Les géants de l’Internet sont pris en étaux entre Margrethe Vestager et Lina Khan : le démantèlement ?

La Danoise Margrethe Vestager est vice-présidente exécutive de la Commission européenne, chargée de la concurrence ; L’Américaine Lina Khan est présidente de la Federal Trade Commission (FTC). Ces deux femmes de l' »antitrust », de part et d’autre de l’Atlantique, sont les bêtes noires des GAFAM.

Elles sont redoutées par les Big Tech en général et par les GAFAM en particulier. Les abus de positions dominantes de ces géants du numérique, devenus des conglomérats de l’Internet à force d’effets de réseaux et d’acquisitions de concurrents potentiels, sont plus que jamais dans leur collimateur. Margrethe Vestager (photo de gauche) et Lina Khan (photo de droite) – respectivement vice-présidente exécutive chargée depuis novembre 2014 de la politique de concurrence à la Commission européenne, et présidente depuis septembre 2021 de la Federal Trade Commission (FTC) – leur mènent la vie (numérique) dure. Derniers faits d’armes de ces deux autorités « antitrust » : la Danoise a annoncé le 14 juin que la Commission européenne venait d’adresser à Google des griefs l’accusant de pratiques abusives sur le marché de la publicité en ligne ; l’Américaine a demandé le 12 juin devant un tribunal fédéral de San Francisco de suspendre l’acquisition de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard par Microsoft, opération à laquelle s’oppose la FTC qui a fixé une audition le 2 août prochain. Vis-à-vis des très grands acteurs du numérique, les deux grandes gendarmes de la concurrence n’hésitent pas aussi à agiter le spectre du démantèlement, qui est au marché ce que l’arme nucléaire est à la guerre. La FTC et la Commission européenne ont en outre déjà sorti le carton rouge et infligé des amendes aux contrevenants.

Deux gendarmes antitrust face aux GAFAM
Le démantèlement, Margrethe Vestager l’a encore évoqué explicitement le 14 juin mais sans utiliser le terme : « La Commission européenne estime donc à titre préliminaire que seule la cession [divestment] obligatoire, par Google, d’une partie de ses services permettrait d’écarter ses préoccupations en matière de concurrence ». Dans cette affaire d’abus de position dominante de Google sur le marché de la publicité en ligne, où l’Autorité de la concurrence en France a fortement contribué à l’enquête européenne (1), il est reproché à la firme de Mountain View de « favoriser ses propres services de technologies d’affichage publicitaire en ligne au détriment de prestataires de services de technologie publicitaire, d’annonceurs et d’éditeurs en ligne concurrents ». Et ce, « depuis 2014 au moins ». Le numéro un des moteurs de recherche (avec Google Search), des plateformes de partage vidéo (avec YouTube) ou encore des systèmes d’exploitation pour mobile (avec Android) est accusé par la Commission européenne de favoriser son ad-exchange AdX (DoubleClick Ad Exchange), bourse d’annonces publicitaires qui permet aux éditeurs et aux annonceurs de se rencontrer en temps réel, généralement dans le cadre d’enchères, pour acheter et vendre des publicités d’affichage.

Scinder Google, Meta, Amazon ou Microsoft ?
Les deux outils de Google d’achat de publicités, que son « Google Ads » (ex-Google Adwords) et « Display & Video 360 » (DV360), ainsi que le serveur publicitaire des éditeurs « DoubleClick For Publishers » (DFP), favorisent tous les trois AdX. « Si [à l’issu de son enquête en cours, ndlr] la Commission européenne conclut que Google a agi de façon illégale, il pourrait exiger qu’elle se départisse [divest] d’une partie de ses services. Par exemple, Google pourrait se départir de ses outils de vente, DFP et AdX. Ainsi, nous mettrions fin aux conflits d’intérêts », a prévenu Margrethe Vestager (2). Ce n’est pas la première fois que l’Union européenne agite le spectre du démantèlement Google. Le 27 novembre 2014, il y a près de dix ans, les eurodéputés avait adopté une résolution non contraignante appelant à la scission de la filiale d’Alphabet afin de « séparer les moteurs de recherche des autres services commerciaux » pour préserver la concurrence dans ce domaine (3). En France, l’Arcep y était favorable (4). Rappelons qu’en moins d’un an (juin 2017-mars 2019), Google a écopé de trois sanctions financières infligées par la Commission européenne pour un total de 8,25 milliards d’euros pour « pratiques concurrentielles illégales » (5).
Aux Etats-Unis, pays des GAFAM, la question du démantèlement se pose depuis quelques années, bien avant l’arrivée de Lina Khan à la tête de la FTC qui n’écarte pas cette éventualité (6). Son prédécesseur, Joseph Simons, avait même fait le mea culpa de la FTC : « Nous avons fait une erreur », avait-il confessé dans un entretien à l’agence de presse Bloomberg (7) le 13 août 2019 en faisant référence à deux acquisitions de Facebook approuvées par la FTC : Instagram en 2012 pour 1 milliard de dollars et la messagerie instantanée WhatsApp en 2014 pour 19 milliards de dollars (sans parler d’Oculus VR racheté la même année pour 2 milliards de dollars). De son côté, Google obtenait le feu vert pour s’emparer de YouTube en 2006 pour 1,65 milliard de dollars, de DoubleClick en 2007 pour 3,1 milliards de dollars, et de l’application de navigation Waze en 2013 pour près de 1 milliard de dollars. « Ce n’est pas idéal parce que c’est très compliqué [de démanteler]. Mais s’il le faut, il faut le faire », avait estimé l’ancien président de la FTC. Sa successeure, Lina Khan, dont le mandat de trois s’achève en septembre 2024, est sur la même longueur d’ondes, elle qui a forgé tout sa doctrine anti-monopole sur le cas d’Amazon. N’a-t-elle pas publié en 2017 dans le Yale Law Journal un article intitulé « Paradoxe anti-monopole d’Amazon » (8) ? Avant de prendre la présidence de la FTC, elle avait travaillé à la sous-commission antitrust à la Chambre des représentants des EtatsUnis. Cette « subcommittee on antitrust » bipartisane avait publié en octobre un rapport de 451 pages intitulé « Investigation of competition in the Digital markets » (9) recommandant au Congrès américain de légiférer pour casser les monopoles numériques – quitte à en passer par leur « séparation structurelle » ou spin-off (10). En janvier dernier, le département de la Justice américain (DoJ) a entamé des poursuites antitrust contre Google sur le terrain de la publicité en ligne (11). Bien sûr, la filiale d’Alphabet n’est pas le seul géant du Net à faire l’objet de contentieux avec la Commission européenne et la FTC. Apple est aussi dans le collimateur de Margrethe Vestager, notamment sur les pratiques de la pomme sur son App Store à la suite d’une plainte de du géant de la musique en streaming Spotify qui s’estime victime d’une concurrence déloyale au profit d’Apple Music. La Commission européenne a ajusté le 28 février dernier ses griefs (12). L’an dernier, elle avait ouvert une autre enquête portant cette fois sur Apple Pay pour « abus de position dominante » sur le paiement mobile et le paiement sans contact (NFC) à partir des terminaux iOS (13).
De son côté, le groupe Meta Platforms – maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp – s’est vu infliger le 12 mai 2023, pour infraction au règlement général sur la protection des données (RGPD), une amende record de 1,2 milliard de la part de la « Cnil » irlandaise (DPC) qui agissait au nom de la Commission européenne (14). Amazon, lui, l’a échappé belle en trouvant un accord en décembre 2022 avec Margrethe Vestager pour clore deux enquêtes. Le géant du e-commerce avait jusqu’à ce mois de juin 2023 pour se mettre en règle (15). Plus globalement, la Commission européenne a publié la liste des 19 « très grandes plateformes » (VLOP), qui, en Europe (16), seront soumises aux obligations renforcées du Digital Services Act (DSA). Les « contrôleurs d’accès » (gatekeepers) de type GAFAM ont, eux, jusqu’au 3 juillet prochain pour se déclarer auprès de la Commission européenne, laquelle les désignera d’ici le 6 septembre pour qu’ils se mettent en conformité avec Digital Markets Act (DMA) avant le 6 mars 2024.

Aux Etats-Unis, des acquisitions contestées
De l’autre côté de l’Atlantique, Lina Khan s’oppose aux projets de rachat d’Activision Blizzard par Microsoft (la FTC ayant saisi la justice pour bloquer l’opération), et de Within (contenu de réalité virtuelle) par Meta/Facebook. Elle a mis sous surveillance Amazon sur plusieurs fronts, infligeant notamment le 31 mai une amende au géant du ecommerce pour atteinte à la vie privé avec Alexa et Ring. Concernant le rachat des studios de cinéma MGM par Amazon, la FTC était divisée et n’a donc pas empêché cette opération au grand dam de Lina Khan. Apple est aussi accusé d’empêcher la réparation de ses iPhone. Ce que l’on sait moins, c’est que Margrethe Vestager et Lina Khan coopèrent étroitement sur de nombreux dossiers antitrust. @

Charles de Laubier

Sous pression de ChatGPT et frénétiquement, Google multiplie les produits d’intelligence artificielle

L’édition 2023 de la conférence des développeurs Google I/O, qui s’est tenue le 10 mai, a montré pour la première fois de l’histoire de la filiale d’Alphabet, créée il y a 25 ans, que l’IA est désormais devenue sa priorité numéro une. L’enjeu est de taille : ne pas se faire « ChatGPTéiser ».

Le 2 juin à l’assemblée générale annuelle des actionnaires d’Alphabet, la maison mère de Google, l’intelligence artificielle (IA) sera dans toutes les têtes. Ce rendez-vous entièrement virtualisé (1) devrait entériner la nouvelle stratégie de Google plus que jamais tournée vers l’IA. Le temps presse car la firme de Mountain View (Californie) ne mène plus la danse sur le Web, depuis que la start-up OpenAI a lancé fin novembre 2022 son IA générative ChatGPT, allant même jusqu’à déstabiliser le numéro un des moteurs de recherche.

Alphabet met de l’IA à tous les étages
Pour la première fois depuis sa création il y a 25 ans par Larry Page et Sergey Brin, « Google Search » se sent menacé. Audelà de sa réplique à ChatGPT avec sa propre IA générative, Bard, le groupe Alphabet dirigé par Sundar Pichai met les bouchées doubles dans l’IA. Jamais la conférence des développeurs Google I/O (2), dont c’était la 15e édition annuelle depuis son lancement en 2008 (en tenant compte de son annulation en 2020 pour cause de pandémie), n’a été autant tournée vers l’intelligence artificielle. Le système d’exploitation mobile Android, les smartphones Pixel et autres outils de l’écosystème Google sont passés au second plan (3).
L’année 2023 est une étape historique pour la filiale d’Alphabet qui a entrepris de généraliser l’IA partout où cela peut être utile. « L’IA est déjà dans de nombreux produits des millions (et dans certains cas des milliards) de personnes utilisent déjà comme Google Maps, Google Translate, Google Lens et plus encore. Et maintenant, nous apportons l’intelligence artificielle pour aider les gens à s’enflammer et à faire preuve de créativité avec Bard, à augmenter leur productivité avec les outils Workspace et à révolutionner la façon dont ils accèdent aux connaissances avec Search Generative Experience », a expliqué James Manyika (photo), vice-président chez Alphabet et Google, en charge des technologies et de la société ainsi que de Google Research et de Google Labs. L’IA s’est invitée dans la plupart des annonces faites aux développeurs « I/O », comme l’illustre un compte-rendu mis en ligne (4).
Quant au chatbot intelligent Bard, qui fut lancé dans la précipitation le 6 février dernier d’abord auprès d’happy few testeurs pour engager un bras de fer avec ChatGPT cornaqué par Microsoft (5), il est appelé à évoluer pour tenter de s’imposer. « Plus tard cette année, Data Commons – un système qui organise des données provenant de centaines de sources pour éclairer les approches des grands défis sociétaux, de la durabilité aux soins de santé, en passant par l’emploi et l’économie dans de nombreux pays – sera accessible par l’intermédiaire de Bard, ce qui le rendra encore plus utile », a aussi annoncé James Manyika. Au-delà de Bard, l’IA sera mise à contribution par Alphabet pour faire face aux changements climatiques et réduire les émissions de carbone, pour améliorer les soins de santé, y compris les soins maternels, les traitements contre le cancer et le dépistage de la tuberculose. « Nous avons récemment annoncé un nouveau grand modèle linguistique qui pourrait être un outil utile pour les cliniciens : Med-PaLM », cite en exemple Google.
L’IA va aussi de plus en plus aider les scientifiques dans de nombreux domaines, comme la physique, la science des matériaux et la santé, à l’instar du programme AlphaFold de Google DeepMind pour prédire avec précision la forme 3D de 200 millions de protéines (macronutriments essentiels au bon fonctionnement de l’organisme). L’IA va contribuer également à rendre l’information mondiale encore plus accessible à tous et permettre à chacun d’évaluer l’information en ligne et de détecter la mésinformation. « Dans les prochains mois, a indiqué James Manyika, nous allons ajouter un nouvel outil, “About this image” (6) dans Google Search, qui fournira un contexte utile, comme le moment et l’endroit où des images similaires peuvent être apparues pour la première fois et où elles ont été vues en ligne, y compris les actualités, la vérification des faits et les sites sociaux. Plus tard cette année, cet outil sera disponible dans Chrome et Google Lens ». L’IA est aussi au cœur d’Universal Translator, un nouveau service expérimental du géant du Net. Il s’agit d’un outil intelligent de doublage vidéo qui traduit la voix d’un orateur et fait correspondre ses mouvements de lèvres.

Concevoir les IA avec des garde-fous
Selon Google, Universal Translator présente un énorme potentiel pour accroître la compréhension de l’apprentissage. Mais cela présente des risques de détournement, des « tensions » comme les désigne James Manyika : « Nous avons conçu le service avec des garde-fous pour limiter l’utilisation abusive et le rendre accessible seulement aux partenaires autorisés. Nous appliquons nos principes d’IA (7) à nos produits », assure-t-il. L’IA responsable (8) suppose aussi des outils de détection (« classificateurs ») pour débusquer les deepfake (9) et les supercheries. Et ce n’est que le début d’une nouvelle ère. @

Charles de Laubier

Le « Big 19 » en Europe se voit contraint de renforcer sa régulation de l’Internet

Alibaba/AliExpress, Amazon Store, Apple/AppStore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing et Google Search : ce sont les « très grands régulateurs » du Net en Europe.

Le règlement européen sur les services numériques (1) a prévu de les identifier ; la Commission européenne les a listés. Ce sont les « très grandes plateformes en ligne », au nombre de dix-sept, et les « très grands moteurs de recherche en ligne », au nombre de deux. Ce « Big 19 », du moins à ce stade puisque la liste sera actualisée tous les six mois, devra se conformer dans un délai de quatre mois – à savoir d’ici fin août 2023 – à l’ensemble des nouvelles obligations cumulatives découlant du Digital Services Act (DSA).

2 « VLOP » européens : Booking et Zalendo
La première liste de ces « Very large Online Platforms (VLOP) en Europe, a été publiée le 25 avril dernier par la vice-présidente Margrethe Vestager (photo) et le commissaire Thierry Breton (2). Parmi ce « Big 19 », l’américain Google – la filiale du géant Alphabet – compte à lui seul cinq plateformes (Google Play, Google Search, YouTube, Google Maps et Google Shopping), tandis que son compatriote Meta en compte deux (Facebook et Instagram). Autre américain, Microsoft est présent aussi avec deux plateformes (Bing et LinkedIn). Les dix autres de la liste – avec cette fois une seule plateforme chacun – sont les américains Amazon Store, Apple/AppStore, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter et Wikipedia, le chinois Alibaba avec AliExpress, ainsi que les européens Booking, et Zalando. Ces deux dernières plateformes – le néerlandais Booking, et l’allemand Zalando – sont à ce stade les deux seuls grands acteurs du Net émanant de l’Union européenne.
Les Etats-Unis, eux, sont surreprésentés avec pas moins de seize plateformes sur les dix-neuf. Tous ont en commun de cumuler « au moins 45 millions d’utilisateurs actifs par mois » dans les Vingt-sept, soit 10 % de la population européenne qui est de 446,7 millions au dernier recensement (3). Le « Big 19 » se retrouve ainsi avec le plus d’« obligations cumulatives », soit une vingtaine, par rapport aux autres acteurs du Net moins fréquentés que sont les « services intermédiaires », les « services d’hébergement » et les « plateformes en ligne » (voir page suivante). Les VLOP – dans lesquels nous incluons les deux « VLOSE » (4) que sont, dans le jargon de Bruxelles, les moteurs de recherche Google (Alphabet) et Bing (Microsoft) – sont tenus de :
redonner la main à leurs utilisateurs (consentir aux recommandations et au profilage, lesquels doivent pouvoir signaler des contenus illicites, exclure les données sensibles pour le ciblage publicitaire, être informé sur le caractère publicitaire des messages, avoir un résumer clair des conditions générales d’utilisation, etc.).
protéger les mineurs en ligne (protection de la vie privée, interdiction de faire du profilage publicitaire sur les enfants, fournir une évaluation des risques et des effets négatifs sur la santé mentale, revoir la conception de la plateforme pour limiter les risques, etc.).
modérer plus rapidement les contenus et limiter les fake news (éviter les contenus illicites et les effets négatifs sur la liberté d’expression et d’information, faire respecter plus rapidement les conditions générales d’utilisation, permettre aux utilisateurs de signaler les contenus illicites et y répondre rapidement, identifier les risques et les atténuer, etc.).
rendre des comptes (se soumettre à un audit externe et indépendant d’évaluation des risques et du respect des obligations européennes, permettre aux chercheurs d’accéder aux données publiques, rendre public le registre de toutes les publicités, publier des rapports de transparence sur les décisions de modération des contenus et la gestion des risques, etc.).
Alors que la Commission européenne a désormais le pouvoir de « surveiller les plateformes et les moteurs de recherche » considérés comme « très grands », avec la collaboration d’« autorités nationales » que chaque Etat membre devra désigner d’ici le 17 février 2024, le « Big 19 », lui, joue un rôle d’auto-régulation pour la part d’Internet les concernant. Cette régulation en cascade – publique-privée – instaurée par le DSA va accroître la pression réglementaire sur le Web en général et l’Internet mobile en particulier.

Effets et biais : algorithmes sous surveillance
Concernant la « gestion de risques » par les VLOP, la Commission européenne a annoncé le 17 avril le lancement du Centre européen pour la transparence des algorithmes (CETA) (5), afin de veiller à ce que les systèmes algorithmiques soient conformes aux obligations du règlement sur les services numériques (6). Objectifs : atténuer leurs effets et éviter les biais. @

Charles de Laubier

Google News : articles de presse et de pub ensemble

En fait. Le 10 avril dernier, Edition Multimédi@ consacrait dans son n°297 (p. 3) un article sur les « communiqués de presse » (entreprises ou gouvernement) diffusés sur Google Actualités parmi les articles des médias. Cette fois, nous nous penchons sur des articles promotionnels présentés par ces mêmes médias.

En clair. Ils sont de plus en plus nombreux sur Google Actualités : ce sont les articles promotionnels ou sponsorisés (articles publicitaires) publiés sous la marque de certains médias, et non des moindres (Le Figaro, Le Parisien, 20 Minutes, Ouest-France, Europe 1, Le Point, 01net, etc.), sans que rien ou presque ne les distingue des articles publiés par les rédactions de journalistes de ces mêmes médias. Comme les autres actualités journalistiques, ces publirédactionnels présentés comme les autres actualités font eux aussi l’objet de « couverture complète de cet événement » – révélant de ce fait une véritable campagne publicitaire qui ne dit pas son nom. Celle-ci peut porter sur la promotion publicitaire d’un robot-tondeuse (1), d’un smartphone (2), d’un vélo électrique (3), d’un forfait mobile (4), ou encore d’une paire de baskets (5).
Ainsi, plusieurs marques de médias publient sous des formes plus ou moins différentes ces mêmes articles promotionnels – sans que ce caractère publicitaire ne soit précisé. Rien ne dit non plus que le média en question touche une rémunération lorsque le lecteur clique sur un lien sponsorisé inséré dans l’article. C’est après avoir lu la première partie de l’article en question que peut apparaître la mention suivante : « La rédaction du Parisien n’a pas participé à la réalisation de cet article ». Pourtant, dans cet exemple, tout laisse à croire – le logo du Parisien et la mise en forme rédactionnelle identique à celle du journal en ligne – que cet article a été écrit par et pour le quotidien du groupe Le Parisien-Les Echos (LVMH).
Ces mêmes médias classent ces articles sous des « rubriques » qui leur sont propres et ressemblent aux autres rubriques de leur publication : « Le Figaro Services », « Ouest-France Shopping », « Europe 1 l’équipe Shopping », « 20 Minutes Article d’opinion/Guide d’achat/Bon plan » ou encore « Le Point Services ». Cela peut aussi concerner une « Vente flash ». Ouest-France, par exemple, indique que sa rubrique « Shopping » est « animée par nos experts sport » mais en ajoutant plus bas que « la rédaction n’a pas participé à sa réalisation ». C’est parfois à s’y méprendre puisque ni le caractère sponsorisé ou promotionnel n’est clairement indiqué. Pourtant, les règles de « Google Actualités » semblent claires : « Tout sponsoring (…) doit être clairement indiqué aux lecteurs » (6). Contacté, Google France va répondre à nos interrogations. @

Le livre espère sauver ses libraires face à Amazon et déréférencer sur Google ses titres piratés

Le Festival du Livre de Paris ferme ses portes ce 23 avril après trois jours au Grand Palais Ephémère. Cette deuxième édition (formule succédant au Salon du livre) s’est déroulée au moment où l’édition française tient tête à Amazon pour le prix de livraison et lutte contre le piratage avec LeakID.

A l’heure où se termine le Festival du Livre de Paris, organisé par le Syndicat national de l’édition (SNE), l’industrie du livre en France s’est donnée les moyens, d’une part, de combattre les 0,01 centime d’euro de frais livraison de livres brochés vendus sur les plateformes de e-commerce, Amazon en tête, et, d’autre part, d’utiliser un outil de désindexation de liens illégaux sur Google pour lutter contre le piratage en ligne de livre. Les librairies françaises, d’un côté, et les éditeurs de livres, de l’autre, attendent respectivement beaucoup de ces deux mesures.

Les 3 euros de l’Arcep retenus
Pour les frais de livraison des livres papier neufs vendus à distance, les librairies françaises peuvent remercier le régulateur de télécoms, plus précisément l’Arcep, laquelle est non seulement en plus régulateur de la distribution de la presse depuis octobre 2019, mais aussi depuis décembre 2021 le régulateur des tarifs d’expédition des livres. Il y a un an, le 28 avril 2022, c’est justement l’Arcep qui avait proposé au gouvernement – via ses ministres de la Culture et de l’Economie – d’établir à 3 euros par colis le montant minimal de tarification des frais de livraison de livres (1).
C’est ce montant-là que le gouvernement a retenu dans son arrêté publié le 7 avril dernier au Journal Officiel et cosigné par Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, et Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (2). Ce tarif plancher de frais de port est cependant limité aux commandes en ligne allant jusqu’à 34,99 euros d’achat, car à partir de 35 euros les frais de port des livres neufs peuvent continuer à être tarifés à « plus de 0 euro » – en l’occurrence à 0,01 euro comme l’a institué Amazon, suivi par la plupart des plateformes de e-commerce dont Fnac+. L’Arcep, elle, avait proposé le seuil de déclenchement de cette quasi-gratuité des frais de port « aux alentours de 25 euros d’achat », alors que le Syndicat de la librairie française (SLF) estimait que cela n’était pas suffisant et que la sénatrice (LR) Laure Darcos à l’origine de la loi « Economie du livre » tablait, comme elle l’avait indiqué à Edition Multimédi@, sur 50 ou 60 euros d’achat minimum (3). Le gouvernement a tranché, en fixant ce seuil de déclenchement de la quasi-gratuité à 35 euros toutes taxes comprises. L’arrêté précise en outre que « le tarif minimal ainsi fixé s’applique au service de livraison d’une commande quel que soit le nombre de colis composant cette commande » et que « le service de livraison est payé par l’acheteur de manière concomitante au paiement de la commande » (4). Ce tarif minimal s’applique à la livraison de tout nouveau livre acheté en France, sauf si les commandes sont collectées auprès d’un détaillant de livres. Le SLF, qui représente en France près de 700 adhérents, a obtenu du cabinet de la ministre de la Culture la précision suivante : « Ce seuil s’appliquera également aux commandes mixtes composées de livres et d’autres produits, ainsi qu’à celles passées dans le cadre des programmes de fidélité proposés par les plateformes sur Internet ».
La loi « Economie du livre », surnommée « loi Darcos » (5), à l’origine de cette mesure pro-libraires – ou, diront certains, « anti-Amazon » –, prévoit que la mesure s’appliquera six mois après la publication de l’arrêté, soit à partir du 7 octobre 2023. Pourtant, le SLF a réexprimé sa crainte que « la quasi-gratuité au-delà de 35 euros d’achat n’amoindrisse la portée de la mesure et n’entretienne une culture de la gratuité contraire à la logique du prix unique du livre » et demande en contrepartie « un tarif postal plus avantageux permettant, en se conjuguant avec les seuils minimaux, de rendre les libraires véritablement compétitifs à l’égard des grandes plateformes en ligne ». Des négociations sont d’ailleurs prévues cette année avec La Poste et sous l’égide de l’Arcep et des pouvoirs publics sur les tarifs postaux justement appliqués à la filière du livre (jugés trop élevés notamment pour les services de presse des éditeurs et pour les librairies dans leurs expéditions de livres).

Le SNE parle de « pressions » d’Amazon
C’est dans ce contexte de revendications qu’a eu lieu le 15 avril dernier dans toute la France – mais aussi en Belgique et en Suisse – la 25e édition de la Fête de la librairie indépendante. Ce fut l’occasion pour les libraires de réaffirmer « le combat qu’ils mènent pour protéger leur métier » (6).
Quant au syndicat des éditeurs (SNE), lequel regroupe plus de 700 maisons d’édition, il n’a pas communiqué sur la publication de l’arrêté « 3 euros ». Néanmoins, lors de ses vœux « à l’interprofession du livre » le 5 janvier dernier, son président, Vincent Montagne (photo), avait donné le ton en ciblant nommément le géant mondial du e-commerce, la bête noire de la filière française du livre : « C’est une décision importante qui devrait mettre fin à la distorsion de concurrence imposée par les grands acteurs du e-commerce. Elle réaffirme que le livre n’est pas, et ne sera jamais, un produit d’appel pour les plateformes numériques et que l’esprit de la loi sur le prix unique du livre reste le socle sur lequel repose toute notre filière. Toutefois, il faut rester vigilant. La décision a été notifiée à Bruxelles et la réponse des autorités européennes tarde en raison notamment des pressions exercées par Amazon » (7).

Arrêté « 3 euros » : illégal en Europe ?
Au lieu de se terminer le 16 janvier 2023, la période de statu quo à la suite de la notification à Bruxelles (8) avait été prolongée jusqu’au 14 février. Dans son « avis circonstancié » qui avait prolongé ce statu quo et qui est signé par le Français Thierry Breton (commissaire européen au Marché intérieur), la Commission européenne a émis plusieurs observations sur l’arrêté « 3 euros » français. « L’adoption de l’arrêté notifié, en combinaison avec la loi [française “Economie du livre”], entraînera une restriction injustifiée à la libre circulation des services de la société de l’information sur le territoire français, en violation de l’article 3 de la directive sur le commerce électronique [lequel interdit à un Etat membre de restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre Etat membre, ndlr] », a-t-elle notamment dénoncé. Autre grief qui va dans le sens d’Amazon : « Le tarif minimal d’expédition [les 3 euros] semble avoir une incidence plus lourde sur les détaillants en ligne qui n’ont aucune présence en France et pourrait entraîner une discrimination de facto à leur égard ».
En outre, le gouvernement français n’a pas fourni d’évaluation qui justifierait ce tarif minimal d’expédition et qui démontrerait sa contribution à préserver une « offre culturelle riche et diversifiée ». Pire, la Commission européenne a mis en garde la France sur le fait que son arrêté « pourrait être contraire [à] la directive sur le commerce électronique et [au] traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », rien que ça (9). Pour tenter de rassurer Thierry Breton, les ministres Rima Abdul-Malak et Bruno Le Maire lui ont répondu le 16 janvier 2023, tout en reportant de quatre mois la publication de l’arrêté en raison du caractère « circonstancié » de l’avis de Bruxelles. Edition Multimédi@ a demandé – en vain – à recevoir cette réponse…
Qu’à cela ne tienne : le livre était à l’honneur en France, entre la Fête de la librairie indépendante qui a donc eu lieu mi-avril et le Festival du Livre de Paris qui s’achève ce dimanche 23 avril. Et ce, le jour-même de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur – célébrée tous les ans à cette même date depuis que l’Unesco a fait du « World Book and Copyright Day » (10) une journée internationale en 1995.
Justement, le droit de la propriété intellectuelle est l’autre combat majeur de l’industrie du livre. En France, le SNE pour les éditeurs et la Sofia pour les auteurs ont ensemble mis en place fin novembre 2019 pour leurs adhérents respectifs une « solution collective de lutte contre le piratage ». Chacune des deux organisations contribue pour moitié au financement à cette « solution mutualisée ». Celle-ci est fournie par la société française LeakID qui développe « un service de lutte contre le piratage en ligne des livres numériques et des livres imprimés numérisés illégalement » (11). En juin 2022, son fondateur Hervé Lemaire (12) a cédé le contrôle de LeakID à Avisa Partners, cabinet français d’intelligence économique, d’e-réputation et de lobbying à Bruxelles. Le dernier webinar en date s’est tenu le 8 mars en présence de l’avocate Olivia Bacin-Joffre, directrice juridique et responsable affaires publiques de LeakID et ancienne juriste à l’ex-Hadopi.
Cet outil LeakID surveille Internet (13) pour le compte des majors du livre – Hachette Livre/Lagardère, Editis/Vivendi, Gallimard-Flammarion/Madrigall, SeuilLa Martinière/ Média- Participations, …) – et d’autres éditeurs du SNE comme Actes Sud. « Le groupe utilise un outil de déréférencement LeakID et mène des procès ciblés en cas de piratage important », indique par exemple Editis, filiale en vente de Vivendi et deuxième groupe français d’édition (derrière Hachette Livre de Lagardère).
Auparavant, le syndicat du boulevard Saint-Germain (Paris) proposait aux maisons d’édition la solution de la société française Surys (ex-Hologram Industries, ex-exAdvestigo). Mais cette dernière a été rachetée fin 2019 par IN Groupe (ex-Imprimerie Nationale).

LeakID (acquis par Avisa Partners) traque
LeakID a été jugé plus efficace dans la désindexation et plus massive contre les téléchargements illicites et le streaming d’ebooks piratés, surtout grâce à son bras armée Rivendell qui est un partenaire de Google pour les déréférencements partout dans le monde. C’est lui qui a traqué le site Z-library dont les adresses Internet et les sites miroirs – listés par l’Arcom (14) – ont été bloquées par Orange, Bouygues Telecom, Free et SFR sur décision du tribunal judiciaire de Paris datée du 25 août 2022. Après TeamAlexandriz (2021), Z-Library (2022), d’autres sites « pirates » – comme Pirate Library Mirror ou Bookys – sont dans le collimateur de l’industrie du livre. @

Charles de Laubier