Google Books : éditeurs et auteurs reprennent la main

En fait. Le 11 juin, Google a annoncé deux accords avec l’édition en France, l’un avec le Syndicat national de l’édition (SNE), l’autre avec la Société des gens de lettres (SGDL). Un accord-cadre va permettre aux éditeurs qui le souhaitent de confier au géant du Net la numérisation de leurs livres épuisés.

En clair. Six ans après l’ouverture des hostilités, engagé en juin 2006 devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris par le groupe La Martinière (1) le Syndicat national de l’édition (SNE) et la Société des gens de lettres (SGDL), Google et les professionnels français de l’édition enterrent la hache de guerre. Les ex-plaignants reprochaient à Google Books d’avoir numérisé sans autorisation préalable des éditeurs concernés quelque 100.000 livres et lui réclamaient 15 millions d’euros de dommages et intérêts. Ils exigeaient en outre que la firme de Mountain View cesse la numérisation des ouvrages, sous peine d’une astreinte de 100.000 euros par jour. Le 18 décembre 2009, Google avait été condamné à verser 300.000 euros de dommages et intérêts aux maisons d’éditions du groupe La Martinière (2), ainsi que 1 euro au SNE et à la SGDL, pour avoir numérisé des livres sans autorisations. Le géant du Web avait fait appel, sans succès, et avait finalement dû – malgré un recours en référé – publier le jugement de première instance le condamnant sur la page d’accueil française de Google Livres. Malgré ce revers judiciaire, Google avait poursuivi les négociations avec les éditeurs disposés à le faire. Bien lui en a pris. Un accord-cadre sur la numérisation des livres indisponibles a été élaboré avec le SNE, en concertation avec la SGDL. A chaque maison d’édition ensuite de dire si elle le signe effectivement, et à chaque auteur concerné d’accepter ou pas de voir indexées ses œuvres. Les organisations professionnelles se sont ainsi mises au diapason, après la signature par le groupe La Martinière fin août 2011 d’un protocole d’accord avec Google, lequel avait le mois précédent signé avec Hachette Livre un accord similaire annoncé dès novembre 2010. Tandis que Gallimard, Flammarion et Albin Michel avaient décidé finalement de suspendre au début du mois de septembre de l’an dernier – en vue de discuter – leurs actions en justice qu’ils avaient engagées de leur côté contre Google (3). Il s’agit de redonner vie à des milliers de livres indisponibles à la vente et plus édités. Cette quantité de livres épuisés, sous droits, représente 75 % de l’ensemble des œuvres dans le monde. Quel est l’intérêt des éditeurs ? Avec un tel accord, ils gagnent ainsi l’opportunité de vendre en ligne les livres que les maisons d’édition ne distribuaient plus dans les circuits classiques. @

Guillaume Monteux, miLibris : « Face à Amazon, Apple ou Google, nous redonnons le pouvoir aux éditeurs »

Le président fondateur de la société miLibris, qui met sa plateforme numérique ouverte au service des éditeurs de presse, des maisons d’édition et des opérateurs télécoms (Orange, SFR), explique à EM@ comment ses clients apprécient de garder la maîtrise et le contrôle sur leurs contenus.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Un consortium d’éditeurs (Editis, Gallimard, Seuil-La Martinière, Flammarion), d’opérateurs télécoms (Orange et SFR), et ePagine, ont élaboré
un prototype de plateforme ouverte de gestion de bibliothèques personnelles en ligne (cloud) et ont
déposé un dossier auprès du Grand emprunt :
qu’en pensez-vous ?
Guillaume Monteux :
Le modèle ouvert d’une bibliothèque personnelle en ligne est indispensable et nécessaire à l’adoption de la lecture en numérique. Acheter son livre ou sa publication auprès de tel
ou tel distributeur ne doit pas être synonyme d’embrigadement dans l’application de ce dernier. Les livres, la presse, et plus généralement les contenus de l’écrit, doivent être accessibles et lisibles sur tous les écrans et indépendamment des technologies du libraire. C’est précisément ce que nous préparons au sein de la plateforme miLibris
depuis maintenant trois ans. Le consortium auquel vous faites référence a aussi déposé un dossier de recherche et développement dans ce sens [auprès du Fonds national pour la société numérique (FSN) du Grand emprunt, ndlr]. Nous n’y participons pas pour faute de temps. Mais dans la mesure où nous sommes les partenaires exclusifs d’Orange et
de SFR, nous suivrons ces travaux pour éventuellement les intégrer. Et ce, même si aujourd’hui miLibris a développé ses propres modèles ouverts de lecture numérique.
Sous réserve d’un accord commercial entre les opérateurs, un lecteur qui aura par exemple acheté un abonnement « presse » chez SFR pourra continuer ses lectures
s’il désire passer chez Orange. Et nous pourrions, pourquoi pas, tout à fait être aussi interopérables de la même manière avec des programmes libraires comme 1001libraires.com, Librairie.actualitte.com ou encore REA de Guillaume Decitre.

Déverrouiller les bibliothèques en ligne et baisser les prix des livres numériques

Si l’industrie du livre ne veut pas être victime du numérique, comme ce fut le
cas pour la musique, elle devra non seulement déverrouiller les plateformes et
les enrichir, mais aussi accepter de vendre jusqu’à 30 % moins cher les livres numériques par rapport aux livres imprimés.

Contrairement aux industries de la musique et du cinéma, les maisons d’édition ne voient pas les réseaux peer-to-peer (P2P) de type eDonkey ou Torrent comme une menace. Dans le premier baromètre des usages du livre numérique publié au Salon du livre par le SNE (1), la Sofia (2) et la SGDL (3), seuls 4 % des personnes interrogées y vont pour chercher des ebooks.

Face au triopole Amazon-Apple-Google
Ce sont en fait les grandes portails du Net, que sont Amazon, Apple Store ou encore Google Books qui constituent les premiers points de ralliement du livre numérique : 38 % des sondés s’y connectent, auxquels s’ajoutent les 21 % qui empruntent un moteur de recherche (Google en tête). Viennent ensuite les 30 % qui passent par les sites web de grands magasins spécialisées tels que Fnac, VirginMega ou Cultura (4). Le piratage d’ebooks est aussi moins préoccupant que la position dominante du triopole Amazon-Apple-Google : seuls 20 % déclarent avoir eu recours à une offre illégale de livres numériques et 2 % à avoir utilisé un site de streaming illégal d’ebooks. Ce que corrobore l’étude EbookZ3 du MOTif (5) publiée aussi lors du Salon du livre : le piratage représente moins de 2 % de l’offre légale papier (6). Recourir à l’Hadopi n’est toujours pas une priorité pour le SNE, comme l’avait révélé Edition Multimédi@ (7).
La « menace » vient d’ailleurs. « Ce qui se joue aujourd’hui, (…) c’est la possibilité d’une emprise sans partage ni retour de quelques acteurs globaux de la diffusion sur les industries de la création », s’est inquiété Antoine Gallimard, président du SNE,
en ouverture des 8e Assises du livre numérique au Salon du livre, le 16 mars. Il n’a cependant rien dit sur la riposte que Gallimard prépare face à Amazon, Apple et Google avec Editis, Seuil-La Martinière et Flammarion, en association avec Orange et SFR, ainsi qu’avec ePagine (utilisé par Eyrolles). Le projet consiste en une plateforme unique ouverte qui se veut une alternative aux modèles propriétaires (entendez fermés) des trois géants du Net. Amazon, qui exposait pour la première fois au Salon du livre, impose en effet son propre format AZW pour sa liseuse Kindle qui ne lit pas le standard EPUB.
Reste à savoir si les plates-formes d’Hachette (Numilog), d’Editis (E-Plateforme), de l’Harmattan (l’Harmathèque), ainsi que 1001libraires.com, Librairie.actualitte.com ou encore REA de Decitre, rejoindront le groupement. Le directeur du Centre d’analyse stratégique du Premier ministre, Vincent Chriqui, a plaidé, le 19 mars, pour « une plateforme unique de distribution ». L’interopérabilité sera en tout cas la clé du succès de ces plateformes légales de librairie numérique. « Notre engagement auprès des lecteurs passe par (…) l’interopérabilité des plateformes (…) », a promis Antoine Gallimard. Le prototype de la future plateforme commune est élaboré avec Orange, lequel a – selon nos informations – déposé le 29 février un dossier d’aide auprès du Grand emprunt (8), via le Fonds national pour la société numérique (FSN). Reposant sur le cloud computing, elle proposera aux internautes de choisir leurs livres numériques chez des libraires virtuels, de les stocker dans leur bibliothèque personnelle en ligne, et de pourvoir l’enrichir quelles que soient les évolutions technologiques des e-books (formats PDF, EPUB, HTML, …). La société miLibris pourrait jouer le rôle d’opérateur technique (lire interview p.1 et 2). Autre défi majeur : celui du prix. A la question « Quelles sont vos attentes concernant l’évolution du livre numérique ? », le baromètre montre que les plus nombreux (28 %) répondent : « Que les prix des livres numériques soient plus accessibles ». Le « prix unique » du livre – ainsi désigné car fixé par l’éditeur pour les livres imprimés depuis la loi du 10 août
1981 et pour les livres numériques par la loi du 26 mai 2011 – est-il déjà obsolète sur Internet ? Amazon, qui serait à l’origine de l’enquête ouverte début décembre par la Commission européenne à l’encontre de ces cinq éditeurs (9) et d’Apple sur une éventuelle entente sur les prix des ebooks (10), aimerait pratiquer des ristournes de
-50 % par rapport au livre papier comme il le fait aux Etats-Unis. En France, il est limité à -5 %. Pourtant, 56 % des sondés mettre le critère du prix en avant pour le livre numérique (contre seulement 34 % pour l’imprimé). Or selon le Centre d’analyse stratégique, « le public attend clairement une différence de prix de l’ordre de 40 %
ou 50%».

Des ebooks à -20 %, -30 % ou -50 % ?
La France étant pionnière en Europe dans l’application aux ebooks du taux réduit de
TVA (7 % à partir du 1er avril), comme pour le livre imprimé, le SNE espère que Bruxelles entérinera cet alignement. Ainsi, explique le syndicat dans sa lettre aux candidats à l’élection présidentielle, « les éditeurs [pourront] proposer des prix plus attractifs ». Alors, -20 %, -30 % ou -50 % ? @

Charles de Laubier

 

L’industrie du livre veut elle aussi taxer les FAI

Le 31 janvier, la Fédération française des télécoms (FFT) a formulé ses vœux
pour l’année 2012, à commencer par le souhait de ne pas voir de nouvelles taxes « culturelles » sur les FAI. Mais après le CNC (cinéma) et le CNM (musique), le Centre national du livre (CNL) songe aussi à une taxe.

Après la taxe prélevée par le Centre nationale du cinéma et de l’image animée (CNC) sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), ces derniers devront remettre la main à la poche pour financer le nouveau Centre national de la musique (CNM). Et comme jamais deux sans trois, il ne manquerait plus que le Centre national du livre (CNL) pour demande à
son tour une taxe sur les FAI. Justement, le CNL ne n’exclut pas. En effet, selon nos informations, son président Jean-François Colosimo étudie cette perspective parmi les nouvelles pistes de financement envisagées pour son établissement, lequel est sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communication. Sa mission est notamment d’aider au financement de projets de production de livres (1), au moment où les maisons d’éditions doivent s’adapter au numérique. Le CNL se réunit d’ailleurs trois fois par an
pour octroyer des subventions pour projets d’ »édition numérique », d’ »édition multimédia »
ou de « plates-formes innovantes de diffusion et de valorisation de catalogues de livres numériques » (prochaines délibérations en mars). Or le besoin de financement est croissant mais les recettes du CNL – de moins de 45 millions d’euros par an – n’augmentent pas et ne suffisent plus. Au-delà des taxes spécifiques qui lui sont affectées (près de 80 % des recettes mais stagnantes), telles que les redevances sur les matériels de reproduction et d’impression, ainsi que sur le chiffre d’affaires de l’édition, l’une des pistes est de taxer les FAI. La question devrait être à l’ordre du jour la prochaine réunion de la commission « Economie numérique » du CNL, qui se réunit le 2 mars prochain. « [Une des pistes] consisterait à intégrer le domaine du livre dans tous les mécanismes à venir impliquant les fournisseurs d’accès à Internet, lesquels emploient massivement des contenus écrits et de livres », a déjà eu l’occasion d’expliquer Jean-François Colosimo lors de son audition devant la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, audition du 19 mai 2011 portant sur le financement de la culture (« Budget de l’Etat ou taxes affectées ? »). Reste à savoir si le CNL tentera de placer sa réforme – à l’instar du CNM – lors du prochain projet de loi de finances rectificatif 2012 au printemps ou du projet de loi de finances 2013 de fin d’année… @

Pour le livre, le dossier “Hadopi” est mis de côté

En fait. Le 8 novembre, Christine de Mazières, déléguée générale du Syndicat national de l’édition (SNE), nous a indiqué que le projet de déposer un dossier « Hadopi » auprès de la Cnil pour une « réponse graduée » contre le piratage de livres numériques n’était plus une priorité pour l’instant.

En clair. Après avoir auditionné les trois prestataires techniques que sont Trident Media Guard (TMG), Attributor (société américaine) et Hologram Industries (ex-Advestigo),
le Syndicat national de l’édition (SNE) n’a finalement rien décidé. « Nous avons mis le dossier “Hadopi” de côté car la question du piratage de livres numériques en France ne se pose pas vraiment encore. Le marché du livre numérique online, c’està- dire hors ouvrages sur CD-Rom, ne représente encore pas grand-chose – environ 1 % – sur le marché français », explique Christine de Mazières, déléguée générale du SNE, à Edition Multimédi@, lors des 3e Assises professionnelles du livre. C’est en janvier dernier que nous avions révélé l’intérêt de la filière du livre pour la « réponse graduée » de l’Hadopi (1) et se son projet de déposer un dossier de demande d’autorisation auprès de la Cnil pour pouvoir relever les adresses IP des internautes soupçonnés de piratage d’ebooks. En mars dernier, l’Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France (Motif) a publié son étude « EbookZ 2 » qui montrait que le piratage était encore marginal. « Pour les éditeurs, ce n’est pas la priorité du moment. Développer leur présence sur les liseuses et tablettes qui arrivent sur le marché français les occupent plus actuellement », ajoute Christine de Mazières.
Le développement d’offres légales (voir ci-dessus) est la priorité. Mais le SNE
continue d’explorer les solutions techniques en vue de mettre en place une « procédure automatisée de notification et retrait des contenus illicites », dès lors que l’éditeur est capable d’identifier techniquement l’hébergeur du site web pirate. En attendant, le syndicat présidé par Antoine Gallimard incite les maisons d’éditions à communiquer
les adresses de sites proposant des téléchargements illégaux. Et ce, afin de constituer une « liste [qui] permettra par recoupement d’identifier les sites et réseaux les plus actifs dans le domaine du piratage de livres », peut-on lire dans le rapport d’activité 2010-2011 du SNE publié le 30 juin dernier lors de l’assemblée générale (2). Une adresse mail – juridique@sne.fr – a été créée à cet effet, le SNE proposant en plus à ses membres une procédure et des courriers types. Mais, Christine de Mazières nous indique que ce point de signalement enregistre « très peu de remontées ». @