Meta Platforms a essuyé les plâtres en 2022, première année sous ce nom, mais reste une cash machine

L’année 2022 fut la première année fiscale de l’ex-groupe Facebook, depuis que son PDG fondateur Mark Zuckerberg l’a rebaptisé Meta Platforms le 21 octobre 2021. Malgré les griefs qui lui sont faits, malgré l’échec du décollage du métavers Horizon et malgré les amendes, la firme de Menlo Park s’en sort plutôt bien.

Malgré tout, le géant Meta Platforms (Facebook, Instagram, Messenger, WhatsApp, Quest/ex-Oculus) devrait réaliser cette année 2022 un chiffre d’affaires tout à fait honorable d’environ 115 milliards de dollars. Par rapport à l’exercice précédent, cela ne représenterait qu’une baisse annuelle d’environ 2,4 %.
Cette estimation avancée par Edition Multimédi@ se situe dans la fourchette des prévisions annoncées fin octobre par David Wehner (photo), alors encore directeur financier du groupe Meta, à savoir : entre 114,4 milliards et 116,9 milliards de dollars. La société d’études financière Zacks Equity Research table, elle, sur 115,71 milliards de dollars de chiffre d’affaires, ce qui correspondrait à un recul de seulement 1,88 % par rapport à l’exercice 2021. Dans son analyse publiée le 8 décembre, soit un mois après l’annonce du PDG cofondateur Mark Zuckerberg de la suppression de 13 % de ses effectifs (13.000 sur 87.000 employés), elle constate qu’en un mois l’action « Meta » a gagné plus de 12 %, à plus de 116 dollars, devançant le secteur informatique et technologique. Et ce, malgré les prévisions de rentabilité attendue en baisse par rapport au bénéfice net de 39,3 milliards de dollars de l’exercice 2021. Sa recommandation aux investisseurs est de garder (hold) leurs actions, voire d’en acquérir (buy).

L’ex-Facebook dévalorisé, mais loin d’être déserté
La valorisation de l’ex-Facebook est « encore » de 336 milliards de dollars au 16 décembre, même si les 922 milliards de dollars d’il y a un an sont bien loin, et la fortune professionnelle de Mark Zuckerberg et « encore » de 42,3 milliards de dollars, certes bien en-deçà des 97 milliards de dollars de 2021. Comme quoi, la situation du géant mondial des réseaux sociaux aux plus de 2,9 milliards d’utilisateurs quotidiens (Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp confondus), et toujours en hausse d’un trimestre à l’autre, n’est pas aussi catastrophique que ne le laisse penser la couverture médiatique. Les utilisateurs quotidiens de la galaxie Meta – les daily active people (DAP) – représentent 79 % des 3,7 milliards d’utilisateurs mensuels – les monthly active people (MAP). La principale source de revenu du groupe Meta Platforms reste la publicité : 27,2 milliards de dollars au troisième trimestre 2022 (- 3,7 % sur un an), soit 98,3 % du chiffre d’affaires global.

La rançon de la gloire coûte très chère
Quoi qu’on en dise, et bien que le groupe soit confronté au pire ralentissement de son histoire dû en grande partie au changement de politique décidé par Apple pour le ciblage publicitaire sur iOS, Meta Platforms reste une cash machine. « Notre coeur de métier est l’un des plus rentables jamais construit avec un énorme potentiel à venir », a assuré Mark Zuckerberg à ses salariés dans un message qu’il leur a adressé le 9 novembre. Cependant, la firme de Menlo Park a déjà prévenu que ce ralentissement publicitaire se poursuivrait au cours de ce quatrième trimestre, dans le contexte de hausse de l’inflation et de ralentissement de l’économie.
Mais la rançon de la gloire – même quelque peu entamée – est élevée. Pour cette première année fiscale sous la dénomination « Meta Platforms », le groupe de Mark Zuckerberg devrait totaliser de l’ordre de 85 à 87 milliards de dollars de dépenses (investissements et exploitations). Et pour la première fois en 2023, ces dépenses devraient tutoyer voire dépasser les 100 milliards de dollars, selon les estimations faites par David Wehner. Sans surprise, la division Reality Labs – où sont concentrées toute l’activité liée à la réalité virtuelle (VR) et à la réalité augmentée (AR) que sont Meta Quest (ex-Oculus VR), Meta Portal (ex- Facebook Portal) et des wearables comme les Ray-Ban Stories – pèse très lourd dans ces dépenses colossales. Cela comprend les prochains casques de réalité virtuelle qui seront lancés en 2023 et surtout le métavers Horizon Worlds en cours de déploiement (application gratuite utilisable avec un casque Meta Quest.). « Notre hausse du coût d’exploitation devrait s’accélérer, en raison des dépenses liées à l’infrastructure et, dans une moindre mesure, des coûts du matériel de Reality Labs, induits par le lancement plus tard l’an prochain de notre nouvelle génération de casque Quest. Les dépenses de Reality Labs sont incluses dans nos prévisions de dépenses totales », avait expliqué le 26 octobre dernier l’ancien directeur financier David Wehner, promu en novembre directeur de la stratégie. Susan Li lui a succédé en tant que nouvelle Chief Financial Officer du groupe Meta. Et d’ajouter : « Nous prévoyons que les pertes d’exploitation de Reality Labs augmenteront considérablement d’une année à l’autre en 2023. Au-delà de 2023, nous nous attendons à accélérer les investissements de Reality Labs afin d’atteindre notre objectif à long terme de croissance globale du bénéfice d’exploitation de l’entreprise ». Alors que le chiffre d’affaires de Reality Labs a été supérieur à 2,2 milliards de dollars en 2021 pour un déficit près de 10,2milliards, cette année 2022 devrait être marquée par des revenus équivalents mais des pertes opérationnelles bien plus importantes (les neuf premiers mois de l’année en cumulant déjà près de 9,5 milliards). Meta Platforms joue gros. C’est même son avenir qui est en jeu.
Dans son message du 9 novembre, Mark Zuckerberg a expliqué que les 11.000 suppressions d’emplois concerneront aussi bien les réseaux sociaux (« la famille d’applis ») que Reality Labs. « Nous prévoyons d’embaucher moins de gens l’an prochain. (…) Nous prolongeons également le gel de l’embauche jusqu’au premier trimestre. (…) Nos perspectives de revenus sont inférieures à celles auxquelles nous nous attendions au début de l’année, et nous voulons nous assurer de fonctionner efficacement à la fois dans la famille d’applis et dans Reality Labs. », a-t-il en outre précisé (2). Tout en ayant fait son mea culpa – « Je me suis trompé et j’en assume la responsabilité » –, « Zuck » affirme que Meta Platforms est à l’avant-garde du développement de la technologie pour définir « l’avenir de connexions sociales » et « la prochaine plateforme informatique ». Et d’ajouter pour motiver ses troupes : « Nous faisons un travail historiquement important ».
Bien que décrié, le métavers Horizon Worlds (3) est un pari audacieux – sans doute le plus important jamais lancé par un géant des GAFAM. En octobre 2021, le groupe Facebook devenant Meta Platforms avait annoncé vouloir y investir 10 milliards de dollars par an jusqu’en 2030. Son avenir est entre les mains de Reality Labs. Des investissements massifs sont aussi faits dans l’intelligence artificielle (IA) et le machine learning (ML), utilisés à tous les étages : de la vérification de l’âge des utilisateurs (Facebook Dating) aux avatars lancés récemment sur WhatsApp (un avant-goût du métavers), en passant par l’IA au service du e-commerce, des réseaux sociaux et des jeux en ligne (préfigurant le touten- un promis par le métavers). Avec en toile de fond la protection des données renforcée (4).

Partenariats : Nvidia, Microsoft, PyTorch,…
Meta Platforms ne fera pas son métavers Horizon tout seul : des partenariats sont noués, comme avec Nvidia (pour ses puces IA destinées à des superordinateurs de recherche IA/métavers), PyTorch (bibliothèque logicielle open source codéveloppée avec Microsoft, faisant partie de la Linux Foundation) ou encore Microsoft (accord annoncé en octobre consistant à intégrer d’ici 2023 la plateforme collaborative Teams aux casques Quest/Quest Pro et dans le métavers Horizon). Mark Zuckerberg a peut-être eu raison trop tôt, mais il pourrait prendre de l’avance sur des rivaux qui s’y seront pris trop tard. @

Charles de Laubier

Le métavers n’est pas dans un vide juridique, mais la régulation devra sortir de ses frontières

Les métavers vont-ils « disrupter » les lois et les règlements ? Ces mondes virtuels doivent déjà se soumettre au droit commun existant (civil, commercial, consommation, économie numérique). Mais les textes juridiques devront évoluer et la régulation reposer sur un solide consensus international.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

Dans un futur proche, avec le Web3 et ses métavers, les problématiques juridiques seront dictées par le caractère a priori incontrôlable de l’énormité des partages : la prolifération des modes d’échanges et la nature internationale exigeront des régulations complexes et efficaces, dont on espère qu’elles prendront moins de temps à émerger que celles issues du Web 2.0. Depuis la fin des années 1990, les éditeurs de jeux vidéo ont compris que les utilisateurs s’engageraient dans de nouvelles formes d’interactions mettant en jeu leur identité virtuelle et de nouveaux espaces de partage.

Le rôle pionnier des jeux vidéo
Les internautes ont ainsi acquis la possibilité de jouer et d’interagir en temps réel et de manière immersive, par les jeux de rôle en ligne dits «massivement multijoueur » (1). De nouveaux modèles commerciaux se développent, notamment avec la création des monnaies et d’une économie interne au jeu, ouvrant la possibilité de faire des achats utiles au jeu et à leur communauté. Le métavers n’est pas scénarisé comme un jeu vidéo mais remet en scène certaines caractéristiques des jeux vidéo en 3D et en temps réel, tout autant que des réseaux sociaux. Les utilisateurs reproduisent les comportements du monde réel dans le monde virtuel, y compris sociaux et politiques, mais malheureusement aussi potentiellement violents, agressifs ou illégaux.
Philip Rosedale, fondateur de la société américaine Linden Lab ayant créé Second Life dans les années 2000, donnait sa vision en 2006 de ce métavers fondateur, toujours actif en ligne aujourd’hui : « Nous ne le voyons pas comme un jeu. Nous le voyons comme une plateforme qui, sous de nombreux aspects, est meilleure que le monde réel » (2). Au sein du monde virtuel Second Life, les marques avaient tenté une percée avant de se retirer pour la plupart, mais laissant un exemple d’interaction entre avatars et des espaces de socialisation pour écouter la musique, faire du shopping ou produire des objets (3). En parallèle, la réalité virtuelle était déjà préexistante grâce aux outils spécifiquement dédiés à la mise en place de cette expérience, notamment les gants, les systèmes audio, etc. Successivement, les industriels ont introduit une réalité virtuelle plus intense, grâce à des lunettes synchronisées et une baguette pour bouger les objets virtuels. Potentiellement, cette expérience est encore plus « réelle » grâce aux casques de réalité virtuelle réalisés par Oculus, HTC, Valve ou le français Lynx Mixed Reality, donnant aux utilisateurs la possibilité de se déplacer librement dans la pièce. C’est en 1990 que Thomas Caudell et David Mizell, chercheurs chez Boeing, introduisent le terme « réalité augmentée » (4) afin d’indiquer l’association du monde réel au monde virtuel, et l’introduction des éléments virtuels dans le monde réel, superposés, outil important dans les nouveaux environnements d’apprentissage.
Sur le plan pédagogique, la start-up Co-Idea soutenu par l’Inria (5) est spécialisée dans les technologies éducatives dites edtech et travaille sur l’idée de diffuser une forme de pédagogie active cohérente avec la révolution numérique actuelle. Un exemple d’application pédagogique et ludique de la réalité augmentée est le partenariat entre Ubisoft et le Château de Versailles qui ont lancé l’application mobile « The Lapins Crétins @ Versailles » (6). Cette application permet aux enfants de visiter le jardin, d’avoir des informations sur l’espace réel et jouer avec les lapins qui apparaissent sur l’application d’un smartphone. Ce projet s’inscrit notamment dans la politique de développement numérique de l’art. Ainsi, on le voit (c’est le cas de le dire) : de la réalité augmentée aux métavers, il n’y a qu’un pas mais le chemin de la régulation sera long.
Métavers, aujourd’hui et demain, partout ?
Le (ou les) métavers – metaverse en anglais – représente(nt) la dernière évolution fruit des caractéristiques d’Internet, des réseaux sociaux, du Web3, né avec le projet d’une possible décentralisation à tout niveau : des contrats, des transactions, des droits de propriété, des données personnelles, etc. La structure décentralisée permet de déployer les services rapidement sans avoir besoin d’une autorité centralisée, grâce aux principes de base de la blockchain. L’application de la blockchain aux métavers n’est pas obligatoire mais évolutive, récurrente et fondatrice. Il existerait 120 plateformes métavers, dont 53 « off-chain » soit non basées sur la blockchain, 67 basées sur la blockchain (7).

Blockchain et smart contract : disruptif
A cela s’ajoute le fait que la technologie blockchain peut aussi connecter le métavers au monde réel afin de sécuriser les échanges et le stockage des biens et données dans le métavers. Blockchain et smart contracts participent substantiellement à ce « tournant disruptif ». En effet ces « contrats intelligents » ont des caractéristiques communes avec les contrats électroniques tels que les lois les régissent, parfois ils les complètent, mais aussi ils obéissent à leur fonctionnement propre. La blockchain rend possibles les smart contracts et les jetons non-fongibles dits NFT (8), mais les lois en vigueur ne peuvent pas complètement les régir car ils entrainent et impliquent certaines caractéristiques totalement nouvelles qui ne sont pas encore appréhendées. Or ce sont ces blockchain et smart contracts qui, par hypothèse, ouvrent la possibilité de la décentralisation. En résumé, blockchain et smart contracts – consubstantiels au métavers – participent à la disruption en ouvrant des possibilités technologiques, factuelles et juridiques, dont certaines ne sont pas encore légalement appréhendées.

Le métavers n’est pas hors-la-loi
La décentralisation est une des modalités majeures rendue possible. Possible mais pas incontournable, car l’expérience a montré à quel point les marchés prônant décentralisation et dérégulation avaient tendance à réopérer rapidement de nouvelles formes de concentrations.
Souvent les utilisateurs voudraient pouvoir utiliser les biens en passant d’un métavers à l’autre : l’interopérabilité des métavers reste un objectif à étudier. La faculté d’emmener les actifs et avatars d’un endroit à l’autre des métavers, quel que soit l’exploitant, est un enjeu similaire à celui de la portabilité des données entre réseaux sociaux.
Réguler avec modération des services émergents
Le métavers a été défini, dans un rapport remis au gouvernement français fin octobre 2022, comme « un service en ligne donnant accès à des simulations d’espace 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives » (9). Le métavers représente également une évolution économique importante ; nous assistons au passage du e-commerce au v-commerce ; les métavers permettent des transactions dans l’économie réelle. L’économie numérique en général et l’économie virtuelle en particulier sont en forte expansion grâce aux métavers et à l’usage de monnaie virtuelles (cryptomonnaies), ainsi que des smart contracts et des NFT.
Les défis juridiques actuels des places de marchés et plateformes comme Horizon Worlds de Meta, OpenSea d’Ozone Networks ou encore la frahttps://www.editionmultimedia.fr/wp-content/uploads/2022/10/Rapport-du-gouvernement-Mission-exploratoire-sur-les-metavers-24-10-22.pdfnçaise The Sandbox, sont notamment: la souveraineté numérique, la (cyber)sécurité, les droits de l’homme et des citoyennes et citoyens, la liberté d’expression, la protection des mineurs et de la vie privée, la préservation d’infrastructures ouvertes et de communs numériques, le respect des règles de concurrence et de la propriété intellectuelle, la conformité au droit du travail, la maîtrise de l’impact environnemental, la protection des données personnelles, la protection contre les risques sociotechniques, la bonne connaissance des liens existantes entre le métavers, la blockchain et les cryptoactifs, le déploiement partagé à travers le monde des opportunités technologiques. Il est essentiel qu’aucune entreprise ne gère seule le métavers : il s’agira d’un « Internet incarné », a déclaré le cofondateur de Facebook Mark Zuckerberg, exploité par de nombreux acteurs différents de manière décentralisée. Aujourd’hui, l’essentiel de ces thèmes sont couverts tant par le droit national que par le droit international, public comme privé. Les nouveautés du métavers ne doivent pas conduire à une fausse conception du régime juridique qui lui est applicable, car il existe. D’une part, le droit commun civil, commercial et de la consommation trouvent naturellement à s’appliquer à la métavers, et ils sont contraignants. Les métavers devront par exemple rédiger des CGV (10) exhaustives. Le droit de la consommation et des contrats s’appliquera (11). Mais l’anticipation est risquée, et quand le système juridique sera confronté à une nouveauté disruptive ou à une difficulté d’exécution, des mises à jour deviendront nécessaires.
D’autres bases plus spécifiques existent : la loi « pour la confiance dans l’économie numérique » du 21 juin 2004 (dite LCEN) en constitue notamment un fondement primordial. En matière de propriété intellectuelle, une plainte en contrefaçon a déjà pu être déposée à New York par la maison Hermès à l’encontre du créateur de NFT « MetaBirkins ». D’autre part, de nouvelles réglementations sont déjà attendues. C’est notamment le cas des réglementations européennes sur les marchés et services numériques (DSA-DMA) qui entreront en vigueur en 2023 et 2024.
Or, le métavers, comme la blockchain ou les smart contracts, sont par nature disruptifs et ont un potentiel de déclinaisons à l’infini, ce qui rend ardue la légifération à leur égard. Comment donner un cadre légal pertinent et stable à un système dont nous commençons seulement à effleurer la surface ? Le rapport de la mission exploratoire sur les métavers précité propose par exemple de consacrer un nouveau droit fondamental : le droit au respect de l’intégrité psychique. Une plateforme qui remplirait les conditions du Digital Markets Act (DMA) lui serait potentiellement soumise, mais ni ce seul principe ni ses modalités d’applications ne présentent de réponse suffisante et assez protectrice. Des précisions et adaptations aux lois seront nécessaires, tant pour le DMA et le Digital Services Act (DSA) que pour la protection des données personnelles à travers le monde, ainsi que notamment pour les règles de modération.

Questions juridiques, non métaphysiques
La place du juge, en tant qu’interprétateur de la loi, suffira-t-elle à répondre à ces questions, et faudra-t-il compléter par de nouvelles règles, voire un régime sui generis ? Le cas échéant, l’implémentation de plusieurs réglementations au niveau local pourra-t-elle être viable au regard du caractère inhéremment international des métavers ? D’évidence, le futur juridique de l’ère des métavers devra reposer sur un solide consensus international. Si le métavers n’est pas dans un vide juridique, il doit cependant être régulé pour le bien commun et partagé. @

* Anne-Marie Pecoraro est avocate spécialisée en droit de la propriété intellectuelle,
des médias et des technologies numériques, UGGC Avocats.

Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, veut renforcer les contenus français dans « l’océan numérique » mondial

C’est « le » 27e ministre de la Culture sous la Ve République française et la 11e femme à cette fonction (1). La Franco-Libanaise Rima Abdul Malak est depuis le 20 mai la nouvelle locataire de la rue de Valois. Jamais les défis n’ont été aussi grands pour les « industries culturelles et créatives », notamment face à « la révolution numérique ».

« Je suis résolue à défendre notre souveraineté culturelle pour affirmer la place de la création française, de la langue française, de l’innovation française dans l’océan numérique, et bientôt dans le métavers, vous l’avez dit [se tourant vers Roselyne Bachelot], amplifier le développement de notre cinéma, de nos industries créatives, à la fois en France, en Europe et à l’international », a lancé Rima Abdul Malak (photo) lors de la passation de pouvoirs avec Roselyne Bachelot, le 20 mai, au ministère de la Culture, rue de Valois. Et de poursuivre au cours de son discours : « Je suis résolue à défendre un audiovisuel public, pluraliste et indépendant, un audiovisuel qui va continuer à s’adapter aux nouveaux usages et à cette révolution numérique qui ne cesse de s’accélérer ». Rima Abdul Malak (43 ans) est une « Millennial » de la première heure, née 11 février 1979 à Beyrouth, au Liban. Dès son enfance, elle a été immergée dans la télévision, le cinéma, le jeu vidéo et les terminaux numériques. Elle découvrira Internet avec la « Génération Z » suivante, ceux nés dans le milieu des années 1990. Lors de son allocution d’intronisation, Rima Abdul Malak (« RAM ») a emboîté le pas à Roselyne Bachelot, notamment sur la question des « industries culturelles et créatives » (ICC) confrontées à « la révolution numérique ».

La perspective des « métavers » culturels agite la rue de Valois
RAM est la ministre de la Culture dont les attentes de la part des ICC – pesant 91,4 milliards de chiffre d’affaires en 2018 et 2,3 % du PIB français avant la pandémie (2) – n’ont jamais été aussi élevées, après deux ans de restrictions et de fermetures (salles de cinéma, concerts, spectacles vivants, théâtres, librairies, …) dues au covid-19, mais aussi face à la révolution numérique qui s’amplifie d’année en année. L’ex-conseillère Culture d’Emmanuel Macron à l’Elysée devra notamment mettre en œuvre l’engagement de son mentor, alors président-candidat, d’investir « pour construire des métavers européens et proposer des expériences en réalité virtuelle, autour de nos musées, de notre patrimoine et de nouvelles créations, en protégeant les droits d’auteur et droits voisins » (3). Le locataire de l’Elysée (44 ans), à peine plus de treize mois plus âgé qu’elle, n’a donné que les grandes lignes de ce qu’il entendait par « métavers européens » et notamment dans le domaine de la culture.

Redevance audiovisuelle, Web3, streaming, NFT, …
« Concrètement, je veux faire en sorte que les acteurs européens maîtrisent les briques technologiques associées au Web3 et au métavers pour ne pas dépendre des géants américains ou chinois », avait expliqué Emmanuel Macron fin avril dans une longue interview à The Big Whale. Et le chef d’Etat d’envisager ces univers virtuels et immersibles pour la culture justement : « Bâtir un métavers européen c’est aussi produire, promouvoir et maîtriser nos contenus culturels et créatifs. Le métavers a un immense potentiel dans la culture et les loisirs grâce à ses applications dans la musique, concerts, expositions artistiques, etc. Nous ne pouvons réfléchir notre politique culturelle en dehors de cette révolution. Je souhaite que nos principaux établissements culturels développent une politique en matière de NFT (…). La France, à travers sa langue, son patrimoine, ses villes et villages, ses monuments, doit aussi exister dans le métavers. Je souhaite que nous puissions réfléchir à ce que serait un musée dématérialisé de l’histoire de France dans cet univers » (4). RAM, déjà confronté aux difficultés réelles de la culture, devra faire face à celles des métavers.
Autre gros dossier sur son bureau rue de Valoir : la suppression de la redevance audiovisuelle, « décision précipitée et malvenue du Président de la République », dit le 23 mai la Société civile des auteurs multimédias (Scam). Un rapport sur « l’avenir du financement du service public de l’audiovisuel » devrait lui être remis avant la fin de ce printemps par la mission qu’il avait confiée en octobre 2021 à l’IGF (5) et à l’Igac (6). Mais le flou nourrit les inquiétudes. « L’absence de toute garantie d’un financement affecté – de nature à maintenir une ambition élevée du service public, à l’égard notamment de la création, et à assurer une indépendance incontestable – ouvre la porte à une fragilisation durable et dangereuse de l’audiovisuel public », a pointé le 20 mai la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) prévient, lui, qu’il sera « vigilant ». Ou encore le Syndicat des radios indépendantes (Sirti) et Locales.tv qui appellent à créer « un statut pour les médias audiovisuels locaux privés ».
Dans le secteur de la musique, alors qu’un « accord historique » a été signé le 12 mai sur la rémunération minimale des artistes diffusés en streaming musical (lire p. 6 et 7), la question du mode calcul de ces rémunérations reste encore en suspens : faut-il passer de l’actuel market centric au user centric, comme le suggèrent encore le 20 mai l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) et son bras armée « copyright » la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) ? Un rapport commun du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) et du Centre national de la musique (CNM), attendu pour juillet, devrait aider RAM à trancher, alors que la musique est en passe d’être « NFTéisée ».

Pass Culture, concentration, « mur d’investissements », …
Quant à l’« extension du Pass Culture pour accéder plus jeune à la culture », cette appli culturelle créditée de 300 euros offerts pour les 18 ans, elle devra aller plus loin que l’extension mis en place depuis janvier dernier à partir de 15 ans – les 15, 16 et 17 ans ne recevant que respectivement 20, 30 et à nouveau 30 euros. Sans parler des défis de la concentration dans les médias (TF1-M6, …) ou l’édition (Hachette-Editis, …) qui se poseront à elle. Quoi qu’il en soit, les 4 milliards alloués en 2022 à la Culture – soit 0,5% du budget de l’Etat – semblent bien maigres face au « véritable mur d’investissements » (dixit Roselyne Bachelot) qui se présente à RAM. Du jamais vu sous la Ve République. @

Charles de Laubier

Bilan et perspective de Roselyne Bachelot-Narquin, par elle-même
Verbatim (extrait) :

« Il fallait accompagner les évolutions majeures de ces industries culturelles et créatives. Tout d’abord, en réformant profondément le financement de la création audiovisuelle et du cinéma : la mise en place – à l’issue de… longues [levant les yeux au ciel] et interminables négociations du décret SMAd (7) qui intègre les plateformes américaines [Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, …, ndlr] dans notre système original de financement, et sa déclinaison pour la TNT (8), et puis la fameuse renégociation – que l’on nous disait impossible – de la chronologie des médias (9). Il nous a fallu batailler, notamment au Parlement, pour préserver un autre mode de financement indispensable au secteur, comme les festivals et la rémunération pour copie privée ; l’accès aux contenus culturels se fait de plus en plus à travers différents supports et il faut vraiment protéger les droits des artistes. Nous avons modernisé la régulation du secteur audiovisuel grâce à sa loi sur ‘”la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique” ; personne n’y croyait : tant mieux ! Et puis nous avons accompagné les évolutions de l’ensemble de nos industries culturelles à travers le PIA4 (10), puis  »France 2030 » – 1 milliard d’euros au total [en 2021, ndlr] – pour qu’elles puissent préparer l’avenir et affronter une compétition internationale de plus en plus rude. La révolution numérique est à l’œuvre depuis si longtemps ; elle est loin d’être terminée ; des évolutions majeures sont en cours autour des nouvelles pratiques de diffusion de la culture, comme le métavers par exemple. Notre culture a un rôle majeur pour proposer très vite des contenus pour ces nouvelles formes de diffusion. Le développement accéléré des grandes plateformes de musique et de vidéo à la demande a aiguisé une compétition terrible et mondiale. Nous pourrons ainsi financer de nouvelles capacités de formation de tournage, de création dans tous les domaines de l’audiovisuel, du cinéma et de la réalité virtuelle. Nous ne pouvons pas passer à côté de ces évolutions majeures ni laisser le champ libre aux seules cultures extra-européennes. Il s’agit de notre rayonnement. (…) Sans parler de la réforme de la redevance de l’audiovisuelle publique … [ouvrant de gros yeux perplexes en direction de sa successeure Rima Abdul Malak, ndlr],qui devra être garante de son indépendance… ». @

Les métavers et la propriété intellectuelle : quelle protection pour les titulaires de marques ?

Deux principes fondamentaux régissent, dans le monde réel, le droit des marques : la spécialité et la territorialité. Mais qu’en est-il dans les mondes virtuels à l’ère des métavers ? Entre vide juridique et absence de jurisprudence, les titulaires de ces marques doivent s’y aventurer prudemment.

Par Véronique Dahan (photo), avocate associée, Joffe & Associés.

Le métavers – ou metaverse en anglais – est l’une des tendances les plus en vogues depuis la fin de l’année 2021. Cet intérêt soudain pour les espaces virtuels s’est fortement développé suite à l’annonce, faite par Mark Zuckerberg en octobre 2021, du changement de la dénomination du réseau social le plus populaire du monde (2,8 milliards d’utilisateurs mensuels). Facebook est ainsi devenu Meta (1), et le géant américain a promis « de donner vie au métavers et d’aider les gens à se connecter, à trouver des communautés et à développer des entreprises » (2).

Principes de spécialité et de territorialité
Il est aujourd’hui possible de rattacher un métavers à une blockchain, une chaîne de blocs (voir encadré page suivante). Les métavers fonctionnant grâce elle permettent à leurs utilisateurs de devenir propriétaires de tous les biens virtuels qui y sont créés : parcelles de terrains, bâtiments, œuvres d’art, vêtements, etc. On peut citer comme exemple « The Sandbox Game » qui est un métavers décentralisé fonctionnant sur la blockchain Ethereum et qui offre aux utilisateurs la possibilité de créer, utiliser, acheter ou vendre toute sorte d’items numériques associés chacun à un jeton non-fongible dit NFT (Non-Fungible Token). Ces deux révolutions – métavers et blockchain – sont le signe d’une « hyperconvergence technologique » (3) propice au métavers. Internet bascule d’un web 2.0 purement collaboratif, où les utilisateurs peuvent créer et diffuser du contenu, à un web 3.0 (ou Web3) immersif et appropriable. Ce basculement permet d’affirmer que le métavers n’a jamais été aussi proche du monde réel.
C’est la raison pour laquelle divers secteurs économiques – luxe, sport, mode, musique, art, … – s’intéressent aux possibilités offertes par le métavers et construisent leurs projets en conséquence. Les marques investissent d’ores et déjà dans le métavers, à l’image de Nike qui a lancé sont propres métavers sur la plateforme Roblox : Nikeland (4). La plateforme Decentraland a, quant à elle, organisé fin mars 2022 la toute première « Metaverse Fashion Week » (5). L’événement comprenait des défilés, des expositions de pièces de luxe, des concerts, des discussions et toutes sortes d’expériences virtuelles. Les marques prenant part à cet événement dans le métavers ont donc eu l’occasion de présenter leurs produits numériques sous forme de NFT, que les utilisateurs pouvaient acquérir dans le but de vêtir leur avatar de parures uniques et exclusives. Parmi ces marques, les visiteurs ont retrouvé Philipp Plein, Forever 21, Karl Lagarfeld ou encore Vogue & Hype. Beaucoup d’entreprises s’interrogent sur la stratégie à adopter pour protéger leurs marques dans le métavers. Les problématiques juridiques rencontrées dans le monde physique tendent à se transposer au métavers, que ce soit en matière de données personnelles, de droit de la consommation et évidemment de droit de la propriété intellectuelle. A ce jour, il n’existe aucune réglementation propre au métavers. A ce titre, la question de la stratégie à adopter afin d’obtenir une protection optimale de ses marques dans le métavers est cruciale. Le droit des marques est un droit monopolistique, en ce sens que la protection découlant de la marque permet à son titulaire d’évincer tous ses concurrents de l’utilisation à des fins commerciales d’un signe distinctif identique ou similaire.
Le droit des marques est régi par deux principes fondamentaux, dont l’extension au monde virtuel peut sembler épineuse : le principe de spécialité, d’une part, et le principe de territorialité, d’autre part.
Est-ce nécessaire de protéger sa marque pour les produits et services liés spécifiquement au métavers ?
Le code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que « l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu’il a désignés » (6). En vertu du principe de spécialité, une marque n’est protégée que pour les produits et services visés lors du dépôt (sauf pour les marques de renommées qui bénéficient d’une protection juridique élargie au-delà des produits et services pour lesquels elles ont été enregistrées). Toute la question est donc de savoir si un bien ou un service du monde réel pourrait être considéré comme identique ou similaire à son équivalent virtuel et générer un risque de confusion dans l’esprit du public.

Réel et virtuel : risque de confusion
De prime abord, nous pourrions penser qu’un bien ou un service réel et son équivalent virtuel sont différents dans la mesure où ils ne rempliraient pas la même fonction. Si nous prenons l’exemple d’un sac : un sac virtuel n’est autre que des données informatiques représentées sur un écran. Il ne remplit pas sa fonction première qui est d’y ranger ses affaires. Toutefois, cette fonction première n’est pas la seule et unique fonction d’un sac. Comme dans le monde réel, le sac acheté dans le métavers, pour des avatars par exemple, le sera pour des considérations esthétiques et pas seulement pratiques, ainsi que pour des considérations d’image. Est-ce qu’en achetant un bien virtuel de telle ou telle marque dans le métavers, le consommateur fera-t-il le lien avec la marque/l’entreprise du monde réel ? La détermination du risque de confusion est évidemment subjective et dépend de chaque cas d’espèce. L’analyse ne se fait pas uniquement au regard des produits et services.

Déposer une marque : penser au virtuel
L’examen des signes en cause et des produits/services ne se fait pas de façon hermétique : il existe une interdépendance entre ces deux éléments. Ainsi, la faible similitude entre les produits peut être compensée par la haute ressemblance entre les signes, et vice versa. De même, si le signe revêt un caractère distinctif fort ou une certaine notoriété, le risque de confusion est augmenté. Il semble donc qu’une marque pourrait a priori être suffisamment protégée contre des usages dans le métavers, et ce même si elle n’est enregistrée que pour désigner des produits et services « classiques ».
Pour éviter tout débat et dans la mesure où il n’y pas encore de jurisprudence en la matière, il est toutefois recommandé aux titulaires de marques de déposer leurs marques en visant également des produits et services liés au métavers : biens virtuels téléchargeables, services de divertissement, à savoir la fourniture de vêtements (…) virtuels en ligne et non téléchargeables, destinés à être utilisés dans des environnements virtuels.
Est-il possible d’assurer la protection territoriale de la marque, produits et services, à l’ère du métavers ?
La marque est un droit territorial en ce sens que le monopole que détient le titulaire sur sa marque ne peut être opposé aux tiers que sur le territoire duquel l’enregistrement a été obtenu. Il peut dès lors sembler délicat de concilier le principe de territorialité de la marque avec le métavers. Par définition, le métavers est détaché de tout territoire puisqu’il prend la forme d’un univers à part entière.
On peut également estimer que le métavers a un caractère mondial, accessible à des utilisateurs établis aux quatre coins du globe. Se pose alors la question de savoir si une marque enregistrée uniquement en France peut bénéficier d’une protection efficace contre des actes de contrefaçon commis dans le métavers. Le simple accès au métavers par des utilisateurs français permettrait-il de considérer qu’il y a contrefaçon ?
La solution qui pourrait être adoptée serait celle communément admise s’agissant des atteintes aux marques sur Internet (7). La jurisprudence a établi la théorie de la focalisation en matière de contrefaçon sur Internet, en vertu de laquelle l’acte de contrefaçon d’une marque française est constitué dès lors qu’un faisceau d’indices permet de démontrer que l’internaute français est la cible du site web étranger (accessibilité du site, utilisation de la langue française, livraison en France, etc.). Toutefois, contrairement aux sites Internet dont il est possible de démontrer qu’ils ont un public ciblé géographiquement, le métavers est quant à lui global, ne faisant pas a priori de différences en fonction de la géolocalisation des utilisateurs. @

FOCUS
C’est quoi exactement le métavers et pourquoi un tel engouement ?
Contraction des mots « meta » (« au-delà de » en grec ancien) et « univers » (« universum » en latin), le métavers peut se définir comme un monde virtuel dans lequel des individus peuvent se retrouver pour interagir avec d’autres. Il n’existe pas qu’un seul et unique métavers. Les métavers sont innombrables et peuvent prendre des formes diverses et variées en fonction de leur objet.
Tandis que certains métavers prennent la forme de jeux vidéo, d’autres apparaissent comme des réseaux sociaux immersifs, ou des environnements virtuels de travail (8). Les plus optimistes imaginent déjà une interopérabilité entre les métavers permettant d’aboutir à un univers virtuel unique.
Le début d’année 2022 est particulièrement marqué par l’enthousiasme de nombreux secteurs économiques pour le métavers. Pourtant, l’idée d’un monde parallèle et entièrement dématérialisé n’est pas nouvelle. Les prémices du métavers sont apparues en 1992, dans le roman « Snow Crash » écrit par Neal Stephenson, à une époque où Internet n’était encore qu’un sujet de niche. Visionnaire et précurseur, l’auteur décrit la vie de Hiro, un hacker vivant dans un conteneur qui, pour oublier son quotidien de misère, se plonge dans un univers virtuel haut de gamme : le metaverse. La première matérialisation du métavers surgit au début des années 2000 avec la création du jeu « Second Life » qui, comme son nom l’indique, propose à ses utilisateurs d’avoir une vie parallèle à celle du monde réel (9). Aujourd’hui, il y a aussi « Roblox », « Minecraft » (10) ou encore « GTA Online » que l’on qualifie communément de « sandbox » (bac-àsable), c’est-à-dire des jeux en monde ouvert au sein desquels les joueurs peuvent communiquer, créer et échanger tout type de biens virtuels.

L’effervescence actuelle autour du métavers semble être la conséquence de deux révolutions technologiques plus ou moins récentes : les casques de réalité virtuelle et la blockchain.
D’une part, casques de réalité virtuelle, dont la commercialisation auprès du grand public des premiers modèles à partir de 2016, a eu pour effet de changer notre rapport avec le numérique. Le virtuel ne se trouve plus derrière notre écran d’ordinateur ou de portable ; il se vit, se contemple et devient quasi palpable. Le métavers vécu au travers de cette nouvelle technologie prend alors tout son sens. Les casques de réalité virtuelle permettent une immersion pleine et entière dans des environnements textuels riches et en trois dimensions. Le passage du monde physique à un monde immatériel est alors rendu possible.

D’autre part, la technologie blockchain a occasionné le développement d’un phénomène nouveau : la propriété digitale. La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’information. Autrement dit, c’est un registre public et décentralisé permettant d’enregistrer, d’horodater, de conserver et de rendre accessible aux utilisateurs toute information qui y est inscrite (11). La blockchain apparaît donc comme une garantie de l’authenticité d’une information, d’un document ou d’une transaction. @

A 170 ans, la Sacem n’a jamais été aussi fragilisée mais compte rebondir grâce aux droits d’auteur du numérique

Une nouvelle ère plus « streaming », « data », « blockchain » et même « métavers » ou « NFT » s’ouvre à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem). Cécile Rap-Veber, première femme à sa tête en 170 ans, devra aussi sortir de son déficit chronique cet organisme historique de la gestion collective.

Pour ses 170 ans, la Sacem n’est pas près de partir à la retraite ni de battre en retraite. Pourtant, la chute de ses recettes au cours de 2020 et 2021, années sévèrement impactées par les fermetures des lieux publics diffusant de la musique (salles de concert, festivals, discothèques, cafés, bars à ambiance musicale, magasins, salles de cinémas, hôtels, kermesses, …), met en péril cette société privée à but non lucratif créée en 1851.
Sa santé financière était cependant déjà vacillante avant la pandémie de coronavirus, puisque la Sacem est déficitaire depuis trois années consécutives – quand bien même n’a-t-elle pas vocation à dégager des bénéfices ni à verser des dividendes à des actionnaires. Rien que pour l’année 2020, la « perte » s’est creusée de plus de 800 % sur un an, à près de 33 millions d’euros, ce que la société de gestion collective des droits musicaux appelle « l’insuffisance de prélèvements ». Mais ce n’est pas ce déficit-là (32,7 millions précisément) sur lequel la maison ronde de l’avenue Charles-de-Gaulle à Neuillysur- Seine a communiqué l’an dernier, mais sur un « un résultat de gestion négatif » de 26,8 millions d’euros, montant repris par les médias. La différence non négligeable vient de la « réserve positive de 5,9 millions d’euros à fin 2019 » qui a permis de parvenir à un solde négatif moindre en fin d’exercice 2020.

330 millions d’euros versés par les plateformes numériques en 2021
Cette « insuffisance de prélèvements » représente alors un pourcentage de 12 % des charges de la Sacem (1). Du jamais vu en 170 ans, d’autant que ses statuts prévoient que « le compte de gestion ne peut connaître (…) de déficit supérieur à 5 % du total des charges brutes ». Comme pour l’année 2020, la société de gestion collective des droits musicaux a dû décider, lors de son assemblée générale de juin dernier, d’y déroger aussi pour l’année 2021, dont l’ampleur du déficit n’est pas encore connue. « La crise a accentué la fragilisation de vos métiers et de vos revenus. Vous le savez, l’année 2022 restera une année difficile, puisque les droits d’auteur sont par nature versés en décalé et que nous subirons les pertes liées à l’absence de vraie reprise en 2021 », a déjà prévenu Cécile Rap-Veber (photo de Une), nouvelle directrice générale-gérante de la Sacem, en s’adressant fin décembre aux 182.520 membres en France et à l’international (dont 175.750 auteurs, compositeurs, créateurs et 6.770 éditeurs), dans le magazine des sociétaires. La Sacem, organisée sur le modèle d’une coopérative, collecte et répartit les droits d’auteur qu’elle considère comme le « salaire » des musiciens : si l’année 2019 du « monde d’avant » affichait une collecte totale de plus de 1,1 milliard d’euros, l’exercice suivant a accusé le coup des fermetures pour s’en tenir à 988,5 millions d’euros, soit une chute de près de 12 %.

Le « online » : 35 % de la collecte de la Sacem en 2021
Ce « repli historique » – dixit l’ex-directeur général-gérant Jean-Noël Tronc (photo ci-dessous) dans son rapport de 2020 – touche durement toutes les sources de prélèvement avec pour chacune un recul à deux chiffres en pourcentage (danse, spectacles, sonorisation et autres). Toutes ? Non. Le « online » est le segment, tel que désigné par la Sacem, où la collecte continue de progresser : + 26 % en 2020 à plus de 291,1 millions d’euros, et, d’après Cécile Rap-Veber, les versements dus par les services numériques en ligne à la Sacem ont continué à croître fortement l’an dernier malgré un contexte inchangé pour les autres contributeurs : « Nous estimons ainsi à plus de 330 millions d’euros les droits d’auteur collectés sur les plateformes cette année. La part du online représentera 35 % des revenus de la Sacem en 2021 [contre 29,4 % en 2020 et 21 % en 2019, ndlr], alors qu’elle n’était que de 6 % il y a cinq ans », a-t-elle révélé aux sociétaires. Par temps de crise sanitaire conjuguée au déficit financier chronique, le numérique – streaming et vidéo à la demande en tête – permet à la Sacem de compenser partiellement la baisse des autres droits, à défaut de faire bonne figure.
« Cette croissance soutenue résulte à la fois de renégociations et nouveaux contrats (Facebook, Amazon Unlimited), de la croissance des revenus et de régularisations », avait indiqué l’an dernier la Sacem lors de la présentation de ses comptes. Cécile Rap-Veber, surnommée parfois « CRV », a mené ces négociations avec les GAFA et les grandes plateformes de streaming musical que sont Spotify (accord en 2008), YouTube, Apple Music, Amazon Music Unlimited, Facebook (en 2018), SoundCloud, Deezer, mais aussi Netflix (en 2014), Amazon Prime Video (en 2019) et Twitch (en 2020). Les accords dits de « licensing multiterritoriaux » se sont multipliés pour tenter de « capter la valeur des droits de ses membres ». Historiquement, le premier contrat signé par la Sacem remonte à… 1999, avec FranceMP3.com (le pionnier oublié, disparu aujourd’hui, de « la musique du Net » et considéré comme « l’ancêtre français d’iTunes »). CRV est aussi l’initiatrice en 2016 de l’application Urights développée avec IBM dans le cadre d’un contrat de dix ans (courant jusqu’en 2027). Présenté aujourd’hui comme « la première plateforme mondiale de traitement des exploitations d’oeuvres en ligne », cet outil de gestion Big Data des droits numériques a remplacé progressivement l’application Selol jusqu’alors utilisée pour le suivi des droits online (et dépréciée en conséquence dans les comptes de la Sacem). Hébergé dans le cloud du géant américain de l’informatique (« Big Blue » pour les anciens) – n’en déplaise aux souverainistes français du numérique –, Urights a le bras long car il permet l’identification des droits liés aux oeuvres exploitées en ligne, partout dans le monde, à l’aide d’un « tracking » des ventes sur les services de streaming et de téléchargement de musiques. Et boosté à l’intelligence artificielle et au machine learning, Urights apprend vite. La « vieille dame » de 170 ans prend ainsi des airs de start-up géante du Big Data d’envergure internationale, capable de Business Intelligence. A savoir : analyser et présenter des quantités massives de données collectées et en croissance exponentielle, provenant des plateformes de streaming et des autres sociétés de gestion collective dans le monde. « Nous sommes en mesure de traiter plusieurs trilliards d’actes de streaming à l’année », a assuré Cécile Rap-Veber, qui est entrée à la Sacem en 2013 comme directrice des licences. La question de l’évolution de la rémunération des artistes se pose d’ailleurs : fautil inciter les plateformes de streaming à passer du « market centric » (royalties calculées au prorata des écoutes totales) au « user centric » (rémunération en fonction des écoutes individuelles des abonnés) ? La Sacem devra y répondre dans le cadre d’une mission du CSPLA (2) et du CNM (3) sur ce sujet sensible (4), dont la remise du rapport est, selon les informations de Edition Multimédi@, attendu pour juillet prochain (5).
Pionnière mondiale dans l’industrie musicale, de par son répertoire d’œuvre qui est le deuxième au monde après l’équivalent anglo-américain, la Sacem va profiter de cette plateforme Urights pour s’ouvrir à la gestion des droits des contenus audiovisuels et à d’autres types de droits (6) comme ceux la presse en venant en soutien de la société Droits voisin de la presse (DVP) créée fin octobre 2021 et présidée par Jean-Marie Cavada. Le «m» de Sacem ne rime plus seulement avec « musique » mais de plus en plus avec «multimédia ».

« CRV », avocate, ex-Universal Music et technophile
La vieille dame (la Sacem, pas Cécile Rap-Veber, 51 ans) se met en ordre de bataille pour aller chercher les droits d’auteurs jusque dans les tout nouveaux écosystèmes numériques, nouvelles sources de revenus. « Nous allons également renforcer nos investissements technologiques, créer les conditions pour que la Sacem et ses membres s’emparent des innovations telles que les NFT [utilisés par exemple par le rappeur Booba conseillé par CRV, ndlr] ou la blockchain (7), et puissent saisir les nouvelles opportunités que peut créer le métavers », a indiqué aux sociétaires celle qui fut durant treize ans (2000-2013) directrice juridique puis développement de la major Universal Music. Début novembre, la maison ronde de Neuilly sur Seine s’est dotée d’un conseil pour la stratégie et l’innovation (CSI) – « parrainé » par Jean-Michel Jarre. @

Charles de Laubier