Lutte contre piratage et lutte contre le terrorisme : Internet se retrouve entre le marteau et l’enclume

Internet est doublement dans la ligne de mire du gouvernement. Deux projets le concernant se télescopent : la lutte contre le piratage en ligne, et la lutte contre
le cyberterrorisme. Des acteurs du Net s’inquiètent de l’impact de mesures répressives sur les libertés fondamentales.

Il s’agit pour le gouvernement de Manuel Valls (photo), d’une part,
de renforcer la responsabilité de tous les intermédiaires de l’Internet pour qu’ils déréférencent ou « assèchent » les sites présumés pirates d’œuvres protégées par le droit d’auteur, et, d’autre part, d’accroître la surveillance et le blocage de sites web afin de lutter contre le terrorisme et son apologie (1). Après l’attentat dramatique qui a touché de plein fouet le journal satirique Charlie Hebdo, ces deux projets qui n’ont a priori rien à voir entre eux se retrouvent aujourd’hui dans les priorités du gouvernement. Pour le meilleurs et… pour le pire ?

Projet de loi « Liberté de création » et lutte contre le piratage : Fleur Pellerin est à pied d’oeuvre pour 2015

La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, promet pour début 2015 un projet « Liberté de création, architecture et patrimoine » aux contours numériques encore flous. Tandis qu’elle prépare par ailleurs un renforcement de la lutte contre le piratage, avec « listes noires », et « chartes sectorielles », préférant l’autorégulation des acteurs du Net à la loi.

(Depuis la parution de cet article le 15 décembre dernier dans Edition Multimédi@, un texte de l’avant-projet de loi « LCAP » – accessible ici – a commencé à circuler.)

4 ans d’Hadopi : moins de 150 pirates devant la justice

En fait. Le 14 octobre, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, était auditionnée par la commission des Affaires culturelles
et de l’Education de l’Assemblée nationale. La veille au soir, le 13 octobre,
elle s’est entretenue avec la présidente de l’Hadopi, Marie-Françoise Marais.

En clair. Octobre 2010- octobre 2014 : quatre ans de lutte contre piratage aboutissent finalement à moins de 150 dossiers de « pirates récidivistes sur Internet » transmis à
la justice – le procureur de la République – par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Pourtant, sur les signalements des ayants droits de la musique et du cinéma, la réponse graduée fonctionne à plein régime et, selon les calculs de Edition Multimédi@, l’Hadopi devrait franchir à la fin de cette année les 4 millions d’e-mails de premier avertissement (1) cumulés envoyés depuis le démarrage de la réponse graduée en octobre 2010. Tandis que le nombre
de lettres recommandées – expédiées en cas de récidive dans les six mois suivant l’e-mail – dépassera, lui, les 400.000 cumulées depuis quatre ans. Lors de son audition
à l’Assemblée nationale, Fleur Pellerin a laissé entendre que le maintien du budget
de l’Hadopi à 6 millions d’euros dans le projet de loi de Finances 2015 (au lieu de
8,5 millions) pourrait être revu à la hausse. D’autant que la ministre a déclaré que
« l’établissement et la publication d’une liste noire [de sites web pirates, ndlr] me paraissent rentrer parfaitement dans le cadre des compétences de l’Hadopi ».
Tous les intermédiaires du Net (2) seront alors obligés, selon elle, de prendre leurs responsabilités… @

Manuel Valls fut contre l’Hadopi : il est aujourd’hui pour la réponse graduée et la répression contre le piratage

Pour la seconde fois depuis qu’il est Premier Ministre, Manuel Valls a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale. Mais s’il est un sujet sur lequel le chef du gouvernement a bien changé, c’est sur la lutte contre le piratage – à la satisfaction du monde de culture. C’est le retour en grâce de l’Hadopi.

Par Charles de Laubier

Manuel Valls DR« Nous avons sans doute sous-estimé l’impact du piratage de masse. Il est pourtant une vraie source d’appauvrissement pour l’ensemble du secteur de la création. La réponse graduée garde toute son actualité pour lutter contre les pratiques illégales sur les sites utilisant le peer-to-peer », a lancé Manuel Valls (photo), la veille de son grand oral devant l’Assemblée nationale pour obtenir la confiance de son second gouvernement en cinq mois (1). C’était devant un parterre très sélect du monde de la Culture, le 15 septembre dernier, à l’occasion de l’inauguration d’une exposition au Grand Palais et
en présence de Fleur Pellerin, nouvelle ministre de la Culture et de la Communication.

Réformer le cinéma pour lutter contre le piratage

En fait. Le 6 août, le producteur et distributeur de films Jean Labadie a interpellé l’ex-ministre de la Culture et de la Communication dans une tribune à Libération : « Madame Filippetti, la piraterie tue le cinéma ». Cette dernière lui a répondu le 8 août. L’Hadopi, l’ARP et l’APC ont réagi.

En clair. La meilleure façon pour le cinéma français de lutter contre le piratage
est d’abord de se réformer lui-même. C’est en creux ce qu’Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communication, a répondu le 8 août à Jean Labadie, producteur et distributeur de films, à la suite de sa tribune dans Libération. « L’absence d’évolution du dispositif [de la chronologie des médias] depuis l’accord de 2009 n’est plus tenable », lui a-t-elle écrit. Le temps presse : après les rapports Lescure et Bonnell, le cinéma français est attendu au tournant. Le CNC (1), qui coordonne depuis le début de l’année les négociations entre les professionnels du Septième Art français, entame en septembre la dernière ligne droite de la concertation. Il s’agit pour la ministre de
« parvenir à un accord équilibré, qui tienne compte de la volonté du public à disposer plus rapidement des œuvres ». Aurélie Filippetti a incité les professionnels à « aller plus loin » que les propositions du CNC présentées en juillet « d’avancer les fenêtres TV de 2 mois, d’allonger la période d’exposition des oeuvres en VOD et d’avancer
de 12 mois la fenêtre SVOD », la VOD restant à quatre mois sauf dérogations renforcées… En outre, le CNC va lancer à la rentrée un appel d’offres pour « un dispositif de référencement des offres légales en ligne existantes en France, pour mieux orienter l’internaute dans son envie d’accéder aux œuvres ». N’est-ce pas
ce que fait déjà l’Hadopi avec Offrelegale.fr ? L’Hadopi, justement, critiquée par Jean Labadie pour son manque de dissuasion depuis la suppression de la coupure de l’accès à Internet comme sanction ultime, a abondé dans le sens de l’ex-ministre,
dans une interview de son secrétaire général Eric Walter à Libération le 7 août :
« Le piratage est avant tout une conséquence de la carence de l’offre légale, jamais
la cause ». La visibilité des films, notamment sur les box Internet des FAI, est « plus central que le piratage » (2). Début juillet, l’Hadopi a d’ailleurs contesté l’étude de l’Alpa (3) concluant à une augmentation de la piraterie audiovisuel. « Tant que l’offre n’est pas adaptée, tous les moyens déployés pour lutter contre le piratage ne changeront les choses qu’à la marge », a insisté Eric Walter. Les organisations du cinéma ARP – qui dénonce le « flou » des positions de la ministre sur le téléchargement illégal – et APC ont, elles, donné raison à Jean Labadie. Dialogue de sourds ? @