Le FTTH et la 5G vont permettre aux opérateurs télécoms d’accroître leurs revenus fixe et mobile

La France est en train de tourner la page des télécoms par chères. Les opérateurs télécoms commencent à encaisser des revenus à la hausse, notamment sur les forfaits grâce aux abonnements à la fibre optique et à ceux de la 5G. Les consommateurs voient déjà leurs factures augmenter.

Cela fera vingt ans cette année que le concept de triple play débarquait en France (à l’initiative de Free avec le lancement de la « box » en novembre 2002) pour 29,99 euros par mois. Ce forfait – comprenant la téléphonie, l’accès à Internet et la réception de chaînes de télévision – a défié la concurrence qui s’est alignée sur cette offre avantageuse pour les abonnés. Six ans auparavant, c’était Bouygues Telecom qui inventait en France le premier forfait mobile dont le principe fut adopté par tous ses rivaux, avec parfois des offres agressives à 9,99 euros par mois voire à des prix bien en-dessous.

Fixe et mobile : factures en hausse
Cette période de deux décennies avec des forfaits fixe (à moins de 30 euros par mois) et mobile (à moins de 10 euros par mois) est en passe d’être révolue. Autrement dit, les télécoms commencent à peser plus lourd dans le budget des foyers français. Orange, SFR ou encore Bouygues Telecom font déjà des augmentations « par défaut » du prix de certains forfaits (mobile ou fixe), bien que cette pratique discrète soit controversée. La généralisation de la fibre et de la 5G vont contribuer à augmenter encore plus les factures mensuelles des consommateurs. C’est déjà le cas des 14,4 millions d’abonnés à un forfait de fibre optique de bout en bout dit FTTH (1), ainsi que des 3millions d’abonnés à une offre 5G (au 31 décembre 2021). Si la facture mensuelle moyenne par abonné avait tendance à être plus ou moins stable depuis plusieurs années, elle s’est installée au dernier trimestre 2021 dans la fourchette haute : à 33,5 euros par mois en moyenne pour les abonnements fixe et 14,9 euros par mois en moyenne pour les clients mobile (voir tableau ci-dessous). « Pour l’utilisation d’accès Internet à haut ou très haut débit et les services associés, un abonné dépense en moyenne 33,5 euros HT par mois, une facture qui augmente légèrement depuis le début de l’année 2020 (+ 30 centimes en un an ce trimestre) après deux années de recul continu », constate l’Arcep dans son observatoire du marché des télécoms publié le 7 avril. Et côté mobile : « La facture mensuelle moyenne par carte [SIM] augmente de 3,2 % en un an, et s’élève à 14,9 euros HT. Elle progresse de 50 centimes en un an, et atteint un niveau supérieur à celle observée avant la crise sanitaire ». Ces haussent des montants payés par les abonnés se traduisent par l’augmentation des revenus des opérateurs télécoms, lesquels souhaitent depuis des années une revalorisation de leurs forfaits fixe et mobile soumis depuis des années à une pression des prix (vers le bas) en raison de la bataille tarifaire – notamment entre les quatre principaux opérateurs fixe et mobile que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Les deux premiers appellent d’ailleurs depuis des mois à un passage de quatre à trois opérateurs télécoms en France, « pour être plus forts » et « cesser la bataille tarifaire » (2).

Pour l’heure, en 2021, les opérateurs télécoms enregistrent – malgré la crise sanitaire – une hausse de leur chiffre d’affaires total au rythme de 2% à 4% sur un an chaque trimestre, pour atteindre 9,4 milliards d’euros au quatrième trimestre 2021 et totaliser 36,1 milliards en 2021. Selon les calculs de Edition Multimédi@ sur l’année calendaire, cela correspond à une hausse annuelle de 2,5 % entre 2020 (35,238 millions d’euros) et 2021 (36,118 millions d’euros). « Cette progression, qui contraste après plusieurs années (de 2011 à 2020) de recul, est tirée par à la fois les revenus des services mobile et ceux des services fixe », relève l’Arcep. En y regardant de plus près, ce sont les abonnements et forfaits mobile (donc hors cartes prépayées) qui rapportent le plus aux opérateurs télécoms depuis plusieurs années : 3,5 milliards d’euros au quatrième trimestre de 2021 pour un total de 13,5 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse de 5,1% sur un an. Le deuxième poste de recettes le plus élevé pour les opérateurs télécoms réside dans les abonnements d’accès haut et très haut débit à Internet et à la téléphonie (hors autres services Internet comme publicité en ligne ou commerce en ligne) : 2,6 milliards d’euros au quatrième trimestre de 2021 pour un total de 10,2 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse de 5,1 % sur un an. Le fait que ces deux premières sources de revenus des opérateurs télécoms (forfaits et abonnements mobile et fixe) affichent le même taux de croissance l’an dernier (5,1 %) n’est que pure coïncidence, mais cette hausse significative prouve que les consommateurs paient plus cher leurs accès télécoms. Il faut s’attendre à ce que ces hausses tarifaires pour le client final se poursuivent voire s’amplifient avec la généralisation de la fibre et de la 5G aux forfaits plus coûteux.

Les terminaux mobiles rapportent
Quant à la troisième source de revenu des opérateurs télécoms, elle correspond à location ou à la vente de terminaux mobiles tels que les smartphones (n’étant pas comptabilisée ici la vente de terminaux de téléphonie et Internet fixes plus marginale et en déclin) pour un total de 1,1 milliard d’euros au quatrième trimestre de 2021 et un total de 3,3 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse là aussi non négligeable de 7,1 % sur un an. Non seulement ce poste a franchi l’an dernier la barre du milliard d’euros de chiffre d’affaires, mais aussi affiche une hausse supérieure à celles des accès fixe ou mobile. Pour la hausse des ventes d’accès fixe à Internet, par exemple, l’Arcep souligne que « cet accroissement s’explique en partie par l’accélération de la transition du cuivre vers la fibre optique ». D’autant que, pour la première fois, le nombre d’abonnements FTTH (14,4 millions au 31 décembre 2021) dépasse celui des abonnements ADSL/VDSL (12,4 millions). Et le terrain est favorable à la poursuite voire à l’accélération des hausses tarifaires fixes, puisque la fibre est orientée à la hausse et le cuivre à la baisse. « Au total, au 31 décembre 2021, 58 % du nombre total d’abonnements à Internet sont à très haut débit, dont près de 80 % en fibre optique de bout en bout. Parallèlement, le nombre de locaux raccordables au réseau FTTH progresse également fortement chaque année : 29,7millions de locaux le sont ce trimestre, soit + 5,5 millions en un an », détaille l’Arcep.

Baisse du cuivre, hausse des prix
Mais un peu plus de la moitié de ces prises « optiques » raccordables ne font pas encore l’objet d’un abonnement (voir tableau ci-dessus), alors que le raccordement technique lui-même peut poser de sérieux problèmes (3). L’opérateur télécoms historique Orange a d’ailleurs commencé à basculer vers la fibre, avec l’extinction du réseau de cuivre « à partir de 2023 » et sa disparition totale d’ici à 2030 (4). Avec l’explosion de la vidéo en (ultra) haute définition, de la musique en qualité hi-fi (5), des visioconférences ou encore des métavers qui déferlent (lire p. 8 et 9), les usages dévoreurs de bande passante ne manqueront pas de tirer vers le haut les forfaits et abonnements. C’est notamment sensible sur les mobiles.
Rien que sur la 4G encore largement dominante en France, la consommation de données a progressé l’an dernier de 22 % sur un an, à 2,2 exaoctet (Eo) sur le quatrième trimestre de 2021 – soit 8,6 Eo sur l’année. Ce qui correspond à 12,3 gigaoctets (Go) et par abonné 4G sur le quatrième trimestre de 2021 – soit 47,3 Go sur l’ensemble de l’an dernier. La cinquième génération de mobiles, elle, promet de faire exploser ces volumes de données consommées. Il en coûtera plus cher aux consommateurs. @

Charles de Laubier

Le « GPS » européen Galileo bénéficie désormais de la compatibilité de tous les nouveaux smartphones

C’est désormais obligatoire : tous les fabricants de smartphones sont censés depuis le 17 mars 2022 vendre sur le marché unique européen des modèles compatibles avec le système de navigation par satellite européen Galileo. La plupart le sont déjà pour une géolocalisation au mètre près.

Depuis sa mise en service il y a six ans, Galileo est le concurrent des systèmes de navigation par satellite américain GPS (1), russe Glonass (2) ou encore chinois Beidou (3). La constellation d’une trentaine de satellites, dont le déploiement se termine cette année, aura coûté jusqu’à 13 milliards d’euros à l’Union européenne (4). Il a un atout de taille par rapport à ses concurrents : sa précision se fait au mètre près, là où les autres s’en tiennent à quelques mètres. Le « GPS » européen vient de franchir une nouvelle étape : tous les smartphones vendus dans les Vingt-sept doivent désormais être dotés d’une puce « Galileo » (5).

Premier service compatible : le 112
C’est un règlement européen datant du 12 décembre 2018 qui a prévu cette obligation à partir du 17 mars 2022, date de son entrée en application. « Les exigences essentielles énoncées à l’article 3, paragraphe 3, point g), de la directive 2014/53/UE [à savoir que les équipements radioélectriques sont compatibles avec certaines caractéristiques permettant d’accéder aux services d’urgence, ndlr] s’appliquent aux téléphones portables possédant des caractéristiques semblables à celles d’un ordinateur du point de vue de la capacité de traitement et de stockage des données », dit ce règlement. Et de préciser justement que cela passe par des « solutions techniques permettant la réception et le traitement de données (…) provenant de systèmes mondiaux de navigation par satellite compatibles et interopérables au moins avec le système Galileo » (6).
Le premier service qui bénéficiera de cette « Galileocompatibilité » sera le numéro européen d’appel d’urgence, le 112, qui est opérationnel dans la plupart des Etats membres et dans quelques autres pays. Comme la grande majorité (70 %) des appels téléphoniques au 112 (pour joindre 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 les pompiers, l’assistance médicale ou la police) proviennent de téléphones mobiles, ceux d’entre eux qui sont compatibles avec le signal Galileo seront géolocalisés plus précisément. A savoir au mètre près. Ce qui permet dans ces conditions d’intervenir plus rapidement voire de sauver des vies car chaque seconde compte en cas de détresse et/ou d’accident. D’autant que le nouveau système dit AML (Advanced Mobile Location), qui envoie automatiquement la localisation de l’appelant, devient lui aussi obligatoire dans tous les téléphones mobiles à travers les Vingt-sept. Dix-huit d’entre eux l’ont déjà déployé. Selon l’Etsi (7) qui l’a normalisé en décembre 2019 au niveau international (8), l’AML est un protocole de transport des données – par SMS et/ou https – du smartphone vers le centre d’appel d’urgence, qui fournit l’emplacement exact de l’appelant. « Lorsqu’un appelant compose le 112 à partir de son téléphone intelligent, AML utilise les fonctionnalités intégrées du téléphone et les données de Galileo pour localiser précisément l’appelant et le transmettre à un point final dédié, habituellement un point de réponse de la sécurité publique (PSAP), ce qui rend l’emplacement de l’appelant accessible aux intervenants d’urgence en temps réel », explique l’Agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA (9)). Une journée européenne du 112 (« European 112 Day ») a d’ailleurs été mise en place par l’Union européenne, le 11 février de chaque année, pour promouvoir l’existence et l’utilisation appropriée de ce numéro d’urgence européen.
Pour les utilisateurs, puisque l’AML n’est pas une application, il n’est pas nécessaire de télécharger quoi que ce soit, il suffit de composer le 112. Bien d’autres applications de géolocalisation sont disponibles sur la route, sur l’eau, à bord des trains, dans les avions, à la ferme, … (10), pour les détenteurs de smartphones « Galileo Inside » qui sont au nombre de plus de 2 milliards de téléphones mobiles. Par exemple, à Barcelone en Espagne, un service de partage de vélos électriques appelé AMBici a recourt à Galileo pour faciliter les déplacements d’une flotte de 2.600 vélos électriques et 236 stations d’accueil réparties dans 15 municipalités de l’agglomération catalane. Il sera mis en service par le prestataire de services privé, lequel sera sélectionné en juin prochain dans le cadre d’un appel d’offres public ouvert et doté d’un budget de 60,8 millions d’euros (11).

Marché des « GNSS » : 200 M€ en 2021
D’après le rapport 2022 de l’EUSPA sur les systèmes de navigation GNSS (Global Navigation Satellite System), à savoir Galileo et ses concurrents, le marché mondial pèse environ 199 milliards d’euros en 2021 (terminaux et services), dont un quart pour l’Europe. Selon son directeur général, Rodrigo da Costa (photo), les prévisions tablent sur 492 milliards d’euros d’ici 2031 au rythme de plus de 9,2 % de croissance annuelle en moyenne (12). Plus de 82 % de ces revenus seront générés par des services à valeur ajoutée. @

Charles de Laubier

Amazon devance Netflix sur le marché de l’AVOD

En fait. Le 13 avril, Amazon Studios a annoncé le lancement, pour le 27 avril prochain, de la plateforme gratuite de streaming vidéo Freevee, qui est le nouveau nom de son service IMDb TV. Elle reste gratuite, financée par la publicité (AVOD contrairement à la SVOD). Et va accélérer son internationalisation.

En clair. La pression des annonceurs continue de monter sur les plateformes de streaming vidéo (1). Alors que Disney a confirmé le 4 mars dernier que sa plateforme Disney+ allait lancer à partir de fin 2022 une offre financée par de la publicité, et que Netflix a indiqué le 19 avril envisager « d’ici un ou deux ans » un abonnement moins cher avec pubs (2), c’est cette fois Amazon qui veut surfer sur la vague AVOD (Advertising Supported Video on Demand). Depuis janvier 2019, le géant du e-commerce était déjà présent sur ce créneau avec IMDb Freedive, rebaptisé en juin de cette même année IMDb TV.
Il y a un an, cette plateforme OTT dépassait les 55 millions de visiteurs par mois en cumulant les audiences des Etats-Unis et du Royaume-Uni – pays où elle est présente jusqu’à maintenant. Mais avec le lancement de Freevee à partir 27 avril, Amazon Studios – filiale dans laquelle IMDb TV a été intégré en février 2020 – passe à la vitesse supérieure dans son expansion internationale. D’ici la fin de l’année, Freevee sera disponible en Allemagne. « Nous sommes heureux de faire de Freevee le service AVOD de premier choix avec un public avide de contenu », s’est félicitée Jennifer Salke (3), directrice d’Amazon Studios depuis mars 2018 et ancienne présidente de NBC Entertainment (NBCUniversal/Comcast) où elle fut chargée de la production de fictions et des activités de télévision.
Freevee a non seulement des accords de diffusion d’œuvres avec Warner Bros. (qui fusionne avec Discovery pour former un géant éditeur des plateformes de SVOD HBO Max et Discovery+), ainsi qu’avec Sony Pictures Entertainment et NBCUniversal, mais aussi avec MGM Studios qu’Amazon est en train d’acquérir (4). L’année 2022 va voir le catalogue de Freevee « augmenter de 70%» en productions originales telles que « Bosch: Legacy » à partir du 6 mai (suite de la série « Harry Bosch » qui s’est achevée sur Amazon Prime Video), « Hollywood Houselift », « Sprung » ou encore « Troppo ».
Des films exclusifs seront aussi programmés comme « Love Accidentally ». Freevee va ainsi, comme toute l’AVOD, concurrencer frontalement la télévision traditionnelle gratuite (sur le marché de la publicité) ou payante (sur le terrain de la gratuité). Quant au nom « IMDb » (abréviation de Internet Movie Database), il continue de désigner la base d’information de référence mondiale sur les films et les artistes. @

Comment Audius, Bolero Music, Limewire, Pianity ou encore Tamago vont « NFTéiser » la musique

Alors qu’en France le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) – réunissant les majors de la musique (Universal Music, Sony Music, Warner Music) et des indépendants – fait état d’un marché porté par le streaming musical, des acteurs spécialistes du NFT pourraient le bousculer.

C’est une première depuis vingt ans en France : le marché de la musique enregistrée affiche une croissance à deux chiffres – 14,3 % – pour atteindre les 861 millions d’euros (1) de chiffre d’affaires en 2021. Si l’on s’en tient aux ventes proprement dites (729,2 millions d’euros), le streaming tire le marché en y contribuant à hauteur de 67,5 % (492 millions d’euros). Et pour la première fois, la barre des 10 millions d’abonnements payants a été atteinte l’an dernier (soit 14,2 millions avec les comptes « famille ») sur un total de 22 millions de streamers audio.

Market centric, user centric et… tokens
Le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a présenté le 15 mars les résultats du marché de la musique enregistrée. Reste à savoir si les artistes écoutés en streaming – auteurs, compositeurs, interprètes – sont correctement rémunérés par les plateformes de streaming (Spotify, Amazon Music, Deezer, Apple Music, …). D’autant que la question de l’évolution du calcul de leur rémunération n’est toujours pas tranchée : faut-il passer de l’actuel market centric où les royalties sont calculées au prorata des écoutes totales de la plateforme, au user centric où le calcul de la rémunération est en fonction des écoutes individuelles des abonnés. Il faudra attendre encore juillet prochain (2) pour avoir un début de réponse dans un rapport commun du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) et du Centre national de la musique (CNM). Le manque de transparence de la part des plateformes de streaming alimente le doute sur la rémunération des artistes. Les sociétés de gestion collective des droits d’auteurs aimeraient comprendre les rouages et le fonctionnement de ces « boîtes noires » (3) dopées aux algorithmes de recommandation des œuvres musicales (4). La Sacem, la SDRM, l’Adami ou encore la Spedidam, par exemple, pourraient ainsi accéder aux données traitées par les Spotify, Deezer et autres Apple Music. L’objectif est que le CNM mandate un « prestataire technique » chargé de fournir des bases de données anonymisées pour faire l’objet de « traitements statistiques approfondis ».
A défaut d’y voir clair dans ce dédale algorithmique et musical, les « NFT » – ces jetons non fongibles sur Internet, c’est-à-dire irremplaçables et uniques (5) – pourraient être le nouvel eldorado des musiciens tentés de reprendre le pouvoir sur leurs œuvres et d’instaurer un lien direct avec leurs fans. Ces Non- Fungible Tokens s’inscrivent dans la révolution Web3 et des organisations à gouvernance décentralisée (DAO). Des start-up comme Audius, Bolero Music, Limewire, Pianity ou encore Tamago (voir encadré cicontre) y travaillent pour amener les artistes – ayant signé ou pas avec une maison de disque ou un label – à s’approprier ces tokens certifiés par la blockchain (chaîne de blocs faisant office de registre numérique infalsifiable). Les NFT annoncent l’avènement d’une désintermédiation de l’écosystème du streaming musical dominé par une poignée de plateformes numériques globales placées sous la coupe des majors de la musique enregistrée. @

Charles de Laubier

ZOOM

Candidats à la « NFTéisation » de l’industrie musicale
• Audius,
start-up basée à San Francisco, a levé 5,5 millions de dollars en août 2018, avec l’ambition de connecter les fans directement avec leurs artistes préférés, lesquels peuvent bénéficier d’une rémunération plus équitable, quitte à « désintermédier ». Pour ses NFT, elle s’appuie sur la blockchain Solana.
• Bolero Music est une start-up française créée en février 2021 dans le but de rapprocher fans et artistes en proposant des « social tokens » en guise de cartes de membres auprès d’un artiste, et des NFT à collectionner (morceaux exclusifs, clips vidéo, couvertures, part de propriété de master, …), le tout certifié sur la blockchain Polygon.
• Limewire, qui avait été lancé aux Etats-Unis en août 2000 comme réseau peer-to-peer avant d’être condamné pour piratage au bout de dix ans, va renaître de ses cendres, en mai 2022, en embrassant cette fois la cause des NFT en étant une nouvelle place de marché de musique (aussi d’art) s’appuyant sur la blockchain Algorand.
• Pianity est une start-up française fondée en mai 2021 pour lancer, deux mois après, une plateforme de musique NFT où les musiciens et leur communauté se réunissent pour créer, partager, échanger et collectionner des morceaux en édition limitée. Début mars, la société a annoncé avoir levé 6,5 millions de dollars.
• Tamago est la plateforme de « streaming NFT » lancée en février 2022 par le compositeur électro-pop canadien Clarian, qui est considéré comme le premier musicien à avoir vendu, l’an dernier, un album en NFT –Whale Shark — sur la plateforme Opensea, en se passant des maisons de disque. Tamago est certifiée par la blockchain Near. @

Le sud-coréen Naver s’impose comme le numéro un mondial du webtoon, en révolutionnant la BD

Le phénomène « webtoon » se propage bien au-delà de la Corée du Sud, où le groupe Naver est devenu la major mondiale dans ce domaine. Le Festival international de la bande dessinée à Angoulême n’y échappe pas, ni le prochain Salon du livre de Paris.

Le Festival international de la bande dessinée (FIBD), qui se tient du 17 au 20 mars à Angoulême, résiste encore avec des tonnes de papier à la dématérialisation de la BD. Or le début de la numérisation des bulles ne date pas d’hier, mais cette année la tendance s’accélère plus que jamais avec l’engouement pour le webtoon. « Cela nous vient de Corée. C’est une bande déroulante, par chapitres, à raison d’un par semaine, comme un feuilleton, qu’on peut lire en faisant défiler avec le pouce sur l’écran du téléphone portable », définit Marc-Antoine Boidin, vice-président du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac) et représentant de son groupement BD (1).

« L’avenir de la BD se joue là » (Boidin)
« Il est possible que ce soit l’avenir de la bande dessinée qui se joue là. Les jeunes générations sont plus attirées par une lecture numérique que sur le papier », estime même Marc- Antoine Boidin, qui est auteur de bandes dessinées (2), diplômé de l’école de BD d’Angoulême. C’est justement dans la capitale de la Charente que la 49e édition du FIBD sera aussi impactée par ce phénomène des webtoons. Une table ronde d’éditeurs et d’auteur(e)s de webtoons est organisé le 17 mars par le Snac-BD lors du festival d’Angoulême, où sera présente Emilie Coudrat, directrice marketing de Naver France, filiale française du groupe sud-coréen Naver, présidé et dirigé par Seong-sook Han (photo). Ce géant du numérique et de l’Internet, basé à Seongnam au sud de Séoul, déploie depuis 2004 sa filiale Naver Webtoon devenue le numéro un mondial dans cette catégorie de bandes dessinées numériques adaptées aux smartphones. Le webtoon se lit en faisant défiler verticalement avec son doigt les cases illustrées, procédé éditorial que les manwhas coréens et les mangas japonais ont rapidement adopté.
En France, les mangas sont déjà largement en tête des ventes de BD imprimées. Les webtoons, eux, caracolent en ligne. « Un événement est prévu le 18 mars à Angoulême autour des créateurs », indique Emilie Coudrat à Edition Multimédi@. Pour faire face à la forte demande, l’idée est d’aller à la rencontre d’auteurs pour leur présenter la plateforme Webtoons.com, éditée par la filiale Webtoon Entertainment (3), et leur expliquer « comment devenir créateur de webtoon ». La rencontre, prévue au sein du Marché international des droits (Mid) organisé au sein du FIBD pour les professionnels du 9e Art, devrait se terminer par un speed dating des candidats avec des éditeurs dans ce domaine. Car si les premiers épisodes des webtoons sont le plus souvent gratuits, les suivants sont payants ou sur abonnement. Ces feuilletons – des « scrolltons » devrait-on dire (4) – peuvent être des freemiums très rentables. Rien qu’en Corée du Sud, le marché des webtoons pèse presque autant à lui seul (750 millions d’euros, selon Kocca) que tout le marché français de la BD (890 millions d’euros, selon GfK). « En France, les éditeurs qui diffusent sur (la plateforme) Webtoon proposent aux auteurs des contrats numériques, et si la bande dessinée marche bien, elle peut être imprimée », a indiqué Marc-Antoine Boidin aux membres du Snac. Pour autant, relève-t-il, « les contrats proposés aux auteurs de webtoons semblent quelque peu être en roue libre. Ils sont souvent soumis à une clause de confidentialité, ce qui ne facilite pas le rôle de notre syndicat face à cette nouvelle pratique, qu’il faut cadrer d’urgence afin qu’elle puisse être favorable aux auteurs ».
Car la production de webtoons se fait presque à marche forcée : le rythme, pour les dessinateurs, est soutenu et cela peut aller jusqu’à 80 cases à fournir à l’éditeur en une semaine – souvent la périodicité pour les séries. Celles-ci peuvent compter de quarante à quatre-vingts épisodes. Si des initiatives françaises de plateformes de webtoons ont été lancées – comme Verytoon.com du groupe indépendant Delcourt (deuxième plus grand éditeur de BD francophones après Média-Participations, dont la plateforme Izneo.com diffuse aussi des webtoons), Webtoonfactory.com des éditions Dupuis, Delitoon.com ou encore Toomics.com –, le sudcoréen Naver domine ce marché en pleine (5) effervescence.

Introduire Naver Webtoon au Nasdaq ?
« En janvier 2021, nous avons finalisé l’acquisition de Wattpad, la plus grande plateforme de webfiction au monde [d’origine américaine, ndlr], dans le but de devenir la plus grande plateforme mondiale de narration basée sur les synergies entre Naver Webtoon et Wattpad », s’était félicitée l’an dernier Seong-sook Han. En janvier 2022, le groupe Naver revendique un cumul d’audience mondial record sur ses webtoons de 82 millions de lecteurs actifs par mois, avec un volume de transactions mensuel d’environ 75 millions d’euros (6). Wattpad lui apporte 90 millions d’utilisateurs par mois supplémentaires. Le sud-coréen a le projet depuis un an d’introduire Naver Webtoon au Nasdaq à New-York. @

Charles de Laubier