Comment Sébastien Soriano, président de l’Arcep, veut « donner un nouveau souffle à la régulation »

Nommé par décret de François Hollande à la présidence de l’Arcep, où il succède à Jean-Ludovic Silicani, Sébastien Soriano entame son sexennat (janvier 2015-janvier 2021) avec plusieurs dossiers prioritaires. Dans la révolution numérique, la régulation des télécoms va devoir élargir son champ d’action.

Sébastien SorianoSon marathon de six ans ne fait que commencer. Sébastien Soriano (photo) est depuis mi-janvier président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), nommé par décret du président de la République (1). Une vingtaine d’années après le début de la libéralisation des télécoms en France, il souligne que le secteur est « à la fin d’un cycle » et doit franchir le « cap de l’investissement » dans le très haut débit fixe et mobile.
Très focalisée sur les opérateurs télécoms (2) depuis sa création en janvier 1997, conformément à ses attributions édictées par le code des postes et des communications électroniques (CPCE), l’Arcep va devoir, selon Sébastien Soriano, élargir son spectre de réflexion et d’intervention à d’autres domaines de l’économie numérique.
Edition Multimédi@ passe en revue les principaux dossiers empilés sur son bureau – une quinzaine – à la lumière de ses premières déclarations, lors de trois auditions devant des commissions parlementaires, lors de ses voeux fin janvier, ou encore lors de déclarations auprès de certains médias.

  • La révolution numérique
    Il s’agit de « donner un nouveau souffle à la régulation », a dit Sébastien Soriano aux sénateurs qui l’auditionnaient le 13 janvier. Au-delà des opérateurs de réseaux, le régulateur des télécoms veut aussi avoir son mot à dire sur, dit-il dans une interview à l’AFP parue le 28 janvier, « l’idée de transposer une forme de régulation aux géants du Net ». Et aux députés le même jour : « Je ne peux vous dire à ce stade s’il faut déclarer WhatsApp et Viber comme opérateurs, mais je pense qu’il faut être très attentif (…) ». Pour lui, l’Arcep doit être un régulateur au coeur des enjeux numériques, « un régulateur technico-économique au service de l’ensemble du numérique ». « On ne peut pas penser les télécoms comme isolés, surtout à l’horizon 2020 », a-t-il dit dans une interview aux Echos publiée le 27 janvier.
  • La régulation des géants du Net
    « Nous devons tous être interpellés par cette situation de quelques géants de l’Internet, qui semblent édicter des règles du jeu qui façonnent aujourd’hui le fonctionnement de l’économie numérique », a-t-il déclaré lors de ses vœux du
    28 janvier. « Cela n’est pas acceptable », a-t-il même dit aux Echos, avant de poursuivre : « L’Arcep doit (…) réfléchir à adapter dès à présent les règles par rapport au rôle croissant des GAFA dans le fonctionnement d’Internet. (…) La régulation des géants du Net est devenue indispensable ». C’est là que la neutralité de l’Internet, en amont du marché, se justifie à ses yeux : « Le régulateur des réseaux, doit être garant de ces règles, notamment lorsqu’il s’agit des interconnexions, qui sont au coeur de ses compétences. Les géants du Web ont une capacité de négociation sans commune mesure avec celle des plus petits acteurs. C’est dangereux ».
  • Les objets connectés
    Pour Sébastien Soriano, l’Arcep doit intervenir sur la question des objets connectés qui vont se compter par millions. Au-delà des ordinateurs, smartphones ou tablettes, cela concerne la domotique, les villes intelligentes, les voitures connectées, les textiles innovants, etc. « D’ici dix ans, ce sont bien les objets connectés qui deviendront majoritaires, prépondérants », a-t-il affirmé lors de ses voeux. Et à l’AFP le jour même : « L’Arcep doit être en alerte par rapport à toute la révolution technologique, notamment celle des objets connectés, et ne pas avoir les yeux uniquement braqués sur nos acteurs traditionnels ». Aux Echos, il a précisé : « Du point de vue des réseaux, la capacité à transmettre tous les signaux sur tous les objets connectés est un véritable défi ». L’Arcep devra apporter sa réflexion, son expertise et sa capacité de veille, à l’heure de la
    « French Tech ».
  • La concentration des opérateurs télécoms
    Sébastien Soriano arrive à la tête de l’Arcep au moment où le marché français des télécoms se concentre sur quelques opérateurs, lesquels constituent un oligopole dans l’offre d’accès le plus souvent triple play voire quadruple play : téléphone fixe, Internet, télévision, mobile. « La France compte maintenant quatre grands opérateurs, avec une intégration forte, à la fois dans le fixe et dans le mobile », a-t-il dit aux Echos. Mais il ne donne pas son avis sur l’état de ce marché concentré ni sur savoir s’il faut passer de quatre à trois opérateurs (comme Orange le souhaite, Bouygues Telecom étant une proie possible pour les trois autres opérateurs) : « On ne demande pas à un arbitre de foot de commenter le jeu sur le terrain ». Son rôle de faire en sorte que l’itinérance, la mutualisation des réseaux ou encore l’accès aux points hauts mobiles fonctionnent. « Je me garderai bien de porter un jugement sur la stratégie de tel ou tel opérateur ».
  • La concurrence en faveur des consommateurs
    « Le rôle de l’Arcep n’est pas de gérer un équilibre entre quatre grands opérateurs », a tenu à rappeler Sébastien Soriano à l’AFP. Le régulateur des télécoms n’étant pas là, selon lui, uniquement pour les Orange, Numericable SFR, Bouygues Telecom et Free – mais aussi en faveur des consommateurs. « Notre rôle, c’est de créer les conditions pour qu’ils [les opérateurs télécoms] soient en capacité d’apporter à un prix raisonnable des biens et des services de qualité. (…) Je n’oppose pas compétitivité à concurrence ». Et aux Echos, il ajoute : « Il faut arrêter d’opposer la concurrence au souci, légitime, de la bonne santé des opérateurs ». Ces derniers ont reproché à son prédécesseur Jean-Ludovic Silicani d’être trop « consumériste », c’est-à-dire en favorisant la guerre des prix et en introduisant Free Mobile.
  • Le déploiement de la fibre optique
    Sébastien Soriano sera le président de l’Arcep qui devra faire en sorte d’atteindre l’objectif du « très haut débit pour tous d’ici à 2022 », essentiellement en fibre optique à domicile ou FTTH, conformément à la promesse du chef de l’Etat François Hollande dès 2012. Or, ce « plan France Très haut débit » du gouvernement (coordonné par Antoine Darodes de Tailly) suppose quelque 20 milliards d’euros d’investissement jusqu’en 2020, voire 25 à 30 milliards d’ici à 2022, sommes partagées entre opérateurs privés, collectivités territoriales et l’Etat. Or il y a aujourd’hui seulement 800.000 abonnés « FTTH » en France, malgré les 3,6 millions de foyers pourtant déjà éligibles (au 30 septembre 2014).
  • L’ »extinction » de l’ADSL
    Un ancien président de l’Arcep, Paul Champsaur, a pour mission de fixer une date d’extinction de la paire de cuivre ADSL au profit de la fibre optique, ou FTTH. Il devra dire aussi si cette extinction est réaliste à terme, et financièrement jouable (y compris pour dédommager Orange pour sa boucle locale). En attendant, la France compte déjà 40.000 abonnés au VDSL2 offrant un débit entre 30 et 100 Mbits/s sur le réseau cuivre, soit une hausse de ce type d’abonnement très haut débit sur cuivre de 29 % contre 17 % pour le FTTH. Devant les députés le 13 janvier, Sébastien Soriano a indiqué que l’Arcep devra « accompagner » le plan très haut débit, notamment « la transition entre les réseaux à haut débit en cuivre et les réseaux à très haut débit en fibre optique ».
    Comme aux sénateurs, puis lors de ses voeux le 28 janvier, il leur a aussi dit qu’il allait s’attaquer – « par une tarification pluriannuelle des réseaux en cuivre » – à
    « la trappe à débit » selon laquelle, à court terme, le haut débit ADSL convient très bien (22,7 millions d’abonnés).
  • Les fréquences 700 Mhz
    L’attribution de la bande des 700 Mhz aux opérateurs mobiles qui le souhaitent est prévue en décembre 2015, comme l’a demandé François Hollande. Cela se fera à l’issue d’une vente aux enchères (plus de 2 milliards d’euros de recettes sont déjà inscrits dans le projet de loi de finances pour 2015 pour la Défense). Aux sénateurs qui l’auditionnaient le 4 février dernier sur les 700 Mhz, Sébastien Soriano a déclaré : « Le calendrier [d’attribution de ces fréquences] est très ambitieux. Pour autant, il n’est pas intenable ». A condition que les autres services de l’Etat suivent… Et aux députés le 13 janvier, il a aussi expliqué les conditions pour respecter l’échéance de décembre : « A l’impossible nul n’est tenu. Nous ferons nos meilleurs efforts pour tenir le calendrier, mais s’il y a des dérives en amont [du travail de l’Arcep], nous ne pourrons pas garantir qu’il soit respecté ». Et de promettre lors de ses voeux le 28 janvier : « Nous pourrons proposer, avant l’été, les modalités d’attribution de la bande 700 Mhz ». Mais certains craignent un rééquilibrage des fréquences au profit de Free, perspective que Sébastien Soriano n’a pas écartée le 4 février devant les sénateurs.
  • L’ « intégration » entre l’Arcep et le CSA
    Le 2 octobre 2014, François Hollande a déclaré lors du 1er séminaire économique du CSA : « Il est temps de faire évoluer notre régulation dans le sens de l’intégration [entre télécoms et audiovisuel] ». Trois mois après, Sébastien Soriano déclare aux députés : « Une de mes premières actions sera de prendre contact avec Olivier Schrameck [président du CSA] pour que nous puissions établir les travaux qui s’imposent. (…) Si certaines coopérations pourraient être cristallisées par la loi, je ne pense pas qu’il faille aller trop loin ». Et aux sénateurs : « Ces deux autorités doivent rester distinctes ». L’Arcep et le CSA vont travailler plus étroitement, notamment via la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle sur la bande des 700 Mhz.
  • La couverture numérique du territoire
    « Dans les zones rurales, la mutualisation doit être massive et porter sur toutes les technologies. Il va falloir modifier les textes et les licences en conséquence », a prévenu Sébastien Soriano devant les sénateurs, en évoquant aussi l’itinérance 4G. « On a aujourd’hui des cartes [de déploiement du très haut débit, ndlr] assez pauvres, publiées par les opérateurs de manière fragmentée. Il faudrait mieux coller à ce que ressentent les consommateurs », déclare-t-il à l’AFP. Et aux Echos, il assure : « On ne cherche pas à avoir plusieurs opérateurs pour faire joli (…) Il faut, à ce titre, reconnaître les attentes de l’ensemble des citoyens, des territoires et de leurs élus. (…) On attend d’eux [les opérateurs] qu’ils offrent le numérique pour tous ». Il devra éviter que les habitants des zones les plus reculées paient plus que les ceux des zones denses ou moyennes. Quant à l’obligation de couverture de Free Mobile par son propre réseau, l’Arcep vient
    de commencer à vérifier si elle est respectée.
  • L’itinérance de Free Mobile
    Il a près de deux ans, l’Autorité de la concurrence avaient fixé un calendrier mettant fin – entre 2016 et 2018 – à l’accord d’itinérance de Free Mobile sur le réseau d’Orange, et suggérait même un arrêt « par plaques régionales » à partir de 2016.
    L’ancien président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani, s’était refusé à intervenir dans ce contrat privé. Ancien rapporteur de l’Autorité de la concurrence, dont le président Bruno Lasserre avait demandé l’an dernier à l’Arcep de mettre en demeure Free sans tarder, Sébastien Soriano a expliqué devant les députés que « l’Arcep doit donner suite à l’avis [de mars 2013] sur la question de l’itinérance
    et de la mutualisation ».
  • La qualité de service de l’Internet (fixe et mobile)
    « Concernant les indicateurs de qualité de service sur l’Internet fixe, j’ai noté qu’il y avait eu des réactions épidermiques à la suite de la publication (…) », a relevé Sébastien Soriano devant les députés : « Nous devons continuer à enrichir les indicateurs sur la couverture des territoires et la qualité des débits pour que les consommateurs soient en mesure de faire un choix de réseau éclairé ». Et à l’AFP, il a expliqué : « L’Arcep a voulu donner un signal fort en réalisant un classement sur la qualité des réseaux mobiles. Il faut continuer ce travail, quitte
    à le faire évoluer pour empêcher des interrogations sur l’éventuelle loyauté de la communication des opérateurs ».
  • La neutralité de l’Internet
    « La neutralité sera l’une des valeurs principales d’Internet, qui est un bien commun ouvert à tous. (…) Le gendarme des télécoms agitera le bâton aussi bien que la carotte, si la neutralité d’Internet n’est pas assez respectée », a-t-il assuré devant les sénateurs le 13 janvier. En aval du marché de l’accès à Internet, Sébastien Soriano semble pourtant favorable à la différenciation des accès et
    des services tarifés différemment. « Beaucoup de choses ont été faites sur la transparence des prix, mais l’utilisateur ne sait pas toujours bien ce qu’il a derrière son service. Il faut qu’il puisse différencier les réseaux pour que les opérateurs
    qui ont fait l’effort d’investir soient récompensés », a-t-il indiqué à l’AFP. Si la neutralité du Net semble être un voeu pieux pour le marché de détail (vis-à-vis des consommateurs), elle semble justifié en amont du marché entre opérateurs
    et fournisseurs de services. « Je proposerai au collège de l’Arcep de se saisir directement de la question des interconnexions pour qu’elles ne soient pas discriminatoires », a-t-il annoncé aux députés.
  • La « République numérique »
    Pour Sébastien Soriano, l’Arcep doit repenser ses relations avec l’Etat dont elle fait partie : « Parlement [dont la CSSPPCE (3)], gouvernement, collectivités locales, Autorité de la concurrence, CSA, Agence nationale des fréquences, Cnil : c’est avec toutes ces parties prenantes de la République numérique que l’Arcep doit travailler. A chaque fois que cela sera possible et utile, je souhaite que l’on mette en place des conventions avec les autres acteurs », a-t-il expliqué aux Echos. Le régulateur des télécoms doit en outre s’impliquer dans la stratégie numérique que va bientôt présenter Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat à l’Economie numérique. Et aux députés : « La marche de l’Arcep pourrait être davantage emboîtée avec celle du gouvernement ». @

Droit d’auteur : l’eurodéputée Julia Reda « débloque »

En fait. Le 20 janvier dernier, l’eurodéputée Julia Reda (Parti Pirate et écologiste) a présenté devant la Commission des affaires juridiques du Parlement européen un rapport sur « l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » en Europe.

Julia RedaEn clair. « Bien que la directive (européenne) de 2001 ait été faite afin d’adapter le droit d’auteur et les droits voisins à l’ère numérique, en réalité elle bloque les échanges de savoirs et de culture transfrontaliers ». C’est le principal enseignement que livre l’eurodéputée Julia Reda (photo) lors de la présentation de son pré-rapport que le Parlement européen lui a demandé en vue de la réforme de la directive sur le droit d’auteur, dite DADVSI (1).
Son objectif est d’harmoniser sur le marché unique numérique européen le droit d’auteur, afin de lever les obstacles – les fameux « silos nationaux » identifiés dans le droit d’auteur (2) – et mettre un terme à la fragmentation des règles
en Europe, tout en favorisant le développement des services de streaming et des plateformes numériques pan-européens.

La médiatrice du livre doit dire vite si l’accès illimité par abonnement à des ebooks est illégal ou pas en France

En mai 2014, elle démissionnait de la direction du cabinet de la ministre de la Culture et de la Communication. Son compagnon Aquilino Morelle, lui, quittait l’Elysée sur fond de scandale. Laurence Engel revient au devant de la scène culturelle pour dire – en tant que médiatrice du livre – si Amazon est hors-la-loi.

(Depuis la publication de cet article dans Edition Multimédi@ n°115, l’avis de la médiatrice du livre, disponible ici, a été remis le 19 février 2015 à Fleur Pellerin)

Projet de loi « Liberté de création » et lutte contre le piratage : Fleur Pellerin est à pied d’oeuvre pour 2015

La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, promet pour début 2015 un projet « Liberté de création, architecture et patrimoine » aux contours numériques encore flous. Tandis qu’elle prépare par ailleurs un renforcement de la lutte contre le piratage, avec « listes noires », et « chartes sectorielles », préférant l’autorégulation des acteurs du Net à la loi.

(Depuis la parution de cet article le 15 décembre dernier dans Edition Multimédi@, un texte de l’avant-projet de loi « LCAP » – accessible ici – a commencé à circuler.)

La lutte contre le piratage sur Internet a dix ans

En fait. Le 15 juillet 2004, il y a 10 ans, se réunissaient à Bercy fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et industries culturelles en vue de signer la charte de lutte contre le piratage en ligne de la musique, de films ou de jeux vidéo. La mention « Le piratage nuit à la création artistique » a aussi 10 ans.

SarkozyEn clair. La mention « Le piratage nuit à la création artistique », que les FAI ont l’obligation d’indiquer dans leurs offres haut débit et a fortiori très haut débit, a maintenant 10 ans. Elle est imposée aux opérateurs Internet par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (1), promulguée au J.O. le 22 juin 2004.
« Lorsque les [opérateurs télécoms et FAI] invoquent, à des fins publicitaires, la possibilité qu’elles offrent de télécharger des fichiers dont elles ne sont pas les fournisseurs, elles font figurer dans cette publicité une mention facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique », stipule en effet l’article 7 de cette loi.