Livre numérique : le format ouvert Epub est en passe d’intégrer le W3C, le consortium du Web

C’est un moment historique pour le jeune monde de l’édition numérique. Le format ouvert Epub (electronic publication), conçu par l’International Digital Publishing Forum (IDPF) pour développer des livres numériques, va devenir à partir du 1er janvier 2017 un standard du World Wide Web consortium (W3C).
Les membres de l’IDPF viennent d’approuver ce ralliement.

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Les membres l’International Digital Publishing Forum (IDPF),
à l’origine du format ouvert Epub et ses évolutions pour le livre numérique, ont jusqu’au 4 novembre prochain pour voter en faveur du projet de ralliement de leur organisation au World Wide Web consortium (W3C). C’est le 13 octobre dernier que le conseil d’administration de l’IDPF, présidé par Garth Conboy, en charge chez Google de l’ingénierie logiciel et de la normalisation (1), a approuvé le plan de transfert vers le W3C qui est actuellement soumis aux membres.

Alliance du livre et du Web
Parmi les membres de l’IDPF, qui doivent se prononcer en vue de confier à partir du
1er janvier 2017 l’avenir du format Epub au W3C, l’on retrouve, pour la France, Editis, Hachette Livre, Izneo (Média Participations), Actes Sud, Dilicom, le Syndicat national de l’édition (SNE), le Cercle de la librairie (Electre), le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) ou encore la plateforme de livres numériques Youboox (2). Comme le préconisent les dirigeants de l’IDPF (3), et malgré des opposants tels que OverDrive ou Microsoft, il ne fait aucun doute que le vote entérinera la décision d’intégrer le consortium du Web fondé en 1994 et aujourd’hui dirigé par Tim Berners-Lee (photo), l’inventeur du World Wide Web. « Nous partageons une vision excitante entre le W3C et l’IDPF de pleinement harmoniser l’industrie de l’édition et
le coeur de la technologie Web. Cela va créer un environnement média enrichi pour l’édition numérique qui ouvre de nouvelles possibilités pour les lecteurs, les auteurs
et les éditeurs », avait déclaré le célèbre informaticien et physicien britannique en mai dernier lors du BookExpo America 2016 à Chicago. « Pensez au livres éducatifs. Le contenu du livre que l’on connaît aujourd’hui est en train de devenir hautement interactif et accessible avec des liens vers des vidéos et des images issues des événements historiques actuels et des données de recherche originales. Cela va donner une plus grande authenticité et un environnement d’apprentissage plus engageant pour les professeurs et les étudiants », s’était enthousiasmé Tim Berners-Lee. Six mois après son intervention, la fusion-absorption de l’IDPF est en passe d’être validée. Le format Epub rejoint ainsi les autres standards du Web tels que HTML, CSS, SVG ou encore ECMAScript dans l’Open Web Platform (OWP), une bibliothèque technologique lancée par le W3C en 2010. Au sein du W3C, c’est le Digital Publishing Interest Group (DigPubIG) qui prendra sous son aile le format ouvert pour livres numériques afin de poursuivre son développement au sein d’un écosystème d’impression numérique ouvert et interactif, avec recours aux métadonnées et aux contenus enrichis (de la typographie jusqu’au multimédia).
En France, où une association EDRLab (4) a été créée il y a un an par les maisons d’édition à Paris afin de développer avec l’IDPF des logiciels libres pour le livre numérique, le SNE va accueillir le 16 novembre prochain le directeur général du W3C, Jeffrey Jaffe, dans le cadre des 17e Assises du livre numérique consacrées à ce rapprochement Epub- Web. Ce dernier reconnaît que « les premières technologies
du Web n’ont pas répondu aux besoins rigoureux des auteurs et des éditeurs, dont le contenu est conçu dans des livres, des journaux et des magazines avec une typographie améliorée ». L’Epub au sein du W3C va y remédier.
Les maisons d’édition françaises, au premier rang desquelles se trouvent Editis (La Découverte, Le Cherche Midi, Xo Editions, …), Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman, …) et Media Participations (Dargaud, Dupuis, Fleurus, Izneo, …), misent plus que jamais sur Epub 3 pour résister aux deux géants mondiaux du livre numérique que sont Amazon et Apple, ainsi qu’à Adobe, dont les systèmes respectifs de ebooks fermés et verrouillés sont non-interopérables (5). Les développements technologiques pour ebooks devraient s’accélérer. Car, pour l’heure, les ventes de livres numériques en France progressent trop lentement : elle ne représentent en 2015 que 6,5 % du marché français du livre, soit 173,3 millions d’euros – alors que c’est 24 % aux Etats-Unis, 16 % au Royaume-Uni ou encore 8,2 % en Allemagne. @

Charles de Laubier

Pour Eutelsat, l’obstination de la France en faveur du quasi tout-fibre relève de « l’obscurantisme »

En fait. Le 5 octobre dernier, Rodolphe Belmer, DG d’Eutelsat, l’opérateur satellite français, était auditionné par la commission des Affaires économiques du Sénat. L’ancien DG de Canal+ (passé après par France Télévisions) n’a pas mâché ses mots pour critiquer la politique très haut débit du gouvernement.

Le nouveau protocole IPv6 pourrait améliorer la diffusion des flux vidéo sur Internet

La loi « République numérique », promulguée le 8 octobre, prévoit qu’« à compter du 1er janvier 2018, tout nouvel équipement terminal (…) doit être compatible avec la norme IPv6 ». Passer d’IPv4, dont les adresses seront épuisées dans
cinq ans, à IPv6 permettrait notamment d’améliorer l’audiovisuel en ligne.

Quel est l’intérêt de passer à IPv6 pour les contenus en ligne ? A priori, aucun ! Sauf qu’à y regarder de plus près, le successeur du protocole IPv4 qui assure les connexions sur Internet permettrait d’améliorer de façon significative les performances des applications mobile. C’est ce qu’affirme par exemple Facebook où le temps de réponse du numéro un des réseaux sociaux est jusqu’à 40 % meilleur sous IPv6 par rapport à un accès mobile sous IPv4.

Quel intérêt « commercial » ?
A l’heure où nombre d’acteurs du Net misent sur la vidéo, le différentiel justifierait à
lui seul l’adoption de ce « nouveau » protocole Internet. « Le protocole IPv6 pourrait permettre un acheminement plus performant des flux vidéo », souligne le rapport de l’Arcep remis en juin dernier au gouvernement français sur « l’état de déploiement du protocole IPv6 en France », et publié le 30 septembre dernier (1). Les services vidéo tels que les plateformes de partage vidéo (YouTube, Dailymotion, …), la VOD, la télévision de rattrapage, les bouquets de chaînes de type Molotov ou encore les publicités vidéo pourraient voir leurs temps de latence réduits grâce à l’IPv6.
Pourtant, malgré l’augmentation de la consommation de vidéo et de contenus dévoreurs de bande passante, tous les terminaux ne sont pas compatibles avec ce nouveau protocole Internet. C’est ce que constate d’ailleurs Akamai, l’un des leaders mondiaux des services de réseau de diffusion de contenu (CDN (2)), dans son dernier rapport trimestriel sur l’état d’Internet : « Il y a une absence de compatibilité d’IPv6
dans certains appareils électroniques grand public (tels que les téléviseurs connectés
et les media players), ce qui représente une barrière à son expansion ».
Alors que la vidéo devient la killer application du Web et des applications mobile, il est paradoxale de constater que le protocole IPv6 – permettant de simplifier certaines fonctions de la couche réseau telles que le routage et la mobilité – peine à être adopté. Et l’on ne peut pas dire que les acteurs du Net sont pris de court : les spécifications techniques d’IPv6 ont une vingtaine d’années d’existence et le lancement mondial de ce protocole par l’Internet Society est intervenu le 6 juin 2012, il y a déjà plus de quatre ans ! Selon l’observatoire « 6Lab » de Cisco (3), la part de contenus en ligne disponible en IPv6 – sur les 500 sites web les plus visités par des internautes en France – est d’environ 52 % à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Les adresses IP sont à Internet ce que sont les numéros au téléphone. Sans ce protocole réseau, pas de connexion possible entre terminaux et serveurs. En raison
de la pénurie annoncée d’adresses IPv4, qui sont limitées à un peu plus de 4 milliards différentes, le protocole IPv6 doit débloquer la situation en offrant un nombre presque infini d’adresses : 340 milliards de milliards de milliards de milliards (4), soit 340 sextillions d’adresses ! Selon le Ripe, le forum des réseaux IP européens, l’épuisement du dernier bloc d’adresses IPv4 disponibles est attendu pour 2021 – soit dans seulement cinq ans maintenant. Mais les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), les éditeurs de sites web, d’applications mobile et de services en ligne, les hébergeurs,
les plateformes vidéo, ainsi que les intermédiaires techniques et les fabricants de terminaux traînent des pieds depuis des années pour implémenter cette nouvelle norme. Car, comme le constate le rapport de l’Arcep, les acteurs du réseau des réseaux ne voient pas « de bénéfices commerciaux immédiats » à passer d’IPv4 à IPv6. A cela s’ajoutent l’absence de coordination entre les acteurs, le manque de maîtrise et de maturité autour de ce nouveau protocole, et le maintien nécessaire en parallèle des réseaux IPv4.

Retard de la France
Il suffit qu’un des maillons de la chaîne Internet ne supporte pas le nouveau protocole pour que IPv4 soit sollicité. Autant dire que le transport de bout en bout d’une vidéo, par exemple, sous IPv6 n’est pas pour demain. Pour remédier à cet attentisme, le rapport de l’Arcep a préconisé en juin dernier que l’Etat français « montre l’exemple » en rendant accessibles en IPv6 tous les sites web et services publics en ligne.
C’est ce que prévoit la loi « Economie numérique », promulguée le 8 octobre au Journal Officiel après avoir été portée par la secrétaire d’Etat au Numérique et à l’Innovation, Axelle Lemaire (photo), dans son article 16 : « Les administrations (…) encouragent la migration de l’ensemble des composants de ces systèmes d’information vers le protocole IPv6, sous réserve de leur compatibilité, à compter du 1er janvier 2018 ».

Dans la foulée, cette loi – dont on attend maintenant les décrets d’application – prévoir dans son article 42 qu’« à compter du 1er janvier 2018, tout nouvel équipement terminal (…) destiné à la vente ou à la location sur le territoire français doit être compatible avec la norme IPv6 ». En attendant, l’Arcep a promis de publier fin 2016 un premier observatoire de la transition vers IPv6. Mise à part cette volonté politique de rattraper
le retard flagrant de la France dans l’adoption de ce nouveau protocole (voir tableau ci-dessus) , seul capable d’absorber la multiplication des terminaux dans les foyers (plus d’une demi-douzaine) et surtout la montée en charge de la vidéo et de l’Internet des objets, bon nombre d’acteurs du Net ne voient pas encore l’intérêt de se précipiter.

Les FAI sont-ils pro-IPv6 ? Orange en retard
D’autant qu’une technique dite NAT (Network Address Translation), pratiquée par les FAI sur leur « box », permet de partager une unique adresse IPv4 entre plusieurs terminaux et ainsi d’économiser de nombreuses adresses IPv4.
Or, des experts interrogés par l’Arcep, cette pratique généralisée sur le réseau d’un opérateur télécoms – technique dite alors CGN (Carrier Grade NAT) – peut « entraver le fonctionnement de certains protocoles et donc de certains types de services sur Internet » tels que « les applications pair-à-pair et certains modes de jeux en ligne ». Ainsi, plusieurs éditeurs de services en ligne qui utilisent des protocoles peer-to-peer ont dû procéder à des développements afin de s’assurer du bon fonctionnement de leurs services sur des réseaux CGN et éviter les dysfonctionnements. Du côté des FAI, Akamai montre que Verizon est le premier dans le monde à avoir la plus grande proportion (74 %) de requêtes traitées sous IPv6. Il est suivi par T-Mobile (61 %), toujours aux Etats-Unis. Viennent ensuite Sky Broadband (56 %) en Grande-Bretagne, Telenet (54 %) en Belgique et Kabel Deutschland (52 %) en Allemagne.
Tous les autres pays traitent moins de la moitié des requêtes en IPv6 (voir tableau ci-dessus), dont Free et sa filiale Proxad (25 %) en France, cependant mieux disant qu’Orange (15 %).

Dans son rapport au gouvernement, l’Arcep, elle, observe que « plusieurs plans
de déploiements de FAI majeurs en France prévoient d’allouer des adresses IPv6
en priorité aux abonnés FTTH (Fiber-To-The-Home), qui génèrent un trafic significativement plus important que les abonnés xDSL par exemple ».
Orange a en effet annoncé en début d’année 2016 le début des déploiements IPv6 non seulement pour ses clients FTTH mais également VDSL. A noter que, selon le blog The World IPv6 Launch, « plus de 12 % des utilisateurs accèdent maintenant aux services de Google sous IPv6, alors qu’ils étaient moins de 1 % quatre ans auparavant ». Le basculement est en marche. @

Charles de Laubier

Le projet de réforme européenne du droit d’auteur à l’heure du numérique fait des vagues en France

La Commission européenne a présenté, le 14 septembre, son projet de réforme du droit d’auteur pour le marché unique numérique. En France, les réactions sont moins épidermiques qu’attendu. Les lobbies sont maintenant à l’oeuvre avant le prochain débat au Parlement européen.

Le gouvernement français s’est dit satisfait que « la réforme [du droit d’auteur (1)] aborde l’enjeu essentiel du partage de la valeur entre les créateurs et les intermédiaires qui mettent massivement en ligne des œuvres protégées ». Mais la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, et le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Harlem Désir, veulent « la clarification du statut de ces activités au regard du droit d’auteur, en particulier le droit de la communication au public et une responsabilisation appropriée de ces intermédiaires, en coopération avec les titulaires de droit ».

Désaccord sur la territorialité
Dans leur communiqué commun du 15 septembre, les deux ministres estiment qu’« il s’agit d’une occasion historique de mettre fin à une situation profondément inéquitable, et destructrice de valeur, aux dépens des auteurs, des artistes et du financement de la création ». Le gouvernement français apporte notamment son soutien à la proposition de création d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse, afin de permettre à ces derniers de faire valoir leurs droits et ceux des journalistes dans les relations contractuelles avec les plateformes numériques et dans la lutte contre la contrefaçon. En revanche, le gouvernement émet des réserves sur « l’approche ciblée » de la Commission européenne en matière d’exception au droit d’auteur et demande « des améliorations et des clarifications pour mieux prendre en compte les intérêts légitimes des secteurs concernés ». Quant à la proposition européenne sur les œuvres indisponibles, elle devrait, selon les deux ministres, « mieux refléter la diversité des approches nationales, à l’image du dispositif français ».
Enfin, ils expriment « avec force leur désaccord avec l’extension du principe du pays d’origine à certains services en ligne des radiodiffuseurs », estimant que cela risque
de « fragiliser la territorialité des droits d’auteur, qui constitue (…) la clé de voûte de
la distribution et du financement de l’audiovisuel selon des modalités adaptées à la diversité des espaces culturels et linguistiques qui font la richesse de l’Union européenne et de sa culture ». S’il n’est plus question explicitement de licence paneuropéenne, la Commission européenne souhaite que le droit de diffusion audiovisuelle soit transfrontalier au sein du marché unique numérique. De leur côté,
les acteurs du Net – pour la plupart réunis en France au sein de l’Association des services Internet communautaires (Asic) – dénoncent ce projet de directive européenne sur le droit d’auteur qu’ils considèrent comme « un texte approximatif et bancal remettant en cause le modèle ouvert de l’Internet ». Représentant Google (et sa filiale YouTube), Dailymotion (Vivendi), PriceMinister (Rakuten), AOL et Yahoo (tous les deux détenus par Verizon (2)), ainsi que Facebook, Deezer (Access Industries (3)), Microsoft ou encore Allociné (Fimalac), l’Asic « exprime sa plus vive inquiétude sur les attaques qui sont faites à des principes fondamentaux de l’Internet ». Selon elle, le projet de directive sur le droit d’auteur « ébranle deux de ces principes » que sont les liens hypertextes caractéristiques du Web, d’une part, et le statut d’hébergeur, d’autre part.
Contre le premier principe, il est question d’instaurer un droit voisin pour les contenus numériques des journaux. « Les éditeurs de presse en ligne pourront demander rémunération pour l’utilisation – l’indexation, un court extrait, un partage sur un réseau social, etc. – de leurs contenus », déplorent les acteurs du Net. Contre le second principe, il est prévu que les intermédiaires doivent conclure des accords de licence
et prendre des mesures de protection des contenus grâce à des technologies de reconnaissance de contenu. « Le diable étant dans les détails, le texte ne s’arrête pas
à ce qui aujourd’hui a été mis en place volontairement depuis près de dix ans par les hébergeurs (…) comme Dailymotion et YouTube – à travers les contrats conclus en France avec la SACD (4), la Sacem (5), la Scam (6) et l’ADAGP (7)… et l’adoption de systèmes de reconnaissance de contenus type (Audible Magic, Signature ou Content ID…) – mais va plus loin et prévoit une obligation de “prévenir la disponibilité des contenus” sur ces plateformes. L’article 13 [du projet de loi de directive sur le droit d’auteur, ndlr] veut ainsi instaurer une obligation de monitoring et de filtrage pour ces plateformes en contradiction totale avec les principes de la directive e-commerce », dénonce l’Asic.

La bataille du statut
Les acteurs du Net reprochent à la Commission européenne d’ouvrir « une brèche » dans le statut de l’hébergeur. Ils entendent bien poursuivre les discussions devant le Parlement européenne et le Conseil de l’Union européenne pour que soit préservé ce statut qui leur assure une responsabilité allégée en cas de contrefaçon (lire aussi p. 3). « Les positions de la France (…) confirment les craintes de l’Asic », ajoute l’association française des acteurs du Net, présidée par Giuseppe de Martino, par ailleurs directeur général délégué de Dailymotion.

« Saborder »… : lapsus de la Cisac
Du côté des auteurs et des ayants droits, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) estime pour sa part que la réforme proposée va dans le bon sens : « L’ensemble de propositions sur le droit d’auteur en Europe (…) constitue un bon point de départ pour remédier à la situation inéquitable faite aux créateurs sur le marché numérique ». Mais l’organisation – regroupant 230 sociétés de gestion de droits d’auteur dans le monde et présidée par le musicien Jean-Michel Jarre – demande aux institutions européennes de « prendre d’autres mesures pour assurer une rémunération équitable et un meilleur avenir aux créateurs sur les réseaux numériques ». A noter au passage que dans la version française du communiqué de la Cisac publié le 14 septembre, il est écrit que la proposition de directive sur le droit d’auteur « saborde [sic] la question du transfert de valeur » – alors qu’il est dit dans la version originale en anglais « that tackles the issue of transfer of value », dans le sens « traite » ou « aborde »… Ce transfert de valeur, appelé value gap (ou perte de valeur), décrit la distorsion du marché créée par l’usage, par des intermédiaires en ligne, d’oeuvres protégées sans rémunérer convenablement leurs créateurs. « L’Europe a entendu l’appel de la communauté des créateurs et des sociétés d’auteurs pour une action urgente », se félicite Gadi Oron, directeur général de la Cisac, pour qui « la nouvelle proposition européenne reconnaît le rôle et les obligations des services en ligne sur
le marché numérique ». Son président, Jean-Michel Jarre, enfonce le clou : « La Commission européenne a fait un effort pour (…) remédier à la situation actuelle, inéquitable, du marché numérique. Des acteurs majeurs utilisent des oeuvres pour générer des profits colossaux sans rémunérer équitablement leurs créateurs » (8).

La Sacem, qui est membre de la Cisac au même titre que la SACD, la Scam, l’ADAGP ou encore la SGDL (9), prend en effet acte « du signal envoyé aux artistes et créateurs puisque ce texte contient des mesures intéressantes permettant de corriger le transfert de valeur dont profitent les nouveaux acteurs numériques au détriment des créateurs [et] de lutter en particulier contre l’irresponsabilité des intermédiaires techniques de l’Internet ». La SACD, elle, accueille le projet de réforme du droit d’auteur « avec circonspection », en constatant que « la Commission européenne semble avoir entendu la mobilisation en faveur du droit d’auteur de certains pays, dont la France, et des créateurs européens, légitimement inquiets face aux menaces évoquées en 2014 de remettre en cause la territorialité des droits ». Et de mettre en garde, en dramatisant quelque peu l’enjeu : « Parce que le financement de la création audiovisuelle et cinématographique est étroitement lié à la possibilité de maintenir des exclusivités territoriales, toute remise en cause profonde du droit d’auteur mettrait en danger la diversité de la création et menacerait le droit de créer ». La SACD, forte de plus de 58.500 auteurs associés, estime en outre que la Commission européenne ne va pas assez loin en termes d’obligation de transparence, dans le triptyque reddition des comptes-révision des contrats-règlement des conflits – « le triangle des Bermudes du droit des auteurs » ! La société de gestion collective propose d’y remédier en instaurant «un droit inaliénable à rémunération pour tous les auteurs européens afin que les créateurs puissent (…) percevoir une juste rémunération pour l’exploitation de leurs œuvres partout en Europe, notamment sur les services en ligne ».
Et pour accroître la disponibilité et la circulation des films et séries en Europe, elle préconise – tel que cela a été adopté en France dans la loi « Création » – de « mettre
à la charge de ceux qui détiennent les droits l’obligation de faire leurs meilleurs efforts pour assurer l’exploitation des œuvres ». Cette obligation d’exploitation suivie des œuvres permettrait d’enrichir l’offre légale et éventuellement d’enrayer le piratage
sur Internet. Globalement, écrit sur son blog Pascal Rogard, directeur général de la SACD, « la Commission européenne ne mérite ni excès d’honneur ni indignité , juste
la note moyenne qui convient à un exercice technocratique essayant de tenir un équilibre (…) ».
Quant à la Société civile des auteurs multimédia (Scam), qui gère les droits de plus de 38.100 associés, elle exprime son soulagement en constatant que « la réforme radicale annoncée à l’arrivée de la Commission Juncker semble enterrée et que les exceptions au droit d’auteur sont plus limitées que prévu » (10) (*) (**). Elle regrette cependant « le silence pesant (…) sur un droit [inaliénable, ndlr] à rémunération géré collectivement
par les sociétés pour les auteurs d’œuvres audiovisuelles utilisées en ligne », ce que défend depuis longtemps la Société des auteurs audiovisuels (SAA), laquelle s’est aussi dite déçue.

Neutralité technologique
Concernant le principe de neutralité technologique retenu pour les services de retransmission, c’est aux yeux de la Scam « une bonne chose », mais elle se demande pourquoi la Commission européenne « s’est-elle abstenue d’éclaircir une bonne fois pour toutes la notion de communication au public mise à mal par la Cour de Justice de l’Union ? ». Enfin, la Scam dirigée par Hervé Rony s’interroge sur l’opportunité de mettre en place un droit voisin des éditeurs de presse : « Il ne faudrait pas qu’il affaiblisse les droits des journalistes »… @

Charles de Laubier

L’affaire « Microsoft » : la localisation des données et l’extraterritorialité en question

Le 14 juillet 2016, la cour d’appel fédérale de Manhattan aux Etats-Unis a décidé qu’un mandat de perquisition ne permettait pas aux autorités américaines d’obtenir des données stockées par Microsoft en Irlande, car un tel mandat ne peut avoir d’effets en dehors des frontières des Etats-Unis.
Quel impact en Europe ?