e-Libraire cherche e-Lecteur

En ce samedi matin ensoleillé, après avoir bu un café en terrasse accompagné d’un journal sur tablette, j’ai poussé
la porte de ma librairie préférée. Mais ce rêve nostalgique s’évapore au réveil. C’est presque un cauchemar pour
moi qui aie toujours entretenu avec les livres une relation particulière grâce à la médiation des présentoirs des librairies : entrer au Furet du Nord, chez Mollat ou chez Sauramps, et au hasard d’un rayon se laisser attirer par
un titre, une couverture, un auteur, pour repartir avec ce
qui se révélera être un trésor pour le modeste prix d’une édition de poche. Le lent déclin de la librairie s’est encore accéléré après une longue histoire. Au XVIIIe siècle, le métier de libraire se sépara de celui d’éditeur pour éclore progressivement au XXe. Le temps que l’alphabétisation gagne du terrain et le livre devienne plus accessible. Durant une période assez courte, qui fût sans doute son âge d’or, la librairie accueillait de nombreux lecteurs heureux de pouvoir se créer à domicile leur propre bibliothèque personnelle. Ce qui fut l’apanage des lettrés durant de longs siècles, de l’antiquité à la renaissance. Si être Montaigne n’est toujours pas donné à tous, s’entourer de ses livres préférés devenait enfin un objectif raisonnable.

« Nous avons découvert que le livre pouvait aussi se lire en streaming, le monde de la littérature adoptant le modèle déjà existant dans la musique. »

La quasi disparition des libraires de notre paysage urbain s’explique par la baisse du nombre de lecteurs, antérieure à l’Internet. Ceux qui ne lisent qu’un à quatre livres par
an sont désormais largement supérieur à 50 % de la population. Elle est loin cette génération des baby-boomers du XXe siècle qui manifestait pour les livres un si vif
intérêt. La grande distribution a ensuite concurrencé les librairies. La dématérialisation
de la vente sur Internet, symbolisée par l’irruption d’Amazon en 1994, a mis au bout des doigts des internautes l’accès à des millions de titres. Puis ce fut la dématérialisation
du livre lui-même. Comme pour le disque en son temps, les résistances ont été fortes, relevant d’ailleurs plus de la filière que des auteurs, lesquels sont toujours perdants
dans le partage du gâteau. Les lecteurs, eux, comprennent désormais qu’un livre papier
à 20 euros finance plus une économie de l’emballage et du pilonnage que les auteurs
eux mêmes.
Nous autres lecteurs, nous recherchons aujourd’hui un service complet et intégré, qui était encore éclaté en 2012. Pour lire ses ebooks sur tous les terminaux, on pouvait les archiver sur Dropbox ou Ubuntu comme alternatives libres aux solutions propriétaires
de stockage en ligne de l’époque – voire dans un « nuage ». Nous avons découvert que
le livre pouvait aussi se lire en streaming : Youboox fut le premier en France à appliquer au monde de la littérature le modèle déjà existant dans la musique de Deezer ou Spotify. Pour gérer sa bibliothèque numérique, on pouvait utiliser les services d’un Calibre afin de synchroniser ses appareils de lecture et lire sous de nombreux formats. Pour m’aider à choisir, j’avais accès à des critiques de journalistes mais aussi de lecteurs, décuplées
par la puissance du bouche-à-oreille des réseaux sociaux spécialisés comme Babelio
ou Bookish – véritables club de lecture en mode 2.0. Sans parler de la multitude de sites bibliophiles comme Booknode, Libfly ou Livraddict.
La constitution de plateformes de services intégrés fut la grande affaire de la dernière décennie. Face aux géants du Net, d’Amazon à Google eBookstore, s’opposent les derniers réseaux nationaux puissants comme La Fnac ou Barnes & Noble. Même Priceminister affichait en 2012 plus de 5 millions de livres neufs ou d’occasion, quand
un Gibert en proposait seulement un peu plus de 1 million, sans parler des hypermarchés en ligne qui se sont mis à la page. Face à cette concurrence puissante, les libraires indépendants ont cherché leur salut dans des plateformes collectives telles que 1001libraires, ou en se réinventant comme le fit la mythique librairie Kepler de Menlo Park, mi-commercial mi-associatif au service d’une communauté de lecteurs et d’auteurs militants. George Bernard Shaw n’écrivait-il pas que « pour produire un livre, seuls
l’auteur et le libraire sont nécessaires. Sans parasites intermédiaires » ? @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : TNT 2.0
* Directeur général adjoint
du DigiWorld Institute by IDATE.
Sur le même thème, l’institut vient de publier
son étude« eBooks : Marchés et prévisions 2015 »,
par Sophie Lubrano.

Jouer avec les nuages (II)

Ce Noël, rien sous le sapin ! Rien qui ne rappelle, de près ou de loin, les traditionnelles boîtes de jeux vidéo qui venaient s’y empiler, d’une année sur l’autre. Entre temps, la dématérialisation de la filière des jeux vidéo continuait avec obstination à vider la hotte du Père Noël et les magasins spécialisés. Et ce n’est pas terminé. D’abord, parce que les consoles résistent en trouvant, génération après génération, de nouvelles ressources d’innovation justifiant encore leur attractivité : un équipement à domicile s’avère toujours indispensable pour jouer en 3D et ultra haut-débit sur écran géant, en faisant appel aux nouvelles ressources du web des émotions, prometteuses de sensations inédites. Si la console n’est pas (encore) morte, c’est aussi pour la simple raison que, pour les jeux, le processus de dématérialisation est autrement plus complexe que pour la musique, les films ou les livres. Il ne s’agit plus de simplement télécharger des fichiers mais de pouvoir jouer en ligne et en temps réel. Il est question ici de Gaming on Demand (GoD) ou de Cloud Gaming : grâce aux ressources du « cloud computing », toutes les opérations de calcul ne sont plus réalisées sur une machine à domicile mais sur de puissants serveurs distants. Cela concerne un chapitre de plus en plus important du catalogue de jeux, à la complexité accrue mais désormais compatibles avec les performances croissantes des réseaux à très haut-débit. Finie la course des foyers aux micro-ordinateurs survitaminés.

« Au moment où les chronologies des médias de la vidéo ou du livre sont mises à mal, une chronologie des jeux vidéo se met en place ! »

La guerre est désormais déclarée entre les acteurs en mesure de dominer cette nouvelle scène de diffusion des jeux vidéo. Les acteurs historiques du secteur s’y sont finalement lancés pour assurer leur survie. Mais il faut se souvenir qu’ils n’y entrèrent qu’à reculons, laissant à d’autres le soin de défricher devant eux. Les early adopters se sont familiarisés avec des jeux sur navigateurs proposés par des développeurs audacieux. On se souvient en particulier des succès des studios lillois 3DDuo, avec Leelh et Ankama avec Dofus lancé en 2004. Mais c’est Crytek, puissant studio indépendant de Frankfurt, qui, dès 2005, a investi dans une solution en mode GoD pour son jeu-phare Crysis, avant d’abandonner les recherches deux ans plus tard faute de réseaux à niveau. Le véritable lancement commercial du jeu online ne date en réalité que de 2010, avec l’arrivée très remarquée de la plateforme de distribution OnLive, lancée après plus de sept années de recherche par le pionnier Steve Perlman. Elle permet aux joueurs d’accéder à plus de 150 jeux de tout premier plan, instantanément et sur tous les terminaux, de la « télé » à l’ « ordi » en passant par les tablettes et les smartphones. Le tout, pour moins de 10 dollars par mois sans engagement et en s’appuyant dès le départ sur des opérateurs comme AT&T ou BT. Un autre californien lança en 2011 Gaikai, en misant pour sa part sur sa compatibilité avec Linux et en proposant de rémunérer les éditeurs de sites partenaires en fonction du temps passé sur un jeu. Depuis, de nombreuses sociétés ont mis en place ces nouvelles plates-formes de diffusion de jeux basées sur le nuage informatique multi-terminaux comme Playcast Media, Otoy, GameStop, G-cluster, Transgaming, Spoon, Darkworks, Gamestring, ou encore iSwifter. Autant de start-up qui, aujourd’hui, ont disparu ou ont été reprises par les géants du Net pour lesquels les catalogues de jeux sont devenus une part de l’offre de base de leurs services. L’expérience pour les joueurs réguliers ou occasionnels fut très positive et leur adhésion très rapide.
Pour les acteurs de la filière, il a fallu repenser une part importante de la distribution et stabiliser de nouveaux business models. Mais il est intéressant de noter, au moment où les traditionnelles chronologies des médias de la vidéo ou du livre sont mises à mal et drastiquement raccourcies, qu’une chronologie des jeux vidéo se met peu à peu en place – là où elle était initialement absente ! Les éditeurs ont en effet dû organiser de manière progressive une distribution de leurs titres « AAA », en privilégiant une sortie initiale sur les consoles avant d’autoriser leur diffusion sur les plates-formes de GoD. Preuve de la maturité nouvelle d’une industrie qui n’en finit pas de s’imposer, définitivement, en tant que Dixième Art aux côtés du Septième (le cinéma) ou du Quatrième (la musique). @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » :
Programmes audiovisuels à l’heure du web
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’IDATE publie en 2012 son rapport
« Cloud Gaming », par Laurent Michaud.

Après le GIE E-Presse, un “GIE E-Edition” avec Orange

En fait. Le 8 novembre, lors des 3e Assises professionnelles du livre, Antoine Gallimard – PDG des Editions Gallimard et président du Syndicat national
de l’édition (SNE) – nous a indiqué qu’une plateforme de « bibliothèques personnalisées » verra le jour avec Orange courant 2012.

Foire du livre de Francfort : comment le livre s’ouvre

En fait. Le 14 octobre, la 63e édition du Salon du livre de Francfort – le Frankfurt Book Fair, organisé par l’association allemande des éditeurs et des libraires –
a fermé ses portes après quatre jours d’effervescence : le livre est pris d’assaut
par le numérique et se décline en produits dérivés.

Le SNE piste les pirates, en attendant l’Hadopi

En fait. Le 30 juin, le Syndicat national de l’édition (SNE) – présidé par Antoine Gallimard – a tenu son AG annuelle. En France, le livre numérique a progressé
de 8 % à 52,9 millions d’euros en 2010, soit presque 2 % du revenu net total des maisons d’édition. Rejoindre l’Hadopi est toujours à l’étude.