcasting
– ont ensuite accepté de payer une amende de 12 millions de dollars. Avec le développement du streaming, des cas de payola ont été révélés par Billboard en 2015. Pour empêcher ce type de pratique, Spotify a modifié l’année suivante ses conditions générales d’utilisation afin d’interdire aux utilisateurs d’accepter toute rétribution pour influencer une playlist et/ou son contenu. Encore faut-il que les ayants droits de la filière musicale, préférant l’abonnement récurrent à la gratuité financée par la publicité, y trouvent leur compte. Spotify doit leur reverser des royalties qui grèvent sa rentabilité. Selon le Financial Times du 17 mars dernier, les majors ont accepté de baisser leurs royalties en échange pour Spotify de réserver des nouveaux albums à ses abonnés payants. L’accord pluriannuel avec Universal Music (labels EMI, Capitol, Virgin, Polydor, Geffen, etc.) prévoit notamment que les artistes du numéro un mondial de la musique enregistrée puissent réserver aux abonnés payants de Spotify leurs nouveaux albums pour une durée exclusive de deux semaines.
Afin d’arriver en Bourse dans les meilleures conditions et attirer les investisseurs, Spotify doit non seulement montrer patte blanche aux majors mais aussi convaincre des artistes tentés par le boycotte de la plateforme (4). C’est ainsi que la chanteuse américaine Taylor Swift a mis fin début juin à son boycotte qu’elle avait infligé à Spotify – notamment pour la sortie de son album « 1989 » – pour protester contre sa trop faible rémunération. Spotify, qui reverse quand même 70 % de son chiffre d’affaires aux ayants droits, a payé à ce jour plus de 5 milliards de dollars cumulés depuis sa création il y a neuf ans. Ce sont les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music qui
en profitent le plus, suivies des artistes eux-mêmes. Selon la Recording Industry Association of America (RIAA), le streaming a pour la première fois en 2016 généré
la majorité des revenus de l’industrie musicale américaine.
Pour faire bonne figure avant son introduction en Bourse, le groupe suédois a en outre accepté en mai dernier de créer un fonds de près de 43,5 millions de dollars pour mettre fin à une procédure judiciaires à son encontre. Une action collective (class action) avait en effet été lancée par deux artistes indépendants, Melissa Ferrick et David Lowery, des groupes Cracker et Camper Van Beethoven, qui accusaient la plateforme de streaming de diffuser des oeuvres sans autorisations. Un accord avait par ailleurs été conclu en 2016 avec la National Music Publishers Association (NMPA).

IA : acquisition de la start-up française Niland
En mai , Spotify a annoncé l’acquisition de Niland, une start-up française spécialisée dans l’optimisation de la recherche de musique en ligne et des recommandations boostées à l’intelligence artificielle « pour faire émerger le bon contenu pour le bon utilisateur au bon moment ». Niland va quitter Paris pour New York. Spotify avait déjà acquis en mars la start-up newyorkaise MightyTV, spécialisée dans la recommandation de programmes de télévisions. Spotify se voit déjà en « Netflix » de la musique, mais surtout table sur le ciblage publicitaire et la personnalisation du marketing. @

Charles de Laubier

La stratégie de Vivendi reste dans le flou artistique

En fait. Le 25 avril, lors de l’assemblée générale de Vivendi à L’Olympia, les actionnaires ont voté à 82 % des suffrages exprimés pour la reconduction pour quatre ans de Vincent Bolloré comme administrateur du conseil de surveillance du groupe qu’il préside depuis 2014. Mais pour quelle stratégie ?

En clair. La stratégie du conglomérat français Vivendi n’est finalement pas plus claire depuis que Vincent Bolloré (photo de gauche) a succédé, il y a près de trois ans, à Jean-René Fourtou à la présidence de son conseil de surveillance. Pourtant, l’homme d’affaire breton, devenu actionnaire de référence de Vivendi (20,6 % du capital et 29 % des droits de vote), a été renouvelé comme administrateur pour une durée de quatre années. Certes, le groupe coté du bas de la liste du CAC 40 s’est bien délesté de ses activités télécoms (SFR, Maroc Telecom et GVT) avec l’ambition de devenir « un groupe mondial, champion français des médias et des contenus ». Mais sa stratégie reste encore floue (1) en termes de développements en Europe (participations dans Telecom Italia, Mediaset, Telefonica) et d’acquisitions réalisées (Gameloft, Dailymotion, …) ou futures (Ubisoft, Havas, …).

Xandrie suspend Allbrary et se concentre sur Qobuz

En fait. Le 3 avril, le PDG de Xandrie, Denis Thébaud, a indiqué à Edition Multimédi@ qu’il mettait en stand-by sa bibliothèque multiculturelle Allbrary – lancée il y a deux ans – pour concentrer ses efforts au développement de la plateforme de musique en ligne Qobuz dont il a fait l’acquisition fin 2016.

En clair. Selon nos informations, Xandrie suspend sa plateforme multiculturelle Allbrary – lancée en mars 2015 avec l’ambition de proposer en ligne livres, jeux vidéo, logiciels, films ou encore créations – pour reporter tous ses efforts sur le développement en Europe du site web de musique en ligne Qobuz. Contacté, le PDG de Xandrie, Denis Thébaud, nous le confirme : « Allbrary est en pause effectivement ». Cette médiathèque en ligne, dont Edition Multimédi@ avait révélé dès décembre 2012 le projet (1), puis fin mars 2013 la version bêta (2), a demandé à Xandrie un investissement initial de plus de 8 millions d’euros. Mais le guichet unique des loisirs numériques, pourtant inédit en France, n’a pas vraiment trouvé son public. « En 2017 et sans doute en 2018, nous allons concentrer toutes nos ressources et énergie sur la marque Qobuz », confie Denis Thébaud, qui nous indique en outre envisager l’introduction en Bourse de la société Xandrie « en 2019 ou 2020 si nous le faisons ».