Pour pallier la disparition des cookies, la publicité contextuelle cherche à s’imposer dans le monde

La fin prochaine des cookies, et autres traceurs publicitaire intrusifs sur les terminaux des internautes pris pour cibles, a ouvert la voie à la publicité contextuelle. C’est aussi une alternative à l’exploitation des données personnelles des utilisateurs. Des adtech comme Seedtag relèvent le défi.

« La publicité contextuelle est une technique publicitaire qui vise à diffuser sur un support (web, télévision) des publicités choisies en fonction du contexte dans lequel le contenu publicitaire est inséré », définit la Cnil sur son site web (1). Avantage : le ciblage contextuel ne nécessite pas d’avoir des informations sur la personne regardant la publicité, ni de collecter des données personnelles la concernant. Bref, c’est l’arme anti-cookie et anti-data par excellence. Des adtech comme l’espagnole Seedtag s’en sont fait une spécialité, devançant notamment le champion français des cookies, Criteo (2), qui tente de pivoter dans le contextuel.

Seedtag, « n°1 mondial » du contextuel
La start-up Seedtag, fondée en 2014 par deux anciens de chez Google, Jorge Poyatos (photo de gauche) et Albert Nieto (photo de droite), a créé une intelligence artificielle contextuelle – baptisée Liz – qui permet aux annonceurs de « toucher les consommateurs en fonction de leurs intérêts sans utiliser aucune donnée personnelle ». Ayant son siège social à Madrid, cette licorne en puissance se déploie à l’international, tant en Europe qu’aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. Fin juillet, elle a annoncé avoir levé 250 millions d’euros auprès du fonds américain Advent International. Celui-ci rejoint d’autres investisseurs institutionnels déjà présents dans Seedtag, à savoir Oakley Capital, Adara Ventures et All Iron Ventures. Objectif : « Faire évoluer le secteur de la publicité digitale à plus grande échelle », notamment outre-Atlantique.
Seedtag se revendique déjà comme étant « le numéro un en Europe et en Amérique Latine dans la publicité contextuelle ». S’étant d’abord développé dans la publicité intégrée au sein des images illustrant des articles (in-image advertising), Seedtag a ensuite élargi son offre à la vidéo (outstream) et aux bannières (display). Pour se hisser à la première place de ce marché dynamique, la start-up madrilène rachète certains de ses concurrents : la société italienne AtomikAd est tombée dans son escarcelle en novembre 2020, suivie de l’allemand Recognified en février 2021, puis du français KMTX en juillet 2022. En plus de son IA contextuelle, Liz, Seedtag ajoute ainsi des cordes à son arc pour mieux cibler les internautes sans recourir aux cookies ni exploiter leurs données, ni les suivre à la trace dans leurs navigations sur le Web. Ses outils alternatifs vont du placement in-content jusqu’à l’automatisation des performances marketing (apprentissage automatique). « En diffusant des publicités dans le contenu, nous tirons pleinement parti de l’attention des utilisateurs : selon l’eye-tracking [oculométrie en français, à savoir le suivi des mouvements des yeux sur un écran, ndlr] les publicités intégrées au contenu captent l’attention plus rapidement et la retiennent plus longtemps ».
Cette optimisation du ciblage publicitaire cookie-free est obtenue par la « lecture » approfondie des contenus des pages pour obtenir le meilleur résultat pour l’annonceur. De grandes marques telles que Microsoft, LG, Heineken, Nestlé, Renault, Unilever, Levi’s, Forbes, Marie-Claire, Vanity Fair ou encore Sky Sport font partie du portefeuille de clients de Seedtag. Par exemple, la filiale française dirigée par Clarisse Madern a renouvelé en début d’année des partenariats avec des éditeurs tels que CMI (Elle, Marianne, Télé 7 jours, …), Prisma Media (Capital, Gala, Geo, …), Lagardère Publicité News et Reworld Media.
En mai dernier, avec l’appui d’une étude de l’institut marketing Nielsen réalité auprès de 1.800 consommateurs au Royaume-Uni, Seedtag a démontré que le ciblage contextuel était bien plus accepté que le ciblage utilisant leurs données personnelles : « Les consommateurs étaient 2,5 fois plus intéressés par la publicité contextuelle que lorsqu’il la publicité n’est pas ciblée. De plus, les résultats ont montré que les personnes qui ont vu des publicités contextuelles étaient 32 % plus susceptibles de passer l’action après avoir vu la publicité. Les consommateurs ciblés en fonction du contexte se sont sentis 40 % plus enthousiastes à l’égard de la catégorie [du message publicitaire] que ceux ciblés sur le plan démographique et 28 % plus enthousiastes que ceux ciblés uniquement en raison de leur intérêt dans la catégorie » (3).

Les navigateurs deviennent cookieless
En début d’année, dans le cadre de ses tests pour sa solution alternative « Privacy Sandbox », Google avait annoncé la fin des cookies tiers sur son navigateur Chrome d’ici à fin 2023 (4), au lieu de 2022 initialement prévu. Alors qu’Apple avec Safari et Mozilla avec Firefox sont déjà cookieless (5), la filiale d’Alphabet a dû prolonger les tests : « Nous avons maintenant l’intention de commencer à éliminer progressivement les cookies tiers dans Chrome dans la seconde moitié de l’année 2024 », a-t-elle indiqué le 27 juillet dernier (6). @

Charles de Laubier

Amazon, Microsoft, Google : gros nuages sur le cloud

En fait. Le 13 juillet, l’Autorité de la concurrence a ouvert jusqu’au 19 septembre prochain, une consultation publique sur le marché du cloud – dans le cadre de son enquête sectorielle sur l’informatique en nuage lancée en janvier dernier. Elle a déjà auditionné les trois hyperscalers du cloud en France.

En clair. Selon le cabinet d’études Markess by exægis, le marché français du cloud devrait passer de 16 milliards d’euros en 2021 à 27 milliards d’euros en 2025, au rythme de 14 % de croissance par an. Mais les hébergeurs dits « à très grande échelle » (les hyperscalers) en ont la part du lion : les américains Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud détiennent en France 71 % de parts de marché en 2021. A lui seul, le géant AWS s’arroge pas loin de la moitié (46 %) du gâteau nuagique (voir graphique). C’est dans ce contexte de quasi-triopole que l’Autorité de la concurrence (ADLC) s’est autosaisie en début d’année pour enquêter sur le secteur français de l’informatique en nuage. La consultation publique (1), ouverte depuis le 13 juillet et jusqu’au 19 septembre 2022, va permettra à l’autorité antitrust d’évaluer si Amazon, Microsoft et Google abusent de leur position dominante sur le marché français du cloud ? Face à ce Big Three, OVH, IBM, Oracle, Orange (OBS), Scaleway (Iliad), T-Systems, 3D Outscale (Dassault Systèmes) ou encore Atos, Neurones, Capgemini, Kyndril (ex-IBM GTS) se partagent les 29 % restants du marché du cloud français (2).
L’ADLC veut identifier « les freins à la migration des clients et au recours à plusieurs fournisseurs de services cloud », ainsi que d’autres verrous (barrières à l’entrée, pouvoir de marché, intégration verticale, effets congloméraux, ententes, protection des données, souveraineté numérique, …). La bataille du cloud est même portée devant la Commission européenne depuis les plaintes (3) du français OVH et de l’allemand Nextcloud déposées en 2021. @

Le chinois TikTok fait une percée sur le marché français de la publicité dominée par les Gafam

Alors que les acteurs européens de la publicité digitale en France ne pèsent que 20 % du marché français, face notamment à la domination américaine des Google, Meta (Facebook) et autres Amazon, la « progression fulgurante » du chinois TikTok pourrait accroître encore le poids des non-européens.

« TikTok fait au premier semestre 2022 une progression fulgurante, qui représente deux tiers de la croissance de la publicité en ligne sur les réseaux sociaux », a souligné Sylvia Tassan Toffola (photo), présidente du SRI, le syndicat français des régies Internet, lors de la présentation le 12 juillet de son Observatoire de l’e-pub. La filiale du groupe chinois ByteDance profite en France comme ailleurs de la croissance exponentielle des vidéos de courte durée sur les réseaux sociaux. TikTok en est un précurseur dans le monde, Instagram, Snap et YouTube ayant par la suite adopté des formats similaires.

TikTok : haro sur Google, Meta et Amazon
Résultat, sur l’Hexagone, TikTok contribue largement à la plus forte croissance qu’enregistre la publicité sur les réseaux sociaux (le « Social », dans le jargon des professionnels de la publicité digitale), à savoir + 27 % sur les six premiers mois de l’année par rapport au semestre de l’année précédente, pour atteindre plus de 1,2 milliard d’euros.
Selon Médiamétrie, TikTok en France arrive en 23e position en termes d’audience mensuelle avec plus de 18,2 millions de visiteurs uniques par mois (sur mai 2022, dont les chiffres ont été publiés fin juin). Ainsi, le chinois TikTok vient perturber la domination des géants du Net américains – dont « le trio Google-Meta-Amazon (GMA) » qui représente encore les deux tiers (66 %) du marché global de la publicité en ligne en France. Tandis que les acteurs européens pèsent moins d’un quart (20 %). Ce trio GMA prend en compte Alphabet (Google, YouTube), Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), Amazon (dont Twitch), mais pas Apple ni Microsoft.
TikTok pourrait jouer les trouble-fête si sa croissance se poursuit à ce rythme. La filiale de ByteDance (1) grignote des parts de marché « Social » à ses principaux concurrents que sont Meta, Twitter, Pinterest et LinkedIn (Microsoft). TikTok participe aussi, de près ou de loin, au « léger recul » du trio Google-Meta-Amazon, dont la part de marché en France passe de 68 % à 66 % – « du fait d’un ralentissement de leur croissance » (+16 % versus + 27 % entre 2021 et 2020). Mais ce triumvirat a généré à lui seul au premier semestre 2022 un chiffre d’affaires publicitaire de plus de 2,8 milliards d’euros. Selon l’Observatoire de l’e-pub, réalisé par le cabinet OliverWyman pour le SRI en partenariat avec l’Udecam (2), Meta accuse un ralentissement de sa croissance et sa part de marché « Social » s’est érodée. Un rééquilibrage entre les trois dominants Google-Meta-Amazon et les autres acteurs qui ne font pas partie du GMA est en tain de se faire, mais principalement en faveur de TikTok : les GMA ont progressé en six mois de « seulement » 16 % pendant que les non-GMA ont fait mieux avec une augmentation de leurs revenus de 16 %. « Les dynamiques de croissance montrent une forme de rééquilibre. Mais dans ce + 26 % de hausse des non-GMA, il y a bien évidemment la progression d’acteurs du “Social” comme TikTok », constate Sylvia Tassan Toffola, par ailleurs directrice générale de TF1 Publicité (dont la maison mère veut fusionner avec M6). La montée en puissance du chinois en France risque d’accroître le poids des acteurs non-européens – déjà massif avec 80 % de parts de marché – face aux acteurs européens (dont la maison mère est située en Europe) cantonnés actuellement à 20 %. « Là, c’est vrai, c’est un peu préoccupant puisque le poids des Européens a perdu 3 pourcents, passant de 23 % du marché français au premier semestre 2021 à 20 % au premier semestre de cette année, s’est inquiétée Sylvia Tassan Toffola. Mon message, il est le suivant : dans les périodes de crise, vous, agences, annonceurs, vous devez faire des choix, et des choix d’efficience [notamment en faveur de] la proposition de valeur des membres du SRI pour relever vos propres défis ».
Selon les prévisions du cabinet OliverWyman, la croissance du marché français de l’e-pub devrait ralentir au second semestre 2022 pour aboutir à une hausse d’environ 14 % sur l’ensemble de l’année, à 8,8 milliards d’euros.

Europe : la filiale de ByteDance contrariée
En Europe, où il compte 100 millions d’utilisateurs, TikTok est aussi en pleine croissance publicitaire. Mais le chinois rencontre quelques difficultés. « Sa stratégie de croissance largement centrée sur le e-commerce (3) a ralenti en Europe, à la suite de la performance décevante des outils comme TikTok Shopping en test au Royaume-Unis », relève l’étude OliverWyman. Par ailleurs, le 12 juillet dernier, un porte-parole de la « Cnil » irlandaise – la DPC (4) – a annoncé au site américain TechCrunch que TikTok mettait « sur pause » une mise à jour controversée de ses règles de confidentialité (privacy policy) et de ciblage publicitaire (5) qui devaient entrer en vigueur le 13 juillet. Ce qu’a aussitôt confirmé TikTok (6). La « Cnil » italienne avait, elle, été la première à « avertir formellement » (7) la filiale de ByteDance. @

Charles de Laubier

Collecte de données de géolocalisation mobile : la Cnil mène l’enquête au regard du RGPD

Le 13 juin 2022, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a annoncé avoir confié à son laboratoire Linc une étude sur les données de géolocalisation collectées par des applications mobiles, la revente de données et les data brokers. Elle vérifiera la conformité avec le RGPD.

« Si cette étude n’est pas liée à une procédure de contrôle ou de sanction, elle s’inscrit néanmoins dans l’une des thématiques prioritaires de contrôles puisqu’en 2022 la Cnil vérifiera la conformité au RGPD des professionnels du secteur [en l’occurrence de la prospection commercial, dont la publicité en ligne, ndlr], en particulier de ceux qui procèdent à la revente de données, y compris, des nombreux intermédiaires de cet écosystème (aussi appelés data brokers) », précise le gendarme français des données et des fichiers informatiques.

Données anonymisées ou authentiques
Cela fait partie de ses priorités pour l’année en cours, dans le cadre sa mission de contrôle du respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), lequel fut adopté en 2016 par le Parlement européen (1) et en vigueur depuis mai 2018 dans les Vingt-sept. Cette enquête est confiée au Laboratoire d’innovation numérique (Linc), dirigé depuis plus d’un an par Vincent Toubiana (photo). Cette mission s’achèvera dans quinze mois – en septembre 2023 – et « ce projet donnera lieu à plusieurs publications sur le site web du Linc » (2). Si la Cnil n’envisage pas – pour l’instant ? – d’actions répressives à l’encontre des exploitants de données, anonymisées et/ou personnelles, qui enfreindraient le RGPD et la protection de la vie privée des internautes, elle prévoit de « sensibiliser le public et les professionnels sur les enjeux liés à la collecte de données de géolocalisation par les applications mobiles ».
Pour étudier les pratiques aux finalités publicitaires et marketing, le Linc est en train d’analyser « un échantillon de données correspondant à la France » que la Cnil s’est procuré auprès d’un data broker de la place en se faisant passer pour un client potentiel lambda. Elle a pu ainsi obtenir du courtier de données « un jeu de données de géolocalisation » concernant des personnes. La Cnil précise que le jeu de données concerné est un fichier comportant des données de géolocalisation horodatées avec des points de localisation associés à près de 5 millions d’identifiants publicitaires de smartphones (Android et iOS) sur une période d’environ une semaine en 2021. « Les données transmises, précise le régulateur des données personnelles, sont présentées comme anonymisées par le revendeur de données. Après une rapide analyse, la Cnil considère qu’au moins une partie de ces données est authentique. Elle vérifiera si, sur la base de ce jeu de données, elle est en capacité de réidentifier les personnes et, dans l’affirmative, elle informera individuellement celles-ci ».
Dans l’éventualité où des personnes seraient réidentifiées, assure donc l’autorité indépendante de la place de Fontenoy, le traitement de leurs données sera suspendu jusqu’à ce qu’elles soient individuellement informées. « Si vous souhaitez plus d’informations sur ce traitement ou si vous souhaitez exercer vos droits, vous pouvez contacter ip@cnil.fr ou adresser un courrier à la Cnil à l’attention du service Linc », indique-t-elle. Des mesures particulières ont même été prises pour assurer la confidentialité de ces données auxquelles ne pourront accéder que l’équipe du Linc. Dans le jeu de données fourni, apparaissent des identifiants publicitaires. Ce que l’on appelle « identifiant publicitaire » consiste en une chaîne de caractères associée à un unique smartphone et permettant à des annonceurs de le reconnaître pour lui adresser de la publicité. « Comme son nom l’indique, cette donnée est identifiante : il s’agit donc d’une donnée personnelle. Un acteur disposant de deux sources de données présentant le même identifiant publicitaire est en mesure de relier les informations et de construire un profil plus complet de la personne à laquelle l’identifiant est associé », souligne la Cnil.

Deux missions : information et veille techno
Un courtier de données est à même de pouvoir relier les données d’utilisations collectées à partir de différentes applications installées sur un même smartphone. « Plus cet identifiant est stable dans le temps, fait remarquer l’autorité, plus il permet d’accumuler des informations sur les habitudes des propriétaires de smartphones. Il est donc conseillé de renouveler régulièrement cet identifiant ». Dans l’étude du Linc, l’identifiant publicitaire ne sera utilisé que pour faire le lien entre les points de localisation correspondant à un même smartphone. Un acteur de la publicité, lui, cherchera à faire le lien utiliser la valeur de l’identifiant pour l’associer à d’autres données telles que des données d’utilisation d’applications mobiles. La course à la géolocalisation mobile à des fins de publicités ciblées en temps réel – le RTB (Real Time Bidding) – serait la plus grande atteinte à la vie privée, selon l’ONG irlandaise ICCL (3), qui a publié le 16 mai dernier une étude édifiante (4) : en Europe, l’industrie du RTB expose les données des gens 376 fois par jour en moyenne ; aux Etats-Unis, c’est 747 fois ! L’industrie américaine et européenne du RTB a généré plus de 117 milliards de dollars en 2021.

Des mesures législatives ou réglementaires ?
Cette étude sur les données de géolocalisation collectées par des applications mobiles s’inscrit dans le cadre de deux missions précises de la Cnil prévues par la loi « Informatique et Liberté » : d’une mission d’information telle que définie dans l’article 8.I.1 (« Elle informe toutes les personnes concernées et tous les responsables de traitements de leurs droits et obligations et peut, à cette fin, apporter une information adaptée aux collectivités territoriales, à leurs groupements et aux petites et moyennes entreprises ») ; d’une mission de suivi de l’évolution des technologies de l’information telle que définie dans l’article 8.I.4 (« Elle se tient informée de l’évolution des technologies de l’information et rend publique le cas échéant son appréciation des conséquences qui en résultent pour l’exercice des droits et libertés mentionnés à l’article 1er »).
Dans sa mission de suivi de l’évolution des technologies de l’information, la Cnil peut même proposer au gouvernement des mesures législatives ou réglementaires pour procéder à l’« adaptation de la protection des libertés à l’évolution des procédés et techniques informatiques et numériques ». Reste à savoir s’il faudra adapter les textes en vigueur aux données de géolocalisation collectées par des applications mobiles, à la revente de données et aux pratiques des data brokers. Quoi qu’il en soit, la Cnil est tenue de contrôler la conformité des acteurs du numérique en France au RGPD, et les données de géolocalisation des données mobile – à l’ère du smartphone utilisé comme premier écran – sont particulièrement sensibles à cet égard.
D’autant que la loi « Informatique et Libertés » de 1978 n’a jamais été autant réécrite depuis l’ordonnance « Protection des données personnelles » du 12 décembre 2018 qui a mis en conformité le droit national français (5) avec le RGPD entré en vigueur au niveau européen depuis le 25 mai 2018. Cette transposition a notamment eu un impact sur le 1er article de cette loi française historique sur l’informatique, les fichiers et les libertés, qui en réfère désormais au RGPD européen notamment. Ainsi : « L’informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s’opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. Les droits des personnes de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel les concernant et les obligations incombant aux personnes qui traitent ces données s’exercent dans le cadre du [RGPD], de la directive [dite « Police-Justice », ndlr (6)] et de la présente loi [« Informatique et Libertés »] ».
L’on comprend pourquoi la collecte des données de géolocalisation par les éditeurs d’applications mobiles soit mise sous surveillance et fasse l’objet d’une enquête de la part du régulateur des données personnelles. La question de l’anonymisation de ces data géolocalisées et de leur identification en tant que données personnelles est cruciale, voire épineuse pour tout l’écosystème numérique et publicitaire.
Surtout que la directive européenne dite « ePrivacy » – modifiée (7) et transposée à l’article 82 de la loi « Informatique et Libertés » – interdit la collecte de données sans le consentement préalable de l’internaute (du mobinaute) concerné et sans qu’elle ait été rendues anonymes. Or cette directive « ePrivacy » prévoit en son article 5.3 que « les Etats membres garantissent que l’utilisation des réseaux de communications électroniques en vue de stocker des informations ou d’accéder à des informations stockées dans l’équipement terminal d’un abonné ou d’un utilisateur ne soit permise qu’à condition que l’abonné ou l’utilisateur, soit muni, (…) d’une information claire et complète, entre autres sur les finalités du traitement, et que l’abonné ou l’utilisateur ait le droit de refuser un tel traitement par le responsable du traitement des données. (…) ». Cette disposition, transposée dans des termes similaires en droit français dans la loi « Informatique et Libertés », concerne a priori aussi bien les cookies stockés sur tout terminal connecté que l’accès aux données de géolocalisation qui y sont stockées.

Cookies et data géolocalisées, même combat ?
D’ailleurs, comme elle l’a déjà fait pour les cookies déposés par Amazon et Google (8), la Cnil pourrait très bien recourir non pas au RGPD – lequel suppose à « l’autorité chef de file » de coordonner la prise de décision avec les autres autorités concernées par le traitement des données en question – mais à s’appuyer plutôt sur cette directive « ePrivacy ». Dans ce cas, le gendarme français des données personnelles peut se considérer comme territorialement compétente pour contrôler et sanctionner des acteurs – même étrangers – abusant de la géolocalisation de données mobiles via leurs activités en France. @

Charles de Laubier

Le ministère de la Culture et l’Arcom (ex-CSA+ Hadopi) scrutent les usages « Google Images »

La nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) se penchent sur les usages de la photographie en ligne, à la lumière d’une étude présentée le 8 juin dernier. Pour relancer le projet de taxe « Google Images » ?

Si l’étude de l’Arcom sur la photographie en ligne – en deux parties, l’une sur le volet économique et l’autre sur les usages des internautes – fait grand cas de Google Images, qui est « de loin le moteur de recherche le plus utilisé pour la recherche d’images », aucune mention n’est cependant faite sur l’ancien projet de redevance sur les images indexées par les Google, Yahoo, Microsoft Bing ou autres Qwant. Cette taxe « Google Images » est bien prévue par la loi « Création » du 7 juillet 2016. Mais depuis six ans, elle n’a jamais vu le jour. A la lumière de l’étude de l’Arcom, le ministère de la Culture va-t-il finalement l’instaurer ?

Demander des comptes aux moteurs Pour mémoire, loi « Création » du 7 juillet 2016 prévoit en effet un « dispositif relatif aux services automatisés de référencement d’images », à la suite d’un amendement déposé par Jean-Pierre Leleux, alors sénateur, et adopté : « Cet amendement vise à instaurer un mécanisme permettant d’assurer la rémunération des auteurs d’œuvres d’art plastiques, graphiques et photographiques ou de leurs ayants droit pour les images que les moteurs de recherche et de référencement s’approprient aujourd’hui sans autorisation et mettent à la disposition du public sur Internet », était-il justifié (1).
Un projet de décret avait ensuite été notifié, le 5 septembre 2016, à la Commission européenne (2). Mais c’était sans compter sur un avis négatif du Conseil d’Etat qui, en février 2017, a pointé « les risques juridiques » (3) au regard notamment d’une décision du 16 novembre 2016 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Celle-ci estimait qu’un tel mécanisme de gestion collective obligatoire applicable aux moteurs de recherche d’images ne pouvait pas être mis en œuvre à un niveau national sans être expressément autorisé par le droit européen. L’affaire en était restée là, jusqu’à ce que la directive européenne de 2019 sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » ne permette ces « licences collectives » – dans son article 12 justement (4). Et depuis un an, en France, la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) se verrait bien – avec la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF) – être le gestionnaire de cette taxe « Google Images » (5). Cela fait maintenant un an – depuis le 7 juin 2021 – que la directive « Copyright » est censée être transposée par chacun des Vingt-sept, et la France se fait fort de l’appliquer en premier. Présentée par Raphaël Berger (photo), directeur de la création à l’Arcom et ancien directeur des études et de l’offre légale à l’Hadopi (laquelle a fusionné avec le CSA pour former l’Arcom au 1er janvier 2022), cette étude sur la photographie en ligne a été réalisée dans le cadre de sa mission « d’observation des usages en ligne et d’évaluation des mesures de protection des œuvres sur les plateformes de partage de contenus ». L’un des principaux constats est que « Google est de loin le moteur de recherche le plus utilisé pour la recherche d’images » (83 % des 15 ans et plus, voire 88 % des 50-64 ans et plus), loin devant Yahoo, Microsoft Bing ou Qwant.
Leurs trois premiers avantages : le large choix de photos, la possibilité de trouver des photos libres de droit, et la possibilité de faire une recherche précise par mots-clés. En revanche, relève l’Arcom, « le fait que les photos ne soient pas toujours libres de droit constitue le principal reproche formulé à l’encontre des moteurs de recherche ». Quant aux réseaux sociaux, ils sont aussi utilisés pour rechercher des photos – Facebook (57 % des 15 ans et plus, voire 73 % des 65 ans et plus), Instagram et YouTube étant en tête des usages « photographiques ». Globalement, l’Arcom signale que « plus de la moitié [52 %] de ceux recherchant des photos en ligne ont déjà entendu parler des mesures techniques de protection (MTP) qui permettent de protéger les œuvres en empêchant la copie non autorisée ». En revanche, les métadonnées des photos sont relativement peu connues : seuls 16 % savent de quoi il s’agit (6).

Entre « sites illicites » et droit d’auteur
Autre enseignement : plus d’un tiers des internautes (35 %) qui recherchent des photos en ligne déclarent avoir recours à des « sites illicites » pour rechercher des photos. Mais ce qui saute aux yeux, d’après l’étude de l’Arcep, c’est la « bonnes connaissances relatives » sur le droit d’auteur (7) pour 60 % des internautes. Dommage que l’Arcom n’ait pas saisi l’occasion de cette étude pour demander aux internautes leur avis sur l’éventualité d’une taxe « Google Images » versés par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux aux auteurs et photographes via des organismes de gestion collective des droits. @

Charles de Laubier