La presse européenne s’est « vendue » à Google pour seulement 150 millions d’euros sur trois ans

La presse européenne ne vaut-elle pas mieux que 150 millions d’euros étalés
sur trois ans ? Le géant du Net consacre cette manne au fonds qu’il vient de créer – Digital News Initiative (DNI) – pour venir en aide aux journaux en Europe. Il prendra le relais du fonds français Finp qui prend fin en 2016.

Cent cinquante millions d’euros sur trois ans pour les éditeurs de presse dans vingthuit pays, l’Europe, c’est
à peine plus du double des 60 millions d’euros sur trois
ans que Google a consentis pour un seul pays, la France. Autant dire que le Digital News Initiative (DNI) est proportionnellement moins disant que le Fonds pour l’innovation numérique de la presse (Finp). « Pour toute l’Europe, 150 millions d’euros, c’est assez faible, et surtout une goutte d’eau par rapport à ce que génère Google »,
a réagi Louis Dreyfus (1), le président du directoire du groupe Le Monde, quasiment
le seul patron de la presse français à s’être exprimé sur cette aumône versée par le numéro un mondial des monteurs de recherche et éditeur de Google News.

Risque de conflits d’intérêts ?
Le Monde fait parti des journaux français d’information politique et générale (le critère de sélection) à avoir bénéficié de l’aide financière de Google, à savoir de 1,8 million d’euros en 2013 pour lancer – début mai – une édition numérique du matin destinée aux tablettes et aux mobiles, et de 402.000 euros en 2014 pour son projet numérique
« Le Monde Afrique ». Au total, avec le fonds Finp, déjà plus de la moitié des 60 millions d’euros prévus sur trois ans (2013-2015, prorogeables deux ans maximum) ont été alloués à 53 projets de presse numériques (2). Le quotidien détenu par le trio Xavier Niel-Mathieu Pigasse-Pierre Bergé ne fait en revanche pas partie des huit autres ayant, parallèlement au fonds européen DNI, noué un partenariat avec Google : Les Echos en France, The Financial Times et The Guardian au Royaume-Uni, Frankfurter Allgemeine Zeitung et Die Zeit en Allemagne, El Pais en Espagne, La Stampa en Italie et NRC Media aux Pays-Bas. Ces huit quotidiens « partenaires fondateurs » ont vocation à être rejoints par d’autres journaux, mais force est de constater que pour l’instant la presse magazine et les sites de presse en ligne sont absents de ce premier tour de table. Pourtant, lors de la FT Media Conference le 28 avril à Londres, Carlo d’Asaro Biondo (photo), président européen (EMEA) et des relations stratégiques de Google, a présenté le nouveau fonds DNI comme étant ouvert et non limité a priori aux journaux d’information politique et générale (IPG). « Tous ceux qui travaillent sur l’innovation dans l’actualité en ligne en Europe pourront demander un financement, y compris les éditeurs nationaux et régionaux, les nouveaux acteurs et les pure players. (…) Cette initiative n’a pas pour vocation à être un club fermé », a-t-il tenu à préciser. En France, le Syndicat de la presse indépendante en ligne (Spiil) avait dénoncé en 2013 la gouvernance du fonds Finp de Google et menacé de porter plainte en France et en Europe pour « conflit d’intérêt et distorsion de concurrence » (3). Le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste), lui, avait regretté la limitation aux seuls titres IPG. Les huit éditeurs du fonds DNI, dont Les Echos pour la France, ne vont-ils pas être favorisés par Google ? Le quotidien de Bernard Arnault (LVMH), un des membres
du conseil d’administration du fonds français Google-AIPG (4), a touché près de 2,5 millions d’euros en 2014 pour deux plateformes en ligne (annonces légales et étudiants) et 588.000 euros en 2013 pour une application mobile dédiée aux entreprises.
Si Google n’a pu convaincre que huit éditeurs dans toute l’Europe pour lancer DNI, c’est probablement que d’autres ont décliné l’aumône que leur tend Google, ou hésite
à franchir le pas. D’autant que les relations entre le géant du Net et la presse sont loin d’être au beau-fixe. En Allemagne, la coalition VG Media de 200 groupes de médias (dont Axel Springer) exige du géant du Net une rémunération pour les extraits d’articles de presse utilisés sur Google News. L’Espagne, elle, a adopté l’an dernier une loi sur la propriété intellectuelle – entrée en vigueur le 1er janvier dernier – qui oblige les médias espagnols à faire payer leurs services, poussant le géant du Net à fermer le Google News espagnol. Sans parler des plaintes de l’Open Internet Project (OIP), qui réunit notamment des éditeurs en Europe, contre les abus de position dominante du moteur de recherche Google, lequel attend le verdict de la Commission européenne.

La presse ne peut plus s’en passer
Reste que le géant du Net a l’ascendant sur la presse : Google Actualités (65 000 éditeurs) et Google Search redirigent plus de 10 milliards de visites par mois vers
les sites d’informations ; ses plateformes publicitaires comme AdSense ont partagé
10 milliards de dollars en 2014 avec les éditeurs du monde entier ; et Google Play, l’écosystème d’Android, permet aux éditeurs de proposer leurs contenus par abonnement. @

Charles de Laubier

La presse française n’a plus rien à redire sur Google

En fait. Le 26 mars, lors d’une conférence médias organisée par le Fonds
« Google » pour la presse (Finp) et l’association mondiale des journaux (Wan-Ifra), le bilan 2014 des aides du géant du Net à la presse française d’information politique et générale a été présenté : 16,1 millions euros pour 30 projets.

Lutte contre piratage et lutte contre le terrorisme : Internet se retrouve entre le marteau et l’enclume

Internet est doublement dans la ligne de mire du gouvernement. Deux projets le concernant se télescopent : la lutte contre le piratage en ligne, et la lutte contre
le cyberterrorisme. Des acteurs du Net s’inquiètent de l’impact de mesures répressives sur les libertés fondamentales.

Il s’agit pour le gouvernement de Manuel Valls (photo), d’une part,
de renforcer la responsabilité de tous les intermédiaires de l’Internet pour qu’ils déréférencent ou « assèchent » les sites présumés pirates d’œuvres protégées par le droit d’auteur, et, d’autre part, d’accroître la surveillance et le blocage de sites web afin de lutter contre le terrorisme et son apologie (1). Après l’attentat dramatique qui a touché de plein fouet le journal satirique Charlie Hebdo, ces deux projets qui n’ont a priori rien à voir entre eux se retrouvent aujourd’hui dans les priorités du gouvernement. Pour le meilleurs et… pour le pire ?

Charlie Hebdo et droit d’auteur
Le 12 janvier, soit cinq jours après l’attentat, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et
de la Communication, présentait les propositions du gouvernement dans le cadre de la réforme européenne du droit d’auteur. « Je me suis demandé s’il fallait maintenir notre réunion, si parler de droit d’auteur et d’Europe était à l’ordre du jour, alors que nous sommes endeuillés et bouleversés. (…) Oui, bien entendu (…) Le pays de Beaumarchais et de Charlie Hebdo doit donc être plus que jamais à la hauteur de sa mission historique de défense et de promotion du droit d’auteur », a-t-elle justifié. Dans la perspective de la réforme de la directive européenne « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI), qui date de 2001 (2), le gouvernement entend plaider auprès de la Commission européenne pour une plus grande responsabilité des plateformes numériques dans la lutte contre le piratage
« Le rôle prédominant joué par ces acteurs [du Net] dans l’accès aux oeuvres nous incite à réfléchir (…) au réexamen de leur statut juridique. C’est un sujet sur lequel je travaille avec mes collègues du gouvernement », a-t-elle expliqué en s’appuyant sur
les propositions qu’a faites le professeur Pierre Sirinelli dans son rapport remis en novembre au CSPLA (3). Autrement dit, la France veut que l’Europe remette en cause la responsabilité de l’hébergeur qui bénéficie d’une responsabilité limitée – laquelle a pourtant été confortée plusieurs fois par la Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’Association des services Internet communautaires (Asic), qui représente en France YouTube/Google, Dailymotion/Orange, Facebook, Yahoo, Wikimedia ou encore AOL, est vent debout contre cette perspective : « Toute remise en cause n’aurait alors pour effet que d’imposer un contrôle a priori de tous les contenus diffusés sur Internet et ainsi une censure généralisée des contenus diffusées sur l’Internet », a-t-elle mis en garde le lendemain de l’intervention de Fleur Pellerin. Et l’Asic d’ajouter : « Cette proposition est d’autant plus choquante qu’elle intervient au lendemain d’une mobilisation forte de l’ensemble des Français au profit de la liberté d’expression ». Parallèlement, la ministre se fera la porte-parole à Bruxelles pour faire coopérer les professionnels de la publicité sur Internet à la lutte contre les violations de la propriété intellectuelle. « Il faut impliquer l’ensemble des acteurs de l’écosystème numérique, à l’instar de la mission que j’ai confiée tout récemment à (…) Julien Neutres (4) dans le domaine de la publicité en ligne. (…) Nous ne pourrons accepter que les directives (européennes) soient amendées sans que ce sujet ne soit traité », a-t-elle prévenu. Julien Neutres est missionné depuis début janvier pour « l’élaboration d’une charte, écrite en concertation avec les acteurs de la publicité, afin qu’ils s’engagent dans une démarche volontaire d’éviction des sites ne respectant pas le droit d’auteur et les droits voisins ». Cette fois, le gouvernement s’inspire du rapport de Mireille Imbert-Quaretta (5), remis à Fleur Pellerin en mai dernier (6). La charte sera signée par les régies, les annonceurs et les agences de la publicité numérique pour « assécher les ressources financières » des sites web illicites.

Décret « Blocage administratif »
Dans le domaine autrement plus grave, la lutte contre le terrorisme, le gouvernement veut renforcer la surveillance et le blocage d’Internet après les attentats des jihadistes
– alors même que le projet de décret « Blocage administratif » d’Internet (donc sans passer par le juge), découlant de la loi « militaire » (7), a déjà été notifié à Bruxelles.
Un projet de loi sur le renseignement prévoirait notamment le blocage (toujours sans contrôle judiciaire) de contenus racistes ou antisémites. Au risque d’engendrer censure et violation de droits fondamentaux. « Il ne s’agit pas d’adopter un Patriot Act à la française », a tenté de rassurer Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique. Le 21 janvier, Google a demandé au gouvernement français des « politiques claires » pour la suppression de contenus… @

Charles de Laubier

Comment Patrick Drahi vole la vedette à Xavier Niel

En fait. Le 14 janvier dernier, Patrick Drahi – patron de Numericable SFR (Altice) et coactionnaire de Libération – et Marc Laufer ont annoncé la création, avec Bruno Ledoux, du groupe « Mag & News Co » regroupant le quotidien Libération, l’hebdo L’Express, le mensuel L’Expansion et la chaîne i24News.

Ce que disait Dominique Baudis il y a près de dix ans

En fait. Le 15 avril, ont eu lieu les obsèques de Dominique Baudis décédé le 3 avril. Ancien journaliste (débuts au Liban en 1971 pour l’ORTF) et présentateur du JT sur TF1 puis FR3, il fut – après 18 ans de politique – président du CSA. Alors aux Echos, l’auteur de ces lignes l’avait interviewé en 2005.