Canal+ met en ordre de marche Dailymotion, en poussant vers la sortie le dernier dirigeant historique

Giuseppe de Martino, directeur délégué de Dailymotion, ne dément pas l’information selon laquelle il quitterait la plateforme vidéo de Vivendi en juillet, date d’anniversaire de ses dix ans dans l’entreprise. D’ici là, en avril, « un nouveau Dailymotion » avec une nouvelle éditorialisation et plus de contenus premium va voir le jour.

C’est imminent : « Dès avril 2017, un nouveau Dailymotion doté d’une offre éditoriale plus premium et d’une expérience utilisateur plus fluide sera lancé », selon les propres termes de Vivendi, maison mère de la plateforme française de partage vidéo, dans son rapport annuel publié le 15 mars dernier. Vincent Bolloré
– président du conseil de surveillance de Vivendi – en a maintenant pris le contrôle managérial via Canal+.
Il ne reste plus de l’ancienne équipe dirigeante que Giuseppe de Martino (photo).
En octobre, nous lui avions demandé s’il comptait partir à son tour de Dailymotion après que son binôme de directeur délégué Martin Rogard – dirigeant historique comme lui de la plateforme vidéo française – ait quitté l’été dernier la société revendue à 90 % par Orange à Vivendi en juin 2015 pour 252 millions d’euros. « Quelle idée ! Je suis là et bien là !! », répondait-il à Edition Multimédi@. Six mois plus tard, changement de ton : alors que trois nouvelles nominations ont été annoncées le 8 mars dernier au comité de direction de Dailymotion – sous la présidence de Maxime Saada, le directeur général du groupe Canal+ –, nous avons redemandé à Giuseppe de Martino s’il était prévu qu’il parte en juillet prochain comme le suggérait Challenges dans un entrefilet paru le 16 mars. Cette fois, la réponse est tout autre : « Le conditionnel de la brève me va très bien ! », s’est-il contenté de nous répondre, laconiquement, sans pour autant démentir ni exclure cette échéance de son départ.

Une page se tourne pour la plateforme vidéo française
Et quelle échéance ! S’il partait effectivement à cette date, cela correspondra à l’anniversaire de ses dix ans chez Dailymotion où il est entré – en juillet 2007 donc –
au poste de directeur juridique et réglementaire de la plateforme de partage vidéo créée deux ans plus tôt par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey. C’est quatre mois après sa nomination que Dailymotion créa, avec Google, Yahoo, PriceMinister et AOL, l’Association des services Internet communautaires (Asic) que préside depuis Giuseppe de Martino. Il devrait subir le même sort que Martin Rogard, lequel avait quitté le 1er août 2016 Dailymotion où il était entré neuf ans plus tôt en tant que vice-président des contenus, avant d’en devenir directeur des opérations – notamment en s’installant à New York. Et ce, alors que la plateforme vidéo avait perdu plus de la moitié de ses effectifs au moment de son rachat par le groupe de Vincent Bolloré, sur fond de dégringolade de son audience (1). Depuis, la plateforme embauche à tour de bras
pour redresser la barre.

Vincent Bolloré, seul maître à bord
Six mois plus tôt, le patron de Canal+ Maxime Saada évinçait le PDG de Dailymotion en place depuis juillet 2009, Cédric Tournay, pour présider la plateforme vidéo. Objectif : reprendre en main le concurrent de YouTube en perte de vitesse et « intensifier les synergies entre Dailymotion et l’ensemble des autres entités de Vivendi, dont Canal+ ». C’est à ce moment-là, en janvier 2016, que Giuseppe de Martino et Martin Rogard sont nommés directeurs généraux délégués. Cette confiance renouvelée n’empêchera pas le départ du second (2).
Non seulement Canal+ mais aussi sa maison mère Vivendi viennent d’accroître leur emprise sur la plateforme vidéo en se renforçant dans son comité de direction via trois nominations. Laetitia Ménasé devient aussi secrétaire générale de Dailymotion, tout en conservant ses fonctions de directrice juridique du groupe Canal+ pour lesquelles elle rapporte à Frédéric Crépin, lui-même secrétaire général à la fois de Vivendi et de Canal+. Ce dernier est aussi administrateur de Dailymotion, tout comme Simon Gillham, Hervé Philippe et Stéphane Roussel – tous les quatre étant membre du directoire de Vivendi. Quant à Amandine Ferré et Stéphanie Fraise, issues aussi du groupe Canal+, elles deviennent respectivement directrice financière et directrice des ressources humaines de Dailymotion. Toutes les trois nouvelles recrues sont placées sous l’autorité du patron de Canal+. Dans l’ombre, Michel Sibony, directeur des achats du groupe Bolloré, est le Monsieur cost killer de Vincent Bolloré jusque chez Canal+ et Dailymotion. En 2016, les charges de restructuration de Dailymotion se sont élevées à 6 millions d’euros.
Une autre nomination, annoncée cette fois le 6 mars, illustre également la prise de contrôle managérial du groupe de la chaîne cryptée sur la plateforme vidéo : Pascale Chabert, directrice des partenariats stratégiques de Dailymotion depuis novembre (3), devient en plus directrice adjointe des contenus de « l’offre Canal » (4). Canal+ Régie, la régie publicitaire du groupe Canal+, commercialise aussi les déclinaisons des chaînes sur Dailymotion (comme sur YouTube). Dans le même temps, Diego Buñuel – tout en demeurant directeur des documentaires de Canal+ – a été nommé directeur du pôle « Canal Brand Factory » nouvellement créé afin de produire, là encore « en synergie avec l’ensemble des entités du groupe Vivendi » (non seulement avec Dailymotion, mais aussi avec Gameloft, Universal Music et Vivendi Village), des contenus de marques tels que brand content vidéo et événementiels digitaux. Parallèlement, il met en place le dispositif antenne et digital autour de l’e-sport que Dailymotion a commencé l’an dernier à diffuser en direct lors de compétitions comme la « Fifa 17 Ultimate Team Championship Series Qualifier France » qui a eu lieu à Paris fin 2016. Il y a six mois, Vivendi s’est allié avec l’Electronic Sports League (ESL) pour créer ses propres événements de ligues d’e-sport en France qui seront retransmises à l’antenne et sur Dailymotion. La retransmission en live d’événements constitue un axe fort de Dailymotion, qui a par exemple retransmis le Vendée Globe et la cérémonie des César. Dailymotion est en outre depuis l’an dernier l’hébergeur des vidéos de Studio Bagel, « premier réseau de chaînes d’humour sur YouTube » et détenu par Canal+ depuis 2014.
Pour essayer de redresser la barre, Dailymotion fait peau neuve avec plus d’éditorialisation, plus de recommandations par algorithme et plus de contenus premium, ainsi qu’une nouvelle application mobile. Cela passe par plus de partenariats avec des médias (presse, télé, radio) et des producteurs de contenus (médias, marques, séries), quitte à partager plus de revenus avec eux. En misant sur les contenus premiums, Dailymotion tente de se démarquer avec un public « CSP+ » recherché des annonceurs (5) par rapport à YouTube plutôt prisé des plus jeunes.
De son côté, Vivendi Content – pôle de création de nouveaux formats – développe Studio+, une offre de séries courtes premium destinées aux smartphones.
Maxime Saada est même venu le 21 mars dernier au 8e Web Program Festival, le rendez-vous des créateurs et acteurs de la production vidéo, avec ses deux casquettes Canal+ et Dailymotion. Il s’agit surtout de relancer la plateforme dont l’audience a sérieusement chutée ces dernier mois : le site web Dailymotion ne comptabilise plus en France que 3,8 millions de visiteurs uniques par mois (audience de janvier selon Médiamétrie), pendant que YouTube se pavane en tête avec 23,4 millions de visiteurs uniques.

Dailymotion en quête de rentabilité
Au niveau mondial, la plateforme vidéo française affiche près de 3 milliards de vidéos vues par mois pour 300 millions d’utilisateurs, sachant que la moitié de son audience est maintenant générée en dehors de son propre site web. Mais son chiffre d’affaires aurait chuté l’an dernier de plus de 10 % à 60 millions d’euros, tout en creusant ses pertes, alors que ses effectifs doivent passer de 230 en 2016 à 400 salariés d’ici la fin de l’année. Dailymotion est condamné à réussir sa mutation, sinon… c’est la faillite. @

Charles de Laubier

Google et Facebook : le duopole caché de l’e-publicité

En fait. Le 17 mars, la directrice générale du Syndicat des régies Internet (SRI), Hélène Chartier, nous a assuré que son organisation ne connaissait pas le poids (ni une estimation) des deux plus gros acteurs en France de la publicité numérique que sont Google et Facebook – lesquels ne dévoilent aucun chiffre.

Comment la DGCCRF (Bercy) se pose de plus en plus en redresseur de torts de l’économie numérique

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est en passe de devenir le vrai gendarme de l’économie numérique. E-commerce, crowdfunding, réseaux sociaux, et demain algorithmes, Internet des objets ou encore voitures connectées : gare aux abus !

Un récent rapport du Conseil général de l’économie, de l’industrie,
de l’énergie et des technologies (CGE), lequel dépend du ministère de l’Economie et des Finances, propose de créer un « bureau des technologies de contrôle de l’économie numérique » qui « pourrait être localisé au sein de la DGCCRF », la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), rattachée à Bercy et dirigée par Nathalie Homobono (photo) depuis 2009.

« Bureau de contrôle » à la DGCCRF ?
Le rôle de ce bureau spécialisé, s’il était créé, serait de contrôler le Big Data, l’Internet des objets, les nouvelles méthodes de paiement, la maison intelligente, la loyauté des algorithmes, ou encore les voitures connectées (1) (*). Bref, cela reviendrait à lui donner un droit de regard sur presque toutes les coulisses de l’économie numérique. Selon les auteurs de ce rapport de Bercy, cette cellule de contrôle – inspirée du modèle américain de l’Office of Technology Research and Investigation (OTRI) crée en mars 2015 au sein de la Federal Trade Commission (FTC) – pourrait être saisie par la Cnil (2), l’AMF (3) et l’Arjel (4), mais aussi par l’Autorité de la concurrence, l’Arcep (5), le CSA (6), ainsi que par l’Acam (7), l’ACPR (8) ou encore l’ANSM (9). Le bureau en question nécessiterait environ six personnes, dont les compétences seraient non seulement techniques et scientifiques, mais aussi juridiques et économiques, avec un « conseil d’orientation » composé de représentants des pouvoirs publics, d’experts et de chercheurs.

Plus particulièrement sur les algorithmes, sur lesquels portait spécifiquement ce rapport, le CGE préconise en outre la mise en place d’une « plateforme collaborative scientifique » destinée à favoriser notamment le développement d’outils logiciels et de méthodes de tests d’algorithmes « responsables, éthiques et transparents ». L’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) a proposé de porter une telle plateforme, dénommée TransAlgo, qui sera développée en coopération avec non seulement la DGCCRF mais aussi le Conseil national du numérique (CNNum) et la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’Economie et des Finances. Avec un tel bureau de contrôle de l’économie numérique, le pouvoir d’enquête et d’investigation de la DGCCRF serait considérablement renforcé. Pour l’heure, elle dispose déjà d’un service spécialisé dans le contrôle du commerce électronique. Ses compétences portent aussi bien sur la protection des droits des consommateurs que sur le fonctionnement équilibré de ces marchés. La DGCCRF identifie les pratiques déloyales ou trompeuses vis à vis des utilisateurs finaux, ainsi que dans les relations interentreprises. En 2016, la surveillance du commerce électronique l’a ainsi amené
à contrôler un total de 10.829 sites Internet. Il en est ressorti que 31 % d’entre eux présentaient une « anomalie ». Ces enquêtes ont particulièrement porté sur l’information et la protection du consommateur dans des secteurs tels que le transport aérien ou le financement participatif (crowdfunding). Les constats établis lors de ces enquêtes peuvent en outre l’amener à proposer des évolutions normatives au droit
de la consommation. Cela touche essentiellement le e-commerce, tandis que des questions commencent à se poser sur les objets connectés par exemple.

Dans les communications électroniques, elle veille à la transparence des offres des opérateurs télécoms et à l’absence d’abus (tarifs des appels de service après-vente, sollicitations via spams vocaux ou SMS, arnaques aux consommateurs, …). En 2016,
la DGCCRF a mené vingtquatre enquêtes qui ont concerné l’économique numérique. Certaines d’entre elles ont porté sur la vente à distance où 1.430 sites Internet ont fait l’objet d’un contrôle l’an dernier, la majorité de ces contrôles ayant été suivis d’une perquisition dans les locaux même des entreprises.

Avertissements, injonctions, amendes, …
Il s’agissait de vérifier que les nouvelles règles des droits des consommateurs
– telles que les obligations d’information pré-contractuelle et le droit de rétractation issus de la loi « Hamon » sur la consommation du 17 mars 2014 (10) – soient respectées. Résultat : « Un taux de non-conformité élevé (49 %) a été relevé et les contrôles ont donné lieu à 355 avertissements, 312 injonctions, 23 procès verbaux (pour pratiques commerciales trompeuses) et 17 amendes administratives (manquements aux règles de la vente à distance et non-respect d’injonctions) », indique la DGCCRF dans son rapport annuel d’activité rendu public le 23 février dernier.

Réseaux sociaux dans le collimateur
D’autres enquêtes ont concerné le financement participatif où 30 établissements ont été contrôlés l’an dernier. Plusieurs manquements et infractions ont été constatés dans le crowdfunding immobilier tels que l’absence de mise à disposition des prêteurs d’un outil d’évaluation de leurs capacités de financement ou l’absence de fourniture d’un contrat de prêt type. Résultat : « Quatre avertissements, trois injonctions et deux rapports sur
la base de l’article 40 du Code de procédure pénale transmis aux parquets ». Dans le e-commerce, les réductions de prix « illusoires » ou « factices » (promotions déloyales et prix de référence) ont aussi été épinglées et ont fait l’objet de dix-neuf procèsverbaux – auprès d’Amazon, Vente-privee.com, Showroomprive.com, GrosBill, Zalando, H&M, Darel, Netquattro ou encore Comptoir des Cotonniers – ainsi que de 2,4 millions d’euros d’amendes.
Concernant les places de marché en ligne, la DGCCRF a vérifié leur conformité avec
le Code de commerce des relations commerciales et procédé à quarante-huit contrôles – suivis d’une assignation, d’un procès-verbal et de deux injonctions – mettant au jour des relations contractuelles déséquilibrées, des clauses illicites et des conditions de facturation non conformes. Mais depuis l’an dernier, ce sont les réseaux sociaux et leurs clauses contractuelles « abusives et illicites » qui sont dans la ligne de mire de la DGCCRF. Facebook, qui a été le premier à essuyer les plâtres l’an dernier, avait fait l’objet d’une procédure d’injonction à son encontre, laquelle s’est conclue par la mise
à jour de ses conditions générales d’utilisation (CGU) en décembre 2016. Il y a un an, en février, la DGCCRF avait donné 60 jours à Facebook pour se mettre en conformité
– sachant que les CGU non professionnelles de Facebook sont régies par les sociétés Facebook Ireland et Facebook Payments International. Posaient alors problème : clauses au détriment des utilisateurs, pouvoir discrétionnaire dans le retrait des contenus ou informations publiés par l’internaute, pouvoir de modifier unilatéralement ses conditions d’utilisation sans en informer préalablement l’internaute, clauses abusives dans les conditions de paiements, ou encore droit de modifier ou résilier unilatéralement son service de paiement sans en informer au préalable le consommateur. La procédure de la DGCCRF à l’encontre de Facebook se faisait indépendamment de celle lancée, en mars 2016, par cette fois par l’office anti-cartel fédéral allemand (Bundeskartellamtes) qui soupçonne le numéro un des réseaux sociaux d’abus de position dominante et d’infraction aux règlements de protection des données personnelles. Le cofondateur et patron de Facebook, Mark Zuckerberg, s’était même rendu à Berlin pour y rencontrer la chancelière Angela Merkel. C’est dire que l’affaire outre- Rhin est prise très au sérieux, la filiale irlandaise de Facebook où se situe son siège européen et sa filiale allemande à Hambourg étant directement visées. Parallèlement, dans la foulée de son homologue belge, la Cnil s’en est prise il y a un an également à Facebook en lui donnant trois mois – prolongés par la suite de trois autres mois jusqu’à août 2016 – pour respecter la loi « Informatique et libertés » en matière de collecte et d’utilisation des données des internautes. Il est notamment reproché au réseau social de tracer la navigation des internautes à leur insu sur des sites web tiers, même s’ils ne font pas partie des plus de 30 millions d’utilisateurs disposant en France d’un compte Facebook. Selon nos informations auprès de la Cnil, le dossier est toujours en cours d’instruction. En plus de cette procédure « Facebook », la DGCCRF a procédé à des investigations auprès de six autres réseaux sociaux « ciblés notamment en raison de leur attractivité vis-à-vis des jeunes consommateurs » : Twitter, Periscope (Twitter), Google+ (Google/Alphabet), Snapchat (Snap), WhatsApp (Facebook) et Tumblr (Yahoo).

Avec la Commission européenne en soutien
« Les investigations en cours ont montré la présence de clauses abusives, illicites,
voire inintelligibles pour le consommateur », a révélé Nathalie Homobono, lors de la présentation du rapport annuel d’activité, tout en précisant que les procédures engagées se poursuivent en vue d’obtenir la mise en conformité des CGU respectives. « Cette enquête est menée en coordination avec la Commission européenne et les autres Etats membres, afin d’en faire bénéficier l’ensemble des consommateurs de l’Union européenne », a-t-elle précisé. Bruxelles a envoyé à différents réseaux sociaux, qui ont commencé à répondre, les griefs dont font état des autorités de la concurrence en Europe. @

Charles de Laubier

La Commission européenne est décidée à favoriser, tout en l’encadrant, l’économie de la data

Dans une communication publiée le 10 janvier 2017, la Commission européenne prévoit de favoriser – tout en l’encadrant – le commerce des données numériques. Cette régulation de la data suppose notamment de réviser dès
cette année la directive de 1996 sur la protection des bases de données.

L’année 2017 sera placée sous le signe de la data. La Commission européenne veut encadrer l’exploitation des données dans une économie de plus en plus numérique.
La communication qu’elle a publiée le 10 janvier, sous le titre
« Construire une économie européenne de la donnée » (1), devait être rendue publique en novembre. Finalement, elle
l’a été avec deux mois de retard et fait l’objet d’une vaste consultation publique – jusqu’au 26 avril prochain.

Une loi européenne d’ici juin 2017 ?
Ces nouvelles règles sur la data utilisée à des fins commerciales doivent mieux encadrer la manière dont les entreprises s’échangent des données numériques entre elles pour développer leur chiffre d’affaires et générer des pro f i t s . I l s’agit d’év i ter que les consommateurs – internautes et mobinautes – soient pris au piège d’accords d’utilisation qu’ils ne pourraient pas refuser, donnant ainsi implicitement à d’autres entreprises que leur fournisseur numérique l’accès à leurs données personnelles. Toutes les entreprises sont potentiellement concernées. Si la communication n’a pas de caractère contraignant, la Commission européenne se réserve la possibilité de légiférer si les entreprises n’appliquaient pas ses suggestions sur le partage de données. Andrus Ansip (photo), viceprésident de la Commissaire européen en charge du Marché unique numérique et – depuis le 1er janvier 2017 – de l’Economie et de la Société numériques (2), a déjà laissé entendre qu’un texte législatif sur la propriété des données et l’accès à ces données pourrait être proposé d’ici juin 2017.
Tous les secteurs de l’économie – industries, services, e-commerce, … – sont en ligne de mire. Déplorant l’absence d’étude d’impact, un cabinet d’avocats (Osborne Clarke)
a recommandé à la Commission européenne de ne pas se précipiter à édicter une nouvelle loi. De nombreux secteurs économiques craignent cette régulation de la data et la perçoivent comme un frein à leur développement. Par exemple, dans l’industrie automobile, l’Association européenne des constructeurs d’automobiles (3) a fait savoir lors d’une conférence à Bruxelles le 1er décembre dernier sur le thème de
« Smart cars: Driven by data » que les données des conducteurs appartenaient aux constructeurs, lesquels pouvaient les vendre à d’autres entreprises. Au moment où la voiture connectée et/ou autonome démarre sur les chapeaux de roue, les industriels
de l’automobile entendent garder la maîtrise des données collectées et leur exploitation comme bon leur semble. Or la Commission européenne souhaite au contraire ne pas laisser faire sans un minimum de règles communes et en appelle à des expérimentations comme dans le cadre du programme CAD (Connected and Autonomous Driving). Les autres secteurs ne sont pas en reste. Cela concerne aussi
le marché de l’énergie (comme les compteurs intelligents), le domaine de la maison connectée, la santé ou encore les technologies financières. En outre, le potentiel de l’Internet des objets (des thermostats aux lunettes connectées), des usines du futur ainsi que de la robotique connectée est sans limite et le flux de données en croissance exponentielle.
Alors que la data constitue plus que jamais le pétrole du XXIe siècle, tant en termes d’économie de marché, de création d’emplois et de progrès social, elle est devenue centrale. L’économie de la donnée est créatrice de valeur pour l’Europe, avec 272 milliards d’euros de chiffre d’affaires généré en 2015 – soit 1,87 % du PIB européen.
Ce montant pourrait, selon les chiffres fournis par la Commission européenne, pourrait atteindre 643 millions d’euros d’ici 2020, soit 3,17 % du PIB européen (4).

Encadrer sans freiner l’innovation
La communication « Construire une économie européenne de la donnée » veut donner une impulsion à l’utilisation des données à des fins lucratives, tout en l’encadrant, sans attendre l’entrée en vigueur à partir du 25 mai 2018 de la nouvelle réglementation européenne sur la protection des données (5). Mais la Commission européenne ne veut pas non plus freiner les Vingt-huit dans le développement de l’économie de la donnée et creuser un peu plus l’écart avec les Etats- Unis. Aussi, voit-elle dans la régulation de la data une manière de contribuer au développement du marché unique numérique en donnant un accès le plus large aux bases de données – au Big Data – et en empêchant les barrières à l’entrée au détriment des nouveaux entrants et de l’innovation. Objectif : favoriser la libre circulation des données au sein de l’Union européenne, ainsi que la libre localisation de ces données dans des data centers, sans que ces échanges et ces stockages se fassent au détriment des consommateurs et de leur libre arbitre. Il s’agit aussi d’éviter la fragmentation du marché unique numérique par des réglementations nationales différentes selon les pays européens. La data se retrouve au cœur du marché unique numérique, que cela soit en termes de flux libres, d’accès, de transfert, de responsabilité, de sécurité, de portabilité, d’interopérabilité et de standardisation.

Pour la libre circulation des données
Dans sa communication « Construire une économie européenne de la donnée », dont un draft était disponible en ligne depuis décembre dernier, Bruxelles réaffirme la libre circulation des données (free flow of data) au sein de l’Union européenne et s’oppose aux barrières réglementaires numériques telles que l’obligation de localiser les données dans le pays concerné (6). Dans le prolongement de sa communication, la Commission européenne discutera avec les Etats membres sur les justifications et la proportionnalité des mesures réglementaires de localisation des données, ainsi que de leurs impacts sur notamment les petites entreprises et les start-up. Bruxelles est prêt à durcir le ton en cas de localisation abusive des données.
Partant du principe que les données peuvent être personnelles ou non personnelles, il est rappelé que la réglementation de 2016 sur la protection des données personnelle (en vigueur à partir de fin mai 2018), s’applique aux premières. Et quand un appareil connecté génère de la donnée qui permet d’identifier une personne, cette donnée est considérée comme étant à caractère personnel jusqu’à ce qu’elle soit anonymisée.
Or, constate la Commission européenne, l’accès aux données au sein des Vingt-huit est limité. La plupart des entreprises utilisant une grande quantité de données le font en interne. La réutilisation des données par des tiers ne se fait pas souvent, les entreprises préférant les garder pour elles-mêmes. De plus, beaucoup d’entreprises n’utilisent pas les possibilités des API (Application Programming Interfaces) qui permettent à différents services d’interagir avec d’autres en utilisant les données extérieures ou en partageant les siennes. Peu d’entreprises sont en outre équipées d’outils ou dotées de compétences pour quantifier la valeur économique de leurs données.
Quant au cadre réglementaire, au niveau européen ou à l’échelon national, il ne les incite pas à valoriser leur capital data. S’il y a bien le nouveau règlement sur la protection des données personnelle, les données brutes impersonnelles produites
par les machines échappent à l’actuel droit sur la propriété intellectuelle faute d’être
« intelligentes ». Tandis que la directive européenne du 11 mars 1996 sur la protection juridique des bases de données permet, elle, aux auteurs de bases de données le droit d’empêcher l’extraction et/ou la réutilisation de tout ou partie de leurs bases de donnés. Sans parler de la nouvelle directive européenne sur le secret des affaires, à transposer par les Etats membres d’ici juin 2018, qui limite l’accès à certaines informations capitales pour l’entreprise. Difficile de s’y retrouver dans ce dédale de textes législatifs. Un cadre réglementaire plus lisible et compréhensible est donc nécessaire, aux yeux de la Commission européenne, pour les données générées par les machines et les objets connectés, sur leur exploitation et leur traçabilité. Faute de quoi, l’économie de la data continuera de relever le plus souvent de relations contractuelles. Or, Bruxelles estime que cela ne suffit pas et qu’il faut un cadre adapté pour les nouveaux entrants et éviter les marchés verrouillés. Ceux que la Commission européenne appelle les propriétaires de facto de données que leurs écosystème génère ont un avantage compétitif sur leur marché, surtout en l’absence de réglementation ou de cadre juridique appropriés.

Afin que les réglementations nationales différentes ne s’imposent au détriment d’une harmonisation communautaire et des services de données transfrontaliers, une législation sur l’accès aux données pourrait voir le jour en Europe afin : d’encadrer le commerce de données générées par les appareils connectés, de faciliter et d’inciter
au partage de telles données, de protéger les investissements et les actifs, d’éviter la divulgation de données sensibles ou confidentielles, et de minimiser les effets de blocage (lockin) dans l’accès aux données.
La Commission européenne prévoit notamment : de réviser en 2017 la directive
« Bases de données » de 1996, de favoriser le développement les API pour faciliter
la création d’écosystèmes numériques, d’édicter des contrats-type portant sur l’exploitation de données, de contrôler les relations contractuelles B2B (7) et d’invalider des clauses abusives, de donner accès aux données d’intérêt général ou issues des services publics (8), d’instaurer un droit des producteurs de données à accorder des licences d’utilisation de ces données, et, enfin, de donner accès à la data contre rémunération.

Responsabilité et assurance
La responsabilité juridique liée à l’exploitation de toutes ces données devra aussi être clarifiée – quitte à envisager la révision de la directive européenne de 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux (9) – pour prendre en compte les nouveaux écosystèmes tels que l’Internet des objets ou encore la voiture autonome, sans parler des implications au niveau des assurances. @

Charles de Laubier

La frénésie du CES ne profite toujours pas au marché

En fait. Du 5 au 8 janvier 2017, s’est tenue à Las Vegas la 50e grand-messe internationale de l’électronique grand public : le CES (Consumer Electronic Show). Mais l’engouement médiatique et politique dont bénéficie ce méga événement n’empêche pas le marché mondial de la high-tech de s’éroder.