Livre : mission « antipiratage » de Christine Albanel

En fait. Le 20 novembre, le Premier ministre a confié à l’ancienne ministre de la Culture, Christine Albanel, une mission pour étudier comment « le secteur de l’édition pourrait le mieux tirer parti des mesures de protection et de dissuasion
qui seront mises en oeuvre par l’Hadopi ».

En clair. Christine Albanel, qui avait présenté au Parlement la loi « Création et
Internet » (Hadopi 1) adoptée le 12 juin dernier (1), a jusqu’au 1er avril 2010 pour rendre ses conclusions sur la façon de « prévenir, dans ce secteur [de l’édition et du livre numérique], les dommages observés pour l’industrie musicale et le cinéma avec
le développement du téléchargement illégal ». Cela ne fera jamais que le cinquième rapport gouvernemental sur l’avenir du livre ! Il y avait eu en effet celui de Sophie Barluet en juin 2007 (« Pour que vive la politique du livre »), celui de Bruno Patinot
en juin 2008 (« Rapport sur le livre numérique »), celui d’Hervé Gaymard en mars
2009 (« Situation du livre ») et celui de Marc Tessier attendu en décembre sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques. « Le gouvernement ne peut accepter de voir une nouvelle industrie culturelle menacée par le pillage. (…) Il conviendra notamment d’inciter les éditeurs et leurs organisations professionnelles
(…) à faire des propositions concrètes pour que les téléchargements illégaux de livres soient repérés et fassent l’objet du même traitement par l’Hadopi (2) que les fichiers portant des œuvres musicales ou cinématographiques », explique François Fillon à Christine Albanel. La mission qui lui est confiée intervient juste avant la remise du rapport « Zelnik » attendu pour mi-décembre (voir EM@ numéro 1, page 6) avec des propositions pour améliorer l’offre légale sur Internet et la rémunération des artistes
et auteurs. « Il vous est demandé de faire des propositions concrètes visant
à faciliter l’exposition des éditeurs français sur Internet et la mise en oeuvre par les entreprises de propositions commerciales attractives ligne », poursuit le Premier ministre. Car, malgré les « accords Olivennes » signés à l’Elysée le 23 novembre
2007 par près d’une cinquantaine d’organisations professionnelles, l’offre légale
de téléchargement – musique en tête – a tardé à se développer et à s’enrichir. En revanche, le piratage sur Internet a prospéré, amenant les industriels et les pouvoirs public à voter la fameuse loi Hadopi. Le secteur de l’édition, qui n’avait pas été signataire à l’époque des accords de l’Elysée (le livre numérique étant inexistant),
ne doit donc pas refaire les mêmes erreurs. « On peut observer, notamment aux Etats-Unis, des phénomènes préoccupants de téléchargements illégaux dans le domaine des contenus écrits », prévient le chef
du gouvernement. @

Hervé de La Martinière : « Trop de plateformes pourrait nuire à la diffusion du livre numérique »

Alors que le groupe La Martinière (maisons d’édition Le Seuil, L’Olivier et les Editions La Martinière) attend le 18 décembre le jugement dans son procès pour contrefaçon contre Google, son PDG explique à Edition Multimédi@ les enjeux de sa nouvelle plateforme Eden Livres et comment il souhaite voir évoluer la loi Lang.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Votre plateforme « Eden Livres » est ouverte depuis un mois maintenant. Quel est son mode de fonctionnement et de rémunération vis-à-vis des libraires et des auteurs ?
Hervé de La Martinière :
La plateforme numérique Eden Livres a été créée par trois acteurs indépendants de l’édition, Gallimard, Flammarion et nous-mêmes, La Martinière Groupe. Elle est réservée uniquement aux libraires. C’est donc un outil nouveau mis à leur disposition. Le grand public, lui, n’y a pas accès. Son fonctionnement est simple. Un client s’adresse à son libraire. Si celui-ci est en compte avec Eden Livres, il peut commander un exemplaire numérique d’un ouvrage du Seuil, de Gallimard ou encore de Flammarion. Le libraire, qui a une clé et un numéro de compte, entre en contact avec la plateforme qui lui envoie immédiatement le fichier numérique demandé pour son client. Un livre en version numérique coûte environ 25 % moins cher qu’un ouvrage publié sur papier. Le professionnel qu’est le libraire bénéficie de « la remise libraire » évaluée entre 20 % à 25 % du prix affiché. Les auteurs conservent leurs droits à l’identique, indifféremment du support, numérique ou papier.

EM@ : Quel est le format du fichier, est-il lisible sur tous les terminaux ?
H. de La M. : Le lecteur reçoit son livre numérique en PDF ou en ePub. Ce dernier format électronique est soutenu par l’International Digital Publishing Forum (IDPF), où se retrouvent réunis des éditeurs et des acteurs des nouvelles technologies. Cependant, ePub n’est pas encore adapté aux livres illustrés. Ces deux formats permettent une lecture sur n’importe quel terminal : ordinateur, smartphone, tablette, baladeur multimédia, eReader… Les fichiers sont protégés par l’éditeur : soit par des mesures strictes (DRM Adobe ACS4 limitant la copie à 6 terminaux déclarés par l’utilisateur), soit par des mesures dites souples comme l’apposition d’un tatouage en filigrane avec des informations relatives à la personne ayant acheté et téléchargé l’ouvrage.

EM@ : Combien de références la plateforme Eden Livres compte-t-elle à ce jour ? Et quelle sera la richesse du catalogue à terme ?
H. de La M. : Eden Livres propose aujourd’hui un catalogue d’environ 2000 titres et cette plateforme monte régulièrement en puissance et devrait, en fin d’année prochaine proposer plus de 25 000 titres dont la provenance éditoriale est également répartie entre les trois groupes partenaires.

« Il me semble que la loi Lang n’a pas vocation
à 
différencier les livres selon leurs supports,
d’autant, qu’à mes yeux, le livre numérique est
somme toute un dérivé du livre papier. »

EM@ : Face à l’avènement du livre numérique, quelles sont les différentes dispositions de la loi « Lang » qui devraient selon vous évoluer ?
H. de La M. :
Au moment où nous nous parlons, il n’existe pas d’accord sur le prix unique et le taux de TVA pour les ouvrages vendus en version numérique : le prix est libre et la TVA est à 19,6 %. Mais les éditeurs demandent que la loi Lang soit appliquée au livre numérique, avec un taux de TVA à 5,5 %.
La loi Lang a protégé et protège efficacement le livre papier, reconnaissant ainsi son rôle d’animateur essentiel de la culture. Il me semble que cette loi Lang n’a pas vocation à différencier les livres selon leurs supports, d’autant, qu’à mes yeux, le livre numérique est somme toute un dérivé du livre papier. On peut se demander si dans le futur, il y aura un langage ou une écriture numériques. Je n’y crois pas beaucoup. De toute façon, ce qui est important, quelle que soit la forme du livre ou son support, c’est que continue d’être préservée la relation spécifique entre l’éditeur et son auteur. Relation à la base de la formidable aventure qu’est l’édition.

Le livre numérique cherche sa plateforme unique

En fait. Le 30 septembre, le ministre de la Culture et de la communication, Frédéric Mitterrand, s’est prononcé – au Centre national du livre – en faveur de la création d’une « plateforme unique d’accès à l’offre numérique en matière de livre » qui « devra réunir les éditeurs français ».

En clair. Le gouvernement fait de cette future « plateforme unique » de téléchargement de livres numériques un « projet stratégique » qui permettra la création d’une offre alternative à Google. « Je veillerai particulièrement à l’accompagnement que mes services pourront apporter pour faire aboutir ce projet », avait insisté le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, auprès des professionnels réunis au Centre national du livre. Mais le géant américain du Net dispose d’une longueur d’avance dans la numérisation des livres : 500.000 titres disponibles dès le « premier semestre 2010 », au moment où sa bibliothèque en ligne Google Editions sera lancée en Europe (1). Autre géant du Net, l’américain Amazon est le seul rival sérieux avec son Kindle Store offrant déjà plus de 200.000 titres numériques. Si la France ne veut pas qu’un duopole ne s’installe durablement, les éditeurs français sont appelés à faire bloc en proposant au grand public une alternative crédible. Il ne s’agit pas de répéter les mêmes erreurs que l’industrie du disque, laquelle n’avait pas proposé rapidement d’offre légale. Car le gouvernement veut aussi « éviter la dérive vers le piratage ». Mais pour l’heure, plusieurs grandes maisons d’édition sont déjà parties en ordre dispersé. Le numéro 1 français de l’édition, Hachette Livre, a racheté en 2008 la société Numilog à l’origine de la première plateforme de ce type en France avec environ 60.000 titres téléchargeables aujourd’hui. Hachette Livre chercherait à fédérer autour de lui les autres maisons – quitte à leur proposer d’entrer dans son capital –, mais sans succès jusque-là. Le deuxième éditeur français, Editis, entend lui aussi rassembler autour de sa E-Plateforme lancée le 9 octobre dernier avec déjà une centaine de maisons ou groupes d’édition : Michelin, Michel Lafon, Média-Participations ou encore le canadien Quebecor Média, sans oublier l’espagnol Planeta (la maison mère d’Editis). Quant au groupe La Martinière, qui attend pour le 18 décembre le jugement dans son procès pour contrefaçon contre Google, il a formé un triumvirat avec les éditions Gallimard et Flammarion autour de sa plateforme baptisée Eden-Livre (2). Mais pour mettre d’accord tout son monde, Frédéric Mitterrand va réformer la loi « Lang » sur le livre pour que l’ebook bénéficie aussi du prix unique et d’une TVA à 5,5 %. @

Vers un marché unique du numérique européen

En fait. Depuis le 22 octobre, et jusqu’au mardi 5 janvier 2010, la Commission européenne consulte largement sur son projet de « cadre juridique » favorable
aux offres légales de « contenus créatifs en ligne » (musique, films, jeux vidéos, livres…).

En clair. Internet et l’économie numérique ne peuvent plus se contenter d’un patchwork de marchés nationaux. La commissaire européenne en charge de la Société de l’information et des Médias, Viviane Reding, et son homologue chargé du Marché intérieur, Charlie McCreevy, veulent mettre en place « un cadre juridique favorable au consommateur qui permette aux contenus numériques de franchir les frontières internes de l’Union européenne, tout en garantissant une protection solide des droits d’auteur et une juste rémunération aux créateurs ». Il s’agit aussi de lutter contre le téléchargement illégal. La Commission européenne s’attellera à la mise en place d’un « cadre juridique » et d’« offres transnationales légales » pour développer les offres légales de contenus en ligne : les livres, la musique, les films, les jeux vidéos… Par exemple, Bruxelles avance dans son « document de réflexion » l’hypothèse d’une « législation européenne sur le copyright » et des « formes alternatives de rémunération » des auteurs comme une taxe sur l’accès Internet. Ces propositions font donc l’objet d’une consultation publique jusqu’au 5 janvier 2010. La précédente consultation publique sur « les contenus créatifs en ligne », qui remonte à 2006, n’avait pas été vraiment été suivie d’effets – hormis l’abandon des systèmes de gestion des droits ou DRM (1). Viviane Reding estime que « ce marché [culturel et créatif de 650 milliards d’euros par an en Europe] pourrait être quadruplé ». Mardi 20 octobre, un premier accord signé – sous l’égide de la commissaire européenne chargée de la Concurrence, Neelie Kroes – a été conclu dans la musique en ligne avec les majors EMI et Universal Music, les distributeurs en ligne Amazon et Apple (iTunes), ainsi que le Beuc (2) et la Sacem (3). Ils se sont engagés à développer des « plateformes de licences », avec plusieurs sociétés de gestion des droits d’auteurs, afin d’accorder des « licences multi territoriales » pour un répertoire de musiques le plus large possible. La Sacem veut construire avec ses homologues européens un « guichet unique ». Et le 19 octobre, l’exécutif européen avait appelé les éditeurs de livres, bibliothèques et sociétés de gestion des droits à « mettre sur pied un système paneuropéen de registres de droits d’auteurs de livres (…) qui permettra l’octroi transfrontalier de licences ». @