Prescription des infractions de presse sur Internet : le délai de trois mois de la loi de 1881 est obsolète

Le délai de prescription légale de trois mois introduit en 1881 pour les infractions de presse n’apparaît plus adapté à l’ère d’Internet, malgré des extensions à un an dans certains cas. Alors que la réédition d’un livre fait courir un nouveau délai de prescription, qu’en est-il pour la presse en ligne ?

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit dans son article 65 que l’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait (1). C’est en application de ce texte que les infractions de presse se prescrivent par trois mois à compter du premier acte de publication, quel qu’en soit le support.

La question du point de départ
Ce délai de prescription de trois mois – beaucoup plus court que le délai de droit commun de trois ans applicable à tous les délits – se justifierait au nom de la protection de la liberté d’expression et aussi par le fait que, longtemps, une publication écrite de plus de trois mois était en fait inaccessible. Mais comme ce délai est souvent apparu trop court pour permettre aux victimes d’infractions sur l’Internet d’agir en justice, la jurisprudence a accepté, dans certains cas, de faire appel à la notion de « nouvelle publication » qui permet de faire courir à nouveau le délai de prescription.

Parallèlement, le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour proroger le délai de prescription trimestriel pour certaines infractions commises sur l’Internet.
La récente loi du 27 janvier 2014 « visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap » est l’occasion de rouvrir le débat : ne faudrait- il pas harmoniser le délai de prescription légale pour toutes les infractions de presse ? Le délai de prescription légale de trois mois introduit en 1881 pour les infractions de presse n’apparaît plus adapté aux infractions commises sur Internet. En effet, les auteurs potentiels de diffamation sont plus nombreux ; la masse des informations diffusées rend difficile voire impossible la connaissance par les personnes visées d’éventuels messages illicites, restreignant leur possibilité d’agir en justice après la découverte du message diffamant ou insultant ; les propos ou images sont susceptibles de rester en ligne indéfiniment ; l’Internet offre à l’internaute un moyen de diffusion instantané, gratuit, à grande échelle, … sans être assujetti au professionnalisme et aux règles de déontologie des journalistes. Le temps qu’une diffamation ou injure sur Internet attire l’attention de la victime, il sera trop tard ! Ce sont autant de raisons qui exigent de trouver un meilleur équilibre entre liberté d’expression et droits des victimes d’infractions de presse commises en ligne.

Fort de ce constat, certains juges ont accepté à plusieurs reprises de contourner les rigueurs de cette courte prescription trimestrielle en acceptant de faire appel à la notion
de « nouvelle publication » dont l’existence permet de faire courir à nouveau le délai de prescription. Cette notion se fonde sur une jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’acte de répétition en matière de presse traditionnelle et d’après laquelle une réimpression ou une réédition constitue une nouvelle infraction faisant courir un nouveau délai de prescription. En effet, conformément à une jurisprudence constante, lorsqu’un livre réputé diffamatoire fait l’objet de plusieurs éditions successives, la prescription ne remonte pas au jour de la première édition, mais au jour de chacune des éditions nouvelles.

La notion de « nouvelle publication »
Avec Internet, la question se pose de savoir quelles sont les modifications du site ou du message qui peuvent être qualifiées de « nouvelle publication ». C’est une difficulté de
ce type que le tribunal de grande instance de Paris a eu à trancher dans un jugement du 18 mars 2013 (2). Après avoir rappelé le principe selon lequel « une nouvelle mesure de publication du même texte fait courir un nouveau délai de prescription puisque le délit est
à nouveau commis, c’est pourquoi la réédition d’un livre fait courir un nouveau délai de prescription », le tribunal a cherché à raisonner par analogie et à calquer un régime proche pour l’Internet.
Il a alors considéré qu’« il en va de même, pour des propos figurant sur le réseau Internet, de la création d’un lien dit hypertexte permettant d’accéder directement à un article plus ancien, que la création d’un tel lien doit être analysée comme une nouvelle mise en ligne du texte auquel ce lien hypertexte renvoie ».

Une jurisprudence fluctuante
La Cour de cassation a en revanche considéré, le 6 janvier 2009, « que la simple adjonction d’une seconde adresse pour accéder à un site existant ne saurait caractériser un nouvel acte de publication de textes figurant déjà à l’identique sur ce site ». En l’espèce, pour augmenter l’audience de son site, un professionnel l’avait rendu accessible par un nouveau nom de domaine, plus court et donc plus facile à manipuler. Il s’agissait
de créer une nouvelle porte d’entrée au site, sans qu’il y ait changement de contenu, de fournisseur d’hébergement ou de lieu de stockage des informations.
Cette manœuvre ne fait donc pas courir de nouveau délai de prescription. Il en est de même pour le support de la diffamation qui, lorsqu’il est mis à jour, ne permet pas de caractériser un nouvel acte de publication et donc de relancer un nouveau délai de prescription légale.

En présence de cette jurisprudence fluctuante, le législateur a tenté à plusieurs reprises de soumettre les infractions de presse commises sur l’Internet à des règles particulières de prescription, considérant que le délai de prescription de trois mois limitait dans les faits, les condamnations. Il a réussi à instaurer un régime dérogatoire pour les délits aggravés. Plusieurs lois ont successivement harmonisé les délais de prescription des infractions de presse pour certains délits spécifiques.

Ainsi la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a pu prolonger le délai trimestriel à un an pour trois catégories d’infractions : les provocations « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne
ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée »
(3) ; la contestation de crimes contre l’humanité (4) ; et la diffamation ou l’injure commise
« envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » (5).
La loi du 21 décembre 2012 sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme a également porté à un an le délai de prescription en présence de messages de provocation ou d’apologie d’actes de terrorisme.
Plus récemment, la loi du 27 janvier 2014 rallonge le délai de prescription applicable à
trois délits : les injures (6), la diffamation (7) et les provocations à la haine (8) en raison du sexe, de l’orientation ou l’identité sexuelle ou du handicap de la victime (9) se prescrivent par un an et non plus trois mois.

La multiplication de ces régimes dérogatoires complique inévitablement la lecture de la loi. En effet, plusieurs délais de prescription applicables aux infractions commises par voie
de presse, coexistent désormais : un délai trimestriel pour les infractions « classiques », un délai dérogatoire d’un an pour les délits « aggravés » et également un délai de « droit commun » de trois ans pour certaines infractions non prévues par la loi de 1881, par exemple pour la diffusion d’un message à caractère pornographique susceptible d’être perçu par un mineur (10).

Une harmonisation indispensable
Comment justifier auprès des victimes des différences de traitement ? N’est-il pas temps de constater que le délai trimestriel instauré par la loi de 1881 n’est tout simplement plus adapté à Internet et que seul un allongement du délai de prescription légale pourra permettre de réprimer le maximum des infractions constatées ?

Par ailleurs, peut-on encore considérer que les messages diffamatoires et injurieux sont des infractions instantanées alors même que ces messages restent accessibles au public, potentiellement indéfiniment ?
Rappelons qu’il s’agit là, de rendre lisible et intelligible une loi. Il s’agit dès lors d’un objectif qui a valeur constitutionnelle (11). @

* Christiane Féral-Schuhl,
ancien bâtonnier du Barreau de Paris.

Edwy Plenel en appelle à «une grande loi sur la liberté de l’information» pour la presse en pleine crise

Le fondateur du site de presse en ligne Mediapart et ancien directeur de la rédaction du quotidien Le Monde lance un appel aux parlementaires pour
« refonder l’écosystème des médias » dont la crise économique risque à
ses yeux d’accentuer « la double dépendance » (industrielle et étatique).

« Il devrait y avoir aujourd’hui une immense consultation faite par
le Parlement en vue d’une grande loi sur la liberté de l’information,
de même ambition que celle de 1881 (1), qui permette de refonder notre écosystème : le droit de savoir, notre métier, le droit de savoir des citoyens, l’accès aux informations, le droit de dire, la liberté d’expression, le droit des rédactions, leur protection, le droit du public, les sources, les lanceurs d’alertes, la neutralité du numérique, … », a expliqué Edwy Plenel, le 13 mars dernier, à l’occasion de la présentation des résultats annuels du site de presse en ligne Mediapart (2) qu’il a créé il
y a six ans et qu’il souhaiterait voir détenu par un « fonds de dotation » d’ici un an pour pérenniser son indépendance.

Il dénonce l’immobilisme du gouvernement
Alors que la presse française traverse la plus grave crise de son histoire, il monte au créneau : « Nous voudrions lancer un appel aux parlementaires, puisque l’immobilisme
du ministère de la Culture et de la Communication est flagrant, pour qu’ils se mobilisent dans une logique de majorité d’idées – car la liberté de la presse est utile à toutes les familles politiques – afin de créer, de refonder notre écosystème face au risque que la crise économique des médias ne fasse qu’aggraver une double dépendance : dépendance à l’égard d’industriels supposés mécènes qui achètent de l’influence à travers les médias et dépendance à l’égard la puissance étatique qui selon ses opportunités vient au secours de tel ou tel [média]». Par ailleurs secrétaire général du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) qu’il a cofondé, Edwy Plenel déplore que depuis l’élection présidentielle de 2012 – à l’exception du vote des parlementaires (à l’Assemblée nationale le 4 février, puis au Sénat le 17 février 2014)
pour la TVA super réduite à 2,10 % – « il n’y a rien »… « Nous voudrions vous faire part de notre inquiétude devant l’immobilisme du gouvernement par rapport à l’immense crise qui traverse les métiers de l’information sur tous supports. La révolution numérique est un défi qui appelle, comme toute révolution industrielle, une réinvention de l’écosystème des médias », déclare l’auteur de « Le devoir de savoir » (Don Quichotte éditions, 2013).
Il combat les différences de traitement entre ce qu’il appelle « la vieille presse » et la presse numérique. Dès 2008, Mediapart a bataillé pour qu’un journal numérique soit reconnu comme de la presse – à une époque où pour la législation un journal c’était du papier. « Grâce à nos démarches, cela a donné le statut de la presse en ligne : désormais, à la CPPAP (3), la presse en ligne est reconnue », se félicite le patron de Mediapart. Puis ce fut le succès en début d’année de la TVA à 2,10 % : « Le vote des parlementaires a montré que c’est l’administration fiscale qui avait une interprétation archaïque, en retard d’une révolution numérique par rapport à la réalité de l’égalité entre presse en ligne et presse papier » (4).

Autre archaïsme : celui des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal qui punit d’un an
de prison et de 45.000 euros d’amende le fait de publier des enregistrements. « Ces
deux anciens articles du code pénal, d’avant la révolution numérique, sont l’objet d’une interprétation archaïque et figée de la Cour de cassation qui fait que nous sommes
hors du droit de la presse (5) », regrette Edwy Plenel. Il a indiqué avoir écrit au Canard enchaîné (journal papier) et à Atlantico (site de presse en ligne) ayant essuyé le même type de décision avec les enregistrements Buisson) pour proposer une démarche commune. « C’est une jurisprudence totalement schizophrène (…) Il y a un verrou,
à l’heure du numérique (des photos numériques, des selfies, des enregistreurs, du partage, …) qu’il faut évidemment faire sauter en revenant dans le lit du droit de la
presse », ajoute-t-il. Plus largement, cela fera six ans, le 24 novembre prochain, que
le manifeste de Mediapart a été publié avec Reporters sans frontières (RSF) intitulé
« Combat pour une presse libre ». Edwy Plenel estime qu’il est plus que jamais d’actualité.

Le contrôle des médias par des industriels
« Tant que ce travail transparent public ne se fait pas, la crise galope et elle est l’occasion de manœuvres, d’arrangements, sur fond de conflits d’intérêts, de mélanges des genres. (…) Vous voyez bien que le risque est grand que s’accentue un travers immense du paysage médiatique français : le contrôle des médias par des industriels, (…) qui sont des marchands d’armes, qui sont dans l’aéronautique, dans la banque, dans la téléphonie, dans le luxe, dans le bâtiment et les travaux publics, … et qui, tous, sont dans des relations de clientélisme avec la puissance publique », dénonce-t-il. Sera-t-il entendu ? @

Charles de Laubier

La nouvelle loi « militaire » relance le débat entre sécurité renforcée et liberté sur Internet

La loi de programmation militaire, promulguée le 19 décembre 2013 sans avis
de la Cnil, élargit considérablement – voire trop – le périmètre d’accès aux données numériques. Mais les interceptions des communications sur les réseaux, par les autorités publiques et judiciaires, ne datent pas d’hier.

Zelnik, Lescure, Phéline : gestion collective oblige

En fait. Le 18 décembre, Aurélie Filippetti a publié le rapport « Musique en ligne et partage de la valeur – Etat des lieux, voies de négociation et rôles de la loi » que lui a remis Christian Phéline. Il y préconise une meilleure rémunération des artistes à l’ère du numérique, grâce à la gestion collective.

La loi Création devrait inclure YouTube et Dailymotion

En fait. Le 23 décembre, le CSA a publié le rapport – remis au gouvernement le
12 novembre – sur l’application du décret de 2010 concernant les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Proposition : étendre les obligations
de la VOD et de la TV de rattrapage à YouTube et Dailymotion notamment.