Réseaux très haut débit : financement innovant, PPP et neutralité du Net

coTreize ans après l’abolition des monopoles d’Etats du téléphone en Europe,
les pouvoirs publics sont appelés à la rescousse pour cofinancer les très coûteux réseaux de fibre optique. Les géants du Web aussi. Entre partenariat public-privé et terminaison d’appel data.

Neutralité du Net : le plus dur sera de « fixer les exigences minimales de qualité »

Afin de « prévenir la dégradation du service, le blocage des accès et le ralentissement du trafic sur les réseaux », la directive européenne « Service universel et droits des utilisateurs » prévoit que les régulateurs nationaux fixent une « qualité de service minimale ». Mais quand ?

Par Winston Maxwell*, avocat associé, Hogan Lovells

Il n’existe pas de qualité de service garantie de bout en bout sur l’Internet. Le « réseau des réseaux » fonctionne selon un mode de
« meilleurs efforts », best effort disent les Anglo-saxons. Si un point d’interconnexion est saturé, des paquets peuvent être ralentis voire supprimés. Cette perte de paquets n’est pas problématique car les paquets trouvent un autre chemin pour arriver à destination. Ce mode « meilleurs efforts » fonctionne plutôt bien dans la plupart des situations, mais la qualité de service peut cependant souffrir en cas de forte demande pour un contenu en ligne spécifique telle qu’une vidéo très populaire.

Qui est responsable de la qualité ?
Le problème inhérent de qualité de service sur l’Internet a trouvé une réponse à travers les réseaux de distribution de contenus, ce que les professionnels appellent les « Content Distribution Networks » ou CDN. Ces derniers ont été conçus pour contourner l’ensemble des maillons faibles de l’Internet public et pour insérer le contenu dans le réseau à un point proche de l’abonné. Ces accès de proximité offrent une qualité de service supérieure, moyennant rémunération par les fournisseurs de contenus. Ainsi, une entreprise comme TF1 rémunèrera un CDN (1) pour augmenter la qualité de service, et notamment la vitesse de réponse d’un site tel que tf1.fr. Il s’agit parfois de solutions de distribution de contenus à usage strictement interne, comme le réseau du groupe Google qui améliore la qualité de son propre site de partage vidéo YouTube.
En résumé, l’Internet public souffre de problèmes inhérents de qualité de service et ces problèmes sont résolus en partie par des services commerciaux proposés par les CDN, lesquels apportent les flux jusqu’à un point d’interconnexion le plus proche de l’internaute. Cependant, c’est toujours le fournisseur d’accès à Internet (FAI) local qui transporte le flux jusqu’à l’abonné final. En matière de neutralité du Net, l’enjeu de la qualité de service se situe au niveau de ce FAI, qui livre le contenu à sa destination finale. Car les CDN ne peuvent rien faire en cas de saturation du réseau local (les derniers kilomètres jusqu’à l’internaute). C’est comme si un transporteur (le CDN) livrait des marchandises à Roissy mais que l’autoroute entre Roissy et Paris (le réseau du FAI local) était bouchée. Des bouchons sont rares sur le réseau de télécommunications fixe en France. Des problèmes de débit sur le réseau fixe sont généralement dus à des limitations inhérentes à la technologie DSL (Digital Subscriber Line) utilisée sur les lignes téléphoniques à base de paire de cuivre pour les services triple play (téléphone- Internet-télévision). Si l’abonné est trop loin du noeud de raccordement, ou NRA (2), le débit sera faible par rapport à un autre abonné qui habite près du nœud. La situation est plus délicate pour les réseaux mobiles, car le réseau d’accès cellulaire est partagé en temps réel entre de très nombreux utilisateurs. S’il y a un seul utilisateur à un instant « T », celui-ci bénéficiera d’une qualité de service excellente, mais en cas d’affluence, la qualité baissera. Dans le débat sur la Net Neutralité, le choix a été fait en Europe et aux Etats-Unis de permettre aux opérateurs de proposer des services gérés en plus des services d’accès à l’Internet. La voix sur IP et l’IPTV (3) proposés aux abonnés disposant d’une « box » sont des exemples de services gérés en France. Ces services, qui utilisent le protocole Internet (IP) pour fonctionner, ne doivent pourtant pas être confondus avec l’Internet.

Prévenir ou guérir la dégradation ?
En matière de services gérés, la liberté contractuelle est la règle, sous réserve bien entendu de respecter le droit de la concurrence. A l’avenir, les services gérés permettront d’offrir aux abonnés de multiples services ayant une qualité de service garantie de bout en bout, ce qui n’est pas possible sur l’Internet public. La crainte des régulateurs est que ces services gérés, plus intéressants financièrement pour les opérateurs que l’Internet, se développent au détriment de ce dernier. Ainsi, la directive européenne « Service universel et droits des utilisateurs » (4) a prévu la possibilité pour les autorités de régulation nationales d’intervenir en cas de besoin pour imposer une qualité de service minimum pour l’accès à l’Internet.

Définir la qualité de service ?
L’article 22 de cette directive, qui doit être transposée dans chacun des vingt-sept
pays de l’Union européenne d’ici à fin mai 2011, précise en effet qu’« afin de prévenir
la dégradation du service et l’obstruction ou le ralentissement du trafic sur les réseaux,
les États membres veillent à ce que les autorités réglementaires nationales soient en mesure de fixer les exigences minimales en matière de qualité de service imposées à une entreprise ou à des entreprises fournissant des réseaux de communications publics ». L’Organe des régulateurs européens des communications électronique (ORECE) a rappelé en septembre dernier (5) que le jeu de la concurrence est la meilleure garantie d’une qualité de service satisfaisante. En cas de dégradation du service par un opérateur A, le premier réflexe du client sera d’abandonner cet opérateur A en faveur d’un opérateur B. C’est uniquement dans le cas où ce jeu concurrentiel ne fonctionnerait plus que le régulateur pourra, après avoir consulté la Commission européenne et l’ORECE, imposer une obligation de qualité de service minimal pour l’accès à l’Internet. Il n’en reste pas moins que la qualité de service est elle-même difficile à définir. La qualité du service est ce que ressent le client final lorsqu’il utilise un service donné. La qualité de service n’est pas synonyme de performance du réseau qui peut être définie de manière précise (temps de latence, phénomène de « gigue » ou variation des délais, etc.). La qualité de service dépend certes de la performance du réseau mais aussi d’autres facteurs, tels que l’équipement de l’utilisateur, son logiciel de navigation et le serveur distant qui héberge le contenu. Dans son programme de travail de 2011 l’ORECE essayera d’élaborer des paramètres pour mesurer la qualité de service et, ainsi, aider les régulateurs européens à définir des paramètres qui pourraient le cas échéant être imposés aux FAI. En France, par exemple, l’imposition par l’Arcep (6) d’une qualité de service minimale ne peut être envisagée dans l’immédiat. D’une part, il faut définir – en coopération avec les autres régulateurs en Europe – ce que l’on entend par qualité de service en matière d’accès à l’Internet. Deuxièmement, l’intervention du régulateur ne peut s’envisager, selon l’ORECE, qu’en cas de défaillance du marché concurrentiel conduisant à une dégradation de la qualité de service par l’ensemble des acteurs. Dans ses dix propositions de septembre 2010
(7) , l’Arcep reconnaît que cette forme d’intervention est plutôt une solution à
« long terme » et que la première priorité est de réunir les différents acteurs pour définir ensemble un moyen de définir et mesurer la qualité de service. En février 2011 le régulateur explique de nouveau que « Sans préjudice des travaux déjà en cours en matière de qualité de service fixe et mobile, la priorité de l’Arcep porte à ce stade sur
le lancement des travaux de qualification des paramètres principaux de la qualité de service de l’accès à l’internet et sur l’élaboration des indicateurs adaptés » (8). S’il existe des moyens de mesurer la qualité de service, ce sera déjà une incitation forte pour les opérateurs du réseau des reseaux de respecter leurs engagements à l’égard de leurs clients. Définir des paramètres de qualité de service en matière d’Internet fixe
est compliqué.

Les réseaux mobiles à part ?
Pour l’Internet mobile, la tache devient quasi impossible en raison des nombreux paramètres qui peuvent affecter le débit sur un réseau mobile. Et pourtant, ce sont les réseaux mobiles qui vont être particulièrement sollicités dans les prochains mois avec l’émergence des tablettes et des smartphones de plus en plus puissants. En cas de succès des tablettes en France, les abonnés mobiles risquent de constater des problèmes de qualité de service en raison de saturations ponctuelles du réseau.
Mais ces problèmes ne sont pas critiquables au regard de la neutralité du Net s’ils
sont traités par des mesures de gestion de réseau saines et transparentes. @

* Winston Maxwell et Nicolas Curien (membre de l’Arcep)
sont coauteurs de « La neutralité d’Internet »,
livre paru en février 2011
aux éditions de La Découverte (collection Repères).
Pour en savoir plus : www.collectionreperes.com
et lire « Oui à la discrimination efficace et
transparente ! », dans Edition Multimédi@ n°28, p. 7.

Des téléchargements aux réseaux sociaux : la liberté du salarié sous contrôle

Avec l’accès à Internet, les sites de téléchargement et les réseaux sociaux, le
lieu de travail est plus que jamais ouvert sur l’extérieur. Face aux risques liés
aux contenus illicites, comment le contrôle de l’employeur peut-il s’exercer
sans empiéter sur les libertés du salarié ?

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, Bâtonnier désigné, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie.

L’accès Internet est devenu, à l’instar du téléphone, un véritable outil de travail. La connexion au Web fait partie
des moyens mis à la disposition de l’employé lui permettant d’exécuter son travail. Néanmoins, les employés utilisent également leur connexion professionnelle pour accéder à
des sites de commerce électronique, à des plateformes
de téléchargement d’œuvres culturelles ou encore à des réseaux sociaux (1).

Liberté, responsabilité et piratage
Si une zone de tolérance de cette utilisation à des fins privées est admise, elle est, néanmoins, limitée. En effet, la chambre sociale de laCour de cassation a considéré
qu’un licenciement pour faute grave était fondé dèslors que « le salarié avait usé de
la connexion Internet de l’entreprise, à des fins non professionnelles, pour une durée totale d’environ 41 heures durant le mois de décembre 2004 » (2).
L’essor de ces outils modernes de communication et d’échange s’accompagne dans
bien des cas d’une volonté accrue de contrôle de la part de l’employeur. Après avoir consacré le droit pour le salarié au respect de sa vie privée « même au temps et sur le lieu de travail » (3), la jurisprudence est intervenue pour encadrer ce droit. Se trouvant dans une relation de subordination, l’employé est tenu à l’égard de son employeur à un devoir de loyauté (4) lui imposant également une obligation de discrétion tant visà- vis des tiers que des autres employés. Le lien de subordination unissant le salarié au contrat de travail ne le prive pas pour autant de ses droits fondamentaux tels que la liberté d’opinion et d’expression. En tant que salarié, l’article L.2281-1 du Code du travail lui reconnaît un « droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail ». L’employé ne peut néanmoins abuser de ce droit en proférant des propos injurieux ou diffamatoires.
L’article 1384 alinéa 5 du Code civil dispose que l’employeur engage sa responsabilité civile en cas de faute commise par l’un de ses employés ayant agi dans le cadre de ses fonctions. Cette connexité peut être retenue lorsque la faute est commise par l’employé avec les moyens mis à sa disposition par l’employeur. Ce dernier a donc tout intérêt à contrôler l’usage de l’outil informatique par ses employés, afin de prévenir le risque d’utilisation illicite de ce dernier et les échanges des contenus illicites. Avec le dispositif de « réponse graduée » mis en oeuvre par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et pour la protection des droits sur Internet (Hadopi), à la suite de la promulgation des lois Hadopi 1 et 2 , adoptées respectivement les 13 juin et 29 octobre 2009, et de son décret d’application du 25 juin 2010 instituant une contravention de négligence caractérisée, la responsabilité de l’employeur peut en effet être aussi engagée. Et ce, en sa qualité de « titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne » dès lors que les téléchargements illégaux sur Internet (musiques, films, livres, logiciels, jeux vidéo, etc) réalisés par un salarié seront identifiés par l’adresse IP dont est titulaire son entreprise.
Le décret d’application publié le 26 juin 2010 impose aux entreprises d’installer des moyens de sécurisation de l’accès Internet pour éviter tout téléchargement de contenus illicites.

Pouvoir de contrôle de l’employeur
À défaut, il encourt les sanctions de la contravention de négligence caractérisée (5) punie de l’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe (1.500 euros, somme multipliée par cinq pour les personnes morales). Par conséquent, il est conseillé à l’employeur de s’assurer que les contenus échangés ne portent pas atteinte aux droits d’auteur, au droit des marques, au droit des consommateurs, … Pour cela, l’employeur peut sensibiliser ses employés par des pages-écrans ou des notes de service expliquant les risques d’échanges de contenus illicites, mais surtout, il doit installer des moyens de sécurisation adéquats.

Réseaux sociaux et vies privées
Ce pouvoir de contrôle doit s’exercer en toute transparence et de manière «proportionnée» (6). Au préalable, l’employeur doit déclarer les dispositifs de contrôle
à la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), informer ses employés et le comité d’entreprise. A plusieurs reprises, la Cour de cassation a rappelé cette règle :
« Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés » (7). Pour anticiper les conflits,
il est recommandé d’organiser les conditions d’utilisation des accès Internet dans le cadre d’un règlement intérieur ou d’une charte informatique intégrée à ce règlement. D’ailleurs, le fait de caractériser une faute grave dans la charte peut justifier un licenciement. Ainsi, dans un arrêt du 15 décembre 2010 (8), la Cour de cassation
a validé le licenciement d’un salarié ayant conservé des documents à caractère pornographique sur son ordinateur puisque cette faute était visée dans la charte informatique. Dans une autre affaire (9), aucune charte n’ayant été signée, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Les réseaux sociaux ont été définis dans un avis du 12 juin 2009 (10) du G29, groupe
des « Cnil » européennes, comme des plateformes de communication en ligne permettant à des personnes de créer des réseaux d’utilisateurs partageant des intérêts communs.
Une récente enquête (11) constate que 67 % des utilisateurs de réseaux sociaux pensent qu’Internet a profondément changé la manière dont ils s’informent sur les entreprises. Ainsi, l’e-réputation d’une entreprise comprend deux composantes : d’une part, la communication qu’une entreprise réalise pour son compte sur la toile et d’autre part, les propos ou contenus qui la concernent et sur lesquels son pouvoir de contrôle est beaucoup plus réduit. La décision du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 19 novembre 2010 (12) illustre la complexité d’appréciation du caractère privé ou public des propos tenus sur ces réseaux sociaux. En l’espèce, des salariés d’une société de conseil et d’ingénierie en technologies ont été licenciés pour faute grave au motif qu’ils auraient dénigré leur hiérarchie sur une page Facebook qu’ils ont créée et intitulée le « club des néfastes ». Ces propos avaient été publiés en dehors des horaires et du lieu de travail. Après avoir relevé que le salarié avait choisi de partager sa page Facebook avec « ses amis et leurs amis », les juges concluent que
« ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée et qu’ainsi la production aux débats de la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère fondé du licenciement ». Dans une autre affaire, la cour d’appel de Reims (13) a jugé que le « mur » d’un ami se rapporte à un forum de discussion dès lors que la personne dénommée « ami » est susceptible d’avoir une centaine d’amis
ou n’ait pas restreint l’accès à son mur.
Une affaire plaidée le 14 mars prochain devant le conseil de prud’hommes de Périgueux est attendue dans la mesure où les propos incriminés étaient publiés dans des circonstances de confidentialité plus strictes puisque les propos n’étaient accessibles qu’aux « amis ».
Face à cette nouvelle difficulté à définir les sphères publiques et privées, il faut conserver à l’esprit que diffuser du contenu n’est jamais anodin, d’autant plus que les réseaux sociaux sont davantage des outils de communication que de correspondance privée.

Inciter à une plus grande prudence
Plus précisément, la sphère privée sur un réseau social n’est plus synonyme de confidentialité puisque, par nature, ces réseaux ont pour philosophie la communication
et le partage des contenus. En publiant des propos sur un réseau social, même en paramétrant avec soins les destinataires, un salarié ne peut exclure que l’un de ses
« amis », puis « amis d’amis » transfèrent son message. Publier présente donc toujours un risque qui doit inciter à une grande prudence. @

* Christiane Féral-Schuhl a publié
aux éditions Dalloz (collection Praxis Dalloz)
la sixième édition de « Cyberdroit. Le droit à
l’épreuve de l’Internet » (2011-2012).