Popularisés par Tim Berners-Lee lorsqu’il créa le Web il y a 28 ans, les liens hypertextes sont en danger

Les hyperliens sont-ils illégaux au regard du droit d’auteur et des droits voisins ? C’est en substance la question complexe qui est posée en Europe, au moment où la réforme du droit d’auteur à l’ère du numérique bat son plein. La France n’a pas encore clarifié sa position. Les acteurs du Net s’inquiètent.

Que dirait le fondateur du World Wide Web, Tim Berners-Lee, si le principe des hyperliens qu’il a appliqué à Internet il y a près de 30 ans était remis en question en raison de considérations juridiques liées au droit d’auteur et aux droits voisins ? Edition Multimédi@ le lui a demandé, mais… n’a pas obtenu de réponse de la part du Britannique, par ailleurs président du World Wide Web Consortium (W3C) qu’il a fondé.

Que dit le gouvernement français ?
En France, lors des débats sur la loi « République numérique » qui en était alors à
l’état de projet, la question du statut juridique des liens hypertexte avait été clairement posée. Le gouvernement s’était même engagé, le 21 janvier 2016 en commission à l’Assemblée nationale, à porter cette question au niveau européen et à préciser la position de la France à cette occasion. Plus d’un an après, alors que la réforme du droit d’auteur est actuellement devant le Parlement européen, cette promesse n’a toujours pas été exhaussée. La députée (PS) Karine Berger n’a pas manqué de relancer la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, dans une question parlementaire publiée au J.O. le 11 avril dernier. « Quelle est la position du gouvernement sur les liens hypertextes, et plus largement sur les leviers juridiques
qui peuvent être actionnés pour rééquilibrer les rapports entre créateurs et grands acteurs de l’Internet », lui a-t-elle demandé.
La députée se rappelle ainsi au bon souvenir du gouvernement. Contre l’engagement de ce dernier sur cette question, elle avait dû avec sa collègue (PS) Valérie Rabault retirer à l’époque leur amendement qui consistait, d’après elles, à « redonner une protection à ces liens, en faveur des auteurs des contenus auxquels ils renvoient et les ayant droits, tout en sécurisant la position des non professionnels ». Ainsi, selon l’article proposé, les acteurs du Net devaient  être « tenus d’obtenir l’autorisation des titulaires de droits concernés », y compris pour « les actes accomplis par les utilisateurs de ces services ». Dans sa question à Audrey Azoulay, Karine Berger se veut plus explicite encore : « C’était l’occasion de soulever la question de l’avantage économique pris par certains grands acteurs du Net tels Google ou Facebook s’abritant notamment derrière le régime de l’hébergeur et l’absence alléguée de droits pour les créateurs sur ces liens, et d’évoquer la difficulté à lutter contre les flux de sur internet de contenus illicites ». Il ne reste plus qu’à attendre la réponse de la rue de Valois. Cette demande de clarification à la française intervient un mois après que l’eurodéputée (PPE) Therese Comodini Cachia (photo) ait publié – en commission des Affaires juridiques du Parlement européen – son rapport sur le projet de directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Le 7 avril dernier, l’Association des services Internet communautaires (Asic) s’est félicitée que l’eurodéputée « ait supprimé la création d’un droit voisin pour les contenus de presse de son rapport parlementaire ». Alors que dans son projet de directive, la Commission européenne prévoyait de donner plus de pouvoir de négociation aux éditeurs de presse vis à vis des services en ligne qui donnent accès à leurs contenus, notamment par des hyperliens, en leur accordant un droit voisin – avec droit à rémunération – valable vingt ans à partir de la date de première publication (1). Et ce, que le lien hypertexte soit sur des sites web, des moteurs de recherche ou des réseaux sociaux. Le gouvernement français avait apporté le 15 septembre 2016 son soutien à cette proposition communautaire de création d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse (2). Pour l’Asic, il y a au contraire danger :
« Le lien hypertexte constitue aujourd’hui la richesse de l’Internet. Instaurer une possibilité d’opposition à sa mise en place vers un contenu accessible publiquement reviendrait à détruire ce qui fait l’intérêt même de ce média, sa capacité à apporter du contexte », a prévenu l’Asic en alertant sur « les effets dévastateurs d’une telle mesure qui ne résout pas les problèmes financiers des éditeurs de presse et contrevient à l’idée même de l’Internet en empêchant l’accès aux contenus par les internautes ». Les éditeurs, eux (3), regrettent l’abandon de ce projet de droit voisin.

La réponse du CSPLA
Le rapport « Droit de communication au public », que le Conseil supérieur de la propriété intellectuelle (CSPLA) a publié le 9 janvier dernier, donne une idée de l’état d’esprit en la matière du ministère de la Culture et de la Communication dont il dépend. Il s’en prend notamment à l’arrêt « GS Media » de la CJUE du 8 septembre 2016 qu’il juge « particulièrement inquiétant » et « regrettable » car « l’équilibre recherché [en faveur des liens hypertexte, ndlr] se traduise par une destruction de principes fondamentaux du droit d’auteur » (4) (*) (**). A suivre. @

Charles de Laubier

La stratégie de Vivendi reste dans le flou artistique

En fait. Le 25 avril, lors de l’assemblée générale de Vivendi à L’Olympia, les actionnaires ont voté à 82 % des suffrages exprimés pour la reconduction pour quatre ans de Vincent Bolloré comme administrateur du conseil de surveillance du groupe qu’il préside depuis 2014. Mais pour quelle stratégie ?

La prescription pénale des délits de presse sur Internet : la croisade du Sénat continue

La loi du 27 février 2017 sur la prescription en matière pénale ne modifie pas le délai de prescription des délits de presse sur Internet (trois mois), malgré une énième tentative du Sénat repoussée par l’Assemblée nationale. Au-delà de l’opposition entre les deux chambres, le problème demeure.

Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Après avoir modifié les délais de la prescription civile (1) à la baisse (2), le législateur vient de réformer les délais de
la prescription pénale (3) en les doublant. Ainsi, le délai de prescription de l’action publique passe de dix à vingt ans en matière criminelle et de trois à six ans pour les délits de droit commun. Pour les infractions occultes ou dissimulées, le délai de prescription démarre à compter du jour où l’infraction a été constatée. Ce délai ne peut toutefois pas excéder trente années révolues pour les crimes et douze années révolues pour les délits à compter du jour où l’infraction a été commise.

Délais de trois mois sur Internet
Lors des débats parlementaires, il a été tenté une nouvelle fois d’allonger, de trois mois à un an, le délai de prescription des délits de presse sur Internet. Cette tentative du Sénat a été, à nouveau, repoussée par l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un nouvel épisode d’une opposition entre les deux chambres sur cette question mais le problème demeure. La liberté d’expression est une liberté fondamentale reconnue et protégée
par le droit (4). Cette liberté n’est ni générale, ni absolue. Elle peut être limitée sous certaines conditions (5). En droit français, la loi sur la liberté de la presse (6) fixe la liste limitative des abus de la liberté d’expression et sanctionne notamment la diffamation et l’injure. Cependant, cette sanction n’est possible que si l’action est engagée dans un délai de trois mois (à compter de la publication des propos contestés). À défaut, l’action publique comme l’action civile sont prescrites et la victime ne peut plus agir dès lors que d’autres voies, comme l’ancien article 1382 du Code civil, ne sont pas applicables aux abus de la liberté d’expression. La prescription pénale a pour finalité de « garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels
à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé. » (7). En matière de presse, la prescription a pour objet et pour effet de protéger la liberté d’expression. Cette courte prescription, qui serait la plus courte d’Europe, est justifiée par le fait qu’on ne peut apprécier le caractère abusif d’une expression qu’au moment où elle est exprimée. Un rapport sénatorial (8) rappelle que l’exposé des motifs d’une des lois précédant la loi sur la liberté de la presse de 1881 (9) indiquait : « Il est dans la nature des crimes et délits commis avec publicité, et qui n’existent que par cette publicité même, d’être aussitôt aperçus et poursuivis par l’autorité et ses nombreux agents. (…) Elle serait tyrannique la loi qui, après un long intervalle, punirait une publication à raison de tous ses effets possibles les plus éloignés, lorsque la disposition toute nouvelle des esprits peut changer du tout au tout les impressions que l’auteur lui-même se serait proposé de produire dès l’origine. » La loi de 1881, quant à elle, fait référence dans
son exposé des motifs à la nature éphémère de l’actualité : « Ainsi, la rapidité avec laquelle les circonstances viennent à changer, peut faire perdre, dans un très court
laps de temps, à un écrit, tout ou partie de sa force injurieuse. Les articles des journaux, les discours des hommes politiques, sont lus, écoutés le jour même et oubliés le lendemain. L’idée de l’oubli, fondement de toute prescription, joue ici au maximum, renforcée par la rapidité avec laquelle s’efface l’impression produite par la nouvelle
du jour ». Ce mécanisme applicable à la presse écrite a été purement et simplement transposé à la publication en ligne.

Plusieurs tentatives d’allonger depuis 2004
Notons cependant que les juges du fond avaient néanmoins tenté de faire du délit de presse sur Internet un délit continu (et non plus un délit instantané). En effet, une cour d’appel avait considéré que le point de départ de la prescription devait être repoussé
à la date à laquelle les propos litigieux avaient été mis hors ligne. Cette analyse a été écartée par trois décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 2001 (10) qui fixent le point de départ du délai de prescription à la date du premier acte de publication (11). Dès lors, le législateur, et notamment le Sénat, tente régulièrement d’allonger cette prescription, essentiellement pour les propos tenus, en ligne, par les non professionnels. La première tentative date de 2004, lors de l’adoption de la loi
« Confiance dans l’économie numérique ». Il avait été prévu de distinguer deux types de prescription : une pour les propos publiés en même temps sur le support informatique et le support papier, et une pour les propos publiés uniquement sur le support informatique. Dans ce dernier cas, l’action publique et l’action civile devaient se prescrire après le délai de trois mois courant à compter de la date à laquelle les propos litigieux avaient été mis hors ligne.

Le Sénat toujours et encore insatisfait
Une telle solution a été déclarée inconstitutionnelle (12) dès lors qu’elle méconnaissait le principe d’égalité devant la loi. En effet, selon le Conseil constitutionnel, « la différence de régime instaurée, en matière de droit de réponse et de prescription,
par les dispositions critiquées dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles
sur un support informatique ».
Dès 2007, un rapport sénatorial, qualifiait cette situation d’insatisfaisante (13).
En 2008, le Sénat a adopté une proposition de loi tendant à « allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet » (14) qui portait à un an la prescription pour
les articles publiés en ligne « sauf en cas de reproduction du contenu d’une publication de presse légalement déclarée ». Cette proposition a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale une première fois le 5 novembre 2008 et une seconde fois le
2 juillet 2012. Elle n’eut pas de suite. En avril 2016, lors de la discussion de la loi pour une République numérique (15), le Sénat a proposé un amendement fixant la prescription à un an pour les publications en ligne. Cet amendement a été rejeté.
En juillet 2016, un rapport sénatorial (16), proposait, de nouveau, d’allonger ledit
délai. En 2017, une nouvelle tentative infructueuse a été faite par le Sénat lors de la discussion sur la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté (17). L’amendement a été rejeté par l’Assemblée nationale. La dernière tentative infructueuse a été faite lors de
la discussion de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale. La question de l’allongement de la prescription pour les propos tenus sur Internet par des non professionnels reste une préoccupation majeure du Sénat. On ne peut que saluer l’assiduité des sénateurs. Il s’agit d’une réalité puisque d’un côté, n’importe qui peut mettre en cause n’importe qui, sur Internet et les réseaux sociaux, et ce durablement pour ne pas dire éternellement dès lors que le support numérique est impérissable (à
la différence du support papier) et immédiatement accessible (à cause des moteurs de recherche). Chaque citoyen peut donc être durablement marqué numériquement par un propos excessif s’il n’a pas agi dans les trois mois. D’un autre côté, il n’est pas envisageable – que ce soit politiquement ou juridiquement – de modifier la loi de la presse pour les journalistes qui sont soumis à une déontologie professionnelle. Serions-nous confrontés à une nouvelle quadrature du cercle numérique ? A titre de piste de réflexion, on rappellera que le Conseil constitutionnel considérait en 2004 que « la prise en compte de différences dans les conditions d’accessibilité d’un message dans le temps, selon qu’il est publié sur un support papier ou qu’il est disponible sur un support informatique, n’est pas contraire au principe d’égalité ». Il était donc considéré uniquement que la différence de régime à instaurer ne devait pas dépasser ce qui était manifestement nécessaire. Il convient donc de poursuivre l’exploration de cette voie et de rechercher une solution proportionnelle. On doit aussi se demander si la solution attendue par le public est réellement celle de l’allongement du délai de prescription. En pratique, les victimes qui ont laissé passer les trois mois de la prescription souhaitent moins une sanction de l’auteur présumé de l’abus de la liberté d’expression que de faire disparaître le propos litigieux. Plus précisément, le souci des victimes n’est pas de faire effacer les propos sur Internet mais plutôt d’éviter que le propos litigieux soit éternellement associé à leur son nom ou à leur raison sociale lors d’une recherche.

Courte prescription et liberté d’expression
La sagesse est de ne pas toucher à la liberté d’expression et de conserver ce régime de prescription très courte. Elle est le garant de cette liberté fondamentale, qui est le chien de garde de la démocratie. A l’inverse, à l’expiration du délai de trois mois, chacun, que ce soit une personne physique ou une personne morale, devrait avoir le droit d’obtenir, d’un moteur de recherche, sur simple demande, le déréférencement d’un propos excessif apparaissant lors d’une recherche faite à partir de son nom ou de sa raison sociale. @

* Auteur du livre
« Numérique : de la révolution au naufrage ? »,
paru en 2016 chez Fauves Editions.

Extension de la protection des données en Europe : FAI et OTT à la même enseigne

Dans sa proposition de règlement « Vie privée » de janvier 2017, la Commission européenne souhaite étendre le cadre protecteur des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) aux fournisseurs de « services de communications par contournement » (OTT), ainsi qu’à l’Internet des objets. Explications.

Canal+ met en ordre de marche Dailymotion, en poussant vers la sortie le dernier dirigeant historique

Giuseppe de Martino, directeur délégué de Dailymotion, ne dément pas l’information selon laquelle il quitterait la plateforme vidéo de Vivendi en juillet, date d’anniversaire de ses dix ans dans l’entreprise. D’ici là, en avril, « un nouveau Dailymotion » avec une nouvelle éditorialisation et plus de contenus premium va voir le jour.

C’est imminent : « Dès avril 2017, un nouveau Dailymotion doté d’une offre éditoriale plus premium et d’une expérience utilisateur plus fluide sera lancé », selon les propres termes de Vivendi, maison mère de la plateforme française de partage vidéo, dans son rapport annuel publié le 15 mars dernier. Vincent Bolloré
– président du conseil de surveillance de Vivendi – en a maintenant pris le contrôle managérial via Canal+.
Il ne reste plus de l’ancienne équipe dirigeante que Giuseppe de Martino (photo).
En octobre, nous lui avions demandé s’il comptait partir à son tour de Dailymotion après que son binôme de directeur délégué Martin Rogard – dirigeant historique comme lui de la plateforme vidéo française – ait quitté l’été dernier la société revendue à 90 % par Orange à Vivendi en juin 2015 pour 252 millions d’euros. « Quelle idée ! Je suis là et bien là !! », répondait-il à Edition Multimédi@. Six mois plus tard, changement de ton : alors que trois nouvelles nominations ont été annoncées le 8 mars dernier au comité de direction de Dailymotion – sous la présidence de Maxime Saada, le directeur général du groupe Canal+ –, nous avons redemandé à Giuseppe de Martino s’il était prévu qu’il parte en juillet prochain comme le suggérait Challenges dans un entrefilet paru le 16 mars. Cette fois, la réponse est tout autre : « Le conditionnel de la brève me va très bien ! », s’est-il contenté de nous répondre, laconiquement, sans pour autant démentir ni exclure cette échéance de son départ.

Une page se tourne pour la plateforme vidéo française
Et quelle échéance ! S’il partait effectivement à cette date, cela correspondra à l’anniversaire de ses dix ans chez Dailymotion où il est entré – en juillet 2007 donc –
au poste de directeur juridique et réglementaire de la plateforme de partage vidéo créée deux ans plus tôt par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey. C’est quatre mois après sa nomination que Dailymotion créa, avec Google, Yahoo, PriceMinister et AOL, l’Association des services Internet communautaires (Asic) que préside depuis Giuseppe de Martino. Il devrait subir le même sort que Martin Rogard, lequel avait quitté le 1er août 2016 Dailymotion où il était entré neuf ans plus tôt en tant que vice-président des contenus, avant d’en devenir directeur des opérations – notamment en s’installant à New York. Et ce, alors que la plateforme vidéo avait perdu plus de la moitié de ses effectifs au moment de son rachat par le groupe de Vincent Bolloré, sur fond de dégringolade de son audience (1). Depuis, la plateforme embauche à tour de bras
pour redresser la barre.

Vincent Bolloré, seul maître à bord
Six mois plus tôt, le patron de Canal+ Maxime Saada évinçait le PDG de Dailymotion en place depuis juillet 2009, Cédric Tournay, pour présider la plateforme vidéo. Objectif : reprendre en main le concurrent de YouTube en perte de vitesse et « intensifier les synergies entre Dailymotion et l’ensemble des autres entités de Vivendi, dont Canal+ ». C’est à ce moment-là, en janvier 2016, que Giuseppe de Martino et Martin Rogard sont nommés directeurs généraux délégués. Cette confiance renouvelée n’empêchera pas le départ du second (2).
Non seulement Canal+ mais aussi sa maison mère Vivendi viennent d’accroître leur emprise sur la plateforme vidéo en se renforçant dans son comité de direction via trois nominations. Laetitia Ménasé devient aussi secrétaire générale de Dailymotion, tout en conservant ses fonctions de directrice juridique du groupe Canal+ pour lesquelles elle rapporte à Frédéric Crépin, lui-même secrétaire général à la fois de Vivendi et de Canal+. Ce dernier est aussi administrateur de Dailymotion, tout comme Simon Gillham, Hervé Philippe et Stéphane Roussel – tous les quatre étant membre du directoire de Vivendi. Quant à Amandine Ferré et Stéphanie Fraise, issues aussi du groupe Canal+, elles deviennent respectivement directrice financière et directrice des ressources humaines de Dailymotion. Toutes les trois nouvelles recrues sont placées sous l’autorité du patron de Canal+. Dans l’ombre, Michel Sibony, directeur des achats du groupe Bolloré, est le Monsieur cost killer de Vincent Bolloré jusque chez Canal+ et Dailymotion. En 2016, les charges de restructuration de Dailymotion se sont élevées à 6 millions d’euros.
Une autre nomination, annoncée cette fois le 6 mars, illustre également la prise de contrôle managérial du groupe de la chaîne cryptée sur la plateforme vidéo : Pascale Chabert, directrice des partenariats stratégiques de Dailymotion depuis novembre (3), devient en plus directrice adjointe des contenus de « l’offre Canal » (4). Canal+ Régie, la régie publicitaire du groupe Canal+, commercialise aussi les déclinaisons des chaînes sur Dailymotion (comme sur YouTube). Dans le même temps, Diego Buñuel – tout en demeurant directeur des documentaires de Canal+ – a été nommé directeur du pôle « Canal Brand Factory » nouvellement créé afin de produire, là encore « en synergie avec l’ensemble des entités du groupe Vivendi » (non seulement avec Dailymotion, mais aussi avec Gameloft, Universal Music et Vivendi Village), des contenus de marques tels que brand content vidéo et événementiels digitaux. Parallèlement, il met en place le dispositif antenne et digital autour de l’e-sport que Dailymotion a commencé l’an dernier à diffuser en direct lors de compétitions comme la « Fifa 17 Ultimate Team Championship Series Qualifier France » qui a eu lieu à Paris fin 2016. Il y a six mois, Vivendi s’est allié avec l’Electronic Sports League (ESL) pour créer ses propres événements de ligues d’e-sport en France qui seront retransmises à l’antenne et sur Dailymotion. La retransmission en live d’événements constitue un axe fort de Dailymotion, qui a par exemple retransmis le Vendée Globe et la cérémonie des César. Dailymotion est en outre depuis l’an dernier l’hébergeur des vidéos de Studio Bagel, « premier réseau de chaînes d’humour sur YouTube » et détenu par Canal+ depuis 2014.
Pour essayer de redresser la barre, Dailymotion fait peau neuve avec plus d’éditorialisation, plus de recommandations par algorithme et plus de contenus premium, ainsi qu’une nouvelle application mobile. Cela passe par plus de partenariats avec des médias (presse, télé, radio) et des producteurs de contenus (médias, marques, séries), quitte à partager plus de revenus avec eux. En misant sur les contenus premiums, Dailymotion tente de se démarquer avec un public « CSP+ » recherché des annonceurs (5) par rapport à YouTube plutôt prisé des plus jeunes.
De son côté, Vivendi Content – pôle de création de nouveaux formats – développe Studio+, une offre de séries courtes premium destinées aux smartphones.
Maxime Saada est même venu le 21 mars dernier au 8e Web Program Festival, le rendez-vous des créateurs et acteurs de la production vidéo, avec ses deux casquettes Canal+ et Dailymotion. Il s’agit surtout de relancer la plateforme dont l’audience a sérieusement chutée ces dernier mois : le site web Dailymotion ne comptabilise plus en France que 3,8 millions de visiteurs uniques par mois (audience de janvier selon Médiamétrie), pendant que YouTube se pavane en tête avec 23,4 millions de visiteurs uniques.

Dailymotion en quête de rentabilité
Au niveau mondial, la plateforme vidéo française affiche près de 3 milliards de vidéos vues par mois pour 300 millions d’utilisateurs, sachant que la moitié de son audience est maintenant générée en dehors de son propre site web. Mais son chiffre d’affaires aurait chuté l’an dernier de plus de 10 % à 60 millions d’euros, tout en creusant ses pertes, alors que ses effectifs doivent passer de 230 en 2016 à 400 salariés d’ici la fin de l’année. Dailymotion est condamné à réussir sa mutation, sinon… c’est la faillite. @

Charles de Laubier