Lutte contre piratage et lutte contre le terrorisme : Internet se retrouve entre le marteau et l’enclume

Internet est doublement dans la ligne de mire du gouvernement. Deux projets le concernant se télescopent : la lutte contre le piratage en ligne, et la lutte contre
le cyberterrorisme. Des acteurs du Net s’inquiètent de l’impact de mesures répressives sur les libertés fondamentales.

Il s’agit pour le gouvernement de Manuel Valls (photo), d’une part,
de renforcer la responsabilité de tous les intermédiaires de l’Internet pour qu’ils déréférencent ou « assèchent » les sites présumés pirates d’œuvres protégées par le droit d’auteur, et, d’autre part, d’accroître la surveillance et le blocage de sites web afin de lutter contre le terrorisme et son apologie (1). Après l’attentat dramatique qui a touché de plein fouet le journal satirique Charlie Hebdo, ces deux projets qui n’ont a priori rien à voir entre eux se retrouvent aujourd’hui dans les priorités du gouvernement. Pour le meilleurs et… pour le pire ?

Charlie Hebdo et droit d’auteur
Le 12 janvier, soit cinq jours après l’attentat, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et
de la Communication, présentait les propositions du gouvernement dans le cadre de la réforme européenne du droit d’auteur. « Je me suis demandé s’il fallait maintenir notre réunion, si parler de droit d’auteur et d’Europe était à l’ordre du jour, alors que nous sommes endeuillés et bouleversés. (…) Oui, bien entendu (…) Le pays de Beaumarchais et de Charlie Hebdo doit donc être plus que jamais à la hauteur de sa mission historique de défense et de promotion du droit d’auteur », a-t-elle justifié. Dans la perspective de la réforme de la directive européenne « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI), qui date de 2001 (2), le gouvernement entend plaider auprès de la Commission européenne pour une plus grande responsabilité des plateformes numériques dans la lutte contre le piratage
« Le rôle prédominant joué par ces acteurs [du Net] dans l’accès aux oeuvres nous incite à réfléchir (…) au réexamen de leur statut juridique. C’est un sujet sur lequel je travaille avec mes collègues du gouvernement », a-t-elle expliqué en s’appuyant sur
les propositions qu’a faites le professeur Pierre Sirinelli dans son rapport remis en novembre au CSPLA (3). Autrement dit, la France veut que l’Europe remette en cause la responsabilité de l’hébergeur qui bénéficie d’une responsabilité limitée – laquelle a pourtant été confortée plusieurs fois par la Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’Association des services Internet communautaires (Asic), qui représente en France YouTube/Google, Dailymotion/Orange, Facebook, Yahoo, Wikimedia ou encore AOL, est vent debout contre cette perspective : « Toute remise en cause n’aurait alors pour effet que d’imposer un contrôle a priori de tous les contenus diffusés sur Internet et ainsi une censure généralisée des contenus diffusées sur l’Internet », a-t-elle mis en garde le lendemain de l’intervention de Fleur Pellerin. Et l’Asic d’ajouter : « Cette proposition est d’autant plus choquante qu’elle intervient au lendemain d’une mobilisation forte de l’ensemble des Français au profit de la liberté d’expression ». Parallèlement, la ministre se fera la porte-parole à Bruxelles pour faire coopérer les professionnels de la publicité sur Internet à la lutte contre les violations de la propriété intellectuelle. « Il faut impliquer l’ensemble des acteurs de l’écosystème numérique, à l’instar de la mission que j’ai confiée tout récemment à (…) Julien Neutres (4) dans le domaine de la publicité en ligne. (…) Nous ne pourrons accepter que les directives (européennes) soient amendées sans que ce sujet ne soit traité », a-t-elle prévenu. Julien Neutres est missionné depuis début janvier pour « l’élaboration d’une charte, écrite en concertation avec les acteurs de la publicité, afin qu’ils s’engagent dans une démarche volontaire d’éviction des sites ne respectant pas le droit d’auteur et les droits voisins ». Cette fois, le gouvernement s’inspire du rapport de Mireille Imbert-Quaretta (5), remis à Fleur Pellerin en mai dernier (6). La charte sera signée par les régies, les annonceurs et les agences de la publicité numérique pour « assécher les ressources financières » des sites web illicites.

Décret « Blocage administratif »
Dans le domaine autrement plus grave, la lutte contre le terrorisme, le gouvernement veut renforcer la surveillance et le blocage d’Internet après les attentats des jihadistes
– alors même que le projet de décret « Blocage administratif » d’Internet (donc sans passer par le juge), découlant de la loi « militaire » (7), a déjà été notifié à Bruxelles.
Un projet de loi sur le renseignement prévoirait notamment le blocage (toujours sans contrôle judiciaire) de contenus racistes ou antisémites. Au risque d’engendrer censure et violation de droits fondamentaux. « Il ne s’agit pas d’adopter un Patriot Act à la française », a tenté de rassurer Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique. Le 21 janvier, Google a demandé au gouvernement français des « politiques claires » pour la suppression de contenus… @

Charles de Laubier

Pas sûr que Kindle Unlimited, Youboox, Youscribe, Izneo, ePoints ou Publie.net soient dans l’illégalité

La saisine de la médiatrice du livre par Fleur Pellerin pourrait finalement être salvateur et aboutir à lever l’incertitude juridique qui entoure ces nouvelles offres forfaitaires illimitées d’accès à des catalogues d’ebooks, lesquelles répondent à une demande des lecteurs. Car il serait impensable que Laurence Engel, la médiatrice du livre, en arrive – en cas d’échec de la conciliation – à saisir la juridiction compétente pour lui demander d’ordonner la cessation de ces nouvelles plateformes de lecture en ligne qui, si cela était démontré, seraient contraires aux lois n°81-766 du 10 août 1981 (loi
« Lang » sur le prix du livre) et n°2011- 590 du 26 mai 2011 (prix du livre numérique), toutes deux ayant été modifiées par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 (consommation).

L’accès temporaire et la loi de 2011
Faudra-t-il interpréter différemment la loi – voire la préciser – plutôt que de fermer des plateformes innovantes ? « Les utilisateurs de Youboox n’obtiennent pas la propriété des livres numériques qu’ils consultent. Par conséquent, la loi du 26 mai 2011 et le décret du 10 novembre 2011 ne sont pas applicables à notre activité, qui est parfaitement légale », a assuré Hélène Mérillon (photo), la cofondatrice et présidente
de Youboox, dans un droit de réponse publié par ActuaLitté le 15 octobre dernier et transmis par son avocat Emmanuel Pierrat. « Ces livres sont mis à sa disposition temporairement (s’il reste abonné) dans l’application Youboox, au fur et à mesure de
la lecture. Ils ne sont à aucun moment téléchargés dans leur intégralité, ni transférés », a-t-elle expliqué en se défendant de vouloir ainsi « contourner la loi » comme le laissait penser explicitement l’article incriminé (1) mis en ligne le 31 juillet 2014. Car, selon elle, la licence d’utilisation de ce mode d’exploitation des livres numériques est exclue du périmètre de la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique : son article 2 (premier alinéa) parle de « prix de vente au public » que doivent fixer l’éditeur : « Toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée. Ce prix est porté à la connaissance du public. Ce prix peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage ». Cela suppose, soutiennent Hélène Mérillon et Emmanuel Pierrat, la transmission de la propriété d’un livre numérique, ce qui n’est pas le cas dans les offres de ebooks en streaming puisque ces derniers sont accessibles temporairement – le temps de la validité de l’abonnement. Avec Kindle Unlimited, Youboox, Youscribe, Izneo, ePoints ou encore Publie.net, il n’est donc pas question de « prix de vente » mais de licences d’usage temporaire (le temps de l’abonnement). Pourtant, le décret semble prendre en compte ces nouvelles « modalités d’accès ou d’usage » dans son article 2 : « Les modalités d’accès au livre numérique s’entendent des conditions dans lesquelles un livre numérique est mis à disposition sur un support d’enregistrement amovible ou sur un réseau de communication au public en ligne, notamment par téléchargement ou diffusion en flux (“streaming”). Les modalités d’usage du livre numérique se rapportent notamment […] à la durée de mise à disposition du livre numérique ». Alors, le prix unique du livre s’applique-t-il aussi bien à la vente qu’à la location ? A la cession et au prêt ? Au téléchargement définitif et visionnage en streaming ? Nous l’avons vu, la loi de 2011 précise que « ce prix peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage ». Est-ce à dire que les éditeurs et les plateformes doivent se mettre d’accord sur les prix des ebooks, qu’il y est vente ou location, au risque de tomber dans l’ornière de l’entente illicite sur les prix ? A moins que l’on admette une bonne fois pour toute que les abonnements « illimités » de ces nouvelles bibliothèques en ligne ne soient ni de la vente ni du prêt, mais un accès temporaire aux livres numériques, un usage éphémère des ebooks qui ne tombe pas sous le coup de la loi « Lang » modifiée en 2011.

Ne pas opposer la loi à l’innovation
Dans ce cas, la France devra se rendre à l’évidence : l’éditeur ne plus être le seul maître du jeu tarifaire en toute circonstance. Pas sûr que la médiatrice du livre puisse démêler seule l’échevau d’ici le début du mois de février. La question que Fleur Pellerin, la ministre de la Culture et de la Communication, aurait dû poser à Laurence Engel, c’est de savoir si la France est prête à accepter un nouveau modèle économique pour le livre. Car, une fois de plus, l’innovation technologique et les nouveaux usages des consommateurs vont bien plus vite que le train législatif. @

Charles de Laubier

La lutte contre le terrorisme en ligne renforce l’« autorité administrative » au détriment du juge

Après les lois « LCEN », « Hadopi », « Loppsi 2 » et « LPM », voici que la loi
« Antiterrorisme » – promulguée le 14 novembre – vient complexifier la législation sur la surveillance des réseaux et des internautes. Le problème est que le juge judiciaire est de plus en plus absent des procédures.

Malgré la loi anti-Amazon, Amazon s’impose au livre

En fait. Le 26 juin, le Syndicat national de l’édition (SNE) a – pour une fois –
tenu son AG annuelle dans l’hôtel particulier de Massa, lequel fut donné à l’Etat en 1928 à condition d’héberger la Société des gens de lettres (SGDL)…
Le Syndicat de la librairie française (SLF) y est aussi. Pas encore Amazon !

Brainstorming avant le projet de loi sur le numérique

En fait. Le 16 juin, se sont tenues les 1ères Assises de la Confiance numérique, parrainées par Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique, en vue de « garantir la protection des données personnelles et l’identité des internautes ». Le 13 juin,
le CNNum a remis son rapport « Neutralité des plateformes ».