Ventes numériques « d’occasion » : ReDigi fait appel

En fait. Le 1er avril, un tribunal de New York a considéré que la vente de musique numérique « d’occasion » viole les droits d’auteur. Il donne ainsi raison à Vivendi, dont le label Capitol Records (Universal Music) accusait le site ReDigi de piratage. Mais ReDigi nous indique qu’il va faire appel.

Le second marché du numérique : une « occasion » qui dérange les droits d’auteur

La Cour de justice européenne a précisé, dans un arrêt du 3 juillet 2012, que
le droit de distribution d’un logiciel est épuisé après téléchargement payant
et sans limitation de durée. Le logiciel peut alors être revendu « d’occasion ».
Cette solution pourrait s’appliquer aux musiques, aux films ou aux livres.

Musique par abonnement : 10 % des ventes en ligne

En fait. Le 26 février, la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) a publié son Digital Music Report : les ventes mondiales de musiques enregistrées ont progressé – pour la première fois depuis 12 ans, de 0,3 % à
16,5 milliards de dollars – dont 5,6 milliards en ligne (+ 9 %).

Face à la baisse du téléchargement, faut-il étendre au streaming le droit de copie privée ?

Le droit à la copie privée, reconnu par la loi de 1985 en France et la directive
de 2001 en Europe, est menacé par la mutation des usages en ligne. Les téléchargements baissent au profit du streaming, lequel se trouve en dehors
du champ de l’exception au droit d’auteur dans un cercle familial.

« La copie privée va baisser avec le streaming. Il n’y a plus besoin d’enregistrer [une musique ou un film], ni de le copier sur son disque dur. Le principe du cloud computing
va renforcer cette tendance », a lancé Pascal Nègre, PDG d’Universal Music France,
à l’occasion d’un premier bilan 2012 de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), dont il est le président. De là à dire que la copie privée est devenue obsolète, il n’y a qu’un pas.

Evolutions des usages et question de droit
Le développement de l’audience des sites légaux de streaming (YouTube, Deezer,
Spotify, …) montre, selon la société de gestion collective de droits musicaux, « que le public s’est massivement détourné de réseaux peer-to-peer en utilisant désormais des sites licites de streaming ». Les derniers chiffres du Snep (1) confirment cette tendance où le streaming progresse plus vite que le téléchargement, avec respectivement une croissance de 29,7 % (à 12,7 millions d’euros) et de 17,3 % (47,4 millions d’euros) sur
les neuf premiers mois de l’an dernier. « L’écoute en streaming (10 % du temps et 1h10 par semaine) fait presque jeu égal avec l’écoute de musique téléchargée (13 % du temps et 1h40 par semaine) », souligne le Snep dans son édition 2012 de L’Economie de la production musicale. Avec 69,1 % de parts de marché, Deezer est le numéro 1 du marché du streaming, suivi de YouTube avec 14,6 % puis de Spotify avec 5,5 % (2). Quant au cinéma, il est également gagné par le streaming. A tel point que la filière française – emmenée par l’Association des producteurs de cinéma (APC), la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) et le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) – bataille depuis un an devant le tribunal de grande instance de Paris pour exiger des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et des moteurs de recherche le blocage et le déréférencement des sites web de la galaxie Allostreaming accusés de piratage (3). « La réponse graduée doit ainsi être maintenue sur le peer-to-peer et étendue au streaming illégal », a encore demandé le SEVN le 16 janvier dernier.
Reste à savoir jusqu’où va le streaming illicite, sachant que les ayants droits placent
ce dernier en-dehors de l’exception aux droits d’auteurs qu’est la copie privée.
Edition Multimédi@
a demandé à Pascal Nègre s’il ne fallait pas réfléchir à une sorte
d’« exception pour streaming privé » en lieu et place de l’exception pour copie privée,
non seulement pour préserver ce droit mais aussi pour prendre en compte la multiplication des écrans dans le cercle familial ? « Non », nous a-t-il répondu. A défaut d’exception, l’autorisation auprès des ayants droits serait donc de rigueur pour une utilisation multiple dans le foyer par exemple.
Ce problème a été soulevé par l’Hadopi elle-même dans le cadre d’une consultation
« Exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins » pilotée fin 2011 par l’un de ses membres, Jacques Toubon (4). « Les exceptions aux droits d’auteurs et droits voisins traduisent la recherche d’un équilibre entre la nécessité de respecter les droits d’auteur
et droits voisins et celle de permettre une utilisation des oeuvres ménageant les zones
de liberté au profit des utilisateurs. Cet équilibre semble aujourd’hui mis en cause. (…)
Les textes actuels sur les exceptions ne prennent pas en compte de façon totalement satisfaisante ces évolutions techniques et les usages actuels des œuvres », a expliqué le groupe de réflexion de l’Hadopi. D’où la question qui a le mérite d’être claire :
« Estimez-vous que cette exception [pour représentation privée et gratuite dans le cadre du cercle de famille (L. 122-5 1° du Code de la propriété intellectuelle)], combinée à l’exception pour reproduction provisoire et transitoire (L. 122-5 6°), devrait couvrir le streaming ? ». L’Hadopi avance même l’idée d’un « droit à l’exception voire un droit de l’exception passant notamment par l’élaboration d’un régime juridique autonome, invocable devant le juge à égalité avec le droit de la propriété intellectuelle ».

Orange pour la copie privée et provisoire
Parmi les réponses à la question de l’Hadopi, France Télécom estime ainsi que « la consultation en streaming à l’intérieur du cercle de famille d’une oeuvre, auquel ce cercle a un accès licite, pourrait s’inscrire dans le champ des exceptions de représentation privée et de copie provisoire ». En revanche, Canal+, M6 ou encore le Syndicat national de l’édition (SNE) considèrent que « le streaming n’entre pas dans le champ des exceptions précitées, soulignant l’illicéité de la consultation des sites de streaming sur Internet ». Le débat ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

Musique en ligne : vers une autorité de régulation et une chronologie des médias ?

Président de la commission musique du Geste depuis 2000 et coorganisateur
des Rencontres Radio 2.0 qui se sont tenues à l’INA le 18 octobre, Xavier Filliol a demandé – devant la mission Lescure le 16 octobre – des mesures en faveur des plates-formes de musique en ligne face aux producteurs.

Les plates-formes de musiques en ligne se sont fait entendre auprès de la mission Lescure, grâce à Xavier Filliol (photo), président de la commission musique du Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (Geste) et par ailleurs trésorier du Syndicat des éditeurs de musique de services en ligne (ESML).

Une autorité pour régler les différends
« Il serait important d’avoir des instruments de confiance pour nous permettre d’avancer et pour faire l’arbitrage [en cas de différend] sur les tarifs [entre les plates-formes de musique en ligne et les détenteurs de catalogue de titres musicaux]. Cet instrument nous manque vis-à-vis non seulement des ayants droits mais aussi des acteurs étrangers », a plaidé Xavier Filliol devant Pierre Lescure (1), lors de l’audition du Geste.
« Comme on nous dit que c’est un marché émergent, rien n’est fait. Je pense que
c’est faux. (…) C’est un vrai chantier car il faut définir un marché concurrentiel avec
les autorités de la concurrence », a-t-il insisté. Et d’ajouter : « Est-ce que le CSPLA
(2) pourrait s’en charger ? ». Un des membres de la mission Lescure, se demandant
si c’était vraiment le rôle du CSPLA, lui a demandé à qui devrait incomber ce rôle de régulateur de musique en ligne : « Une autorité de la concurrence ? Une Hadopi revisitée ? ». Réponse de Xavier Filliol : « Je serais plus tenté par la DGCCRF (3)…, laquelle, d’ailleurs, a été par le passé extrêmement sensible au fait qu’en 2003 les producteurs [de musiques enregistrées] ne voulaient pas licencier leurs catalogues. Une enquête interne fut alors lancée, de façon discrète. Personne n’est au courant
de cette affaire ; je me permets de la révéler aujourd’hui. La DGCCRF, qui siégeait
au CSPLA fut atterrée par ce refus de vente, elle a été remarquable. Ce qui a permis
de déverrouiller les choses ». En effet, un rapport de février 2004 – commandé par Jean-Ludovic Silicani, le président du CSPLA de l’époque, à deux universitaires, Sirinelli et Vogel – a bien constaté les « tensions » entre producteurs et distributeurs-diffuseurs (4).
Xavier Filliol a en outre fustigé que 80 % à 90 % des recettes des ventes en ligne tombent dans l’escarcelle des producteurs de musique, alors que ceux-ci n’assument pas sur Internet la distribution, la revente et la diffusion. « Nous sommes dans une relation directe producteurs de musiques-plates-formes en ligne, sans étapes intermédiaires, l’éditeur du service en ligne assurant la revente-distribution moyennant seulement 10 % à 20 % des recettes. Cela n’est pas juste et ne lui permet pas d’investir ni de vivre », a-t-il expliqué.
Et de rappeler qu’une dizaine de éditeurs de services en ligne musicaux ont disparu
en cinq ans (Jiwa, AlloMusic, …), lorsqu’ils ne sont pas sous procédure de sauvegarde comme MusicMe. Même Deezer, qui cache la forêt aujourd’hui, a failli disparaître à ses débuts et plus récemment a frôlé l’échec dans sa renégociation avec Orange sur l’offre d’abonnement au streaming… « Pendant ce temps-là, la part de marché d’Apple avec iTunes est passée en cinq ans de 40 % à 80 % ! », a-t-il souligné.
Autre inquiétude l’arrivée à échéance au 31 décembre de la charte des 13 engagements « Hoog » pris par les producteurs (majors en tête) vis-à-vis des éditeurs de musique en ligne pour assouplir les négociations d’avances et de minima garantis jusqu’alors jugés « exorbitants » (lire EM@25, p. 7). « Cette charte nous protège mais après ? Les ayants droits nous menacent déjà en disant que le temps est compté », dénonce Xavier Filliol. Il y a urgence. « Il faut élargir la charte des 13 engagements au publishing [les gestionnaires de catalogues et des redevances, ndlr] et aux auteurs. Comme la Sacem a perdu la gestion des quatre catalogues internationaux [des majors Universal Music, EMI, Sony Music et Warner Music, ndlr], on ne peut plus faire d’offres légales sans avoir à négocier avec des guichets à l’étranger (5) avec des redevances doubles », explique-t-il, en indiquant que l’ESML (6) a déjà rédigé des projets d’articles du Code de la propriété intellectuelle afin d’« aller au-delà de la charte ».

Des fonds de catalogues à moindre coût
Last but not least : l’idée avancée par Pierre Lescure sur Le Mouv’ le 31 août dernier de
« back catalogue à moindre coût » que Xavier Filliol estime comme « une vraie bonne
idée » mais « est-ce que l’on doit pour autant imposer une chronologie des médias dans la musique ? », s’interroge-t-il avant de répondre : « Pas sûr que nous en ayons très envie… Mais pourquoi pas une charte élargie qui dirait qu’au-delà de tant de temps [sur le modèle des fenêtres de diffusion du cinéma, ndlr], on pourrait diffuser un catalogue ». @

Charles de Laubier