Le Syndicat national de l’édition (SNE) n’arrive pas à venir à bout du site pirate Z-Library

Z-Library reste encore accessible malgré deux jugements obtenus en France par le Syndicat national de l’édition, le 12 septembre 2024 et le 25 août 2022, pour tenter de bloquer les noms de domaine et sites miroirs de cette « bibliothèque mondiale » accusée de piratage de livres numériques.

« Le tribunal ordonne aux sociétés Bouygues Telecom, Free, SFR, SFR Fibre et Orange de mettre en œuvre et/ou faire mettre en œuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès au site Z-Library, à partir du territoire français, […] par tout moyen efficace, et notamment par le blocage des noms de domaine et sous-domaines associés […], au plus tard dans un délai de 15 jours suivant la signification du présent jugement et pendant une durée de 18 mois à compter de la mise en œuvre des mesures ordonnées », a décidé le tribunal judiciaire de Paris, précisé ce jour-là par Anne-Claire Le Bras (photo).

Blocage d’ici le 30 septembre 2024
Selon ce second jugement rendu le 12 septembre 2024 dans le cadre d’une procédure accélérée, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – du moins les quatre principaux en France – ont ainsi l’obligation de faire barrage au site Z-Library en bloquant pas tout moyens en ligne près de 100 nouveaux noms de domaine donnant encore accès à ce que le Syndicat national de l’édition (SNE) désigne comme l’« une des plus vastes bibliothèques numériques clandestines (ou « shadow library »), accessible depuis la France, et ce, par le biais d’une multitude de noms de domaine régulièrement renouvelés ».
Le premier jugement, datant du 25 août 2022, le même tribunal judicaire de Paris avait déjà ordonné aux mêmes FAI le blocage de plus de 200 noms de domaine. Dans les deux cas, le SNE avait fait établir un nouveau procès-verbal par un agent assermenté de l’Association pour la protection des programmes (APP), qui, basée à Paris et présidée par Philippe Thomas, se présente comme un « tiers de confiance » en matière de protection numérique et propose à ses clients dont le SNE – membres d’APP ou non – de faire appel à ses agents assermentés pour une demande de constat sur Internet. « Le constat en ligne automatique est un outil reconnu par les tribunaux pour détecter et documenter les contrefaçons sur les sites Internet. Il offre une preuve numérique incontestable de la présence de contrefaçons, permettant aux requérants de prendre les mesures nécessaires pour faire valoir leurs droits », assure l’APP (1). Cela suppose qu’il y ait préalablement un mandat écrit du titulaire de droits ou de son mandataire (avocat, conseil en propriété intellectuelle, etc.). Pour faire ses constats en ligne et dresser son procès-verbal, l’agent assermenté de l’APP télécharge un échantillon de livres contenant des œuvres littéraires éditées par des éditeurs membres du SNE tels que Albin Michel, Hachette Livre (dont les éditions Albert René), Dalloz, Gallimard, Dunod, etc. Ainsi, pour la dernière décision, le procès-verbal de l’APP pour le SNE « constat[e] que la plateforme Z-Library continuait son activité contrefaisante, et ce par l’intermédiaire de 98 nouveaux noms de domaine », parmi lesquels go-tozlibrary.se, singlelogin.se, booksc.eu, cn1lib.is ou encore zlibrary-africa.se – pour ne citer qu’eux d’une longue liste à la Prévert établie dans la décision elle-même (2).

Non, l’écran ne fabrique pas du « crétin digital »

En fait. Le 16 janvier, le président du Syndicat national de l’édition (SNE), Vincent Montagne, est reparti en croisade contre « les écrans » qu’il continue d’opposer aux livres (alors que l’on peut lire des ebooks sur écran). Il s’alarme du temps des jeunes passés sur les écrans, en parlant du « crétin digital ».

En clair. Lors de son discours à l’occasion des vœux du Syndicat national de l’édition (SNE), Vincent Montagne s’en est pris à nouveau aux jeunes qui soi-disant préfèrent les écrans plutôt que les livres. Comme si les livres numériques n’existaient pas (1). Comme si les ebooks destinés à la jeunesse n’avaient jamais été mis en ligne (romances, fantasy, fantastique, mangas, bandes dessinées, webtoons, …). Comme si les « adolécrans » ne lisaient pas de livres imprimés, alors qu’ils peuvent parfois devenir « accros » d’éditions intégrales de fictions de plusieurs centaines de pages (Hugo Publishing, BMR/Hachette Livre, Gallimard Jeunesse, …), comme l’a bien montré l’enquête « La jeunesse réinvente la lecture » parue dans Le Monde (2). Le déni de la réalité se le dispute à la croisade contre les écrans. « Les enfants de 8 à 12 ans passent près de 4 heures et demie par jour les yeux rivés à des écrans », a regretté Vincent Montagne, tout en évoquant « La Fabrique du crétin digital », livre d’un dénommé Michel Desmurget, paru en 2019 aux éditions du Seuil. Ce docteur en neuroscience a mis aux anges Vincent Montagne en publiant dans la même veine « Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital », un livre injonction édité cette fois en 2023 et à nouveau au Seuil (3).

Accessibilité : freins pour les livres numériques ?

En fait. Le 28 novembre prochain, les 24ès Assises du livre numérique, organisées à Paris par le SNE, auront pour thème cette année : « Pour des livres numériques nativement accessibles ». Elles mettront en lumière les contraintes qui pèseront à partir de 2025 sur le marché des ebooks – déjà à la peine.

En clair. Les obligations d’« accessibilité » qui pèseront à partir du 28 juin 2025 sur les maisons d’édition – pour que leurs livres numériques soient utilisables aussi par des lecteurs présentant des handicaps visuels, auditifs ou cognitifs – ne vont-elles pas… handicaper le marché des ebooks en France ? Si l’on peut se féliciter de cette perspective pour les lecteurs concernés, cela n’empêche pas de se demander si ces contraintes techniques, et donc financières, ne vont pas pénaliser les éditeurs sur un marché français du livre numérique qui peine toujours à décoller dans l’Hexagone.
Lors de son assemblée générale annuelle le 29 juin dernier, le Syndicat national de l’édition (SNE) – qui a créé il y a 25 ans les Assises du livre numérique et les organise chaque année – a fait état pour l’année 2022 d’une hausse de seulement 4,4 % du marché français des ebooks. Avec 285,2 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier, l’édition numérique pèse encore moins de 10 % du marché global de l’édition en France (9,8 % précisément), soit sur un total de 2,9 milliards d’euros (1) en recul, lui, de -5,4 %.

Faut-il appliquer le prix unique du livre aux mangas et webtoons vendus en ligne contre des coins ?

Le Médiateur du livre, Jean-Philippe Mochon, a lancé jusqu’au 14 novembre 2023 une consultation publique sur un projet d’avis concernant l’utilisation de jetons numériques (coins) pour commercialiser des livres (mangas, webtoons, webnovels) sur les plateformes numériques de lecture.

Durant deux mois et jusqu’au 14 novembre, un projet d’avis du Médiateur du livre « sur l’utilisation de jetons numériques (« coins ») pour commercialiser des livres sur les plateformes numériques de lecture (mangas, webtoons, …) » est soumis à consultation publique. Il contient dix recommandations pour que la loi de 2011 sur le prix du livre numérique (1) s’applique à la vente en ligne des mangas numériques, voire des webtoons, lorsque les plateformes Internet (Webtoon/Naver (2), Mangas.io, Piccoma/Kakao, Ducktoon/UHM (3), Ono/Média-Participations, …) les vendent contre de la monnaie numérique de type coin.

Trois « questions délicates » se posent
Pour Jean-Philippe Mochon (photo), Médiateur du livre, les jetons numériques sont compatibles avec la loi sur le prix unique du livre numérique mais cela pose des « questions juridiques délicates » – au nombre de trois :
Prix de vente en coins fixé par l’éditeur ? L’article 2 de la loi «Prix unique du livre numérique» dispose que «toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée (…) ». Si les contrats conclus entre éditeur et plateforme établissent un prix fixe en euros du chapitre ou du tome versé à l’éditeur ainsi qu’un prix fixe du jeton, l’éditeur qui fixe ainsi le prix de vente au public (conformément à la loi de 2011) peut perdre la maîtrise de ce prix en euros lorsque le prix du livre acquitté par le lecteur est déterminé par la plateforme en termes de prix du jeton et d’attributions gratuites de jetons. Cette perte de maîtrise du prix unique numérique des mangas, webtoons et autres webnovels contreviendrait à la loi.

La lecture en ligne bouscule encore le prix unique

En fait. Le 29 juin, le Syndicat national de l’édition (SNE) a tenu son assemblée générale annuelle. Le chiffre d’affaires 2022 des éditeurs a reculé de 5,4 % sur un an, à 2,9 milliards d’euros, dont seulement 285,2 millions d’euros pour le livre numérique malgré une hausse de 4,4 %. Mais quid de la lecture en ligne ? En clair. Contacté par Edition Multimédi@, le conseiller d’Etat Jean-Philippe Mochon, Médiateur du livre dont le mandat s’achèvera en octobre (renouvelable), nous indique que « le rapport sur la lecture en ligne et les jetons numériques devrait sortir à l’automne ». Il s’était autosaisi en avril 2022 sur « les nouveaux modèles économiques de la lecture en ligne de mangas, de webtoons et de bandes-dessinées » et sur « la conformité à la loi du 26 mai 2011 [sur le prix du livre numérique, ndlr] des modèles émergents de microtransactions via des systèmes de monétisation par jetons numériques ». « Scroller » une BD, un webtoon voire un livre numérique sur smartphone prend de l’ampleur, surtout chez les « adolécrans » et jeunes adultes. Le leader mondial des webtoons est le sud-coréen Naver (1). Son modèle économique freemium a popularisé le paiement par des « coins ». Du coup, le Syndicat national de l’édition (SNE) s’interroge lui aussi sur la pratique au regard du prix unique du livre numérique et, d’après le rapport d’activité 2022 du SNE publié à l’occasion de son AG du 29 juin dernier, attend l’avis du Médiateur du livre. Dans son discours ce jour-là, le président du SNE Vincent Montagne – pourtant patron du groupe Média-Participations très présent sur ce marché des webtoons avec sa plateforme Izneo – n’a dit mot sur la lecture en ligne. Pas plus que sur le livre numérique d’ailleurs, à part un elliptique « maîtrise du numérique ». De plus, le syndicat des éditeurs vient de publier l’état de l’édition en France mais sans aucune donnée sur le marché des plateformes de lecture en ligne. « Malheureusement, le nombre insuffisant de réponses reçues ne permet pas de dresser une évaluation de ce marché », indique le rapport du SNE, en appelant les éditeurs à renseigner leurs données « webtoon » lors de la prochaine vague statistique de 2024. Outre Izneo de Vincent Montagne et Webtoon de Naver, d’autres plateformes françaises surfent aussi sur les webtoons : Piccoma (Kakao), Verytoon (Delcourt), Webtoon Factory (Dupuis), ou encore Glénat Manga Max (Glénat Editions). Dans la lecture en ligne, sont aussi présents Nextory (ex-Youboox), YouScribe, Kindle Unlimited (Amazon), … Sur l’abonnement illimité et le prix unique, un avis du 9 février 2015, de la Médiatrice du livre Laurence Engel, avait établi que « le prix des livres numériques est fixé par les éditeurs » (2). @