Le second marché du numérique : une « occasion » qui dérange les droits d’auteur

La Cour de justice européenne a précisé, dans un arrêt du 3 juillet 2012, que
le droit de distribution d’un logiciel est épuisé après téléchargement payant
et sans limitation de durée. Le logiciel peut alors être revendu « d’occasion ».
Cette solution pourrait s’appliquer aux musiques, aux films ou aux livres.

Par Claude-Etienne Armingaud, avocat (photo), et Etienne Drouard, associé, cabinet K&L Gates

Dans le cadre de son interprétation de l’article 4.2 de la directive européenne dite « Logiciels », sur la protection juridique des programmes d’ordinateur (1), la Cour de
justice de l’Union Européenne (CJUE) considère le droit
de distribution comme étant épuisé, lorsque le titulaire des droits d’auteur a concédé à un licencié le droit d’utiliser une copie sans limitation de durée, que cette copie soit matérielle ou numérique.

DigiWorld : la dérive des continents

L’Europe numérique d’aujourd’hui présente une image bien troublée, qui vient essentiellement du décalage accru entre
la diffusion des usages, chaque jour plus importante, et la maîtrise de ces technologies venues très majoritairement d’autres continents. Bien sûr, cette évolution s’inscrit dans un contexte économique bien plus large. Le monde multipolaire annoncé est bien là, succédant à la « triade » (Amérique du Nord, Europe occidentale et Asie-Pacifique) conceptualisée par Kenichi Ohmae, qui nous servit de grille de lecture durant toute la seconde moitié du XXe siècle. Mais cette approche statique s’inscrivait dans la vision longue que nous enseigna Fernand Braudel, du déplacement des économies des mondes de l’Est vers l’Ouest, de Rome à San Francisco, Jacques Attali proposant à sa suite sa vision des nouveaux équilibres intégrant la Chine, Le Brésil, l’Inde et, à plus long terme, l’Afrique. Nous voici donc au cœur d’un basculement historique, qui s’est produit précisément au tournant des années 2010.

« Le Vieux Continent n’a pas su maintenir ses champions, dont les plus prestigieux – notamment dans les télécoms – se sont peu à peu retrouvés isolés et fragilisés. »

L’industrie musicale sauvée par… le numérique

En fait. Le 4 mai, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a présenté les chiffres du marché de la musique enregistrée qui atteint au premier trimestre les 128,6 millions d’euros, dont 82 % réalisés par les ventes physiques et 18 % par les ventes de musique en ligne (téléchargement en tête).

En clair. « Le marché français du numérique pour la musique se structure et devient significatif avec près de 20 % du revenu total sur le premier trimestriel de l’année. Cela commence à compter et nous commençons à retrouver nos investissements dans le numérique », s’est félicité David El Sayegh, directeur général du Snep, qui réprésente notamment les majors du disque (Universal Music, Sony Music, EMI ou encore Warner Music). D’autant que la croissance trimestrielle de la musique en ligne – 28,7 % à 23,1 millions d’euros – tire plus que jamais le marché de la musique enregistrée, même si les ventes physiques (albums et vidéoclips en tête) se sont ressaisies en début d’année de 4,3 % à 105 millions d’euros, après cinq années du chute continue. Total : 128,6 millions d’euros de janvier à mars, soit une hausse de 8 % sur un an (1). Mais le numérique est « encore loin de compenser » les pertes sur le physique, qui caracollait alors à 305 millions d’euros au premier trimestre 2002. Aujourd’hui, le téléchargement continue de mener la danse avec un bond sur un an supérieur à 50 % sur les trois premiers mois de l’année, avec un chiffre d’affaires de 12,5 millions d’euros. Pour la première fois, le téléchargement devient majoritaire en termes de parts de marché trimestrielles (54 % contre 46 % un an auparavant). C’est cependant le streaming (écoute en ligne sans téléchargement préalable) qui progresse le plus : +100 %, à 2,6 millions d’euros, avec une part de marché trimestrielle qui croît de quatre points à 11 %. Quant aux revenus trimestriels des abonnements musicaux en ligne, ils progressent de près de 27 % sur un an, avec un chiffre d’affaires de 3,8 millions d’euros et une part de marché stable à 17 %. Seul continue de chuter le marché des sonneries sur téléphone mobile. Comme lors du dernier Midem de janvier (lire EM@6 p 3), le Snep veut voir dans la maturation du marché de la musique en ligne les premiers effets dissuasifs de la loi Hadopi – même si la « riposte graduée » ne sera pas mise en oeuvre avant juin prochain. David El Sayegh parle d’« effet psychologique » sur les internautes qui sont allés plus souvent sur les plateformes légales, tout en reconnaissant que « la loi Hadopi ne va pas éradiquer la piraterie sur Internet, car certains trouveront toujours des outils pour la contourner ». @