Après l’Internet ouvert dans les télécoms, l’Arcep prône un « audiovisuel ouvert » dans le numérique

Vous avez aimé la neutralité de l’Internet dans les réseaux ? Vous adorerez la neutralité des terminaux dans l’audiovisuel. C’est en substance ce qu’explique
le gendarme des télécoms dans un avis rendu début octobre. Si la régulation ne suit pas, les chaînes et les OTT pure players pourraient être pénalisés.

L’avis que le président de l’Arcep, Sébastien Soriano (photo), a signé le 2 octobre dernier et remis à l’Autorité de la concurrence,
à la demande de cette dernière, est une mise en garde sur la tournure prise par le marché de l’audiovisuel en pleine révolution numérique. S’il n’est question, dans cet avis d’une vingtaine de pages, qu’une seule fois de « neutralité d’Internet », il mentionne
en revanche à plusieurs reprises la notion d’« Internet ouvert » telle qu’elle avait été retenue par le Parlement européen dans le règlement « Open Internet access » du 25 novembre 2015 (1).

De l’Internet ouvert à l’audiovisuel « ouvert »
Partant du constat que les OTT pure players – tels que YouTube, Netflix, Amazon Prime Video, Facebook Watch ou encore, toutes proportions gardées, Molotov – prennent une importance grandissante dans le paysage audiovisuel désormais transnational, l’Arcep rappelle que « l’acheminement du signal est par ailleurs régi
par le règlement pour un Internet ouvert, qui (…) garanti[t] une forme d’universalité dans l’accès et la mise à disposition d’informations en ligne ». Chargé de veiller à l’application de ce règlement « Internet ouvert » en France, le régulateur des télécoms souligne qu’il s’agit d’imposer « un principe de non-discrimination dans l’acheminement du trafic, sous réserve d’un cadre précis d’exceptions définies pour la gestion de trafic et les services spécialisés ». En clair, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne peuvent pas mettre en place de traitement particulier au signal ainsi transmis. Autrement dit, ils n’ont pas le droit d’empêcher ou de brider l’accès des utilisateurs aux services OTT.
Pour autant, l’Arcep ajoute (dans une note de bas de page) qu’également « [les FAI] ne peuvent prévoir de garantie spécifique en termes de qualité de service pour [ces OTT], à l’inverse des offres télévisuelles des FAI ». Mais l’Internet ouvert réglementé depuis trois ans maintenant ne concerne pas seulement les OTT pure players, mais aussi les chaînes de télévision traditionnelles qui ne sont plus seulement diffusées par voie hertzienne, par câble ou par satellite, mais elles aussi sur les réseaux IP pour être visionnées sur un terminal. C’est là que le bât blesse, selon l’Arcep qui a fait de la neutralité des terminaux son cheval de bataille depuis… 2010 (voir encadré page suivante) : « Si le règlement pour un Internet ouvert garantit un transport neutre du signal par les FAI (sauf cas précis) et donc une totale liberté de choix du contenu,
il n’en est pas de même pour les terminaux qui ne sont pas soumis à ce principe d’ouverture ». Depuis l’an dernier, le gendarme des télécoms pointe du doigt Google (Android) et Apple (iOS) pour défaut de neutralité de leurs terminaux (2).
Les utilisateurs se retrouvent non seulement captifs d’un écosystème malgré eux,
mais en plus ils ne peuvent avoir accès à tous les contenus qu’ils souhaiteraient.
« Smartphones, tablettes, assistants vocaux, … : les terminaux, maillon faible de l’Internet ouvert », tel est le titre explicite du rapport que l’Arcep a publié mi-février
2018 en renvoyant le problème à la Commission européenne (3). Cinq mois après, mais sans qu’il y ait quelconque lien de cause à effet, cette dernière a infligé à Google une amende de 4,34 milliards d’euros pour violation des règles de concurrence de l’UE avec son écosystème Android jugé coupage de restrictions protégeant illégalement la position dominante du géant du Net dans la recherche sur Internet. L’exécutif européen a notamment jugé illégal le fait que Google Search et Google Chrome soient préinstallés « en exclusivité » sur les smartphones utilisant Android (4).
Cette fois, c’est dans l’audiovisuel que l’Arcep fait part de sa préoccupation et en particulier vis-à-vis des TF1, M6 et autres France Télévisions. « Les chaînes de télévision n’ont ainsi pas la garantie de voir leurs contenus OTT être disponibles sur
ces appareils, notamment si une politique éditoriale contraignante est appliquée par le fabricant de terminal », prévient le régulateur des réseaux.

Terminal, assistant vocal, enceinte connectée, …
Les fabricants de terminaux aux écosystèmes englobant matériel et logiciel – parmi lesquels Samsung, numéro un mondial des smartphones (qui plus est fonctionnant sous Android de Google), Apple (avec iOS, iTunes et son App Store) ou d’autres comme Huawei (système d’exploitation Emui, basé lui aussi sur Android), voire Google lui-même avec ses smartphones Pixel, sont dans le collimateur. « Ces acteurs pourraient, selon l’Arcep, devenir des interlocuteurs incontournables pour les chaînes de télévision dans les années à venir » en raison de « l’amélioration de la qualité de service des réseaux et le développement d’outils permettant de diffuser les flux multimédias de l’Internet général sur les écrans de télévision (ou d’autres supports) ». Et le gendarme des télécoms de prévenir : « Les assistants vocaux et les enceintes connectées, en plein essor, emportent les mêmes problématiques. Le référencement
et la visibilité seront alors des enjeux majeurs »
.

Inquiétude pour les chaînes de télé
Le risque est que les terminaux ou les périphériques connectés puissent bloquer ou avantager l’accès à certains contenus et/ou services, surtout s’ils sont préinstallés dans les appareils en question. A cela s’ajoute le fait que les fabricants de terminaux ne sont pas très nombreux sur le marché (Samsung, Huawei, Apple, Google , … ) , avec une force de frappe mondiale (5) : l’Arcep estime qu’ils sont susceptibles à terme de disposer d’un pouvoir de marché important, et qu’ils peuvent également être verticalement intégrés avec des services audiovisuels en concurrence directe ou indirecte avec les chaînes de télévision. « A terme, c’est le risque de restrictions dans la liberté de choix des utilisateurs en contenus audiovisuels qui pourrait se manifester. (…) Une action de régulation doit être portée dès à présent sur ces nouveaux acteurs dont l’essor pourrait conduire à un futur goulet d’étranglement pour les services audiovisuels. Une régulation horizontale (et donc non fragmentée) de l’ensemble des terminaux serait ainsi souhaitable, dans l’esprit de l’application du principe d’internet ouvert aux réseaux de télécommunication », considère le président de l’Arcep, signataire de l’avis rendu à l’Autorité de la concurrence.
Cette notion de « liberté de choix » des utilisateurs en contenus audiovisuels pourrait notamment être mise à mal par les assistants vocaux tels que Alexa d’Amazon, Assistant de Google ou encore Siri d’Apple, popularisés par ces mêmes acteurs avec leurs enceintes connectées respectives – Echo d’Amazon, Home de Google ou encore HomePod d’Apple (6). « Le type de contenus vers lesquels ces outils [véritables télécommandes, avec, notamment, l’arrivée des enceintes connectées] choisiront de rediriger les utilisateurs suite à une commande vocale pourrait s’avérer crucial pour
les acteurs audiovisuels. La place prépondérante des propositions renvoyées par les assistants virtuels, notamment via des partenariats commerciaux, pourrait soulever des enjeux concurrentiels et impacter la liberté de choix des utilisateurs. Certains acteurs
de l’audiovisuel se sont d’ailleurs rapidement positionnés pour offrir directement leurs services par le biais des enceintes connectées », explique le régulateur des télécoms. Pour lui, ces évolutions pourraient être contraires à la liberté de choix des utilisateurs dans leur consommation de contenus et empêcher les chaînes de continuer à être accessibles au plus grand nombre. Ainsi, dans l’annexe 2 de son avis (7), l’Arcep propose de clarifier le champ de l’Internet ouvert en posant un principe de liberté de choix des contenus et applications, quel que soit le terminal.

Lever les restrictions imposées
Cela pourrait passer notamment par « lever plus directement certaines restrictions imposées par les acteurs-clefs des terminaux » : permettre aux utilisateurs de supprimer des applications préinstallées ; rendre possible une hiérarchisation alternative des contenus et services en ligne disponibles dans les magasins d’applications ; permettre aux utilisateurs d’accéder sereinement aux applications proposées par des magasins d’applications alternatifs, dès lors qu’ils sont jugés fiables ; permettre à tous les développeurs de contenus et services d’accéder aux mêmes fonctionnalités des équipements ; surveiller l’évolution des offres exclusives de contenus et services par des terminaux. @

Charles de Laubier

«Lutte contre le piratage sur Internet », Saison 2

En fait. Le 6 novembre, se tiendront les 1ères Assises de la sécurité pour
la protection des contenus audiovisuels (au sein du Satis-Screen4All). Mi-septembre, le salon IBC d’Amsterdam faisait la part belle à la lutte contre le piratage audiovisuel. Il en fut aussi question au colloque NPA du 11 octobre.

Directive européenne sur « le droit d’auteur dans le marché numérique » : ce qu’en disent les acteurs du Net

Si les acteurs du Net et des ent reprises du numérique ont pratiqué un intense lobbying à Bruxelles et à Strasbourg pour tenter d’empêcher l’adoption du projet controversé de directive européenne réformant le droit d’auteur, leurs réactions – après le vote favorable des eurodéputés le
12 septembre (1) – n’ont pas été nombreuses. Les Gafam sont restés sans voix, ou presque, tandis que Mozilla (Firefox) a déclaré que ce vote ouvrait la voie au « filtrage brutal et inefficace » et que ce fut « un très mauvais jour pour l’Internet en Europe » (2).

« Nous poursuivrons nos partenariats » (Google)
Contacté par Edition Multimédi@, Google nous a fait part de sa réaction : « Les utilisateurs souhaitent avoir accès à de l’information de qualité et à du contenu créatif en ligne. Nous avons toujours dit que l’innovation et la collaboration étaient les meilleurs moyens de créer un avenir durable pour les secteurs européens de l’information et de la création, et nous sommes déterminés à poursuivre notre partenariat avec ces secteurs ». La filiale d’Alphabet est membre d’organisations professionnelles telles que Edima (European Digital Media Association), Digital Europe (ex- EICTA, European Information, Communications and Consumer Electronics Technology Industry Associations) ou encore CCIA (Computer & Communications Industry Association). Ce sont elles qui expriment le mieux la déception de la firme
de Mountain View. « Le Parlement européen a voté en faveur de la directive sur le copyright qui limitera la possibilité des citoyens européens de partager des informations en ligne et forcera le filtrage de leurs téléchargements. Les mesures adoptées [le 12 septembre] sont remarquablement similaires à celles déjà rejetées par une majorité
des députés européens [le 15 juillet], et cela est à la fois décevant et surprenant », a déclaré à l’issu du vote l’Edima, organisation basée à Bruxelles et représentant Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, eBay, Twitter, Snap ou encore Oath. Sa directrice générale, Siada El Ramly, regrette que les eurodéputés n’aient pas tenu compte des inquiétudes des citoyens sur les propositions contenues dans ce texte contesté. L’article 13 prévoit une responsabilité accrue des plateformes numériques pour lutter plus systématiquement contre le piratage sur Internet. L’article 11, lui, instaure sous forme de « droit voisin » une rémunération des articles et dépêches utilisés par les agrégateurs d’actualités. Les opposants à cette réforme du copyright mettent en garde contre le filtrage généralisé d’Internet, crainte qui avait abouti au rejet du texte en juillet (3).« Le droit voisin limitera le partage des actualités en ligne et le filtrage limitera les téléchargements des utilisateurs. Ce sont de mauvais résultats pour des citoyens européens », a déploré Siada El Ramly. Et cette spécialiste des affaires publiques en Europe d’ajouter : « Nous espérons que les préoccupations exprimées par les citoyens de l’Union européenne, tous les universitaires, les petits éditeurs, les start-up, et celles de l’ONU, seront toujours prises en compte durant la prochaine étape négociations ». La proposition de directive « Droit d’auteur » doit encore passer par les fourches caudines du trilogue constitué par la Commission européenne (à l’origine de la proposition de réforme en 2016), le Parlement et le Conseil de l’Union européens. Egalement basée à Bruxelles, Digital Europe a aussi regretté le vote des eurodéputés, soulignant également que « le rapport de septembre suit largement le projet de texte déjà rejeté en juillet ». Ce groupement européen d’intérêt économique compte parmi ses membres les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) mais aussi de nombreux autres industriels de la high-tech et des télécoms (Samsung, LG Electronics, Sony, Nokia, Nvidia, Panasonic, HP ou encore Lenovo). « Le résultat [du 12 septembre] gênera inutilement la recherche et développement en Europe, comme sur l’intelligence artificielle, en retardant l’instauration de la sécurité juridique et l’harmonisation avec une large exception [au droit d’auteur] pour le textand- data mining [le TDM étant l’exploration et l’extraction de données ou d’œuvres audiovisuelles, voire graphiques,
à des fins de recherche scientifique, ndlr]», critique Cecilia- Bonefeld Dahl (photo), directrice générale de Digital Europe. Pour ce groupement, l’adoption de cette directive est « une occasion manquée » de moderniser le cadre réglementaire du droit d’auteur en Europe.

L’Asic en France est restée sans voix
En France, l’Association des services Internet communautaires (Asic) – présidée par Giuseppe de Martino (ancien dirigeant de Dailymotion, aujourd’hui cofondateur de la plateforme vidéo Loopsider) – est restée dans voix depuis le 12 septembre. Représentant sur l’Hexagone Google, Facebook, Microsoft, Dailymotion ou encore Twitter, l’Asic avait cosigné – avec le Syntec numérique, France Digitale, Tech in France et Renaissance numérique – une tribune parue le 13 avril dernier dans Le Monde
« [demandant] de préserver l’Internet ouvert tel que nous le connaissons actuellement, en empêchant l’instauration d’un filtrage généralisé ». Ensemble, ils avaient mis en garde : « Le développement d’Internet, la créativité, la diversité des contenus que l’on peut y trouver et qui font sa richesse s’en trouveraient gravement menacés » (4). Les eurodéputés ne les ont pas entendus.

Les risques et les coûts du filtrage
De l’autre côté de l’Atlantique, la CCIA, basée à Washington et porte-parole des géants américains du Net, a réagi dès le 12 septembre pour dire tout le mal qu’elle pense de
« la décision d’adopter le filtrage des téléchargements pour une bonne partie des plateformes en ligne et d’introduire ce qui est appelé “droit des éditeurs de presse” ». Contactée par Edition Multimédi@, la porte-parole de la CCIA, Heather Greenfield (photo de droite), nous a indiqué ne pas savoir si Google et d’autres de ses membres avaient officiellement commenté le vote de Strasbourg. Dans son communiqué, l’organisation américaine fustige le revirement des eurodéputés : « Avec des centaines d’universitaires, des groupes de droits civils et le secteur en ligne, nous avons longuement plaidé contre ces mesures qui saperont la liberté d’expression en ligne et l’accès à l’information. Le filtrage présentera une obligation générale de surveiller les téléchargements de contenus effectués par les utilisateurs, ce qui portera atteinte aux droits fondamentaux des citoyens européens et détruira le régime de responsabilité limitée des plateformes qui était une pierre angulaire légale pour le secteur numérique européen ».
Présente à Bruxelles, la CCIA Europe s’appuie sur le Français Alexandre Roure qui est son directeur des Affaires publiques depuis novembre 2017 (après avoir été durant cinq ans au BSA, Bureau Software Alliance). Toutes ces organisations des acteurs du numérique se focalisent sur les articles 11 (droit voisin pour rémunérer la presse) et 13 (lutte généralisée contre le piratage) qui présentent selon elles un danger pour l’avenir de l’Internet et du Web. « Je suis entièrement d’accord pour dire que les plateformes en ligne ont certainement un rôle à jouer. Cela ne signifie pas nécessairement qu’une taxe sur les “snippets” [petits extraits d’articles repris par les agrégateurs d’actualités comme Google News, ndlr] soit la seule manière de progresser », a déclaré Siada El Ramly à l’AFP le 10 septembre. La directrice générale de l’Edima a rappelé que les droits voisins instaurés en Espagne et en Allemagne n’ont pas été des succès. En Espagne, des éditeurs de presse de petite taille ont dû fermer faute de pouvoir utiliser les agrégateurs d’information. En Allemagne, le secteur de la presse ne s’en est pas mieux sorti faute de créer de réelles nouvelles sources de revenus. Concernant la lutte contre le piratage, « disons-le très franchement, a poursuivi Siada El Ramly, si les plateformes ont l’obligation de s’assurer qu’un contenu protégé n’apparaît pas, tout ce qui pourrait être perçu comme une violation des droits d’auteur sera supprimé ». Et de prendre l’exemple d’une vidéo du spectacle de danse de sa fille où il y a une musique de fond : « L’ensemble de la vidéo devra être retirée de la plateforme sur laquelle elle a été
mise ». L’Edima regrette en tout cas que le débat ait été réduit à une opposition entre d’un côté les créateurs et de l’autre les plateformes, alors que la réalité est tout autre puisqu’il y a des artistes de part et d’autre. « L’Europe et l’industrie européenne ont beaucoup bénéficié des plateformes. Les technologies de l’information permettent la diversité culturelle en ligne, pour que les consommateurs européens aient davantage de choix », rappelle Siada El Ramly.
Fin août, l’Edima avait dressé les dix risques que présenteraient les articles 11 et 13 s’ils étaient appliqués : le taux d’erreurs dans le filtrage des contenus avec l’effet
« censure » que cela peut provoquer (un rapport de 1.000 contenus seraient menacés de suppression pour 1 cas illégal) ; le coût du filtrage pour une plateforme de taille moyenne pourrait atteindre 250.000 euros par an (5) (*) (**) ; le partage de photos de vacances pourrait s’en trouver impacté à cause du droit d’auteur ou de la morale ;
le partage de vidéos prises lors d’un festival de musique pourrait aussi être concerné ; le partage de selfies lors d’un match de football pourrait aussi être visé ; le partage d’événements familiaux avec de la musique ou des vidéos pourrait être bloqué ; poster des « mèmes » généralement basés sur des images connues et non libres de droits (6) sera risqué ; partager des cérémonies en tout genre avec de la musique le sera aussi ; partager des spectacles scolaires et musicaux également ; partager des articles d’actualité sera tout autant problématique.

Google va-t-il déréférencer la presse ?
A vouloir taxer Google ou Facebook, la presse en ligne risque de se tirer une balle dans le pied (7). « Il n’y a aucune raison de vous envoyer du monde, si c’est payant de vous envoyer du monde », pourraient dire les géants du Net au éditeurs de presse, selon Eric Leandri, cofondateur et président de Qwant, le moteur de recherche alternatif franco-allemande (8), qui s’exprimait le 13 septembre pour présenter son alliance avec le navigateur web américain Brave. @

Charles de Laubier

Fake news et délit de fausse nouvelle : la loi doit s’arrêter là où commencent les libertés

Les « fake news » ne datent pas d’hier ni le délit de fausse nouvelle. Mais Internet et les réseaux sociaux ont relancé les débats sur la lutte contre la « désinformation ». Or légiférer sans censurer relève d’une mission impossible, si l’on ne veut pas déstabiliser les fondements de
la démocratie.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

En anglais, fake signifie « faux » (ou « truqué »). Il s’agit donc de « fausses informations » ou, plus précisément, d’informations délibérément fausses dont la diffusion vise à induire en erreur. Cette stratégie de désinformation du public a été largement évoquée dans les médias, notamment à l’occasion des dernières élections présidentielles aux Etats-Unis comme en France.

Mensonges, calomnies, tromperies, …
Il a en effet été beaucoup question de « faux comptes russes » de publicités sur Facebook dont l’objectif étaient de véhiculer des fausses informations sur des sujets sensibles au moment de la campagne présidentielle de Donald Trump, ou encore de fausses nouvelles véhiculées sur les réseaux sociaux durant la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Le sujet
a également été évoqué lors de la campagne du Brexit ou encore du référendum en Catalogne. Actuellement, si aucun texte de droit commun
ne prévoit de réprimer la diffusion de fausses nouvelles, plusieurs textes spéciaux visent le délit de fausse nouvelle. L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les articles L.97, L.114 et L.117 du Code électoral, les article L.465-3-1 à L465- 3-3 du Code monétaire et financier ainsi que l’article L.443- 2 du Code de commerce sont autant de textes qui, bien qu’applicables dans des domaines spécifiques, renvoient tous à la notion de « fausse nouvelle » et présentent plusieurs traits communs : ils
ne posent aucune condition relative à l’auteur de la fausse nouvelle ; afin qu’une infraction puisse être qualifiée, ils exigent que la fausse nouvelle
ait fait l’objet d’une publication, une diffusion ou une reproduction ; enfin, ils emploient des termes tels que « informations mensongères », « bruits calomnieux », « nouvelles trompeuses ou destinées à tromper ».
Cependant, ces textes peuvent être difficiles à mettre en oeuvre, à l’instar
de l’article 27 précité de la loi de 1881 qui sanctionne d’une amende de 45.000 euros le fait d’avoir publié ou d’avoir relayé des informations créées et diffusées volontairement pour tromper le public. En effet, le texte prévoit que la « publication, la diffusion ou la reproduction » a été faite de
« mauvaise foi » et qu’elle est de nature à troubler la paix publique. Ces deux conditions constituent des obstacles importants pour contrer l’auteur de l’infraction qui ne manquera pas de faire valoir qu’il ne savait pas qu’il s’agissait d’une « fake news ». Quant aux hébergeurs, s’ils bénéficient d’un régime d’« irresponsabilité sauf », ils restent tenus de concourir à la lutte contre certaines infractions et, à ce titre, ils doivent mettre en place un dispositif de signalement. Mais cette obligation est circonscrite à des contenus qui relèvent de certaines catégories : l’apologie de crimes contre l’humanité, la provocation à la commission d’actes de terrorisme et de leur apologie, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard des personnes
en raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, ainsi que la pornographie enfantine, l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences faites aux femmes, des atteintes à la dignité humaine. Le dispositif existant n’apparait donc pas adapté aux
« fake news ».
Devant l’ampleur du phénomène, certains acteurs du Web ont pris des initiatives telles que la mise en place d’outils de vérification de contenus,
à l’exemple de l’option proposée par Facebook aux internautes pour leur permettre de qualifier certains contenus comme de « fausses informations», ou encore ont rejoint le consortium Trust Project (1) qui réunit de grands éditeurs de presse pour lutter ensemble contre les « fake news ».

Du texte « Goulet » de 2017 …
Parallèlement, le constat de l’insuffisance du dispositif légal a conduit à plusieurs propositions de lois, notamment celle qui a été soumise par sénatrice Nathalie Goulet le 22 mars 2017 visant à sanctionner les personnes qui mettent à la disposition du public des contenus sans vérifier les sources. Ce texte (2) présumait que « l’éditeur, le diffuseur, le reproducteur, le moteur de recherche ou le réseau social ayant maintenu
à la disposition du public des nouvelles fausses non accompagnées des réserves nécessaires pendant plus de trois jours à compter de la réception du signalement de leur caractère faux » étaient de mauvaise foi. Certes, ils pouvaient rétablir leur bonne foi en démontrant qu’ils avaient fait des
« démarches suffisantes et proportionnelles aux moyens » dont ils avaient disposé pour vérifier le contenu litigieux. Le texte a déclenché une série
de critiques, la principale consistant à dénoncer la difficulté à délimiter la frontière entre la « fake news » et la liberté d’expression, la liberté d’opinion ou encore la liberté de la presse. Il en résultait un risque non négligeable d’atteinte à un droit fondamental et constitutionnel. Aucune suite n’a été donnée à cette proposition jusqu’en janvier 2018, date à laquelle le président de la République – à l’occasion de ses voeux à la presse (3) – a annoncé sa volonté de réguler la publication de contenus sur Internet au cours des périodes électorales.

… au texte « Macron » de 2018
Une proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations
(4) ainsi qu’un projet de loi organique (5) prévoient de modifier le code électoral pour encadrer les périodes pré-électorale et électorale, définies comme courant à compter de la date de publication du décret convoquant les électeurs, jusqu’à la fin des opérations de vote, soit sur une durée maximum de cinq semaines avant le scrutin. L’objectif du législateur est
de contrôler les canaux de diffusion des fausses nouvelles, tout particulièrement les réseaux sociaux et les sites web de partage de vidéo ainsi que les médias sous influence d’un Etat étranger. A cet effet, le dispositif se décline en trois grandes propositions :
D’une part, le texte met à la charge des plateformes une obligation de transparence accrue sur tous les contenus sponsorisés. Elles devront rendre publiques l’identité des annonceurs de contenus ainsi que celle des personnes qui contrôlent les annonceurs. Elles devront également publier les montants consacrés à ces contenus, afin d’identifier les contenus sponsorisés à des montants élevés.
D’autre part, dans le cas où une fausse nouvelle serait publiée sur Internet, il est proposé d’introduire une nouvelle action en référé devant
le juge civil pour faire cesser la diffusion massive et artificielle d’une fausse nouvelle. Cette procédure, inspirée du référé « LCEN » (6) qui permet à toute personne de demander au juge de prescrire aux hébergeurs ou aux fournisseurs d’accès toutes mesures propres à prévenir un dommage ou
à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Cette action pourrait être engagée à la demande du ministère public ou de toute personne ayant intérêt à agir, uniquement pendant la période pré-électorale et électorale. Le tribunal
de grande instance de Paris serait exclusivement compétent, eu égard
au caractère national de l’écho donné à la diffusion massive de fausses informations. Le juge pourra notamment ordonner de supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné ou encore de bloquer l’accès au site Internet.
Enfin, les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) seront accrus afin de lutter contre toute tentative de déstabilisation par les services contrôlés ou influencés par des Etats étrangers. Si le régulateur considère qu’un Etat étranger propage une fausse nouvelle, il pourra
« suspendre » ou « révoquer » la convention d’un média sous influence de cet Etat. La commission de la Culture et la commission des Lois du Sénat
ont rejeté ces propositions le 26 juillet 2018, considérant que le dispositif continue de susciter les mêmes inquiétudes au regard de la censure, y ajoutant qu’en envisageant d’accroître la responsabilité des plateformes en cas de diffusion de fausses nouvelles, les principes posés dans la loi « LCEN » de 2004 sont susceptibles d’être remis en question. Il s’agit en effet d’une nouvelle exception, au même titre que pour les contenus terroristes ou pédopornographiques, au principe de limitation de responsabilité des intermédiaires techniques. Le projet de loi « Fausses nouvelles » devrait passer en commission mixte paritaire d’ici la fin de l’année.
On notera que, dans son avis du 19 avril 2018, le Conseil d’Etat partageait déjà l’opinion des sénateurs, en considérant que la mesure tendant au
« déréférencement d’un site diffusant ces fausses informations » apparaissait excessive, seuls devant être déréférencés les liens menant vers les pages diffusant ces informations.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat proposait de prévoir que l’ordonnance du juge des référés soit rendue en premier et dernier ressort, afin de ne permettre que l’exercice d’un pourvoi en cassation dans des conditions de délai qui peuvent être précisées dans le texte réglementaire d’application de la future loi. Enfin, plus généralement, après avoir reconnu que« l’état actuel du droit, notamment en matière électorale, ne permet[tait] pas nécessairement de répondre à l’intégralité des risques induits par [les plateformes numériques] », a suggéré « d’harmoniser les différentes dispositions des propositions de loi pour ne retenir que la notion de “fausses informations” » et non celle de « fausses nouvelles », et a recommandé que « la lutte contre les fausses informations soit systématiquement circonscrite aux cas dans lesquels il est établi que
la diffusion de telles informations procède d’une intention délibérée de nuire ».

L’Europe contre « la désinformation »
Sur le plan européen, la Commission européenne a adopté des mesures fondées sur les conclusions et les recommandations présentées le 12 mars 2018 (8) par un groupe d’experts de haut niveau pour lutter contre la désinformation en ligne. Dans sa communication « Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne » (9), datée du 24 avril 2018, elle préconise ainsi un code de bonnes pratiques et de nouvelles règles visant à accroître la transparence et l’équité des plateformes en ligne, notamment la mise en place d’un réseau indépendant de vérificateurs de faits ou encore une démarche d’autorégulation des acteurs. @

* Christiane Féral-Schuhl est ancien bâtonnier du Barreau
de Paris, et auteure de « Cyberdroit », dont la 7e édition
(2018-2019) est parue aux éditions Dalloz.

Vers un droit fondamental de l’accès à l’Internet dans la Constitution de 1958 ?

Comme il existe une Charte de l’environnement adossée à la Constitution française depuis 2004, une « Charte du numérique » faisant de l’accès à Internet un droit-liberté serait historique après une décennie de débats. Le 11 juillet, le projet a été rejeté. Mais la réflexion continue.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Un groupe de parlementaires de tous horizons politiques a proposé d’adosser à la Constitution de 1958 une « Charte du numérique », comme il y a une Charte de l’environnement adoptée, elle, en 2004 (1). Cette charte du numérique – qui comprend sept articles (2) – vise à consolider les grands principes du numérique en garantissant des droits et libertés numériques qui pourront alors faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.

Droit d’accès aux réseaux numériques
La Charte du numérique, telle que proposée le 21 juin dernier par le groupe de travail informel commun à l’Assemblée nationale et au Sénat en vue de
« réfléchir à l’inclusion des droits et libertés numériques dans la Constitution », prévoit notamment que « la loi garantit à toute personne un droit d’accès aux réseaux numériques libre, égal et sans discrimination »
et que les réseaux numériques « respectent le principe de neutralité qui implique un trafic libre et l’égalité de traitement ». Ces propositions font écho à la déclaration commune signée le 28 septembre 2015 (3) par le président de l’Assemblée nationale (Claude Bartolone) et la présidente de
la Chambre des députés italienne (Laura Boldrini). Ce texte franco-italien
« sur les droits et devoirs numériques du citoyen » (4) devait être adressé
au Parlement européen pour inviter les Etats de l’Union européenne à y adhérer. Si l’on peut regretter que la Charte du numérique ait été aussitôt rejetée par la commission des lois, le 27 juin 2018 à l’Assemblée nationale, lors de l’étude du projet de loi constitutionnelle au motif que ses conséquences et implications étaient trop hasardeuses, on note qu’elle pourrait être reprise sous forme d’amendements au projet de loi constitutionnelle (5). Le sujet est d’importance. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que l’accès à l’Internet n’est pas libre dans tous
les pays, certains Etats limitant l’accès au réseau des réseaux en utilisant diverses techniques : blocage d’adresses IP de noms de domaine, censure
de certains mots-clés sur les moteurs de recherche ou encore filtrage des sites web contenants ces mots-clés (6). Il suffit également de rappeler que
le Saoudien Raif Badawi a été cruellement sanctionné pour avoir voulu ouvrir un blog afin d’inviter à un débat sur l’influence religieuse dans le Royaume d’Arabie saoudite. Cette initiative a été sévèrement sanctionnée : une peine de prison de dix ans, 1.000 coups de fouet et une amende. Son avocat, Waleed Abu al-Khair a également été condamné, à quinze ans de prison, pour l’avoir défendu et avoir prôné la liberté d’expression. De même, le blogueur mauritanien Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir a été condamné à mort pour un billet jugé blasphématoire (7). Sa peine de mort avait été confirmée par la cour d’appel de Nouadhibou, tout en requalifiant les faits en « mécréance », mais annulée par la Cour suprême (8) avant de
se voir transformée en une condamnation à deux ans, toujours pour les mêmes faits (9). Il aura été incarcéré durant quatre ans. Quant au chinois Liu Xiaobo, il a également été déclaré coupable d’« avoir participé à la rédaction de la Charte 08, manifeste politique qui défendait une réforme démocratique pacifique et demandait un plus grand respect des droits humains fondamentaux en Chine, ainsi que la fin du système de parti unique ». Il avait été condamné à onze ans de prison pour ce manifeste signé par 303 intellectuels qui a circulé sous forme de pétition sur Internet. Récipiendaire du prix Nobel de la Paix en 2010, il est décédé en juillet 2017 alors qu’il venait de bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle à raison de son état de santé très dégradé. Certains, à l’instar de Vinton Cerf (10) – l’un des pères fondateurs de l’Internet – considère que l’Internet est une
« technologie (…) facilitateur de droits, pas un droit en lui-même ».

Un nouveau droit-liberté fondamental
C’est en ce sens également que s’exprime Michaël Bardin, docteur en droit public, lequel considère que si « les juges, par cette décision [Hadopi de 2009, ndlr (11)], confirment bien qu’il est nécessaire de reconnaître l’importance contemporaine du droit d’accès à internet (…), pour autant,
le droit d’accès à internet n’est ni “un droit de l’homme” ni un “droit fondamental” en lui-même ». Et d’ajouter : « Il n’est et n’existe que comme moyen de concrétisation de la liberté d’expression et de communication.
En définitive, le droit d’accès à internet vient prendre sa juste place dans les moyens déjà connus et protégés que sont la presse, la radio ou encore la télévision » (12). Tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat qui qualifie le droit d’accès à l’Internet de droit fondamental (13). En ce sens également, la professeure universitaire Laure Marino observe que le Conseil constitutionnel a élevé la liberté d’accès à Internet au rang de nouveau droit fondamental : « Pour ce faire, le Conseil constitutionnel utilise la méthode d’annexion qu’il affectionne. Il décide que la liberté de communication et d’expression “implique” désormais la liberté d’accès
à Internet. Comme dans un jeu de poupées russes, cela signifie qu’elle l’intègre et l’enveloppe ou, mieux encore, qu’elle l’annexe. On peut se réjouir de cette création d’un nouveau droit-liberté : le droit d’accès à Internet. L’accès à Internet devient ainsi, en lui-même, un droit-liberté, en empruntant par capillarité la nature de son tuteur, la liberté d’expression. Ainsi inventé par le Conseil, le droit d’être connecté à Internet est donc un droit constitutionnel dérivé de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » (14).

La coupure de l’accès Internet
C’est également la position exprimée en 2015 par la commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique (ComNum) de l’Assemblée nationale dans son rapport (15). Elle observe que plusieurs décisions prises au plan européen militent en ce sens. Ainsi, à titre d’exemple, dès 2009, et en plein débat sur la loi « Hadopi » que devait adopter la France quelques semaines plus tard, le Parlement européen s’est symboliquement opposé, par une recommandation (16), à la riposte graduée et à l’hypothèse de la coupure de l’accès Internet. Dans le même esprit, la directive européenne 2009/140/CE du 25 novembre 2009, composante du troisième « Paquet télécom » (17), prévoit que « les mesures prises par les Etats membres concernant l’accès des utilisateurs finals aux services et applications, et leur utilisation, via les réseaux de communications électroniques respectent les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les principes généraux du droit communautaire ». Cette directive impose par conséquent le respect de la présomption d’innocence et la mise en place d’une procédure « préalable, équitable et impartiale » avant toute restriction de l’accès ; elle estime en conséquence que le droit d’accès à Internet comporte des enjeux qui dépassent largement ceux de l’accès à la presse, la radio ou la télévision (18). Plus encore, « l’accès à internet est indispensable non seulement à l’exercice du droit à la liberté d’expression, mais aussi à celui d’autres droits, dont le droit à l’éducation, le droit de s’associer librement avec d’autres et le droit de réunion, le droit de participer pleinement à la vie sociale, culturelle et politique et le droit au développement économique et social » (19). Comme l’indique le Conseil d’Etat dans son étude annuelle de 2014, la liberté d’entreprendre – qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – implique le droit pour les entreprises de développer des activités à caractère numérique. « La loi et la jurisprudence présentent aujourd’hui plusieurs garanties de ce que l’on pourrait qualifier de ‘’droit à une existence numérique’’ de l’entreprise, qui implique différents attributs : droit à un nom de domaine, droit à fournir des services sur Internet, droit d’utiliser certains instruments tels que la publicité, la cryptographie ou les contrats conclus par voie électronique ». Il va sans dire que la liberté d’entreprendre et le droit à une existence numérique impliquent également le droit d’accéder à Internet. On rappellera que la peine de suspension de l’accès à Internet n’a été prononcée qu’une seule fois par la justice française et jamais appliquée. Elle a été supprimée par le décret du 8 juillet 2013 (le rapport Robert de 2014 a émis une proposition de rétablissement de cette peine de suspension en la généralisant aux infractions qui mettent en péril un mineur).
Dans ce contexte, il convient d’acter que le droit fondamental d’accès à Internet doit être assuré dans ses fondements substantiels et pas seulement comme possibilité de connexion à la toile. L’accès comprend le libre choix des systèmes d’exploitation, des logiciels et des applications. La protection effective du droit d’accès exige des interventions publiques adéquates pour surmonter toute forme de fracture numérique – culturelle, infrastructurelle, économique – en ce qui concerne notamment l’accessibilité de la part des personnes handicapées.

A l’instar de la Charte de l’environnement
C’est donc dans cet objectif que le groupe parlementaire transpartisan a proposé d’adosser à la Constitution de 1958 la « Charte du numérique »,
à l’instar de la Charte de l’environnement adoptée en 2004. Les débats du
11 juillet 2018 à l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle
« pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » ont finalement abouti au rejet de cette charte.
Mais la réflexion, elle, va se poursuivre, d’autant que l’Internet Society (Isoc) soutient l’initiative française après avoir lancé une pétition « pour la consécration constitutionnelle des droits fondamentaux des utilisateurs du numérique ». @

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris,
et auteure de « Cyberdroit », dont la 7e édition
(2018-2019) est parue aux éditions Dalloz