Médiamétrie s’apprête à désigner la personne qui succèdera à son PDG Bruno Chetaille, sur le départ

L’institut de mesure d’audience Médiamétrie aura un nouveau président pour ses
35 ans. Bruno Chetaille avait fait savoir, dès fin 2017 à son conseil d’adminis-tration, qu’il souhaitait partir. La personne qui lui succèdera fin mars 2020 va être désignée
le 25 septembre prochain. C’est un poste hautement stratégique mais exposé.

La troisième personne qui présidera Médiamétrie, après sa fondatrice Jacqueline Aglietta et son successeur Bruno Chetaille (photo), sera connue dans les prochains jours. « La décision sera prise lors du conseil d’administration de septembre. Le process suit son cours », indique à Edition Multimédi@ Raphaël de Andréis (1), président du comité de nomination de Médiamétrie, dont il est membre du conseil d’administration. Selon nos informations, cette réunion d’intronisation est fixée au 25 septembre. Bruno Chetaille avait signifié dès fin 2017 son souhait de partir. Afin de procéder au recrutement dans la plus grande sérénité et d’assurer le tuilage, la décision avait été prise en juin 2018 de prolonger le mandat de l’actuel PDG jusqu’à fin mars 2020.
Les auditions des candidats se sont déroulées durant cet été devant le comité de nomination par délégation du conseil d’administration, au sein duquel siègent aussi Delphine Ernotte (présidente de France Télévisions), Nicolas de Tavernost (président
du directeur du groupe M6), Ara Aprikian (directeur général adjoint de TF1 chargé des contenus), Sibyle Veil (présidente de Radio France), Frank Lanoux (vice-président d’Altice Media) ou encore Jean-Luc Chetrit (directeur général de l’Union des marques).

Nomination scrutée par les clients et coactionnaires
C’est que tout le monde médiatique et publicitaire que compte la France surveille comme le lait sur le feu le processus de désignation du troisième président de cette entreprise,
dont les mesures d’audience sont aussi déterminantes pour les grilles des programmes
que sensibles pour l’économie publicitaire des chaînes de télévision, des stations de radio, des sites web et même des salles de cinéma.
Chez Médiamétrie, rien ne se fait sans l’aval et le consensus des professionnels des médias, des annonceurs et des agences, dont certains détiennent chacun une participation minoritaire du capital de l’entreprise : côté médias (65 % du capital), Radio France, Europe 1 (Lagardère), SFR Média (Altice), TF1, France Télévisions, l’Ina, Canal+ ou encore M6 ; côté publicité (35 %), l’Union des marques, DDB (Omnicom), Dentsu Aegis, Havas Media, Publicis ou encore FCB. Désigner la personne qui présidera aux destinées d’un Médiamétrie de plus en plus digital, data, global et international nécessite une grande précision, afin de trouver le mouton à cinq pattes capable de relever les défis qui se présenteront à lui. Au moins trois noms ont circulé : Yannick Carriou (PDG de Teknowlogy/ex-CXP, ancien d’Ipsos Connect), Sébastien Danet (président d’IPG Mediabrands France, ancien de Publicis Media) et Denis Delmas (président du Cnam Incubateur, ancien de TNS-Sofres et d’Havas). Convaincants ? Aucun commentaire chez Médiamétrie.

Après les fortes turbulences du « Fungate »
La personne retenue devra avoir les épaules solides pour assumer la lourde responsabilité de ce tiers de confiance médiatique très exposé. Bruno Chetaille, PDG de Médiamétrie depuis décembre 2006, en est à son quatrième mandat. Sur les treize années passées à la tête de cet institut de mesure d’audience, ce fut sans doute le plus difficile. L’affaire dit « Fungate » a été éprouvante. Fun Radio (RTL Group/M6) s’est rendue coupable en 2016 d’avoir gonflé ses mesures d’audience au détriment des ses concurrentes, un animateur ayant conseillé à ses auditeurs de mentir aux enquêteurs de Médiamétrie. NRJ (NRJ, Chérie, Nostalgie, Rire & Chansons), Lagardère (Europe 1, RFM, Virgin Radio), Skyrock, les Indés Radios (131 radios) et NextRadioTV (Altice Média) s’en sont plaints et ont fait faire une enquête au Centre d’étude des supports de publicité (CESP). En décembre 2016, ils ont déposé plainte devant la justice pour « concurrence déloyale ». Cependant, au cours des deux années suivantes, quatre des plaignants – sans que RTL Group ne les désigne dans son dernier rapport annuel où il fait le point sur cette affaire – ont mis un terme à leur action en justice.
Le reste de la procédure est suspendue en attendant le rapport de l’expertise judiciaire demandée par Fun Radio en décembre 2017 et accordée par la Cour d’appel de Versailles. Selon RTL Group, ce rapport d’expertise judiciaire portant sur les corrections effectuées par Médiamétrie sur les audiences de Fun Radio qui les conteste, était attendu pour « le deuxième trimestre 2019 »… pas de nouvelle. Mi-2016, Médiamétrie avait suspendu les résultats d’audience de Fun Radio, avant de les réintégrés mais en les corrigeant à la baisse du premier semestre 2016 au premier semestre 2017. L’institut a justifié ces correctifs sur un an pour prendre en compte « un effet halo ». Contestant la méthode de calcul aboutissant, selon elle, à de « très lourdes corrections » de son audience, la radio « dancefloor » de RTL Group avait alors engagé un bras de fer judiciaire avec l’institut en l’accusant de « traitement discriminatoire depuis plus d’un an ». L’issue de ce « Fungate » dépendra donc des conclusions de l’expert. Par ailleurs, le 5 août dernier, des radios privées comme NRJ, RFM, Skyrock ou encore Virgin Radio ont contesté les sondages de Médiamétrie… en Corse. Ironie de l’histoire, Bruno Chetaille quittera Médiamétrie après cette zone de turbulences, lui qui a pris la succession de Jacqueline Aglietta dans une période également agitée. A l’époque, au printemps 2006, les chaînes de télévision et des agences de publicité avaient vivement reproché à Médiamétrie son retard dans la mesure des nouvelles chaînes de la TNT et dans les nouvelles technologies. Ces critiques auraient précipité le départ de sa fondatrice. Sous l’ère « Chetaille », l’entreprise de mesure d’audience a modernisé ses méthodes de calcul, étendu ses compétences aux nouveaux médias et est passée de 43 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2005 à 102,7 millions en 2018. En janvier 2011, Médiamétrie publie les premières audiences TV intégrant le différé (2) grâce notamment à l’automatisation par watermarking. A partir d’octobre 2014, le fameux « Médiamat » (ex-Audimat) intègre le replay (catch up ou télé de rattrapage). Puis en janvier 2016, les résultats des chaînes cumulent les audiences en live (à l’antenne), en différé et en catch up TV (3). Depuis mars 2017, la durée d’écoute globale à domicile de la télévision comprend la consommation « 4 écrans » (téléviseur, ordinateur, tablette, smartphone), en live, en différé et en replay. La nouvelle génération d’audimètres est au format d’une tablette (appelée TVM3). « En 2020, la consommation hors du domicile sur un écran de TV (bar, gare, aéroport, lieux publics, etc.), mais aussi en vacances, en week-end ou encore dans la résidence secondaire, sera intégrée à la mesure de référence. Puis, elle intègrera aussi l’audience des programmes TV consommés sur les trois écrans Internet (ordinateur, tablette, smartphone) », indique Médiamétrie à Edition Multimédi@. Cette mesure hors domicile et plus individualisée est rendue possible grâce à un petit audimètre portable dont sont équipés 10.000 personnes constituant le panel.
Cependant, dans son audit annuel du Médiamat publié le 26 juillet dernier, le CESP recommande une meilleure prise en compte des plateformes OTT (4) telles que Netflix, et des nouveaux équipements comme les TV connectées, Apple TV ou encore Chromecast. Pour l’heure, Médiamétrie applique progressivement la mesure TV « 4 écrans » à certains OTT : depuis 2017 à Molotov et depuis 2018 à myCanal. Les services de SVOD Netflix et Amazon Prime Video devaient suivre. « Nous travaillons avec d’autres acteurs pour en étendre le périmètre », nous indique Médiamétrie, qui a déjà lancé en juin le « baromètre Netflix » des films et les séries les plus regardés sur ordinateur et mobile. Concernant la plateforme YouTube, elle est la première à intégrer la mesure Internet vidéo « 3 écrans », laquelle remplace depuis janvier la mesure vidéo Internet. La première publication de la mesure YouTube interviendra courant septembre.

Vers un standard commun de la data média
Côté radios, la mesure s’est faite jusque-là sur l’écoute directe sur poste de radio, autoradio, ordinateur, smartphone, baladeur ou encore tablette. Depuis cette année, le « Global audio » analyse désormais l’écoute de la radio, des web radios, des podcasts natifs, des plateformes de streaming musical ou encore des livres audios (5). Data, géolocalisation et programmatique se sont installés au coeur de la stratégie de Médiamétrie, qui, avec ses data scientists, a l’ambition de créer un standard commun de la data média en France. Une nouvelle ère s’ouvre. @

Charles de Laubier

Pourquoi le groupe de médias allemand Axel Springer sort son joker « KKR » face aux GAFAM

C’est le plus grand groupe de médias en Europe. Créé il y a 73 ans par Hinrich Springer et son fils Axel, le groupe Axel Springer réalise aujourd’hui les trois-quarts de son chiffre d’affaires dans le numérique, lequel contribue pour près de 90 % à sa rentabilité. Mais la pression des GAFAM se fait plus forte.

« Le journalisme est l’âme et l’esprit de la société Axel Springer. Notre mission : l’établissement réussi du journalisme indépendant dans le monde numérique. Nous voulons devenir l’éditeur numérique le plus prospère au monde. (…) Environ 16.000 employés travaillent avec passion chez Axel Springer SE : l’éditeur leader du digital en Europe ». Le ton est donné sur le site web Axelspringer.com. Le groupe allemand – encore détenu à 42,6 % par Friede Springer (photo), la veuve du cofondateur Axel Springer (1), et à 9,8 % par les petits-enfants de ce dernier (Axel Sven et Ariane) – est « actif dans plus de 40 pays dans le monde, avec des holdings et des licences sur six continents ». Pourtant, le journalisme – si indépendant soit-il – est passé au second plan sur fond de déclin de la presse papier, derrière les petites annonces. Ce ne sont plus ses quotidiens allemands Die Welt (fondé en 1946) et Bild (lancé en 1952) que le plus grand conglomérat médiatique européen met en avant, mais désormais ses sites web de petites annonces – les fameuses classifieds : SeLoger (numéro un en France de l’immobilier en ligne), Logic- Immo (également leader en France), LaCentrale (là aussi présent en France dans l’automobile), Immowelt (immobilier en Allemagne), Autobazar.eu (en Slovaquie), ou encore StepStone, Jobsite et Totaljobs (dans les annonces d’emplois).

Devenir une méga-plateforme de petites annonces
La presse n’est finalement plus vraiment le leitmotiv du groupe allemand, basé à Berlin, mais bien les petites annonces en ligne. Ces classifieds sont devenues son premier relais de croissance et ont généré à elles seules 41 % du chiffre d’affaires d’Axel Springer en 2018, soit 1,3 milliard d’euros sur le total des revenus du groupe (plus
de 3,1 milliards), et même 61 % de son résultat brut d’exploitation. Les titres de presse de référence Die Welt et Bild devenant marginaux financièrement dans cette stratégie du « total-digital », c’est ce marché des petites annonces que va continuer à exploiter prioritairement le groupe de Friede Springer, avec l’idée de mieux rivaliser avec les GAFAM en devenant une méga-plateforme de petites annonces couvrant les besoins de la vie de tous les jours (logements, emplois, voitures, vacances, etc).

Impacté par la « taxe GAFA » en France
Mais ce marché des classifieds subit néanmoins de plein fouet la crise économique et la baisse du pouvoir d’achat, tandis que les GAFAM sont en embuscades sur fond de consolidation. Google et Facebook investissent déjà le marché en position de force. Le chiffre d’affaires généré par ces petites annonces – via ses filiales StepStone (emplois) et Aviv (immobilier) – devrait rester, selon la firme de Berlin, « au niveau de l’année précédente ou indiquer une augmentation dans la fourchette d’un pourcentage à un chiffre ». Il faut donc réinvestir sans tarder.
C’est là qu’intervient l’aide financière du fonds américain de capital-investissement KKR (2), qui lance – à la suite d’un accord signé le 12 juin avec Friede Springer et le PDG Mathias Döpfner (photo de droite), détenteur, lui, de 2,8 % du capital – une offre de 6,8 milliards d’euros en vue d’acquérir au moins 20 % d’Alex Springer (3). Mais que l’on ne s’y méprenne pas : Friede Springer et Mathias Döpfner, qui contrôlent conjointement le groupe avec les petitsenfants du fondateur, ne comptent pas vendre leur participation
et encore moins céder leur place de dirigeants. Aucune décision ne pourra en tous cas être prise sans l’aval de Friede Springer, qui revendique le titre de « vice chairwoman » en tant que vice-présidente du conseil de surveillance (4). Ce sont les 44,8 % restants des actions, actuellement sur le marché boursier, qui sont à vendre en vue de retirer Axel Springer de la cote à Francfort – où le titre avait fondu d’un quart l’an dernier. Revigoré par l’accord avec KKR, le groupe berlinois est aujourd’hui valorisé plus de
6,7 milliards d’euros.
Face aux GAFAM, le groupe veut surtout prendre le temps de devenir un géant du
Net sans tomber sous la contrainte financière court-termiste. L’autre groupe allemand Bertelsmann, de la famille Mohn, s’est toujours refusé pour cette raison à être côté en Bourse (à part sa filiale RTL Group, maison mère de M6). « Axel Springer vise à devenir le premier fournisseur mondial de contenus numériques et de petites annonces numériques », ambitionne la direction. L’argent frais du fonds KKR, lequel s’est engagé à rester au moins cinq ans, va lui permettre de maintenir les investissements prévus sur l’année 2019, « bien que (…) le développement du chiffre d’affaires [soit] plus faible, en particulier dans les annonces d’emplois ». De plus, prévient le groupe allemand, « avec la taxe numérique [la taxe GAFA (5)] qui a été introduite en France, cela se traduira par un ajustement partiel de l’orientation des revenus et bénéfices pour 2019 ». Axel Springer s’attend donc à ce que son chiffre d’affaires global diminue cette année entre – 1 % et – 5 %. Le nouvel actionnaire financier servira-t-il de levier pour procéder à des acquisitions ? « KKR serait un bon partenaire (…) avec lequel Axel Springer pourrait franchir les prochaines grandes étapes de croissance », veut espérer Friede Springer dans l’une de ses rares prises de parole. KKR a l’expérience des fusions-acquisitions dans le monde numérique (Scout24, GetYourGuide, ByteDance/TikTok, …). Le marché des annonces classées en ligne en Europe entre justement dans une phase de consolidation. Dans une conférence téléphonique du 12 juin, Mathias Döpfner, qui connaît bien le cofondateur de KKR Henry Kravis depuis des années, a été plus explicite en parlant de « faire des acquisitions ». La maison mère du français LeBonCoin (Adevinta, spin-off du norvégien Schibsted) serait dans le viseur. Après l’acquisition en début d’année du spécialiste allemand du paiement en ligne CeleraOne, Axel Springer a annoncé début juin porter à 26,6 % sa participation dans le capital
de l’agence hybride immobilière Purplebricks en Grande-Bretagne. Au même moment, le groupe a vendu les 51 % qu’il détient dans @Leisure (maisons de vacances). Axel Springer a aussi revendu l’an dernier à TF1 le site AuFeminin.
PDG du groupe depuis 2002, Mathias Döpfner – ce journaliste dans l’âme et voisin
de Friede Springer à Potsdam (le « Versailles » de Berlin) – est l’artisan de la transformation du groupe de presse en grand acteur du numérique. Les activités digitales pèsent 74 % du chiffre d’affaires 2018 d’Axel Springer et 87 % de son résultat d’exploitation. Les sites web de presse comptent plus de 500.000 abonnés au total ! Au-delà de Welt.de et de Bild.de, Axel Springer édite Politico.eu en Europe (via une coentreprise créée en 2014 avec l’éditeur américain), Businessinsider.com (racheté en 2015), ou encore eMarketer.com (site newyorkais d’informations marketing acquis en 2016) (6). En Europe, Mathias Döpfner a été un ardent défenseur de la directive sur le droit d’auteur et a même convaincu Mark Zuckerberg de payer pour la presse utilisée sur Facebook (7).

Google et Adblock Plus, ses deux bêtes noires
Google reste la bête noire. Idealo, le comparateur de prix qu’Axel Springer a racheté en 2006, a porté plainte au printemps contre Google à qui il demande 500 millions d’euros de dommages et intérêts. En 2014, Axel Springer avait accusé le moteur de recherche dominant de piller ses titres de presse. La même année, la firme de Berlin entrait à 18,4% dans le capital de Qwant (8) (*) (**). En revanche, Axel Springer n’a eu gain de cause contre la société allemande Eyeo (9), éditrice du fameux logiciel Adblock Plus. @

Charles de Laubier

Lagardère cède pour au 1 milliard d’euros d’actifs, mais préserve son pôle News – dont Europe 1 mal-en-point

Alors que l’assemblée générale du groupe Lagardère se tient le 10 mai, les actionnaires surveillent comme le lait sur le feu la stratégie de recentrage engagée il y a un an par Arnaud Lagardère. La sortie progressive des médias – hormis le pôle News (Europe 1, Paris Match, Le JDD, …) –, de la télévision et de la production devrait rapporter 1 milliard d’euros.

Pierre Louette fête ses 1 an à la tête du « Groupe Les Echos-Le Parisien », plus digital et hors-presse que jamais

Il y a un an, le 12 mars 2018, Pierre Louette, auparavant directeur général délégué d’Orange, prenait ses fonctions de PDG de ce qu’il est convenu d’appeler depuis eux ans « Groupe Les Echos-Le Parisien » – sans que cette holding n’existe encore vraiment. Son prédécesseur, Francis Morel, conseille maintenant Google.

Pierre Louette (photo) y a débarqué il y a un an de chez Orange où il était directeur général délégué ; son prédécesseur Francis Morel en est parti et conseille aujourd’hui Google. Comme quoi,
le « Groupe Les Echos-Le Parisien » – ainsi appelé depuis le rachat en octobre 2015 de la société éditrice Le Parisien Libéré (Le Parisien-Aujourd’hui en France, Le Parisien Magazine, …)
par le groupe Les Echos (Les Echos, Investir, Radio Classique, Connaissance des arts, …) – prend des aires de plaque tournante du numérique. Ce pôle « médias » du géant mondial des produits de luxe LVMH se retrouve à la croisée des chemins entre médias et digital. En rejoignant le groupe de Bernard Arnault il y a un an, Pierre Louette faisait en réalité un retour aux sources :
au début des années 2000, il avait dirigé durant trois ans la société d’investissement Europ@web – filiale Internet de la holding personnelle Groupe Arnault, de l’homme devenu le plus riche de France (et d’Europe). Mais cette activité de capital-risque fut effectivement risquée : l’éclatement de la bulle Internet à l’époque a eu raison de ce fonds qui été dissout en avril 2001, malgré une cinquantaine de participations dans des start-up et le soutient dès novembre 2000 de Suez Lyonnaise des Eaux entré à hauteur de 30 % du capital d’Europ@web.

Dix-huit ans après l’échec d’Europ@web, le retour
La récession provoquée par les attentats du 11 septembre 2001 a accéléré la déconfiture de nombreuses pousses du Net (1) et, de fait, donné le coup de grâce
aux ambitions de Bernard Arnault dans Internet. Dix-huit ans plus tard, Pierre Louette est aux commandes du « Groupe Les Echos-Le Parisien » – un « pôle » du groupe LVMH, en attendant une holding commune. Entre l’ancienne « nouvelle économie » sur laquelle s’est échoué Europ@web et l’« économie numérique » d’aujourd’hui qui permet à la presse de surfer pour compenser le déclin de ses journaux papier, les temps ont changé. Bernard Arnault est en passe de reprendre sa revanche sur le Web avec l’aide de l’ex-numéro deux d’Orange et ancien PDG de l’AFP. En un an, Pierre Louette a donné un coup d’accélérateur à la mutation numérique et « post-pub » du groupe de médias de LVMH. Cela passe d’abord par de nouvelles acquisitions (2). « Il y a de l’argent qui est là, pour financer nos propres opérations, nos logiciels, notre intégration, le développement et éventuellement des acquisitions comme il y en a eues, et il y en
a quelques autres qui sont envisagées », a déclaré Pierre Louette, le 9 janvier dernier devant l’Association des journalistes médias (AJM).

Investissements en vue, dans l’AdTech aussi
Quelques semaines après, le 4 février, il annonçait en effet le rachat au groupe Lagardère du site web Boursier.com édité par Newsweb ainsi que les activités de
cette agence éditoriale. « Au sein du groupe Les Echos-Le Parisien, ces activités
sont rapprochées de la société Investir Publications », a-t-on expliqué. Boursier.com comptait alors une dizaine de journalistes. Le montant de la transaction n’a pas été dévoilé. L’investissement externe précédent est intervenu à l’automne dernier : le 3 décembre, le groupe Les Echos-Le Parisien annonce son entrée en tant qu’actionnaire minoritaire au capital de Binge Audio, une société éditrice et diffuseur de podcasts cofondée par Joël Ronez, ancien directeur des nouveaux media de Radio France (3) et ex-responsable web d’Arte. Binge Audio produit déjà des flashs audio pour Le Parisien, diffusés à la demande sur les enceintes connectées et les assistants vocaux tels qu’Alexa d’Amazon (4). Le journal Les Echos aura son quotidien audio. D’autres productions sonores sont à venir pour Radio Classique, Investir et Connaissance
des arts. Ce « rapprochement » va aussi se concrétiser par des synergies commerciales en direction d’annonceurs et de partenaires – « avec des formats audio premium et intégrés (brand content, sponsoring) ».
Auparavant, le groupe « médias » de LVMH avait annoncé en mai 2017 l’acquisition
de 78 % du capital de Netexplo, observatoire du digital et producteur de contenus académiques. L’année précédente, la diversification s’était faite dans la communication digitale d’entreprise avec la société Pelham Media (intégrée dans Les Echos Publishing). Pierre Louette a dit vouloir accélérer cette diversification : « On va avoir tout un ensemble de moteurs de croissance, à l’instar de ce que Le Figarofait en allant jusqu’à avoir des agences de voyage dans la rue. Il faut s’entourer de moteurs auxiliaires qui sont des activités intrinsèquement rentables, dans le publishing [création de médias pour des marques, ndlr], les annonces légales, dans les événements
comme Vivatech », a-t-il expliqué en début d’année devant l’AJM. Le PDG du pôle médias de LVMH veut aussi investir dans la technologie, « ce que nous permet notre capitalisation ». Il estime que « lorsque l’on propose un abonnement à 9,99 euros par mois, on est comparé en qualité d’exécution aux 7,99 euros de Netflix, devenu le standard de comparaison des consommateurs aujourd’hui. Il faut que cela marche aussi bien que pour un journal, sans pannes ni incidents ». Pour investir dans la technologie, le groupe a créé début 2019 un incubateur-accélérateur baptisé « 2050 » au sein du pôle de monétisation « Les Echos-Le Parisien Partenaires » dirigé par Corinne Mrejen. C’est là qu’a été accueilli le partenariat capitalistique avec Binge Audio. « D’autres investissements, plus “IT” encore, pourront se faire dans la monétisation publicitaire ou pourquoi pas jusque dans l’AdTech qui m’intéresse beaucoup. J’ai été investisseur à plusieurs reprises dans ma vie, la dernière période en créant Orange Ventures [Orange Digital Ventures, dont il fut président, ndlr] », a indiqué Pierre Louette. Sans attendre d’investir dans une AdTech, une de ces startup spécialisées dans les technologies publicitaires (data, intelligence artificielle, blockchain (5), …), Corinne Mrejen, également présidente de la régie publicitaire Team Media – alias Les Echos-Le Parisien Médias (6), dispose déjà depuis trois ans d’une plateforme de gestion de données (DMP), et maintenant d’une plateforme de gestion du consentement (CMP). Elle s’appuie aussi sur Smart (7), une AdTech française spécialisée dans la monétisation publicitaire programmatique justement.
Si le pôle Les Echos-Le Parisien Partenaires pèse aujourd’hui 35 % du chiffre d’affaires du groupe, l’objectif est d’atteindre les 50 % d’ici cinq ans – forte rentabilité de ces activités oblige. Et pour tenter de peser face à Google et Facebook dans la publicité en ligne, le groupe est cofondateur de l’alliance Gravity Data Media, dont Pierre Louette est président. Objectif : mutualiser les données et cibler les audiences (8). Team Media est aussi membre de Mediasquare, place de marché médias née en 2018. Quant aux sites web des Echos et du Parisien, ils sont en train d’être refondus pour l’été prochain. Une fois que la société éditrice du Parisien-Aujourd’hui en France sera, elle, restructurée – recapitalisation de 83 millions d’euros en 2018 via la holding Ufipar de LVMH qui, selon La Lettre A, a apuré la dette de 440 millions d’euros, et plans de départs –, une vraie société holding commune à l’ensemble des médias de Bernard Arnault pourrait alors être mise en place dans un climat social plus apaisé.

Rentabilité du groupe dans « 5 à 10 ans » ?
Entre croissance externe, investissements technologiques et développement dans le hors-média (médias de marques, brand content, événementiel, conférences, relations publiques, …), le pôle médias de Bernard Arnault vise à moyen terme la rentabilité (9). « On a fait une très belle année 2018, assure Pierre Louette. On travaille à être à l’équilibre ou pas loin. On n’a pas vocation à perdre (de l’argent) très longtemps car ce n’est pas sain pour personne. Je me place dans une perspective de 5 à 10 ans ». @

Charles de Laubier

L’empire familial Bolloré-Vivendi est de plus en plus intégré, en attendant l’assaut final sur le capital de Vivendi

Un an après que son deuxième fils, Yannick, soit devenu président du conseil d’administration de Vivendi, Vincent Bolloré va céder le 15 avril son siège d’administrateur à son fils cadet, Cyrille. Devenu filiale « médias » du conglomérat Bolloré, le groupe Vivendi s’apprête à passer sous contrôle capitalistique du magnat breton.

Rien qu’en 2018, le groupe Bolloré est encore monté au capital
de Vivendi en achetant un total de 2,5 milliards d’euros d’actions. Au 31 décembre dernier, le conglomérat de Vincent Bolloré (photo) détenait 26 % du capital de la maison mère de Canal+, d’Universal Music, d’Havas, de Gameloft ou encore de Dailymotion, et environ 29 % des droits de vote – notamment
via les holdings personnelles de l’industriel milliardaire breton,
la Financière de Larmor et la Compagnie de Cornouaille. Le seuil des 30 % du capital ou des droits de vote devrait être franchi en 2019. C’est ce sur quoi tablent les analystes financiers comme ceux d’Oddo BHF (1). Or, conformément aux règles boursières, dès que le groupe Bolloré franchira ces 30 % dans Vivendi, il sera tenu de lancer une OPA sur le reste du capital du groupe de médias et de divertissement. Pour financer cette offre publique d’achat obligatoire, le conglomérat Bolloré devra à la fois mettre la main au portefeuille, vendre des participations (celle
de Mediobanca est évoquée) et exercer d’ici le 25 juin 2019 des options d’achat lui donnant droit à autant d’actions Vivendi. Pendant que Bolloré se prépare à l’assaut final sur le groupe Vivendi, celui-ci s’apprête à ouvrir le capital de sa pépite Universal Music Group dont une partie – « pouvant aller jusqu’à 50 % » – sera cédée « à un ou plusieurs partenaires stratégiques ». Indépendamment de son obligation de lancer une OPA sur Vivendi dès le seuil des 30 % atteint, le groupe Bolloré intègre déjà depuis près de
deux ans – depuis le 26 avril 2017 – les comptes de Vivendi dans les siens. Ainsi,
le 14 février dernier, le conglomérat de Vincent Bolloré a publié un chiffre d’affaires de 23 milliards d’euros sur l’année 2018, faisant un bond de 33 % grâce à l’ »intégration globale » de Vivendi qui lui apporte ses 13,9 milliards de revenus. Le groupe de médias, de musique et de publicité pèse ainsi plus de 60 % du groupe Bolloré, jusqu’alors principalement ancré dans ses activités historiques de transport (aériens, maritimes, fret, …), de logistique pétrolière, de stockage d’électricité, ou encore de films plastiques, de terminaux spécialisés et d’actifs agricoles.

Vivendi : Yannick préside et Cyrille siège
A près de 200 ans d’âge et à force de diversifications, l’empire familial Bolloré se développe tous azimuts mais a vu – avec Vivendi – son centre de gravité se déplacer des industries lourdes aux industries culturelles. Ses résultats financiers 2018 seront publiés le 14 mars prochain, alors que ceux de Vivendi l’ont été le 14 février dernier : les 13,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires de 2018 – en croissance de 11,3 % (mais de 4,9 % à périmètre constant, hors acquisitions d’Havas et de Paylogic, et hors cession de Radionomy (3)) – ont tout juste permis à Vivendi de dégager un bénéfice net de seulement 127 millions d’euros, en chute de 90 %. Cette contreperformance est due à la dépréciation de ses titres Telecom Italia (4) à hauteur de 1,1 milliard d’euros, et au fait que les nouvelles normes comptables imposent à Vivendi de ne pas intégrer dans ses résultats 2018 la plus-value de 1,2 milliard d’euros réalisée lors de la cession l’année antérieure de la participation dans Ubisoft. « Seule la réévaluation de la participation en 2018 (53 millions d’euros) est comptabilisée », précise Vivendi à propos de ses 27,3 % encore détenus dans le capital de l’éditeur français de jeux vidéo.
Sans être encore sous la coupe capitalistique du groupe Bolloré, Vivendi n’en franchit pas moins déjà un autre cap dans sa prise de contrôle progressive par le Breton. Alors que le deuxième des trois fils de Vincent Bolloré, Yannick (39 ans), est président
« coopté » (5) du conseil de surveillance de Vivendi depuis avril 2018, tout en étant PDG d’Havas (filiale publicitaire de Vivendi), voici qu’a été annoncée à la surprise générale la nomination du cadet de ses fils, Cyrille (33 ans) comme membre de ce même conseil de surveillance. Et ce, « en remplacement » de Vincent Bolloré lui-même. Celui-ci a pris de court tout son monde car il avait jusque-là fixé la date du
17 février 2022 – bicentenaire de la création de l’entreprise familiale éponyme – pour passer le relais à ses enfants. La nomination de Cyrille Bolloré, directeur général délégué du groupe Bolloré dont il est vice-président administrateur délégué (6), sera entérinée lors de l’assemblée générale des actionnaires de Vivendi prévue le 15 avril. Le patriarche (66 ans), onzième fortune de France avec un patrimoine professionnel
de 7,8 milliards d’euros en 2018 et PDG de son groupe diversifié Bolloré SA détenu par sa holding Financière de l’Odet, ne part pas pour autant en pré-retraite et quitte encore moins sa filiale « médias » Vivendi sur laquelle il gardera un oeil sourcilleux. « Il y a
une nouvelle génération qui arrive. Le plus important c’est que nous avons l’engagement de long terme de notre premier actionnaire », a déclaré le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine, lors d’une conférence téléphonique le
14 février de présentation des résultats annuels.
Cette passation de siège d’administrateur intervient aussi au moment où Vincent Bolloré ferraille en justice contre des journalistes, des chaînes et des blogueurs – une vingtaine de procès de 2016 à 2018 ! Il conteste notamment la diffusion en 2016 par France Télévisions d’un « Complément d’enquête » intitulé « Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien ? » (7). Ce portrait du magnat breton et de son empire (en particulier en Afrique) est attaqué devant la justice pour « diffamation » envers lui et ses sociétés Bolloré SA et Bolloré Africa Logistics qui réclament chacun 150.000 euros de dommages et intérêts pour « préjudice d’image ». Vincent Bolloré avait fait appel de la relaxe en première instance du journaliste Tristan Waleckx et de France 2. Verdict de la cour d’appel de Versailles sur les intérêts civils : le 9 avril prochain. Parallèlement, dans cette même affaire, le dirigeant avait fait appel après avoir été débouté l’an dernier par le tribunal de commerce de Nanterre de sa demande de 50 millions d’euros à France Télévisions. Décision : le 27 mars. Mediapart subit aussi les foudres de Bolloré pour deux enquêtes, dont l’une intitulée « Comment le groupe Bolloré a ruiné deux entrepreneurs camerounais ». Le 5 janvier, la journaliste Fanny Pigeaud a été condamnée avec son directeur de la publication Edwy Plenel pour diffamation mais
elle va faire appel. Le 13 février, autre affaire, la Socfin (Bolloré) s’est cette fois désistée de son appel contre le site d’information et deux ONG. Vincent Bolloré a aussi maille à partir avec des paysans cambodgiens qui accusent sa filiale Compagnie du Cambodge de les avoir privés de leurs ressources : le tribunal de Nanterre a renvoyé l’audience au 1er octobre. Autre plainte en diffamation : cette fois, elle fut déposée en avril 2018 contre les auteurs du livre « Vincent Tout-Puissant » et les éditions JC Lattès (Hachette/ Lagardère) qui le publie depuis un an (8).

Le tycoon breton attaque en « diffamation »
Les journalistes Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci présentent leur livre comme
« l’enquête que Bolloré a voulu empêcher » et y parle de « l’art de l’intimidation du tycoon ». Quant au journaliste Benoît Collombat (France Inter), dont le procès s’est ouvert mi-février, il est lui aussi inquiété par l’homme d’affaires breton pour avoir raconté le procès que lui a fait ce dernier en 2010 dans le livre collectif « Informer n’est pas un délit » (9), paru en 2015 chez Calmann-Lévy (également Hachette/Lagardère). Décidément, Bolloré et « médias » ne riment pas vraiment… @

Charles de Laubier